1x01 - Capitaine Nemo (1/17) - Bonjour

Le noir absolu. Un poids sur son ventre, presque aussi lourd qu’elle, peut-être plus. D’abord simple gêne, la pression se déplace et s’intensifie, se répartissant sur ses épaules, la maintenant fermement en place. Elle tente de se débattre, sans succès. Un souffle chaud et fétide se fait sentir sur son visage. Elle n’ouvre les yeux que pour se retrouver nez à nez avec une gueule béante et remplie de canines effrayantes, au milieu desquelles pend une large langue gluante. L’adolescente crie. Non, elle hurle, de toute la puissance de ses cordes vocales. À ce son, la gueule se referme et la tête à laquelle elle appartient se penche sur le côté. La jeune fille profite alors de la surprise de son assaillant pour se redresser brusquement en position assise, ayant cette fois le dessus sur ce qui la maintenait couchée contre son gré.

En faisant ce geste, Maena manque de se cogner contre la truffe du chien.

Sing Sing, Rottweiler de son état, une cinquantaine de kilos majoritairement composés de muscles nourris à la viande crue et aux exercices militaires, s'est perché sur sa cousine par adoption durant le sommeil de cette dernière. La jeune fille soupire de soulagement en découvrant que son assaillant est simplement le chien de son oncle, et non pas un monstre cauchemardesque. Enfin si, techniquement c'est un monstre cauchemardesque, mais elle le connaît depuis qu'elle a quoi…12 ans ? Et ça fait 5 ans maintenant.

L'adolescente se laisse retomber en arrière sur son oreiller, yeux clos, juste le temps que les battements de son cœur retrouvent un rythme normal.

Une fois calmée, elle se redresse à nouveau, retient un bâillement derrière le dos de sa main, s'étire, puis jette un regard circulaire à sa chambre à coucher. Passant une main dans sa chevelure dorée lui tombant jusqu'au bas des omoplates, elle caresse du regard le décor familier dans lequel elle se réveille chaque matin depuis aussi loin qu'elle se souvienne, moyennant bien évidemment une lente évolution au cours du temps.

Sur sa gauche, pratiquement derrière elle, la porte coulissante de son dressing personnel, longue pièce étroite qui s'étend derrière le mur sur lequel est appuyée sa tête de lit.

Directement sur sa gauche cette fois, à un peu plus d'un mètre du lit, l'unique fenêtre de la chambre, aux dimensions honorables, voilée de fins rideaux d'un rouge profond et chaleureux.

Toujours sur sa gauche mais un peu plus en avant du lit, dans un coin, son bureau, dont le plan de travail intelligent est hélas en grande partie recouvert par des accessoires féminins, plusieurs peluches, et même un mug. La chaise associée au meuble n'est pas en reste en ce qui concerne le désordre, puisqu'elle sert providentiellement de valet muet, une imposante pile de vêtements y reposant.

Droit devant l'adolescente, la totalité du mur est recouverte de photos, par l'intermédiaire d'une mosaïque de surfaces polarisables de tailles diverses, programmées à cet effet.

Enfin, sur la droite de la jeune fille, outre la porte plutôt devant elle et faisant donc face à son bureau, une grande bibliothèque occupe le reste du mur, remplie de babioles variées.

Un sourire vient flotter sur les lèvres de Mae, qui repousse l'épaisse couette jaune canari qui l'a protégée du froid durant la nuit, et s'assoit sur le bord de son matelas, encore légèrement ensommeillée. Coudes sur ses genoux et menton sur ses poings fermés, l'adolescente plonge son regard marron dans celui encore plus sombre du chien qui l'a réveillée. Le molosse est désormais sagement assis sur la moquette et la regarde avec de grands yeux, langue toujours pendante.

- T'adores m'entendre hurler, toi, pas vrai ?

Tout en gratouillant le sommet du crâne du chien avec affection, la blondinette se dit que quelque chose lui échappe dans cette situation. Mais quoi ?

Son visage s'illumine d'un large sourire lorsqu'elle se rend compte de ce que la présence du canidé inclut indéfectiblement. Elle attrape la bête par son collier de cuir et lui dépose un baiser bruyant sur la babine gauche, avant de s'élancer hors de sa chambre.

En chaussettes basses, elle dérape sur le parquet du couloir, prenant à droite pour dévaler les escaliers. Un nouveau tournant dans la même direction, une fois arrivée à l'étage inférieur, la fait finalement débouler dans la cuisine en sautillant, toujours vêtue d’un simple pyjama de coton gris, l'animal sur ses talons.

L'endroit est déjà occupé par un homme d'une bonne quarantaine d'années, assis à la haute table carrée qui trône au centre de la pièce, buvant du thé tout en lisant le journal sur une tablette.

Il est plutôt bel homme, de grande taille, avec des yeux marron sombres au diapason de ses cheveux, ceux-ci presque longs pour un porteur du chromosome Y. Le bas de son visage est mangé par une barbe épaisse mais proprement taillée, et son style est simple mais élégant, alliant la chemise blanche au jean bleu. De lui émane une aura de charisme serein, et c'est avec un sourire bienveillant qu’il accueille la jeune fille, sans se départir de son calme, même devant tant d’agitation.

- Bonjour, ma chérie, dit-il en lui accordant un regard réconfortant par-dessus sa tasse.

- Oncle Sam est rentré ? elle demande immédiatement, sans lui rendre sa salutation.

Le sourire de l’homme s’élargit et il pose son thé encore fumant, toujours très calmement.

- Tu as bien dormi ? il choisit de répondre à sa question par une question.

Les épaules de l'adolescente s'affaissent sans qu'elle ne cesse pour autant de sourire.

- Bonjour, Papa, elle rattrape l'oubli qu'il vient subtilement de lui faire remarquer.

Elle obtient un éclat de rire pour toute réponse.

- Oui, il est rentré, annonce le père, secouant la tête, amusé.

Comme si la présence de son molosse n'était pas suffisante à signaler la présence de son frère cadet, dont il ne se sépare pour ainsi dire jamais. Il y aussi du fait que l'appellation d'Oncle Sam ne semble pas perdre de sa drôlerie avec le temps.

- Il est dans le jardin, il passe un coup de fil. Mais il est hors de question que tu ailles le voir dans cette tenue, jeune fille, poursuit le père en toisant ostensiblement sa fille de haut en bas.

- Tu as honte de mes goûts vestimentaires, maintenant ? interroge l'adolescente en tirant sur son haut uni, les yeux plissés.

- En fait je pensais plutôt au fait que nous sommes en Hiver, Mae, il répond avant de retourner à sa lecture.

Et un Hiver à Chicago, autant dire que c'est glacial. Logique imparable. La jeune fille fait la moue, puis s'apprête à retourner d'où elle vient, lorsqu'une troisième personne fait irruption dans la pièce.

De haute taille, fin, avec de grands yeux bruns et des cheveux embroussaillés de la même couleur lui tombant presque jusqu'aux sourcils, ne portant qu'un T-shirt blanc et un pantalon de pyjama gris, le jeune homme se gratte la tête. Visiblement, les vocalises de la blondinette, à en juger par le regard entendu qu'il lui accorde au passage, ne sont pas sa sonnerie de réveil habituelle. Il lâche un ‘B’jour’ aussi peu pâteux qu'il en est capable et vient s'écraser sur un tabouret.

- Bonjour, l'accueille doucement le père, instantanément fusillé du regard par sa fille.

- Joyeux anniversaire, Caesar ! Alors frérot, on est vieux ? corrige cette dernière, en donnant un léger coup d’épaule à son aîné et en faisant les gros yeux à son paternel.

- Hum, ouais, merci. Tu l'es devenue aussi il y a deux jours, je te rappelle, répond l’intéressé d'une voix endormie, étouffant même un bâillement.

Régularité quasi parfaite des parents qui a voulu que leurs trois enfants naissent tous en début de Janvier.

Justement, le troisième membre de la fratrie fait à son tour son apparition. S'il est évident qu'il est l'aîné, il lui manque curieusement quelques centimètres pour égaler son cadet. Il est cependant un rien plus large de carrure. Sa chevelure châtain présente une déstructuration similaire à celle de son frère, quoiqu'en version plus courte, et ses yeux sont bleus. Plein d'énergie dès le matin, la bourrade que le jeune homme envoie à Caesar dépasse de loin celle de Mae en puissance.

- Bon anniv', Caesar !

- Personne ne va oublier, huh ? rétorque l’autre dans sa barbe inexistante, tout en se massant le deltoïde.

- Bonjour, P'pa. Mae, enchaîne le plus âgé, déjà en train de fouiller dans un placard pour une boîte de céréales et un bol.

- Bonjour, Markus, répond le père.

- Bon, je monte. À moi la salle de bain ! annonce la benjamine à la volée.

- Tu pourrais lui laisser une douche chaude pour son anniversaire, franchement, ironise Mark en désignant Caesar du menton.

- Huhuh, très drôle.

La petite blonde disparaît dans les escaliers, levant les yeux au ciel. Ce n’est pas comme si elle n'avait pas toujours vécu presque exclusivement entourée de garçons.

Scène suivante >

Commentaires

  1. Hello !

    J'ai envie de crever parce que j'ai fait une fausse manipulation et j'ai effacé mon commentaire que j'avais commencé à écrire depuis ma tablette. J'espère ne pas jouer à nouveau de malchance...
    Enfin bref...

    Me revoilà ! Je n'en suis pas à ma première lecture de Home Sweet Home, cette histoire que j'avais aimé du peu que j'avais pu en lire (jusqu'à l'épisode 1x05 ou 1x06). Je ne sais plus si j'avais laissé quelques petites commentaires à l'époque. J'ai un doute...
    Ayant un peu de mal avec la lecture sur écran, ce découpage devrait me permettre d'être assidu cette fois-ci dans ma lecture, de moins papillonner, et je suis sûr au moins de ne rien oublier lorsque je laisserai un petit commentaire.
    Donc let's go !

    J'aime beaucoup la façon dont tu instaures immédiatement une ambiance angoissante dès les premières lignes. Même si j'en connaissais déjà l'issue, je trouve que ça fait toujours son petit effet.
    La révélation du "monstre" est plaisante et amusante. J'aime déjà la relation que semble avoir Maena avec Sing Sing, et comme on le comprend également avec son oncle.

    J'ai apprécié tes descriptions, autant pour les lieux que pour les personnages. Il y a quelques détails par-ci par-là, sans en faire trop non plus pour éviter de noyer le lecteur. J'ai bien été immergé.
    Personnellement, c'est une chose sur laquelle je suis en galère et que je n'aime pas faire.

    Sinon, que dire ? En une seule scène, plutôt courte qui plus est, tu parviens à nous présenter la fratrie Quanto et la patriarche, Sing Sing et à mentionner l'oncle Sam qui on se doute à une place importante dans cette famille, il n'y a qu'à voir l'amour que semble lui porter Maena.
    Il ne reste donc plus qu'à nous les présenter un plus en détails dans les scènes suivantes mais ils apparaissent déjà sympathiques.

    Si je devais résumer mon ressenti, je dirais que les descriptions et les dialogues fonctionnent très bien, les premières lignes parviennent à capter l'attention dès les premiers mots.
    Et même à ce stade, on ne connait rien de l'histoire et on ne peut savoir que très peu de choses des personnages, l'envie d'en découvrir davantage est bien là.

    C'est toujours un plaisir de te lire. :)

    À bientôt,

    Mr Ious

    RépondreSupprimer
  2. Hello Ious !


    Quel plaisir que les commentaires sur ce blog soient enfin inaugurés ! Et j'aurais sans doute dû me douter que ce serait toi qui te lancerais le premier. Merci beaucoup ! =D

    J'ai souvenir que tu avais en effet commencé puis recommencé Home Sweet Home, trahi par la longueur originelle de mes épisodes. On ne se refait pas ; quand on est tombé du côté obscur des pavés, on ne revient pas en arrière, je suppose. ^^ Mais je suis contente si ce découpage par scène, tout contrariant qu'il soit un peu pour moi, te facilite la vie. Je peux le comprendre. Je potasse l'idée de mettre tout ça au format liseuse un jour, mais ce n'est pas encore évident.

    L'équilibre des descriptions a été gagné au fil de très (voire trop) nombreuses relectures des premiers épisodes, durant cette longue phase d'hésitation que j'ai eue avant la toute première publication. C'est cool si ça fonctionne ! J'essaye de m'y tenir, mais comme pour toi, ce n'est pas toujours évident pour moi. J'ai parfois tendance à éclipser le monde physique pour celui des pensées des personnages, parce que je suis plus mentale que visuelle de manière générale. Tu me diras quand j'aurai des dérives, hein ? xD

    Et enfin, oui, cette scène étant la toute première du pilote, son caractère introductif d'un grand nombre de personnages est voulu. C'est bien si ça ne submerge pas. Au fil du temps, je me suis rendu compte que c'était assez difficile d'avoir plus de 2 personnages au même moment, dès 3 ça commence à se corser pour moi. Et puis après je me suis rendue compte que c'était comme ça aussi dans la vraie vie, pas seulement dans l'écriture, et je me suis marrée. =)


    Encore merci d'avoir repris cette lecture et pris le temps de laisser un petit mot ; je file répondre à tes autres commentaires !
    Zlaw

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Alors ? Ça vous a plu ?