2x11 - Sables mouvants (9/18) - Contrôle technique
Iz ne fait que courir partout. Elle n'a pas arrêté de toute la semaine. Entre autres tâches qui lui incombent, elle doit tantôt ne pas être en retard pour témoigner à un procès, tantôt aider une inspectrice à se préparer à cette même épreuve, puis résoudre un conflit qui s'est déclaré dans un duo, rendre compte de son analyse du profil d'un suspect pour confirmer qu'il a bien travaillé seul comme il le clame, et enfin s'entretenir avec un jeune officier suite à son premier échange de coups de feu. Et elle s'applique également à ne jamais délaisser ses devoirs de Coffee Girl, qu'importe combien elle s'est elle-même affecté ce rôle. Elle a même élargi le périmètre de ses actions en faveur du bien-être de tous ceux qui fréquentent le commissariat comme lieu de travail, et s'est adressé à un groupe mêlant botanistes, fleuristes, et pépiniéristes, afin d'apporter de la verdure dans leur environnement.
Elle n'est pas sûre de pourquoi elle s'est attelée à ce dernier point maintenant. Ça aurait pu attendre. Elle n'apprécie pas que ça coïncide avec la prise de congés de son homme, mais elle est par ailleurs certaine que ça n'a pas été la cause de son soudain besoin de réconfort au bureau. À la rigueur, ne pas être distraite par sa présence a pu lui libérer un peu de temps de concentration, mais c'est tout. Elle penche plutôt vers l'hypothèse selon laquelle son tête-à-tête avec un redoutable tueur en série entre ces murs lui aura donné des envies de purifier l'espace, car elle a bien du mal à se remettre de cette rencontre. Il faut beaucoup plus de deux semaines, même au plus chevronné des profileurs, pour digérer une telle entrevue, donc c'est loin d'être incompréhensible. Ceci étant dit, cette difficulté à passer à autre chose serait sans doute moins marquée si elle n'était pas régulièrement obligée de repenser au psychopathe pendant qu'elle creuse les bribes de pistes qu'il prétend avoir daigné fournir à Patrick sur son affaire actuelle.
— Hey, Randers. Tu aurais une minute ? elle interpelle justement l'inspecteur alors qu'il passe devant elle en chemin vers son bureau.
— Hey, Jones. Ouais. Qu'est-ce qui t'arrive ?
Il s'arrête pour lui répondre, aussi volontaire qu'un scout, si pas tout à fait au garde-à-vous non plus. Elle sourit à son attitude serviable. Même connu et reconnu comme le plus colérique du département, il illustre bien ce tempérament qu'ils partagent tous, et qui fait qu'elle apprécie de travailler avec eux. Il y a des avantages et des inconvénients à l'environnement représenté par un commissariat, et cette tendance à l'abnégation pèse dans le premier plateau de cette balance.
— Il arrive que je n'ai toujours pas réussi à te coincer entre quatre yeux pour te parler de ta visite à Crest Hill, elle répond, allant droit au but.
Aucun intérêt à tourner autour du pot alors qu'elle a déjà l'impression qu'il lui manque 3 heures dans chacune de ses journées. Et elle n'est en l'occurrence pas sans ignorer que son interlocuteur préfère de toute manière en règle générale cette approche à une plus subtile.
— Er… De quoi on est supposés parler, exactement ?
Il fait celui qui ne comprend pas, et de manière plutôt convaincante d'ailleurs, sans se braquer mais méfiant tout de même. Raté pour la réciprocité de l'abordage franc du sujet, donc.
— Tu m'as dit que tu avais assez vu Kayle O'Michaels pour toute une vie, et ensuite tu es allé le voir en prison. Tu m'expliques ce qui a changé ? précise la jolie brune.
Ce n'est qu'une première question, sans hostilité aucune, juste parce que c'est l'un des items de sa liste de points à traiter.
— Je te l'ai dit : j'ai pensé qu'avec ses facilités à traquer des ordures, il aurait peut-être des infos sur Cluedo. C'est possible que ça n'ait pas été malin de ma part, que je n'aurais pas pris cette décision si je ne venais pas de revenir, mais bon, patine Randers, embarrassé.
Malheureusement pour lui, il est face à l'une des rares personnes dont il serait prêt à accepter des reproches sur sa prise d'initiative. Lizzie sait mieux que beaucoup de monde ce que lui a fait traverser le tueur en série. Elle n'est peut-être pas au courant de tout ce qu'il a découvert à son sujet par plus tard, mais elle était à ses côtés durant la première phase de son rétablissement, la plus éprouvante.
— Patrick. Je ne cherche pas à remettre en cause ton raisonnement. Il est tout à fait défendable, et jusqu'ici je ne peux même pas te garantir que ce qu'il t'a donné n'était que du vent. Mais là je suis en train de te demander comment tu vas, toi, après lui avoir à nouveau fait face, elle le rassure.
En le voyant ainsi lui-même d'emblée critiquer son propre choix, il est assez clair qu'il se méprend sur ses intentions. Elle n'a pas du tout dans l'idée de lui faire la morale. Elle veut juste s'assurer qu'il a tout ce qu'il lui faut pour gérer.
— Super. Jamais mieux ! il lui offre deux hyperboles, comme si, pris au dépourvu par la question, il ne savait pas comment faire passer l'évidence de la réponse autrement.
— Tu es sûr ? elle se permet d'insister.
Elle ne sait que trop à quel point les inspecteurs ont toujours tendance à vouloir jouer les durs. Randers n'est pas en reste sur ce trait de caractère. Il n'y a pas que leurs penchants héroïques que les membres de ce corps de métier partagent.
La sincérité de sa préoccupation pour son état le percute alors enfin. Il ne se débarrassera donc pas d'elle si facilement. Il devrait la préférer aux autres psychiatres de Police qu'il a connus au cours de sa carrière, beaucoup plus distants du service et donc plus facile à entourlouper, à cause de leur impossibilité à être aussi investis dans leurs patients que Jones a l'opportunité de l'être. En le cas présent, il est cependant agacé par ce traitement sur-mesure, justement parce qu'il ne peut pas l'être à cause du fait qu'une partie des éléments de l'affaire ne sont pas connus par la thérapeute.
Est-ce qu'il aurait vraiment osé retourner voir le cinglé qui lui a tiré dessus, s'il ne le savait pas muselé ? S'il ne lui connaissait pas des capacités pratiquement surnaturelles ? Lui et Sam ont cru un temps, comme tout le monde croit encore, que ses crimes avaient été perpétrés par un humain. Alors, peut-être qu'il aurait aussi pensé que ses compétences pourraient lui être utiles même s'il n'avait pas appris qu'il vient d'une autre planète. Mais serait-il resté aussi calme face à lui ? Ou au contraire, aurait-il été encore plus serein, s'il pouvait réellement se vanter de l'entière responsabilité de l'arrestation du déviant ? Il n'a aucune idée de comment il aurait réagi en les circonstances dans lesquelles Jones pense qu'il est, alors faire illusion est d'autant plus épineux.
— Lizzie. Pendant un bon moment, je ne pouvais plus tirer droit. Et après, ça m'est revenu. Et ensuite, j'ai attrapé le gars qui m'a mis dans cet état, et je l'ai mis derrière les barreaux. Je vais bien, il l'assure une nouvelle fois, avec un peu plus d'arguments cette fois, sans rien inventer mais louvoyant prudemment entre les éléments dont il ne peut pas lui faire part.
— Ça ne t'a vraiment rien fait de le revoir ?
Elle n'arrive pas à se laisser convaincre, puisqu'elle n'est elle-même pas remise de son seul et unique tête-à-tête avec le tueur. Certes, il a duré un bon bout de temps, même en soustrayant les intermittences, mais elle ne s'est pas fait tirer dessus par cet individu. Et elle ne l'a pas retrouvé qui tenait en otage la nièce de son partenaire. Après tout ça, Randers a encore eu le courage d'aller lui rendre visite en prison ?
L'inspecteur soupire avant de répondre. Il n'aime pas déballer ses ressentis, mais il va faire un effort. Elle l'y a un peu habitué, lorsqu'elle lui rendait visite alors qu'il avait fini sa rééducation pour son épaule mais refusait toujours de reprendre du service. Mine de rien, elle l'a beaucoup soutenu pendant cette période, même si elle n'avait pas les billes en main pour réellement l'aider à surmonter son traumatisme. Seule la vérité a pu lui permettre de passer ce cap, et c'est Ben qui la lui a offerte.
— Ça ne m'a pas fait super plaisir. Je n'y suis pas aller en sifflotant, c'est sûr. Et est-ce que j'aurais préféré qu'il se soit fait tabasser par ses codétenus plutôt qu'il ait l'air de prendre son pied dans une colonie de vacances ? Sans doute. J'aimerais dire que j'en suis pas fier, mais c'est même pas le cas. J'aurais sincèrement aimé qu'il se soit fait défoncer la tronche par le genre de tarés qu'il s'était donné pour mission d'arrêter. Mais c'est pas ce qui s'est passé. Et en attendant, s'il y a une chance que ses méninges démoniaques nous aident à stopper un autre tordu, je peux prendre sur moi. Il ne fera plus de mal à personne, et je ne vois pas pourquoi j'aurais besoin de plus.
C'est le plus ouvert que l'inspecteur se sent capable d'être. Le cheminement mental qu'il vient de présenter, il lui a aussi bien permis d'accepter que Kayle soit essentiellement ramené d'entre les morts que d'accepter qu'il n'y retourne pas vraiment et soit simplement mis en cage à la place. Ça ne l'empêche pas de serrer les dents, mais c'est le mieux qu'il puisse espérer.
— Tu ne vois pas pourquoi, mais est-ce que tu en es intimement persuadé ? Tu n'as réellement pas besoin de plus, ou bien tu essayes de te convaincre que c'est ce que tu dois accepter ? Iz rebondit sur sa dernière phrase, à la tournure révélatrice, selon elle.
— Mince, femme ! Tu n'es pas censée me faire me sentir mieux, pas pire ? il s'exclame alors en pouffant.
La façon dont elle appuie pile où le bât blesse est difficile à ignorer. Il ne lui en veut cependant pas, parce que c'est en partie son rôle de chercher la petite bête. C'est son attention aux détails qui la rend efficace dans beaucoup de ses attributions.
Elle sourit à sa réaction nature, amusée, mais peut bien voir que, malgré son ton joueur, il a tout de même été affecté par ce qu'elle vient de dire. Pas étonnant, car ses réponses ne seraient pas si approfondies s'il n'avait pas déjà beaucoup réfléchi au problème. Elle décide néanmoins qu'elle ne va pas le pousser dans ses retranchements tout de suite, et surtout debout au beau milieu de l'étage. C'est un bon début ; ils peuvent en rester là.
— Tu as le droit à tes émotions et tes opinions, Randers, aussi irrationnelles puissent-elles te paraître. Je salue ta maîtrise de toi, mais je ne veux pas que tu gardes tout enfermé non plus. Ni que tu penses devoir te soumettre inutilement à des situations difficiles. Tu aurais pu m'envoyer à ta place, par exemple, ou à la rigueur j'aurais pu t'accompagner, elle l'incite doucement à lâcher du lest.
Il a tout très bien géré jusqu'ici ; personne ne lui en voudra s'il craque un peu. Et même s'il n'avait pas supporté tout ce qui lui est tombé dessus comme un chef, d'ailleurs. Il y a bien une raison pour laquelle elle a insisté pour que Sam prenne une semaine une fois sa nièce et son neveu de retour à la maison et son partenaire de retour au travail. C'est humain, de toujours charger la mule des tempéraments les plus forts et ménager les caractères les plus sensibles. Pourtant, chacun a un seuil de tolérance qu'il faut bien prendre garde d'atteindre.
— Deux options tout à fait envisageables mais superflues, je te jure. Il n'est pas rentré dans ma tête. À ta place, c'est si je n'avais pas été capable d'y aller, que je me serais inquiété, Patrick rejette gentiment mais fermement les deux échappatoires qui lui sont proposées.
Il n'en aurait pas fait usage même s'il les avait effectivement imaginées au moment des faits. Et même pas par fierté, d'ailleurs. Il se sentait capable d'affronter sa bête noire et il l'a été. S'il a hésité, ce n'est pas parce qu'il avait peur de lui faire face, c'est parce qu'il trouvait stupide de penser avoir besoin de lui. Il n'aime pas accorder le moindre crédit à une ordure, voilà tout.
— Très bien. D'accord. Je te laisse tranquille. Mais tu ne peux pas me blâmer pour ma vigilance ! accepte Iz, en levant les mains devant elle en signe de reddition.
— Au contraire, j'apprécie tes élans de Maman Ours. Mais je t'assure que ça va, vraiment, il la remercie et lui promet, posant sa main sur son épaule.
— Très drôle… Attends peut-être que Sam soit rentré, pour ce genre d'allusions, si tu veux bien ? elle lui répond avec un regard atterré avant de faire rouler ses yeux dans leur orbite.
— Vraiment ? Mince, j'étais pourtant sûr de faire mouche, il feint exagérément la déception à l'effet obtenu par sa boutade pataude, ce qui signifie clairement que c'était pourtant exactement celui escompté.
Iz lui accorde une dernière grimace avant de s'éloigner en secouant la tête, le laissant rejoindre sa poste de travail et regagnant elle-même l'un de ses points stratégiques. S'il peut plaisanter de cette façon, il ne peut pas être si perturbé que ça. Ou alors, il utilise justement l'humour comme écran de fumée. Ou alors, elle projette ses propres angoisses sur lui. Il est grand temps qu'elle arrive à tirer les indices fournis par Kayle au clair, sinon elle n'arrivera jamais à se le sortir de l'esprit et y voir clair sur les problèmes qu'il peut encore causer, même depuis sa cellule.
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