2x12 - Danse du feu (15/18) (3) - Fanfare
D'entendre ainsi la vérité à voix haute tire un hoquet de surprise à la principale concernée. Même parmi les initiés, tout le monde a plutôt tendance à tourner autour du pot. La plupart parce qu'ils ne peuvent pas le supporter eux-mêmes, d'autres par considération. Greg, par exemple, pourtant le plus cru de la bande par ailleurs, est particulièrement doué pour les périphrases, euphémismes, et métaphores.
— Quoi ?
Malheureusement pour lui, et en dépit de cet énoncé assez clair, Nels reste perdu.
— Comment tu sais ? demande l'autre adolescente.
Qu'est-ce qui l'a trahie ? Qu'est-ce qui a permis à sa camarade de faire aussi rapidement le lien ? Autant qu'elle sache, seules les personnes qui avaient une bonne raison d'être au courant de la loi qui la condamnerait en avaient connaissance avant de devoir s'en protéger. Son oncle parce qu'il est de la Police, son père parce qu'il est scientifique, et Markus grâce à ses études. Caesar a découvert tout ça sur le tas, et elle aussi. Pas exactement le genre de chose dont on parle en cours d'éducation civique ou qui défraye fréquemment la chronique.
— C'était le sujet du tout premier article de Brennen dans le Paw Print. Avant même qu'il prenne le pseudo d'FYI. C'est un thème qui lui tient à cœur, explique la marginale de manière expéditive.
Elle hausse les épaules. Son obsession pour la journaliste en herbe n'a pas d'importance, pas au milieu de ce qu'ils sont en train d'apprendre.
— Donc, attends, il t'arrive un truc contre ton gré, et tu termines en prison ?
Nelson lutte toujours à grande peine pour emboîter toutes les pièces du puzzle.
— Pas en prison, non, le détrompe Mae.
Elle ramène vers lui un regard empli de larmes. C'est trop tard, maintenant. Elle ne peut plus remettre le diable dans la boîte, revenir en arrière à ce moment béni où elle profitait du soleil au milieu de ses deux amis hors de danger.
— L'expérimentation non réglementée, en particulier humaine, a causé des milliers de morts, Nels. Si pas plus que ça. À un moment où la population n'était pas encore tout à fait suffisamment dense pour se le permettre, post Pandémie. Donc, la législation a tranché assez ferme là-dessus, lui explique doucement Ellen, se montrant moins directe que dans sa précédente déclaration.
Sa témérité a des limites. Elle a réussi à prononcer l'explication un peu malgré elle, comme si elle n'avait pas fait exprès de le dire à voix haute, que ça lui avait échappé, mais elle voit bien l'impact que ça a sur son ami, et elle ne va pas nier qu'elle n'est pas particulièrement à l'aise avec l'idée non plus. C'était une chose lorsque c'était une théorie de Jack, c'en est une autre maintenant que ça semble se confirmer, concrètement, sous ses yeux.
— C'est ridicule ! Mae va bien, proteste le grand adolescent.
Cette exclamation va à l'encontre de ce qui l'a justement fait engager cette conversation, mais ce n'est que la manifestation de son remords que la réponse à sa question initiale ait été aussi alarmante.
— Er… laisse échapper la blondinette, baissant à nouveau les yeux vers le sol.
Ses bras autour d'elle ne suffisent pas à la réchauffer. Pas plus que le soleil de Juillet, qui tape pourtant fort. Elle a froid jusqu'au centre de son être.
— Tu vas bien, pas vrai ? il l'interroge de la voix et du regard, cherchant confirmation.
— Disons que… j'ai quelques symptômes à cacher, elle décrit sa situation.
Comme Ellen juste avant, elle s'efforce de rester modérée dans sa description de la vérité, espérant diminuer l'alarme de leur meilleur ami.
— Genre quoi ? il reste cependant toujours aussi intense dans son inquiétude.
— Ça varie, elle esquive.
Ses yeux vont de l'un à l'autre de ses camarades alors qu'elle cherche désespérément un moyen d'éviter d'entrer dans les détails. Sans succès, malheureusement.
— Genre quoi ?? Nelson répète sa question, sous le regard désolé d'Ellen.
Elle aimerait bien qu'il ne brusque pas autant leur amie, malgré sa propre curiosité sur ce qui vient de leur être révélé. L'expérimentation humaine. Ça n'arrive que dans les romans, les films, et les séries. Ou alors ça arrive aux autres. Et des autres loin d'ici, des gens qui n'en sont pas vraiment, des anonymes dans un journal obscur que personne ne lit parce que personne ne veut être au courant. Ça existe sans vraiment exister. C'est une vérité dissimulée à laquelle nul ne veut songer. Mais elle pourrait penser la même chose des prises d'otages et des enlèvements…
— Genre, des fois, je suis corrosive. Vraiment corrosive. Et un fois j'ai… brillé, Mae laisse finalement échapper les premiers exemples qui lui viennent en tête.
— Brillé ? répète Nelson, tandis qu'Ellen reste interdite et tombe bouche bée à cette idée.
— En gros, j'ai été exposée à des mutagènes, et on a encore du mal à déterminer toutes les conséquences que ça a eu. Mais on fait de notre mieux pour gérer ! Je dirais pas que je vais bien, mais c'est sous contrôle. Jusqu'ici, en tous cas, la petite blonde propose dans un effort pour dédramatiser, puisque ses deux interlocuteurs sont aussi pâles l'un que l'autre, à présent.
Une chance que la foule autour d'eux soit trop occupée à profiter des festivités pour remarquer un trio d'adolescents arrêtés pour une discussion visiblement sérieuse. Ou peut-être que Ben et Chad y sont pour quelque chose dans leur inattention. Mae n'en sait rien. Elle a l'impression d'être dans l'une de ces scènes où tout bouge très vite autour d'un personnage presque immobile.
— Qui est au courant ? demande soudain Ellen, dans un élan de pragmatisme atypique.
— Ma famille. Papa, Markus, Caes, et oncle Sam. Et quelques personnes qui ont accepté de nous aider, répond la benjamine Quanto, au risque de blesser ses deux meilleurs amis de ne pas avoir été mis dans la boucle avant d'autres pourtant moins proches d'elle.
Elle n'a plus l'inspiration pour mentir, ni le courage, ou seulement l'envie. C'est trop tard, maintenant. Personne ne sera content qu'elle en soit arrivée là, mais ce ne sera pas la peine de lui faire des remontrances ; elle s'en veut déjà suffisamment toute seule. Est-ce qu'elle n'avait vraiment pas d'autre choix que d'aller aussi loin dans les aveux ? Elle a souvent songé à l'idée d'avoir Nelson à ses côtés toute sa vie, mais pas comme ça. Pas pour cette raison. Pas parce qu'ils sont liés par un accord de confidentialité dont ils n'auront ni l'un ni l'autre jamais l'occasion de se défaire.
— Genre qui ? Nelson revient sur sa forme interrogative précédente, en changeant simplement de pronom.
Il n'a pas l'habitude d'être gardé dans le noir. Surtout par Mae. Il n'arrive pas à se remémorer d'instance où elle lui aurait ouvertement menti. Au pire, elle lui a dissimulé des choses, pour des raisons compréhensibles, comme il lui en a dissimulées. Il peut prendre sa dernière petite amie en exemple. C'est normal, même entre meilleurs amis. Mais elle les a regardés droit dans les yeux et leur a promis que si ça n'allait pas elle le leur dirait. Ce qu'il peut lui reconnaître, c'est qu'elle n'a jamais explicitement déclaré avoir été enlevée par l'homme qui a terminé en prison pour son kidnapping. Mais peut-être que ce n'était qu'à défaut que qui que ce soit ose aborder le sujet avec elle. Alors, maintenant, il a un besoin impérieux de tout savoir.
— C'est pas ma place d'en parler. Ils prennent déjà un gros risque en m'aidant, je peux pas juste les mentionner à tout le monde sans leur avis. Et puis, ça n'a pas d'importance ! Est-ce que vous vous rendez compte du danger dans lequel je vous mets ? Mae écarte la question de manière un peu plus efficace qu'elle n'a su le faire pour la dernière.
Sa colère prend enfin le dessus sur son désespoir, en plus du fait qu'elle ne peut effectivement pas leur divulguer l'identité de tous ses bienfaiteurs. Ils en savent suffisamment. Plus, mais pas tout. Elle ne va pas aller plus loin. Mais quitte à ce qu'ils soient au courant, même seulement en partie, autant que ce soit en connaissance de cause. Et ils ne semblent pas ressentir la peur qu'ils devraient.
— Rien à carrer ! proclame Nelson sans hésitation aucune, loyal à l'excès.
— Pareil, renchérit Ellen sur ce sentiment, même alors que c'est elle qui a exposé les raisons derrière la ratification de la loi qu'ils sont en train d'accepter d'enfreindre.
Ils ne vont pas la laisser être euthanasier. Elle n'a rien fait de mal. Et quels que soient ses symptômes, elle ne représente aucun danger pour personne, ils en ont l'intime conviction.
— Vous vous rendez pas compte… déplore Mae en prenant son visage entre ses mains.
Elle pense qu'ils ne seront jamais suffisamment prudents s'ils n'ont pas conscience de ce qui les menace à présent. Il n'y a pas qu'elle qui serait punie, si tout venait à être découvert. En tant que complices, ils passeraient très longtemps en prison, si ce n'est toute leur vie. Ils seraient marqués comme des ennemis à la Citoyenneté, des traîtres. Et pas seulement en Amérique du Nord, mais dans presque toutes les nations du monde. Et celles où ils ne le seraient pas ne sont pas exactement fréquentables.
— Stop ! Je crois que je pige pourquoi tu nous as rien dit, mais si c'est aussi risqué que tu le dis, alors on devrait pas être de trop pour t'aider à pas te faire prendre. J'ai bon ? raisonne Nels, rapide à la détente pour trouver le bon côté de leur implication, reprenant petit à petit du poil de la bête.
Et dire qu'il y a quelques mois encore, il n'était pas à l'aise avec l'idée d'accompagner ses deux amis dans leur simili-effraction de la salle du journal. Comme quoi, avec la bonne motivation, rien n'est impossible.
— Même si tu ne veux pas qu'on t'aide activement, c'est sûr que c'est plus simple de ne pas mettre les pieds dans le plat quand on sait où il est… ajoute Ellen tandis que ses couleurs lui reviennent aussi peu à peu, se rangeant à cet argument plutôt pertinent, selon elle, et hochant vigoureusement la tête pour le souligner.
Mae les dévisage tour à tour, plusieurs fois chacun. Elle croit bien qu'elle ne s'attendait pas à cette réaction. Elle n'avait jamais consciemment imaginé devoir révéler ce qui lui est réellement arrivé à qui que ce soit. Tous ceux qui sont au courant l'ont été avant elle, quelque part. Et elle n'était pas supposée se faire démasquer par qui que ce soit d'autre. Mais dans un coin de son esprit, elle devait redouter qu'on ait peur d'elle, qu'on la rejette. Elle ne se sentirait pas aussi soulagée par leur acceptation, sinon.
— Vous savez pas à quel point j'ai envie de vous prendre dans mes bras, elle finit par couiner, émue par un soutien aussi spontané et indéfectible.
— Et… tu peux pas ? s'alarme Nelson de la voir ainsi fondre en larmes dans sa main, comme un Miss à son couronnement.
— Bah, je sais pas trop ce qui se passe quand je suis soulagée, donc je préfère ne pas prendre le risque… elle marmonne entre deux sanglots, entendant les mises en garde de Gregor dans sa tête.
— Er… C'est quoi, cette odeur ? demande alors son ami, frappé par une nouvelle et forte fragrance qui lui parvient.
Il regarde même autour de lui, comme pour déterminer d'où ce fumet inattendu pourrait provenir. Et Ellen ne tarde pas à l'imiter dans ses tours sur lui-même.
— Ça sent comme une serre de fleuriste, elle ajoute.
Mae les accompagne, bien qu'en fronçant les sourcils, parce qu'elle ne sent, en ce qui la concerne, rien de particulier. Et finalement, ils se retournent tous les deux vers elle. Ils s'entre-regardent, puis Ellen s'avance pour humer dans sa direction. Immédiatement après, elle pouffe et se pince les lèvres pour ne pas s'esclaffer.
— Franchement, si c'est ça, tes effets secondaires, ça devrait le faire, commente le garçon de la bande, luttant lui aussi pour ne pas éclater de rire.
Le soulagement de ne pas être dangereuse s'ajoute à celui que Mae ressentait déjà à la fidélité de ses amis. Elle se précipite donc vers eux pour les enlacer. Ils l'accueillent à bras ouverts. Ça faisait longtemps qu'ils n'avaient pas eu ce genre d'embrassade de groupe. Et la raison à cela est maintenant beaucoup plus claire. Nelson, qui dépasse ses deux copines d'une tête, finit par les prendre toutes les deux par la taille et les soulever légèrement du sol. L'action dure une poignée de secondes à peine, ce qui est suffisant pour leur tirer des piaillements surpris mais amusés. Tout va bien se passer maintenant. Ils sont enfin dans le même bateau et à la même page. Et il n'y a rien qu'ils ne peuvent pas affronter en s'y mettant ensemble.
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