2x12 - Danse du feu (6/18) - Outsiders
Caesar n'attend pas la fin de matinée avant de quitter la maison. Sans que ce soit une mauvaise chose, il n'a pas repris ses marques à l'identique, depuis son retour. Même s'il n'avait pas fallu s'acclimater aux nouveaux visiteurs fréquents, y compris celui au permis de séjour prolongé, il ne pense pas qu'il aurait vu ses pénates de la même manière de toute façon. C'est lui qui a changé. Et puis, il a dû maintenir Jack distrait. Pour toute l'envie du tatoué de lui faire confiance et respecter sa promesse de ne pas creuser, il conserve une bande passante qu'il vaut mieux occuper, par précaution, ce qui représente un travail à plein temps. Autant dire que le grand brun n'a plus vraiment l'habitude de traîner chez lui, et il n'a par conséquent pas eu le loisir de se réapproprier les lieux en bonne et due forme. Il n'a cependant pas vraiment à s'en plaindre, puisque justement, jusqu'ici, il avait mieux à faire que de hanter son domicile comme il le faisait un peu auparavant.
Alors que l'adolescent prend à droite au bout de l'allée qui relie leur entrée à la rue, il repère une silhouette en costume noir et chemise blanche, sur un banc, un peu plus loin, le long du trottoir. Mains jointes entre ses genoux, Strauss semble songeur. Caesar le rejoint à une allure normale avant de l'interpeller :
— Hey, Strauss. Pourquoi tu es assis ici ? il l'interroge doucement, par pure curiosité.
Ses visites à sa petite sœur ne lui ont pas échappées. Même s'il ne le croisait pas, ou n'entendait pas sa voix répondre à celle de Mae, l'humeur de la benjamine suffirait à le soupçonner. Il n'y a personne, pas même lui, pourtant le plus détaché de tous ses proches de ce qui lui est arrivé, qui réussisse à autant redonner le sourire à la blondinette. Il ne sait pas s'il est plus attentif aujourd'hui, ou bien si c'est une conséquence de ce qu'elle a subi au même titre que tant d'effets secondaires étranges, mais il lui semble qu'elle parvient à accorder une appréciation particulière et distincte à chacun de ses visiteurs. Même Gregor a un effet sur elle que nul autre ne peut avoir. Celui de Strauss reste cependant le plus indéniablement positif.
— Je ne voulais pas déranger. Il y a déjà beaucoup de monde à l'intérieur, répond l'ancien professeur avant même de se retourner.
Malgré l'approche de Caesar, pourtant discrète, il n'a pas sursauté lorsqu'il s'est adressé à lui. Ce doit quand même être pratique, d'avoir une telle conscience situationnelle. Quand le garçon pense que techniquement il capte sans doute presque tous ces mêmes-signaux qui permettent à l'extraterrestre de ne jamais être pris par surprise, au point que son cerveau puisse en tirer des intuitions de nulle part par plus tard, il se dit qu'il n'a pas été chanceux.
— J'ai remarqué… il ne peut que confirmer le constat, avec un coup d'œil par-dessus son épaule en direction de chez lui.
Pour commencer, les haussements de ton de Jena ne lui ont pas échappés, et ensuite, depuis son petit tour de passe-passe dans la baignoire, Ben est constamment escorté de Chad et Andy, en tous cas durant ses visites. Or, le mécano préfère regarder par-dessus l'épaule de Gregor alors qu'il prépare Mae pour sa première sortie véritable. Ils sont donc quatre à lui tourner autour à l'étage, et ça prend de la place.
— C'est pour ça que tu pars ? s'enquiert Strauss, curieux à son tour.
— Non, je… La force de l'habitude, je suppose, balbutie l'adolescent.
Il vient de se rendre compte, au beau milieu de sa prise de parole, qu'il n'a pas vraiment réfléchi à sa destination en s'en allant. Il sourit à la façon dont il s'est programmé tout seul sans même s'en rendre compte, ces dernières semaines. Cette espèce de routine s'est installée aussi rapidement que subrepticement.
— Je devrais te remercier, enchaîne Strauss, laissant présumer un changement de contexte mais sans le fournir.
— Qu'est-ce que j'ai fait ? relève donc son interlocuteur, un sourcil haussé.
— Tu es la seule personne qui n'a pas changé son comportement depuis que tu as appris d'où on vient, s'explique le Diplomate, avec un sourire calme.
Ses yeux sombres transmettent avec une efficacité remarquable son sentiment à ceux un rien plus clairs de Caesar. Il est si troublé qu'il détourne une fois de plus la tête, vers le sol cette fois.
— D'accord. Pour ma défense, j'ai toujours plus ou moins su qu'il y avait un truc louche chez vous, il plaisante, restant modeste.
Pouvoir mettre une étiquette sur ce qui est différent chez le mathématicien ne change pas grand-chose, pour lui. Il est loin de s'imaginer à quel point ça change tout pour la plupart des gens. Certains se méfient, certains sont curieux, fascinés, d'autres respectueux, révérends, pour en revenir à précautionneux. En bien comme en mal, il y a tout de même toujours une légère distinction possible entre l'avant et l'après. Bien que trop jeune pour avoir connu les pires, Strauss est conscient de la valeur d'une acceptation aussi totale, marquée par l'indifférence à cette nouvelle information.
— Ça ne te retire pas le mérite de ta placidité, il insiste dans sa reconnaissance.
— Puisqu'on est dans la gratitude, je devrais sans doute te remercier de m'avoir sauvé la vie, improvise l'adolescent, dans un effort pour rediriger l'attention loin de lui.
— Tu veux dire quand tu t'es coupé ? demande le grand brun en costume, l'air étonné.
— Il y a eu une autre occasion ? lui renvoie évidemment Caesar, une pointe d'affolement dans la voix.
Il est malheureusement pour lui incapable d'affirmer avec certitude que ça n'a pas été le cas. Il n'a peut-être pas tous les détails, mais il a une assez bonne idée de ce dont les Homiens sont capables tout de même. Il est notamment au courant pour leur usage de Brennen, les souvenirs qu'ils lui ont donnés, ou en tous cas altérés. C'est Ben qui a laissé l'information échapper devant lui, alors qu'il s'était proposé pour leur tenir compagnie à Maena et lui pendant l'une de leurs sessions ensemble. Toujours est-il qu'il n'est pas absolument certain de ne pas avoir des trous de mémoire.
— Non. Mais c'est Brennen qui t'a trouvé. Et Uriel s'est occupé de toi, proteste cependant Strauss, non pas sur l'occurrence dont il est question, mais sur son rôle.
D'une part, il confirme qu'il n'y a, à sa connaissance, rien de manquant ou fabriqué dans les souvenirs de son interlocuteur. D'autre part, il explique sa surprise qu'il veuille le remercier pour cette fois-là ; il n'estime pas avoir été indispensable.
— Tu as dit à Brennen d'aller chercher Holden, Caesar ajoute comme détail de taille à cette simplification des événements.
— Il y serait allé de lui-même à temps, l'assure le mathématicien.
— Très bien ! Alors merci d'avoir tenu Mae à l'écart, l'adolescent bifurque dans ses arguments pour lui être reconnaissant, tenace.
Lorsque Bren lui avait rappelé que Strauss était là au moment où il l'a découvert, avec Mae, Caesar avait reconsidéré la coïncidence à la lumière des nouvelles informations qu'il détenait au sujet du mathématicien. Il n'avait cependant pas su en tirer quelque conclusion que ce soit. L'un comme l'autre des scénarios était tout aussi probable : qu'elle soit sortie de classe pour une pause technique au moment où il passait récupérer ses affaires avant de rendre sa place à Mrs. Hemmerson, ou bien qu'ils se soient donner rendez-vous pour une raison quelconque, puisqu'elle gardait déjà son plus lourd secret à ce moment-là. Mais au final, ça ne change rien pour lui. Le plus important, c'est que sa sœur ne l'ait pas vu dans l'état dans lequel il devait être. Et d'où qu'il vienne, Strauss a fait en sorte que ça ne se produise pas, alors il lui en est redevable.
— C'était la moindre des choses, le grand brun s'incline, avec humilité.
— T'es pas facile à remercier, on te l'a déjà dit ? s'agace Caesar, sans hausser le ton, l'amusement l'emportant tout de même sur la contrariété.
— Toi non plus, lui retourne l'ex-enseignant, sans animosité non plus, par pure franchise.
Ils restent un court instant sans rien dire, juste à se jauger l'un l'autre, l'ombre d'un sourire aux lèvres, à tenter de déterminer par quel bout ils sont supposés prendre ce point commun ainsi mis à jour.
— C'est quoi, le deal, entre ma sœur et toi, de toute façon ? s'enquiert le Terrien comme pour couper court à leur moment de connivence dont il ne sait pas trop quoi faire.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? demande l'interrogé, penchant la tête sur le côté dans son incompréhension.
— Je suis peut-être pas souvent dans les murs, ces temps-ci, mais j'y suis suffisamment pour avoir compris que c'est toi qui as poussé pour que vous vous en mêliez. De son sauvetage, je veux dire. Andy et Chad ne sont pas aux anges, Ben n'est pas force de décision, et Chuck t'a clairement suivi, même s'il est supposé avoir souveraineté, Caesar résume sa conclusion ainsi que les observations qui l'y ont amené.
Sans qu'ils n'aient jamais jugé pertinent de la décrire explicitement, la hiérarchie de la bande d'Homiens n'est pas très difficile à lire. Leur organisation par trio se devine sans peine, ainsi que les rôles de chacun des membres. Le plus épineux est de déterminer l'âge des uns et des autres, qui semble indirectement plus ou moins représenter leur poids dans les diverses décisions à prendre. Selon le poste, les années paraissent pouvoir être corrélées à la noirceur (pour les soldats comme Andy et Chad), la sagesse (pour les émissaires comme Strauss et Chuck) ou l'excentricité (pour les soigneurs comme Ben et Kayle). Entre catégories, ça devient plus compliqué de dire qui détient l'ancienneté, mais à la façon dont ils s'en remettent tous toujours au grand blond parmi eux même lorsqu'il n'est pas présent, il est clair qu'il les dépasse tous. Et de beaucoup. Ce qui rend d'autant plus étonnant que Strauss, a priori parmi les plus jeunes, ait obtenu gain de cause.
— Je crois qu'elle est mon amie, déclare simplement le grand brun en costume après un instant de réflexion.
Il n'est pas satisfait du terme qu'il a utilisé, aussi bien en anglais qu'intérieurement, là où justement les mots ne devraient pourtant jamais lui manquer. Tous lui semblent soit trop forts soit pas assez. Bien que tous les individus soient uniques, il n'est pas certain de ce qui, pour lui, la distingue d'autres de cette façon.
— Parce qu'elle vous a percés à jour ? essaye de comprendre Caesar.
Il ne doute pas de l'amicalité de sa sœur. Même si elle n'en a gardé qu'un sur le très long terme, peut-être deux si le destin n'en décide pas autrement pour Ellen, elle n'a jamais eu de mal à se faire des amis. Mais il y a tout de même en le cas présent plusieurs circonstances atténuantes à prendre en considération. Strauss a avant tout été son professeur. Et même s'il a cessé de l'être, il reste un adulte et elle une mineure, indépendamment de sa date de naissance réelle. Quoi qu'ils aient traversé ensemble lors de la prise d'otages, quelque rapprochement légitime il y ait pu avoir, il ne devrait pas être allé bien loin. Le seul autre événement marquant entre eux ne peut être que le partage d'un dangereux secret. Mais est-ce bien suffisant pour justifier une telle implication par la suite ?
— Ça, ça a aidé à ce que je puisse être son ami. Mais j'appréciais déjà sa compagnie avant, Strauss rejette en douceur l'hypothèse proposée, réfléchissant au fil de la discussion.
— Comment ? Tu étais son prof ; tu la connaissais à peine, l'adolescent persiste dans son incompréhension.
— J'essaye encore de le comprendre moi-même. Je me demande comment, de tous mes élèves, c'est justement elle qui nous a trouvés. Et est-ce que j'aurais agi différemment si ça avait été quelqu'un d'autre, le mathématicien avoue finalement son ignorance, tout autant taraudé de questions que celui qui l'interroge, et même plus.
Caesar ne veut pas connaître la réponse à cette dernière. Tout ce qui lui importe, c'est qu'il l'ait fait. Sans toute cette chaîne d'événements, ils n'auraient jamais pu récupérer Mae. Elle serait morte à DeinoGene ou pire. Et leur père n'aurait pas survécu à ça. Pas vraiment. Tout machiavélique qu'il était, le plan de vengeance du Docteur Vurt était décidément plutôt bien pensé.
— Plutôt rassurant que vous n'ayez pas réponse à tout, il se contente de commenter cet aveu.
L'heure des remerciements est passée. Et puis, sur ce point, son père a de toute manière déjà mis et continue à mettre la dose.
— Je pensais qu'on l'avait déjà très bien illustré en étant incapables de la réveiller, s'étonne Strauss de cette remarque, comme de celle sur sa sociabilité par Uriel, un peu plus tôt dans la matinée.
Et lui qui pensait avoir une assez bonne maîtrise de la façon dont il est perçu par les autochtone, le voilà détrompé deux fois en une journée.
— J'étais pas là pour cet épisode. Je ne vous ai jamais vus faire que des trucs plutôt cool, explique Caesar, avec un haussement d'épaules.
L'extraterrestre baisse les yeux pour la première fois depuis le début de l'échange. Le thème des capacités de ses congénères l'embarrasse toujours un peu, pour être celui d'entre eux à savoir le moins en faire. Le plus gros reproche qui lui a été fait du jour de la prise d'otages n'est pas d'avoir risqué l'exposition mais d'avoir mis plusieurs heures pour y arriver.
— Où vas-tu, si tu ne fuis pas la maison ? il glisse donc habilement de sujet.
— D'habitude je retrouve Jack, mais aujourd'hui il a un truc avec ses parents alors… Je sais pas encore, admet l'adolescent sans complexe.
Il s'est déjà rendu compte au début de cette conversation qu'il n'était dans la rue que par habitude et non pas pour une véritable raison. Pas encore, en tous cas. Il pourrait faire demi-tour, mais il n'y a rien qui l'attende à la maison. Mae sera bientôt de sortie. Et à moins que Jena, qu'il a entendue dans le salon en partant, n'arrive à entraîner Markus dehors, il va sans doute vouloir réviser plutôt que de prendre un jour de congé. Quant à leur père, il ne fait que plancher sur le problème de Caroline et Robert, ces derniers temps, ce dont il ne peut pas décemment le détourner.
— Ses parents sont en ville ? relève Strauss à cette annonce, comme s'il avait des raisons d'en être surpris.
— Ou il est allé les rejoindre je-ne-sais-pas-où. Je sais pas. Je le pousse jamais sur ce sujet, Caesar reste tout aussi évasif que son camarade l'est toujours sur cette question.
Il ne se formalise pas de cette distance. À vrai dire, ces derniers temps, il a toutes les raisons de l'apprécier, puisque Jack ne peut donc pas plaider la réciprocité lorsqu'il le supplie de l'impliquer dans ses affaires familiales.
— Je suis sans doute mal placé pour te dire ça, mais il me semble que tu devrais avoir plus d'un seul ami, se permet son interlocuteur, à la voir ainsi désœuvré à l'absence d'une seule personne.
La poésie est un pan de la littéraire vers lequel il ne s'est pas encore tourné, après tout.
— Il fut un temps où j'en avais pas vraiment ne serait-ce qu'un, alors je vois ça comme une amélioration, se défend l'ado en toute franchise.
La grimace qu'il affiche traduit le fait que la tristesse de son constat ne lui échappe pas, mais aussi qu'il ne s'en laisse pas atteindre.
— Tu sais les choisir, en tous cas, ajoute Strauss pour le consoler, sans se rendre compte que ce commentaire est tout autant à double tranchant que le précédent.
— À ce stade, je pense qu'on peut dire que c'est de famille, pouffe alors Caesar.
Mae a fait ami-ami avec une troupe d'extraterrestres. Markus a amené une espionne chez eux, et plus si affinités. Quant à leur père, il travaille en ce moment avec des pirates informatiques de haut vol. En ayant pour meilleur ami un surdoué à l'attitude parfois à la limite de la sociopathie, il a finalement la vie sociale la plus saine de toute sa famille directe. Ils ont quand même tous réussi à coopérer avec un véritable tueur en série, et maintenant un scientifique fou. Venu de l'espace ou pas, à reculons ou non, c'est plutôt bof. Et puis, le plus fidèle compagnon de leur oncle a toujours été un chien, alors côté normalité, ils reviendront.
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