2x12 - Danse du feu (15/18) - Défilé
Flanquée d'Ellen d'un côté et Nelson de l'autre, Mae déambule en savourant l'air frais et le soleil sur son visage, à défaut d'être découverte ailleurs. Elle commence à développer une certaine créativité dans son usage de sa garde-robe pour laisser le moins de sa peau exposée sans pour autant ostensiblement jurer avec la saison et ses températures plutôt élevées. Le tissu qui la sépare de son environnement n'a en fin de compte pas besoin d'être opaque, juste présent, comme une armure qui n'en a pas l'air. C'est un léger changement de style, pour elle, mais personne ne s'en est formalisé jusqu'ici.
Yeux fermés et menton levé, elle profite. Elle ne sent même pas les regards de Ben et Chad sur elle, qu'elle sait pourtant la guetter à chaque tournant. Elle avait commencé par avoir un peu peur que son amie à bonnet ne repère les deux rôdeurs de Walter Payton, mais le duo s'est montré d'une discrétion exemplaire ; celle sur laquelle ils veillent ne les a pas revus depuis leur départ de la maison. Et Ell' est de toute façon restée efficacement distraite par une chose ou une autre tout au long de leur promenade. À l'heure actuelle, c'est un bâton de barbe à papa qui retient toute son attention. Quant à Nelson, il a beaucoup moins les deux silhouettes en tête, et ne les repérerait donc sans doute pas même s'il posait les yeux sur eux.
— Mae ? la voix de l'adolescent qui l'interpelle amène justement la petite blonde à rouvrir les yeux et revenir à la réalité.
— Oui ? elle répond à l'appel, tout sourire, presque béate.
— Je peux te demander un truc ? il poursuit, d'un ton hésitant et le regard un peu fuyant.
Il a été plus ou moins sur le qui-vive toute la journée, et elle ne peut pas lui en vouloir. Après le numéro qu'elle leur a fait dans sa cuisine l'autre jour, il est logique que ces deux meilleurs amis ne soient pas encore convaincus que tout est tout à fait revenu dans l'ordre pour elle. Le tempérament protecteur de Nels aura pris le dessus. C'est une qualité.
— Bien sûr. Toujours, elle l'encourage, ignorant volontairement son trouble, dans l'espoir de le lui faire passer.
— Est-ce que tu dirais que je te connais bien ? lui demande alors son plus vieux copain, en fixant la route entre ses baskets.
Elle ne peut pas s'empêcher de rire à cette question sortie de nulle part. Jusqu'ici, leurs conversations étaient restées légères, dilettantes, sans véritable profondeur. Ils ont un peu parlé de l'itinéraire prévu par les parents d'Ellen pour ces vacances, puis ont dans l'ensemble surtout réagi à toutes les festivités autour d'eux, entre autres platitudes et joyeusetés. Questionner maintenant leur amitié est un sacré changement de registre.
— Nels ! Tu es la personne en dehors de ma famille qui me connaît depuis le plus longtemps. Oui, je pense qu'on peut dire que tu me connais, oui. Si toi tu ne me connais pas, je sais pas qui a une chance… elle répond avec exubérance à la question.
Elle pourrait tout autant s'être passée d'arguments, car la spontanéité de sa réaction se suffit à elle-même. Surtout que, même si la logique s'applique dans leur cas, la durée d'une amitié n'en détermine pas toujours la solidité. Certains amis depuis la plus tendre enfance se connaissent à peine, même alors qu'ils ont gardé le contact.
— Donc, si je te demande ce qui va pas, tu vas pas le prendre mal ? le grand brun continue timidement.
Il surveille sa réaction du coin de l'œil, maintenant, toujours prudent dans son approche.
— Comment ça "ce qui va pas" ? elle relève.
Puisqu'elle ne peut plus décemment ignorer le malaise de son camarade, elle ralentit un rien leur avancée.
— Je sais qu'on a dit qu'on devait plus s'inquiéter pour toi, que s'il y avait le moindre souci tu nous en parlerais. Mais voilà, justement, j'ai l'impression que c'est pas le cas. Et je préfère être fixé avant qu'Ell' parte et que ça nous explose au visage en plein milieu de l'Été alors qu'on n'est pas tous ensemble, il déballe d'une traite, maladroitement, dansant d'un pied sur l'autre.
— Je vois pas ce qui te fait dire ça, grince Mae.
Elle met toute l'application dont elle est capable à ne pas sembler tendue, malgré l'intensité avec laquelle le doute de son meilleur ami la hérisse. Il y a la terreur d'être découverte et d'entraîner encore plus de personnes qui lui sont chères dans ses mésaventures que ce n'est déjà le cas. Il y a un soupçon de colère au manque de confiance qu'il marque en l'assurance qu'elle leur a faite que tout allait bien et qu'elle les avertirait si ça devait changer. Mais il y a aussi et surtout beaucoup de frustration à visiblement ne pas réussir à faire illusion. Il était prévisible que ses amis les plus intimes soient les plus difficiles à duper, mais elle pensait que leur prévenance d'aujourd'hui encore était disons légitime, pas due au fait que la gravité réelle de sa situation puisse transparaître. Est-ce que son père a eu tort, de la laisser sortir aujourd'hui ?
— Insiste pas, Nels, intervient Ellen, qui était jusqu'ici restée bien silencieuse, à écouter l'abord malhabile du sujet par son camarade.
— Vraiment ? Tu passes tout ce temps à penser qu'il y a un truc, et au moment où je commence à me dire que peut-être c'est pas n'importe quoi, tu te défiles ? l'admoneste le garçon.
Il doit se pencher devant Mae toujours entre eux pour pouvoir la dévisager avec un air de jugement.
— C'est pas ce que j'ai dit… se renfrogne la marginale, retournant à son nuage sucré.
— Attendez une minute… Qu'est-ce que vous pensez qui se passe ? demande Mae.
Elle met complètement halte à leur promenade à présent. Elle se sent acculée, à voir ainsi ses deux amis du même avis. Ça va donc vraiment au-delà des élans fraternels de Nelson envers elle. C'est une inquiétude qu'ils partagent. C'est quelque chose dont ils ont parlé.
— J'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est qu'il y a un truc qui cloche et que tu nous en parles pas. T'es pas dans ton assiette, il reste sur sa conclusion, sans arriver à être plus précis quant aux éléments qui l'y auraient conduit.
— Peut-être parce que j'ai perdu des semaines et que j'ai encore du mal avec la nourriture ! s'agace un peu Mae.
Elle croise les bras, mais c'est plus pour s'entourer que pour marquer sa contrariété. Si elle a du mal à complètement exploser, c'est parce qu'elle sait en son for intérieur qu'il vise juste. Mais elle a quand même des circonstances atténuantes quel que soit le degré d'informations dont on dispose. Comment est-ce que la version officielle des faits n'est-elle pas suffisante pour justifier son comportement ? Il l'a bien vue prendre son déjeuner sous forme quasi-liquide, dans une tasse opaque et couverte. Qu'elle n'ait en réalité rien consommé du contenu du récipient (puisque Gregor n'a pas encore réussi à lui mettre au point quoi que ce soit qu'elle puisse ingérer sans être violemment malade) importe peu. Elle ne dit pas que s'être fait enlever lui donne une excuse pour toutes les attitudes possibles, simplement peut-être un peu plus d'indulgence.
— Justement, pourquoi t'es pas énervée ? D'habitude, t'es toujours en colère, quand quelque chose t'arrive. Tu peux aussi être triste ou inquiète, mais t'es toujours furax. T'étais énervée quand je t'ai rencontrée, après ta mère, et à chaque fois que ton oncle a été blessé, ou qu'un de ses chiens est mort. Et après la prise d'otages, t'étais furieuse aussi. Et quand Caesar s'est coupé.
Malheureusement pour elle, son plus vieil ami ne manque pas d'exemples parmi lesquelles piocher pour illustrer toutes les épreuves qu'il l'a déjà vue traverser. Par conséquent, il n'a aucun mal à mettre en évidence à quel point sa réaction actuelle dévie de la norme.
— Donc quoi ? Je vais trop bien, c'est ça ? elle s'exclame, frustrée de ce comble.
Elle ne peut pas gagner. Si elle arrête de donner le change, ce sera encore plus évident qu'il se trame quelque chose de plus qu'ils n'en sont au courant. Mais visiblement, s'y appliquer donne exactement la même impression…
— Non, justement, tu vas pas bien, mais c'est pas comme d'habitude. C'est difficile à expliquer. J'aurais peut-être dû y réfléchir encore plus avant de t'en parler mais… je me fais du souci, c'est tout. Et je sais que ça t'aide pas d'entendre tout ça, mais Ellen va partir, et aussi crétin ça soit, on est meilleurs pour faire face aux trucs quand on est tous les trois, il continue à lutter pour justifier son sentiment, sans grand succès malheureusement, si avec une forte dose de sincérité.
Ellen ne fait partie de leur groupe que depuis 2 ans, mais elle a su s'y rendre indispensable. Pour tous les souvenirs d'enfance que Mae et Nelson partagent et qu'elle ne pourra jamais avoir en commun avec eux, il est clair que son absence représente tout de même un déséquilibre.
— Bravo, Nels. T'as vachement amélioré la situation, lui lance justement la marginale, voyant bien que Mae est toute retournée.
— Oh ça va, je pensais pas à mal ! Je préfère dire les choses, c'est tout, il se défend faiblement.
Il se sent déjà bien assez coupable d'avoir ainsi perturbé la bonne humeur de sa meilleure amie, pas besoin d'en rajouter.
Entre eux, Mae est livide. Elle n'arrive pas à s'arrêter sur une émotion en particulier. Est-elle plutôt en colère et frustrée ou juste effrayée ? Est-ce qu'elle n'est pas tout simplement au bord de l'épuisement émotionnel, après des semaines d'anxiété suite à son réveil, et maintenant devoir toujours rester calme de peur de devenir un danger ?
— T'en pensais pas tant quand tu as décidé de faire de Degriff ta petite copine, continue Ellen dans les reproches.
— Ouais, bah justement, on a vu où ça nous a menés, cette histoire, non ? rétorque Nelson, piqué par cette mention, comme à chaque fois qu'elle revient sur le tapis.
— Tu as raison, lâche soudain Mae.
Ses deux amis se tournent vers elle comme une seule personne à cette prise de parole au volume pourtant peu élevé. Pas seulement moins élevé que le leur, peu élevé tout court. Ils n'ont pas besoin d'émettre d'onomatopée de surprise et d'incompréhension tant leurs expressions transmettent bien ces sentiments.
— Tu as raison, Nelson. Il y a des trucs que vous savez pas, réitère Mae à peine plus haut, mais non moins fermement.
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