2x12 - Danse du feu (7/18) - Dernière démarque
Au domicile Quanto, comme laissé sous-entendre par Strauss, il y a effectivement un peu plus de monde que d'habitude autour de Mae. Ce n'est pas le plus de monde qui a été accueilli ces derniers temps, mais la concentration des individus à un seul endroit augmente la sensation d'envahissement. Assise sur son lit, du côté du pied, la jeune fille laisse Gregor, sur un tabouret en face d'elle, ajuster un brassard sur son bras. Autour du pas de la porte, Ben, Andy, et même Chad sont présents, chacun pour une raison différente, et chacun l'œil sur cette raison. L'intervention de Ben dans la baignoire a provoqué une vague de réactions diverses et variées. Pour le scientifique à lunettes, par exemple, certains examens sont enfin possibles, et il ne s'en prive pas.
— Est-ce que c'est vraiment encore nécessaire ? se plaint l'adolescente au bout d'un moment.
Elle n'est pas usuellement réfractaire au procédé ; son impatience à l'idée d'enfin pouvoir quitter les confins de la maison et du jardin a simplement raison d'elle. Elle a compté, et ça fait 26 jours qu'elle s'est réveillée, et donc 26 jours qu'elle n'est pas sortie par-delà la haie du fond. La seule fois où elle s'est trouvée hors des murs durant cette période, elle n'était pas consciente. Rétrospectivement, elle se dit qu'elle aurait peut-être dû demander à se faire endormir sur les lieux de la mise en scène de son sauvetage. Elle ne pensait pas, à ce moment-là, qu'il faudrait encore attendre si longtemps avant que se balader soit relativement sans risque. Mais on lui aurait sûrement rétorqué que moins elle en verrait des locaux factices de sa séquestration, plus facile ce serait pour elle de soutenir ne se souvenir de rien.
— Dois-je te rappeler qu'avant la semaine dernière, à chaque visite de tes amis, tu passais près d'une heure avec Ben pour prendre tes précautions ? lui soumet celui qui l'ausculte.
Il ne relève même pas les yeux du carnet électronique sur lequel s'affichent les résultats des mesures effectuées par le bandeau de capteurs. Aussi, même si ça irait dans son sens, il omet de mentionner la seule et unique fois où elle n'a pas pris cette précaution et le passage d'Ellen et Nelson a failli mal tourner. Il sait à quel point ça l'a bouleversée, jusqu'à la pousser à mettre Ben au pied du mur.
— Mais je vais mieux, maintenant. Je le sens venir, et je sais quand c'est encore en cours, elle objecte à cet argument, qui selon elle n'est plus d'actualité.
— Ce que j'entends, c'est que ça continue à se produire, et tu n'en as pas le contrôle, extrapole le scientifique à lunettes, sévère.
Il a déjà fait enfermer des spécimens dans un espace de quarantaine pour beaucoup moins que ça. Et pas seulement enfermer, d'ailleurs. Avoir à se justifier auprès de son cobaye est nouveau pour lui. Mais vouloir son bien également, après tout.
— Il ne vous a pas fallu autant de prises de mesures pour me déclarer corrosive à jamais, Mae poursuit dans ses protestations, exagérant légèrement le diagnostic qui lui avait été donné à son réveil.
— C'est toujours plus difficile de prouver un négatif, répond platement Greg.
Puisqu'il a tiré tout ce qu'il pouvait de la bande flexible au bras de la jeune fille, il entreprend calmement de l'en détacher.
— Est-ce que pour faire passer tout ça plus vite tu vas au moins me dire ce qui est arrivé à ton avant-bras ? l'adolescente passe alors à un sujet sur lequel elle sait qu'elle va pouvoir l'embêter.
Depuis qu'elle a vu le pansement qui cache sa brûlure, et qu'il a très ostensiblement évité la question, elle n'a eu de cesse de vouloir en savoir plus. Elle sait qu'il ne parle à pratiquement personne d'autre qu'elle, et qu'elle est la seule à se soucier de son sort. Il serait bien capable de se laisser dépérir, avec ses attitudes de dépressif. Alors, elle revient régulièrement à la charge, espérant que ça n'est effectivement rien de grave, comme il le prétend faiblement.
— J'ai été torturé. Tu le sais, il reste tout aussi évasif que les autres fois.
Il enroule l'accessoire qu'il a récupéré sur lui-même, avec une minutie plus élevée que de rigueur. C'est la seule chose qui trahit que la question le perturbe.
— C'est le seul bandage qu'il te reste, insiste Mae.
Elle trouve étrange que, de toutes les marques de son séjour dans le bunker, seule celle-ci ne se soit pas encore estompée. Et aussi qu'il mette une telle application à la dissimuler. Même si son visage était encore un peu tuméfié lorsqu'elle s'est réveillée, la jeune fille se doute bien qu'elle est loin d'avoir pu constater toutes les séquelles des supplices qu'il a subis. Mais elle ne l'a jamais vu faire spécifiquement attention à les cacher pour autant. Malgré sa maîtrise de son expression, elle l'a déjà aperçu grimacer en se tenant les côtes, ou après un mauvais appui qui aurait tiré sur toute autre partie de son anatomie encore convalescente. Lorsqu'interrogé, il n'a pas lutté longtemps avant d'admettre une coupure, une brûlure, ou un hématome. Pourquoi vouloir faire des cachotteries maintenant ?
— C'était ma plaie la plus profonde. Et pourquoi cette soudaine obsession pour mon bien-être ? Est-ce que Ben ne mérite pas tout autant ton inquiétude ? se défend Gregor toujours aussi peu efficacement, avant d'opter pour tenter de détourner l'attention de lui vers quelqu'un d'autre.
— Je vais bien. Je vais me remettre, insiste celui qu'il vient de mentionner.
Le mécanicien est toujours adossé à l'encadrement de la porte, juste à côté de la bibliothèque de la jeune fille. Les mains dans les poches, il n'a malgré tout pas l'air tout à fait aussi désinvolte que d'habitude. Il a été très secoué par l'expérience de la baignoire, et s'il est indéniable que chaque jour il se rapproche un peu plus de son état normal, son rétablissement reste étonnamment long. Il a expliqué à Mae que seule son apparence était affectée, qu'il restait parfaitement opérationnel par ailleurs, mais il a malgré tout assez peu fière allure, en tous cas comparé à d'habitude.
— Dis ça à ton camarade à capuche, rétorque Greg, désignant Chad dans le couloir d'un timide coup d'œil furtif.
Adossé au mur d'en face, entre le haut des escaliers et la porte de la chambre de Caesar, le Protecteur ainsi désigné sourit en coin. Bras croisés, il détourne son regard de Ben, qu'il n'avait en effet pas quitté des yeux depuis leur arrivée, pour venir le poser sur le scientifique. Que seules ces deux parties spécifiques de son anatomie bougent, un peu comme s'il était un automate et pas un être de chair et d'os, a quelque chose de dérangeant.
— Ce n'est pas pour son état qu'il s'inquiète, intervient Andy d'un ton railleur, en face de son collègue dans le couloir, à côté de la porte de Mae, elle.
S'ils sont tous les trois présents, c'est parce que Ben est venu pour veiller sur sa patiente, Chad est effectivement venu pour surveiller Ben, et Andy est venue parce qu'elle n'est justement pas satisfaite de la vigilance de Chad à l'égard de son Soigneur. Elle cherche aussi à s'occuper pour ne pas avoir le temps d'aller voir Uriel, et s'est donc portée volontaire pour monter la garde auprès de Greg tous les jours depuis l'accident de l'infirmier. D'une pierre deux coups, si elle avait connaissance de l'expression.
— Ce qui m'inquiète ne concerne aucun d'entre vous, lâche le plus âgé de la bande, toujours immobile, sans animosité, énonçant simplement un fait.
Ses petits yeux sombres se posent maintenant sur celle qui l'a taquiné sur le sujet, et elle soutient son regard sans broncher. Ils ont tous été en colère de ce que Ben a fait dans leur dos, bien que pour des raisons qui leur sont propres. Strauss pour le danger encouru par Maena, leur Protectrice pour celui encouru par le Soigneur lui-même, et enfin Chad, selon elle le plus déraisonnable d'entre eux, pour les implications potentielles d'une telle décision par un Homien de ses compétences. Il n'est pas remis du dérapage de Kayle. Que Ben prenne des risques inconsidérés et fasse preuve d'un tel talent ne lui inspire forcément rien qui vaille, mais la fausse blonde pense tout de même qu'il est trop prompt à se faire du souci. Tous les Soigneurs ne sont pas des Kayle en puissance, peu importe les similarités dans leurs aspirations.
— Je m'inquiète pour Ben aussi. Je peux me soucier de plusieurs personnes à la fois, tu sais. Mais il essaye de me rassurer, lui, au moins, reprend Mae à l'intention de Gregor, afin de briser le silence inconfortable amené par la déclaration de l'encapuchonné.
De là où elle est, l'adolescente ne peut voir qu'un côté du duel de regards, et celui de Chad est tellement orageux qu'elle ne souhaite pas voir l'autre. Elle ignore évidemment les détails des craintes de l'ancien, mais elle n'est pas loin de la vérité en soupçonnant qu'il n'a pas apprécié que Ben agisse sans l'approbation de personne et se méfie donc de plus d'insubordination à l'avenir. Elle s'est d'ailleurs confondue en excuses auprès du mécanicien pour l'avoir mis en porte-à-faux vis-à-vis de ses aînés. Elle a été égoïste en lui demandant de l'aider. Obnubilée par sa part du problème, elle n'a pensé qu'aux conséquences de son côté, pas du sien.
— Je suis censé m'excuser que mon système cicatriciel ne soit pas à la hauteur de tes attentes, c'est ça ? rétorque Bertram.
Il fait preuve d'une étonnante capacité à passer outre le voile d'embarras qui est passé sur l'assemblée l'espace d'un instant. Sans doute parce que, si pas aussi directement dangereux, il a déjà été entouré d'individus encore plus glaciaux que ça. Les menaces glissent la majorité du temps sur lui comme l'eau vive sur les écailles d'une truite. Même lorsqu'elles lui sont adressées, d'ailleurs.
— Ce que tu n'es pas censé faire, c'est cacher des trucs, lui reproche Mae.
Doucement, elle lui pousse l'épaule, comme elle serait capable de le faire à Nelson ou l'un de ses frères. Il reste figé une seconde, pris au dépourvu par ce geste amical auquel elle n'a, en ce qui la concerne, même pas réfléchi. Le contact physique non violent lui est trop rare pour qu'il soit capable de le recevoir sans broncher.
— Je ne vois pas en quoi mes blessures te concernent, Princesse, il déclare pour cacher son trouble, tout en achevant de faire regagner son étui au brassard qu'il a fini d'enrouler depuis plusieurs minutes déjà.
— D'accord. Et ton tatouage, alors ? Je l'avais jamais vu avant non plus, elle se lance sur le second sujet qui l'intrigue depuis l'épisode de la baignoire et dont il a toujours refusé de parler jusqu'ici.
N'en déplaise clairement à tout le monde, elle a une confiance absolue en lui. Tout ce qu'on lui a dit à son sujet ne l'a jamais ébranlée d'un poil. Et ce n'est même pas qu'elle refuse d'y croire ou ne se rend pas compte. Elle conçoit tout à fait le danger qu'il est capable de représenter, c'est simplement qu'elle a la certitude qu'elle n'en fera jamais les frais. Et en conséquence, tout son passé lui paraît bien plus intéressant qu'effrayant.
Il se débat cependant de plus belle dans sa toile de questions, essayant vainement d'annuler l'origine de celle-ci aussi bien que la possibilité qu'elle reçoive une réponse :
— Je n'ai pas le choix de ma tenue. Et sache que c'est très malvenu de poser ce genre de questions, là d'où je viens.
— C'est un truc de nom de code, pas vrai ? intervient alors Andy, par pur ennui, se penchant pour passer la tête par l'ouverture de la porte.
— Qu'est-ce que vous pourriez en savoir ? grince Gregor en réajustant ses lunettes sur son nez, comme si on touchait à quelque chose d'intime.
— Les deux grands blonds et la fille. Leurs tatouages correspondent aux noms qu'ils ont utilisés pendant l'opération, explique simplement l'extraterrestre avec un haussement d'épaules.
— J'avais pas remarqué qu'ils étaient tatoués… observe Maena, une moue songeuse se formant sur son visage à cette idée.
— Je les ai vus se changer, quand on est venus te chercher, offre hâtivement Andy comme explication de sa détention inattendue de cette information, tout en se retirant de l'encadrement.
Elle ne devrait effectivement pas avoir connaissance de ces signes distinctifs placés à des endroits discrets. Pour Siegfried, qui porte son aigle vert sur le genou, et Vladas, qui porte son symbole de silence musical dans le bas du dos, son explication est plausible. Pour Jena, qui porte sa hache à double tranchant dans l'entrejambe, c'est en revanche beaucoup moins crédible. Mais puisque justement personne ne sait où est placée la cicatrice intentionnelle, l'excuse tient la route.
— Ça dépend. Parfois, on obtient le surnom après le marquage, murmure Gregor, le regard perdu dans le vide aussi bien que ses souvenirs traumatisants.
— Et c'est quoi, ton nom de code ? ADN ? Gen'ethics ? continue Mae, inspirée.
Il est tellement peu effusif dans son embarras qu'elle ne se rend pas compte des blessures sur lesquelles elle appuie. Elle serait de tout façon bien en mal de seulement les imaginer.
— Er… Non. C'est… Er… C'est Stranded, balbutie finalement le scientifique, s'éclaircissant plusieurs fois la gorge et se forçant à sourire.
Un silence s'abat sur l'assemblée à cette révélation. Il faut d'une part le temps que l'adolescente comprenne le rapport avec l'ample double hélice qui parcoure le bras de son docteur attitré. Le premier sens du mot qui vient à l'esprit est celui de l'isolation, pas vraiment celui de l'effilochage des brins d'une molécule d'ADN. Mais c'est sans doute là que réside toute l'allusion : il est un généticien esseulé. Pour les Homiens, ce n'est pas de comprendre le cruel jeu de mot qui les laisse sans voix, mais devoir se remettre de l'émotion que Gregor fait transparaître dans ce simple mot.
— Ça sonne très triste, se permet Ben pour tout le monde, à la fois le plus empathique et le plus candide de l'assemblée.
— Ça l'est. J'ai terminé. Tu as mon feu vert pour te mêler à la populace, du moment que tu restes maîtresse de tes émotions. Tu penses que c'est jouable ? Gregor confirme puis enchaîne, sans laisser à personne plus de temps pour le plaindre.
Pour toute réponse, sa patiente hoche la tête. Elle est trop embarrassée de l'avoir poussé à partager une information personnelle qui de toute évidence lui est très douloureuse. Elle n'avait pas anticipé sa réaction. Elle n'avait pas compris que c'était ce qu'il voulait éviter en contournant sans cesse la question. Elle voudrait pouvoir blâmer ses talents de joueur de poker, qui empêchent quiconque de savoir ce qui lui passe par la tête, mais elle aurait dû prévoir que rien de bon ne pouvait ressortir de son passé, aussi fascinant lui paraisse-t-il à elle. Quelle idiote ! Elle s'est laissée distraire par son propre enthousiasme à sa première sortie.
Acceptant cette simple confirmation non verbale de la part de la jeune fille, le scientifique se lève en emportant ses outils, et prend la direction de ses quartiers. Andy ne lui emboîte pas tout de suite le pas. Il semble agité, et elle ne sait pas gérer ça. Elle va le surveiller de loin d'abord. Il est plutôt doué pour garder ses émotions enfouies, donc il ne devrait pas tarder à se remettre. Elle envisage de faire part de cette information à Maena, mais elle ne la croirait pas de toute manière. Ils se sont déjà tous cassés les dents à vouloir lui faire passer le souci qu'elle est la seule à se faire pour cet individu qui est pourtant à l'origine de ses maux.
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