2x12 - Danse du feu (15/18) (2) - Parade
Par-dessus les épaules de ses deux amis, l'adolescente blonde repère enfin Chad. Ou bien il se laisse voir. Elle ne sait pas où est Ben, mais le regard sombre du plus âgé des deux Homiens est une mise en garde suffisante. Non pas qu'elle en ait besoin. Elle s'efforce de lui faire passer en un simple coup d'œil, afin de ne pas attirer l'attention de ses interlocuteurs sur ce qu'elle regarde derrière eux, qu'elle compte bien continuer à garder leur secret. Comme elle l'a toujours fait jusqu'ici. Mais l'encapuchonné a raison de rester aux aguets, car elle vient effectivement de prendre une décision qui implique des révélations.
— Quel genre de trucs ? s'enquiert Nelson, désorienté, notamment par ce changement de ton.
S'il était inquiet auparavant, il l'est encore plus maintenant. Il pensait qu'elle n'était pas assez en colère, mais il ne s'attendait pas à ce que ça cache une telle solennité.
— Je n'ai pas été kidnappée par qui vous croyez, elle commence.
Elle s'exprime calmement mais réfléchit à toute vitesse. Pourquoi elle prend ce bout-là d'abord est un mystère même pour elle. Sans doute avoir envoyé Kayle en prison alors qu'il a été essentiel à son sauvetage lui reste-t-il plus en travers de la gorge que tout le reste des mensonges qu'elle doit laisser être dits, et prétendre croire.
— De quoi tu parles ? enchaîne Ellen, dans la continuité de son camarade.
— Celui chez qui j'ai été retrouvée, c'est pas lui qui m'a enlevée à la base, reformule Mae, gagnant du temps pour décider comment elle va pouvoir terminer ce qu'elle vient d'entamer.
— On sait que c'était probablement pas lui en personne, Mae. C'était une équipe, dans cette camionnette. Des mercenaires, propose Ell' comme rationalisation de la déclaration.
— Et cette équipe ne travaillait pas pour Kayle. Il m'a reprise à ces gens qui m'ont attrapée devant le lycée, insiste la petite blonde, invalidant cette hypothèse d'interprétation de ce qu'elle vient de dire.
Elle tient bon sur ce qu'elle a déjà laissé échapper, même alors qu'elle ne sait pas encore jusqu'où elle va en arriver dans ses aveux. Tout ce dont elle est sûre, c'est qu'il faut qu'elle révèle quelque chose à ses amis, sinon, ce sera pire. Seuls, ils pourraient en arriver à être encore plus impliqués que de rigueur. Elle se sent manipulatrice, à choisir les parts de vérité auxquelles ils vont avoir droit, mais il faut qu'elle garde le contrôle de la situation. S'ils se posent réellement de vraies questions, ils pourraient en arriver un peu trop près des Homiens à leur goût, et qui sait comment ça terminerait. Elle ne veut pas les voir mener à bien les menaces qui lui ont été faites le soir où elle les a découverts.
— Quoi ? T'es en train de dire que… tu as été enlevée… deux fois ? Nelson essaye de suivre.
L'effort de concentration le fait grimacer, et il essaye de s'aider avec des gestes.
— Non, juste une. C'est d'être sauvée, qui m'est arrivé deux fois, lui répond sa meilleure amie.
Elle ne peut pas lui tenir rigueur de ne pas saisir de suite ce qu'elle essaye de lui dire. D'une part, c'est un récit incroyable. Et d'autre part, elle est loin de lui avoir donné suffisamment d'éléments encore.
— Je comprends pas… Ce type est en prison pour t'avoir enlevée, et personne d'autre. Est-ce que ça veut dire que c'est pas fini, cette histoire ? il s'alarme.
Cette idée l'inquiète particulièrement. C'était déjà son angoisse principale, lorsque Markus est venu leur annoncer que Mae avait été retrouvée. Pourtant, le grand frère avait l'air sincèrement soulagé, ce jour-là. Ce n'était pas du cinéma. S'il leur a caché quelque chose à ce moment-là, il a grandement amélioré les compétences de menteur qu'il lui connaît. Mais comment aurait-il pu ignorer ce que sa benjamine est en train de leur révéler maintenant ?
— Si, c'est fini ! Ceux qui m'ont prise ont été stoppés avant même que je sois retrouvée pour de bon. Kayle a aidé à ce qu'ils soient arrêtés. Ça n'aurait pas été possible sans lui… l'assure Mae, intraitable sur ce point.
Le but de ses révélations, peu importe jusqu'où elle se retrouve à les pousser, est justement de rassurer ses amis. Elle préfère donc insister sur le peu de sécurité dont elle est certaine de bénéficier. DeinoGene a été démantelé pour de bon. Et comme pour saler la terre, sa fondatrice a été tuée.
— Mais… c'est pas genre… un tueur en série, ce gars ? Pourquoi il t'aurait sauvée ? se permet de remettre en question Ellen.
Elle se souvient d'avoir été marquée par le profil du kidnappeur de sa meilleure amie. Le nombre de personnes qu'il avait tuées, et surtout les méthodes qu'il avait employées, pour certaines si atroces qu'elle n'avait pas eu accès à leur description, à cause de son âge inférieur à 18 ans. Rien d'un bon samaritain. Et maintenant Mae le désigne par son prénom ?
— Et pourquoi il a rien dit ? Pourquoi est-ce que les journaux n'ont pas parlé de ça ? ajoute Nelson.
La seule raison de ne pas divulguer tous les éléments d'une enquête, c'est quand elle est encore en cours. Dans ces cas-là, il n'est même pas si rare qu'une fausse version des faits soit publiée, pour embrouiller les coupables véritables aussi bien que garder le public à l'écart jusqu'à la conclusion de l'investigation. Mais si tout est bel et bien terminé, en revanche, l'acte de liberté de l'information exige que la vérité soit rétablie et tous ses moindres détails rendus disponibles.
— Il n'en a parlé qu'à mon oncle. Il m'a sauvée parce qu'il voulait se faire bien voir par lui, qu'il l'écoute. Il y avait un message dans ses crimes et il a pensé qu'en lui faisant cette faveur, il aurait gain de cause, explique Mae, enjolivant la vérité du mieux qu'elle peut.
Elle aime bien Kayle, mais elle ne peut effectivement pas nier son passé d'assassin. Ce qu'elle ne peut pas faire non plus, c'est raconter qu'il a perdu sa vocation meurtrière suite à une intervention de ses compatriotes d'une autre planète, alors elle s'efforce de faire coller les raisons de sa participation à son sauvetage avec ses motivations de tueur en série. Elle est surprise que ça se passe aussi bien, d'ailleurs.
— Clairement, ça a pas marché, puisqu'il l'a quand même envoyé en prison, raille la marginale, pleine de jugement à cette stratégie peu concluante pour le meurtrier.
Elle croiserait bien les bras, mais elle n'a pas encore tout à fait fini sa barbe à papa, et la tournure de la conversation lui a fait passer l'envie de le faire dans l'immédiat.
— Ça explique pas pourquoi ton oncle n'a rien dit à personne. Il voulait lui faire porter le chapeau ? Ou alors il ne l'a pas cru ? Mais alors, pourquoi toi tu n'as rien dit ? poursuit Nelson dans ses questions, restante sur son objection précédente, qui n'a à son avis pas vraiment obtenu de réponse.
Si tout est bel et bien terminé comme l'assure Mae, alors pourquoi certains détails leur ont-ils été cachés jusqu'ici ?
— Non, c'est parce que… C'est à cause de là où j'étais retenue avant. Si ça se sait, ça aura servi à rien de me ramener, balbutie la blondinette, s'approchant bien malgré elle d'une part de la vérité qu'elle aurait voulu éviter.
Mais lequel de tous ses secrets n'aurait-elle pas préféré épargner à ses amis, après tout ? C'est le choix du moindre mal, qu'elle doit faire, pas celui de la meilleure solution.
— Huh ? Mais comment tu pourrais avoir des ennuis à cause d'un endroit où tu as été retenue en otage ? grogne Nelson, à nouveau perdu.
— C'est compliqué. Et j'aimerais pouvoir tout vous dire, vous n'avez pas idée à quel point ! Mais c'est dangereux pour vous d'être au courant, Mae esquive la question fatidique.
Elle se mordille nerveusement la lèvre inférieure, continuant à essayer de gagner du temps pour broder autour de ce qu'elle sait ne pouvoir absolument pas leur dire, tout en restant aussi cohérente que possible avec la vérité et la couverture qui en a été faite. Du coin de l'œil, elle pense deviner que, jusqu'ici, Chad approuve, mais il est si difficile à lire qu'il pourrait tout aussi bien être en train de se préparer à l'attaque.
— Jack avait raison, pas vrai ? Tu n'as pas été enlevée à cause de ton oncle, mais à cause de ton père, intervient soudain Ellen.
Alors que Nelson nage toujours autant en plein brouillard, l'adolescente gantée semble avoir compris. Comment elle a fait ce bond de logique, Mae l'ignore. Mais il est assez clair à la façon dont la couleur est en train de peu à peu quitter son visage qu'elle n'a pas seulement fait cette déduction mais est consciente de tout ce qu'elle implique. À sa connaissance, il n'y a qu'une seule chose dont on peut être puni alors qu'on l'a subie contre son gré. Et le seul scientifique dans le cercle de Mae, c'est son père.
— Vraiment ? T'es encore sur ça ? Qu'est-ce qu'il aurait bien pu faire pour que Mae se fasse enlever ? Nelson s'oppose à ce retour sur cette théorie que le meilleur ami de Caesar leur avait soumise, écartant les bras.
— Il a rien fait de mal ! C'était pas sa faute, proteste Mae, avec un peu trop de précipitation sans doute, confirmant malgré elle l'hypothèse de Jack.
Nelson n'en croit pas ses oreilles, et l'illustre par un tremblement de tête et des papillonnements des yeux déboussolés.
— Qu'est-ce qui t'es arrivé, Mae ? murmure son amie à bonnet, sa voix aussi blanche que ses traits à présent.
La blonde ferme les yeux à la couleur et au ton de son amie, pour retenir ses larmes.
— Mae. Ça a l'air plutôt grave. Parle-nous… se permet d'insister doucement Nelson, même alors qu'il n'a pas encore connaissance des suspicions exactes d'Ellen.
Son incompréhension à pourquoi elle est revenue sur la théorie que le professeur Quanto puisse être en cause n'est surpassée que par sa stupéfaction qu'elle semble avoir vu juste. Mais même s'il ne comprend pas encore tout, sa lividité ne le rassure pas. Pas plus que le regard fuyant de Mae. Il aimerait soudain ne jamais l'avoir questionnée sur son état. Il aimerait revenir au moment juste avant ça, quand elle appréciait sa première sortie, et qu'ils parlaient de choses sans importance.
— Ça l'est. C'est très grave, même. Si je vous dis ce qui m'est vraiment arrivé, ça fait de vous des complices. Vous allez devoir garder le secret toute votre vie, confirme son amie d'enfance.
Elle a l'ombre de l'espoir que, à défaut de ne pas pouvoir reculer elle-même, ils lui fournissent une échappatoire de leur propre chef. Mais ce n'est vraiment qu'une ombre. De la même manière qu'elle a confirmé à Nelson qu'il la connaît bien, elle pense bien le connaître également. Et elle doute fortement qu'il recule maintenant.
— Des complices de quoi ? Depuis quand c'est un crime d'être une victime ? l'adolescent reformule sa question d'un peu plus tôt, incapable de comprendre de lui-même, par manque d'informations.
Pourquoi est-ce que qui que ce soit accepterait qu'il soit dit qu'il l'a enlevée alors qu'il l'a sauvée ? Et si son oncle est au courant, pourquoi est-ce qu'il n'a pas dit la vérité non plus ? Pourquoi le fait qu'elle ait été retenue par ceux qui l'ont effectivement retenue est gardé sous silence par tant de monde ? Il a l'impression d'avoir raté un épisode.
— Quand on a subi des expériences non sanctionnées, répond Ellen à la place de Mae.
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