2x11 - Sables mouvants (7/18) - Sous couverture
Mae est seule à la maison. Ou presque. Caesar et Markus sont en cours, et leur père à tous les trois est une fois de plus de sortie avec l'un des Kampbell. Le mari, cette fois. Le patriarche a quitté les lieux encore plus tôt que la dernière fois, aujourd'hui, et comme ses frères, l'adolescente se réjouit qu'il semble se détendre peu à peu. Il lui a paru ne pas respirer ni perdre les larmes aux yeux depuis le moment de son premier réveil. Elle a tout fait pour le rassurer, à la fois de sa simple présence et de son état de santé, mais tout n'a pas toujours été de son côté dans cette entreprise. L'impossibilité de le prendre dans les bras ou seulement lui tenir la main sans qu'il risque de brûlure chimique du deuxième voire troisième degré crée fatalement une certaine distance. Et si elle progresse dans ce domaine, elle n'arrive néanmoins pas toujours à dissimuler ses réactions indésirables à certains stimuli pourtant anodins, qui ne manquent pas de provoquer un pli inquiet sur le front de son paternel s'il y assiste. Qu'il accepte de s'absenter du domicile est donc un réel progrès.
Ben et Gregor sont certes toujours quelque part entre les murs, mais bien qu'elle apprécie leur compagnie, Mae les a assez vus pour la matinée. Il est difficile pour elle de passer sans transition de patiente à camarade, du registre technique à celui des civilités. Et même si elle s'intéresse évidemment à ce qui lui arrive et les avancées qui sont faites sur son cas, elle ne peut pas passer ses journées à discuter de ça avec ses deux principaux soignants. En plus du fait qu'elle représenterait une distraction pour eux, elle a aussi besoin de penser à autre chose qu'à son étrange situation. Alors, elle lit des romans, engloutit des séries qu'Ellen lui a toujours conseillées mais auxquelles elle n'a jamais vraiment eu la patience de s'atteler. Elle a même tenté de mettre le nez dans les cours qu'elle a manqués, quoiqu'elle ait eu du mal à se concentrer suffisamment. Elle a bien essayé de prendre quelques photos, aussi, mais là encore, la motivation n'a pas été au rendez-vous.
C'est une voix grave et familière, annonciatrice de l'une des rares distractions efficaces qu'elle connaît ces temps-ci, qui la tire de sa contemplation du vide, alors qu'elle est assise en tailleur sur le sol à l'arrière de la maison, à la limite entre la pierre de la terrasse et le gazon :
— Bonjour, Maena.
La jeune fille lève les yeux vers Strauss, qui lui sourit doucement. Il ne se présente jamais à la porte d'entrée, et il vient la voir tous les jours depuis leur confrontation en début de semaine. Elle l'attendait.
— Merci de passer me voir. Ça me fait ma journée, elle l'accueille, son sourire encore plus large que le sien.
— Le plaisir est pour moi, il répond en s'inclinant.
Il s'abstient de lui rappeler qu'elle a sans cesse des visiteurs et de la compagnie, puisque ça ne lui a pas beaucoup plu la dernière fois. Déboutonnant sa veste de costume comme il a toujours vu Chuck le faire avant de s'asseoir, il prend place à côté de l'adolescente. Il n'entame pas de conversation particulière, et la rejoint dans son silence rêveur. Il n'est pas pressé.
Du coin de l'œil, Mae observe son visiteur. Elle a parfois du mal à croire toutes les visions de lui qu'elle a enchaînées. Du jeune et innocent professeur suppléant, à une présence protectrice et responsable en temps de crise, jusqu'à un adulte bien malgré lui un peu plus charmant qu'il ne devrait l'être, l'ombre d'un béguin interdit. Puis, pendant un bref et fatidique instant, il était devenu un potentiel dangereux criminel, pour juste après carrément se dévoiler comme une sorte d'enquêteur venu d'Ailleurs. Et à partir de là, elle l'avait vu comme un intimidant mystère, n'avait pas réussi à se faire à l'idée de son jeune âge, avant d'enfin tomber dans une sorte de confort amical étonnamment paisible, en dépit de sa dissonance avec son apparence comme de ce qu'ils ont traversé ensemble. Et pourtant. Elle se demande ce que dirait Ellen, si elle la voyait assise à côté de lui maintenant, en silence, comme elle ne le ferait avec personne d'autre. Si c'était n'importe qui d'autre, ils se seraient sans doute déjà mutuellement interrogés sur ce qu'ils pensent. Mais il est patient avec elle, et elle est à l'aise avec lui.
Strauss ne choisit jamais leur sujet d'échange à l'avance. Elle non plus, d'ailleurs. Il se pose beaucoup de questions sur les autochtones de cette planète dont il ne pourra pas trouver la réponse par lui-même, mais il ne les conserve pas dans un petit carnet pour les soumettre au premier humain volontaire qui se présente. Il les laisse venir au détour de la conversation, naturellement. Il a bien compris que sa meilleure chance d'obtenir une explication la plus proche possible de la vérité était de ne pas préparer mentalement la personne à lui répondre, sans non plus la prendre au dépourvu pour autant. C'est un peu comme une forme subtile d'interrogatoire. Et jusqu'ici, Maena s'est toujours bien prêtée au jeu.
Ils sont tous les deux tirés de leurs considérations par un signal lumineux en provenance de la tablette que l'adolescente a posée à sa droite, signalant un message adressé à son SD. Son père insiste pour que toute la famille reste joignable à tout instant. Il n'y a que Sam qui a pu déroger à cette règle, récemment, et c'est uniquement parce qu'en plus de ne probablement rien risquer là où il est parti, c'est celui d'entre eux qui saurait le mieux se défendre s'il devait lui arriver quoi que ce soit.
— Oh. Ell' et Nels seront là ce midi au lieu de ce soir, la petite blonde résume tout haut ce qu'elle vient de recevoir de son meilleur ami, après l'avoir affiché d'un tapotement sur l'icône correspondante.
— Est-ce que c'est un problème ? s'enquiert Strauss, sentant la perplexité dans sa voix.
— Non. Ce n'était juste pas prévu comme ça, mais je vais me débrouiller, elle répond en secouant la tête.
Maintenant qu'elle a complètement assimilé l'information, elle retrouve le sourire, dissipant l'appréhension de son invité.
— Il ne va plus être aussi simple de passer te voir, à partir de demain, n'est-ce pas ? il rebondit néanmoins.
Il appréhende la fin de l'année scolaire depuis quelques jours déjà. Même seulement partiellement contraint à aller en cours, Jack a moins le temps de réfléchir à un moyen de contourner sa promesse de ne plus chercher à savoir ce qui se passe chez les Quanto. De même, qu'Ellen et Nelson passent leurs journées en classe les rend plus faciles à éviter pour les nouvelles et clandestines fréquentations de la famille. Rester discrets n'est pas nouveau ni pour les Homiens ni pour les autres, mais des raisons vraisemblables pour leurs visites régulières à cette adresse restent tout de même encore à définir, au cas où. Les week-ends ont déjà incité à plus de prudence, et bientôt, ce sera sans doute tous les jours pareil. Or, Strauss est le moins habitué à devoir se dissimuler au sens strict, puisque ses activités ont jusqu'ici précisément toujours consisté à se cacher en plein jour.
— Justement, j'ai peut-être une idée pour éventuellement expliquer ta présence et celle de Ben, déclare Mae, se montrant un peu plus optimiste que lui face aux difficultés présagées.
— Ah oui ? Laquelle ? il l'enjoint d'élaborer, preneur de toute proposition.
Andy et Chad n'ont été d'aucune aide cette fois. En ce qui les concerne, aucun des leurs n'a suffisamment besoin d'être sur place pour risquer de croiser quelqu'un qui ne serait pas au courant de ce qui se passe. Ils en sont même suffisamment convaincus pour avoir accepté de gérer la situation a posteriori si elle devait se produire malgré tout, alors qu'ils préfèrent usuellement éviter ce scénario à tout prix. Il faut dire aussi qu'ils ont beaucoup de mal à comprendre à quel point il va être difficile de limiter les allées et venues diverses chez les Quanto pour encore très longtemps ; le concept de vie sociale leur échappe un peu. Ils avaient une excuse pour rester en huis-clos lorsque certains des leurs manquaient à l'appel, mais ce n'est plus le cas.
— Je vais avoir besoin de cours de rattrapage, cet Été. Caes aussi. Et tu as été prof à Walter Payton. Mon prof. Donc, c'est loin d'être absurde que tu te sois porté volontaire. Et en plus, Mrs. Hemmerson ne s'est pas encore manifestée, Mae explique son raisonnement.
C'est d'apprendre que Jack s'est proposé pour lui fournir du soutien scolaire qui l'a inspirée. Elle et son frère ont l'un comme l'autre effectivement déjà reçu des déclarations de volontariat de la part de certains de leurs professeurs, mais avant ce matin, elle n'avait pas encore songé qu'elle pourrait aussi bien étendre son champ de recherche de tuteurs. Non pas qu'elle sache encore comment elle va faire pour accepter l'offre de ses enseignants disons normaux. Car refuser semblerait sans doute suspect. Avec un peu de chance, d'ici à ce qu'elle commence à ne plus avoir d'autre choix que de les voir, sa situation sera un peu plus sous contrôle qu'elle ne l'est aujourd'hui.
— Et pour Ben ? demande Strauss, à qui l'idée paraît bonne mais incomplète.
— Il était toujours autour du lycée, quand tu y étais en poste. C'était bizarre, au début, mais tout le monde a fini par s'y habituer. Est-ce qu'il ne pourrait pas continuer à dire qu'il est ton chauffeur ? Dans les faits, on n'a pas besoin de justifier qu'il est là souvent, juste pourquoi il est là au moment où quelqu'un passe et se demande ce qu'il fait là. Non ? lui présente l'adolescente.
Elle est un peu moins sûre d'elle sur cette partie de son plan, mais elle se dit que si ça a fonctionné une fois, pourquoi pas deux ?
— S'il reste sur cette explication, il ne pourra jamais être là sans moi. Mais ça pourrait lui servir de point de départ… Il serait initialement venu me conduire, et aurait sympathisé avec Markus, par exemple, le grand brun venu de l'espace construit sur l'idée avancée, coopératif.
— Tu veux que Markus prétende être ami avec Ben ? grimace Mae.
Elle n'apprécie guère de devoir embrigader son frère aîné dans cette histoire quand elle sait à quel point il est mal à l'aise avec les mensonges. Sans compter que le cas de sa sœur n'est pas la seule situation tendue qu'il a à gérer. Elle rechignerait déjà à s'appuyer sur lui en les meilleures circonstances, et ils sont loin de s'y trouver, ave Rob toujours hors-jeu. Et pour ne rien gâcher, les personnes à qui il aurait le plus de risques de devoir mentir le connaissent un peu et lui rendraient donc la tâche plus difficile encore.
— Je vois mal comment quelqu'un pourrait ne pas être ami avec Ben, se permet de faire remarquer Strauss.
Pour sa part, il n'estime pas qu'une telle déclaration relèverait de l'invention. Il est même fort probable que Markus considère déjà Ben comme une fréquentation amicale, d'une certaine manière. Sans doute plus que lui ou Andy, en tous cas. Les opinions sont partagées pour chacun d'entre eux, sauf Ben. Il fait toujours l'unanimité. Même Patrick, pourtant prompt à l'emportement, n'a pas réussi à lui en vouloir. C'est bien simple, depuis qu'ils ont atterri sur Terre, personne n'a su résister au grand sourire éclatant du Soigneur. C'est même en partie la raison de sa dégaine un peu plus brute que celle des deux autres membres du trio ; pour essayer de stimuler l'ombre d'un semblant de la méfiance naturelle que les humains s'accordent d'ordinaire les uns aux autres avant de se connaître. La crainte était que les passants pourraient s'arrêter pour lui parler, comme s'ils le connaissaient depuis toujours.
— Vrai, concède la petite blonde après un bref instant de considération.
Elle ne peut pas nier le sentiment de sécurité et de confiance que tout le monde semble ressentir en la présence du mécanicien. Si elle a besoin de défendre d'être à son aise avec certaines personnes, on ne lui a jamais tenu rigueur de se sentir bien en compagnie de Ben. Et pour cause : ce sentiment est sans doute partagé.
Un nouveau moment de silence passe, durant lequel les deux réfléchissent à un détail qui pourrait clocher dans la couverture qu'ils viennent d'envisager de tricoter. Il faudra évidemment passer par l'aval de tous les partis concernés de près ou de loin avant de pouvoir l'établir puis l'utiliser, mais plus ils auront préparé quelque chose d'hermétique, moins ils auront de risques que leur proposition soit rejetée, justement.
— Et Gregor ? finit par lâcher Strauss.
Seule la totale absence d'émotion dans sa voix et sur son visage trahit qu'il est partagé sur le sujet.
Bertram est caché dans une tour d'ivoire qui lui a été imposée, mais ça ne signifie pas que sa présence ne pourrait pas un jour avoir à être expliquée. Plus le temps passe, plus une grande marge de manœuvre lui est autorisée. Pour preuve, il n'est plus attaché que par une puce explosive quelque part dans son cou. Et s'il n'est jamais laissé seul lorsque Siegfried et Vladas sont ses gardiens, Ben illustre parfaitement en ce moment-même à quel point il est moins collant dans sa surveillance. Andy et Chad en font de même. Certes, n'importe quel Homien pourrait être sur lui depuis l'autre bout de la maison aussi rapidement que les deux agents pourraient l'être en se tenant juste à côté de lui, mais la question n'est pas là. S'ils ne sont pas plus prudents, sa liberté de mouvement grimpante pourrait conduire à ce qu'il tombe nez-à-nez avec Ellen, Nelson, ou Jack, ou quiconque pourrait passer voir les Quanto sans qu'on n'ait de bonne raison de ne pas les laisser entrer.
Il semblerait donc raisonnable de trouver une couverture pour le scientifique à lunettes. L'inconvénient, et quelque part aussi un peu le paradoxe, c'est qu'il ne sera sans doute pas possible d'en trouver une qui continue à restreindre ses déplacements. Même si les deux mentors de Jena n'étaient pas fermement opposés à ce qu'il quitte les murs, le prisonnier n'en aurait sans doute pas envie, toujours persuadé d'être en danger des mêmes individus ou assimilés que ceux qui l'ont capturé et torturé après la chute de DeinoGene. Mais comment rendre crédible qu'un inconnu ne sorte jamais de la maison ? Qu'il ne semble pas avoir d'existence qui lui est propre par ailleurs ?
Le troisième volet du ressenti de Strauss est plus irrationnel que les précédents. Il n'arrive pas à oublier, comme beaucoup d'autres, la provenance de Gregor. Non seulement il sait ce qu'il a fait, mais l'image de sa fuite avec Maena reste également gravée dans sa mémoire. Il lui est presque reconnaissant de ne jamais avoir mentionné à qui que ce soit que les siens sont à l'origine de tous les problèmes que rencontre aujourd'hui la jeune fille. Et il est lui est par-dessus tout reconnaissant qu'il la place tout en haut de la liste de ses priorités, avant son propre bien-être ou même sa survie. Mais il n'arrive malgré tout ça pas à se le rendre sympathique. Et que Maena semble lui porter une affection toute particulière n'arrange rien. Malgré lui, devoir le protéger le hérisse donc un peu.
— Tu crois vraiment qu'on va avoir besoin de le couvrir ? demande la petite blonde après être restée songeuse encore un instant après la question.
Son ton est tout aussi pensif que son regard posé une fois de plus sur le vide. Elle n'avait pas du tout réfléchi au cas de Greg.
— On n'est pas à l'abri d'une rencontre malencontreuse, Strauss résume la principale raison derrière sa mention du scientifique.
— Non, je veux dire… Est-ce que tu penses qu'il va être autorisé à rester avec nous ? elle reformule.
Elle ramène enfin ses yeux à son interlocuteur, et il peut voir que l'inquiétude arque ses sourcils et plisse son front. Il s'efforce une fois de plus de ne pas laisser paraître à quel point il est dérangé par l'affection que Maena porte à celui qui l'a pourtant mise dans l'état où elle est. Il prend sur lui parce qu'il sait bien qu'il a aussi sa part de responsabilité dans la situation ; techniquement, il n'est pas beaucoup plus acceptable qu'elle soit attachée à lui qu'à Bertram. Aussi, s'offusquer de ces marques de considération dans l'immédiat n'accomplirait rien d'autre que d'augmenter encore la détresse de la jeune fille.
— Autorisé ? il relève à la place, perplexe.
Jusqu'ici, il avait plutôt l'impression que, malgré ses propres réticences à sortir, le scientifique était tout de même retenu de force.
— Il n'arrête pas de dire que Ben n'a plus besoin de lui pour s'occuper de mon cas. Et que sa présence ne peut que nous attirer des ennuis. Et personne d'autre que moi n'a envie qu'il reste… Maena justifie sa question par une liste d'arguments, terminant sur une note aigre.
Elle se détourne vers les brins d'herbe entre ses baskets. Elle a bien envie de jouer avec du bout des doigts, mais la sensation du gazon n'est plus celle qu'elle était. À la place, elle admire la ressemblance entre cette paire de chaussures confectionnées par Kayle et l'originale, reléguée quelque part au fond de son placard, à l'abri de ses accès destructifs involontaires.
— Ton père ne le livrerait pas à lui-même, objecte son ancien professeur pour la rassurer, secouant la tête à la négative.
Aussi inconfortable Aleksander puisse-t-il être avec le scientifique qui a changé sa fille à jamais, il n'a nullement l'intention de laisser quoi que ce soit lui arriver, même par inaction. À chaque tournant, il a toujours pris sa défense. Il était plus qu'évident qu'il lui coûtait d'être de son côté, mais il l'a fait. Et ce n'était pas parce qu'il estime Bertram indispensable et irremplaçable, puisque, comme vient de le souligner Maena, ce dernier n'a de cesse de répéter à qui veut l'entendre que ce n'est pas le cas. Non, l'ingénieur est tout simplement trop décent pour s'abaisser à laisser ses sentiments personnels interférer avec ce qu'il estime objectivement être la bonne chose à faire. Comme son fils aîné, d'ailleurs, qui a soigné l'avant-bras du prisonnier alors qu'il ne le porte pas plus dans son cœur que son père.
Une autre problématique cependant va être celle de sa protection active le moment venu. C'est une chose de refuser de l'envoyer à sa perte, lorsque ça ne coûte rien ou presque de rester clément, mais c'en est une toute autre de prendre des risques pour lui, de se mettre en danger pour le défendre. Et d'après le scientifique, ce moment ne devrait pas tarder à arriver. Il insiste lui-même pour que personne ne se mette en péril à cause de lui. Malgré cela, puisqu'il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas avoir compris que Maena serait dévastée s'il lui arrivait quoi que ce soit, jusqu'où est-ce que leurs efforts pour le préserver pourraient les emmener ?
— Siegfried et Vladas sont solidement campés sur leur position. Tu leurs laisses combien de temps, avant qu'ils obtiennent gain de cause ? soupire l'adolescente avec un certain désespoir.
Elle fait confiance à la magnanimité de son père, mais les arguments ne s'accumulent pas en la faveur de Gregor. Mince, Gregor lui-même ne plaide pas en sa propre faveur, en ce qui concerne sa place dans l'équipe. Il ne se perçoit que comme un aimant à ennemis. Jena et ses deux mentors ne voient en lui qu'une menace qui plane voire carrément une bombe à retardement, et Markus et son père n'arrivent pas à passer outre ses actions passées. Quant à Caesar, vu le peu de temps qu'il passe à la maison, Mae ne doute pas qu'il partage également cette opinion négative du scientifique. Idem pour son oncle. Et elle, elle a quoi ? Une impression viscérale que Greg est important, un besoin impérieux qu'il ne lui arrive plus rien de mal ? Elle devrait sans doute être celle qui a le plus peur de lui, qui le déteste le plus, et c'est tout l'inverse. Est-ce que ce paradoxe sera suffisant encore longtemps pour faire pencher la balance ?
Strauss voudrait vraiment la rassurer. Il n'apprécie pas de la voir dans cet état de détresse. Il ne pensait pas faire à ce point descendre son humeur en mentionnant les complications à venir dans la logistique des allées et venues dans la maison. Quand il a mentionné Bertram, c'était justement pour l'inclure, ou tout du moins ne pas l'exclure. Les crises d'imprédictibilité des humains sont aussi fascinantes qu'elles sont parfois frustrantes.
— Gregor pourrait prétendre être votre tuteur de Biologie, il propose au lieu de répondre à la question, puisqu'il en serait bien incapable même si elle n'était pas rhétorique.
— Sauf qu'on a déjà nos deux profs de Bio qui se sont manifestés, donc ça paraîtrait sans doute bizarre qu'on opte pour un parfait étranger. Et en plus de ça, Greg n'a pas trop la dégaine d'un prof, rejette doucement l'adolescente.
Elle a déjà envisagé l'idée, mais si elle n'arrive pas à trouver le scénario crédible elle-même, elle doute qu'ils puissent le vendre à qui que ce soit d'autre.
— Il pourrait être un partenaire de recherche de ton père. Est-ce que ce n'est pas ce que prétendent les Kampbell ? enchaîne son visiteur.
Il ne compte pas se laisser si vite décourager de lui remonter le moral. Surtout quand c'est lui qui le lui a fait descendre, par maladresse littéralement intergalactique…
— Si j'ai bien compris, Anubis et Jazz ont fait en sorte de donner l'illusion qu'ils ont rencontré Papa avant mon enlèvement, et avant Caesar même, juste après qu'il a quitté son job à l'armée. C'est déjà un peu bizarre qu'il ait continué à bosser avec eux avec tout ce qui s'est passé, donc je vois pas trop comment on va faire croire qu'il aurait pris un nouveau partenaire en ce moment, explique Maena avec une grimace.
Elle n'est hélas pas plus convaincue par cette option que la précédente, même si elle semble peu à peu distraite de son abattement. Des options existent, il suffit qu'ils trouvent la bonne.
— Certes. Les meilleures couvertures sont anticipées et non improvisées, récite Strauss, acceptant le caractère invraisemblable de ce qu'il vient de proposer.
Il ne doit déjà pas être très facile pour la jeune fille de mentionner que son père continue à travailler en les circonstances sans récolter des œillades suspicieuses, alors ajouter qu'il aurait même augmenté sa charge ne passera sans doute pas. Même en admettant que le nouvel arrivant viendrait renforcer leur équipe et non proposer un nouveau sujet de recherche, il resterait peu vraisemblable qu'il soit invité sur place en ces temps troublés.
— Andy ? demande Maena, certaine d'avoir déjà entendu ça quelque part.
"Un bon mensonge se base sur la vérité, et un meilleur mensonge encore est semé au fil du temps, les éléments de sa fondation amenés sur le tapis l'air de rien, au détour d'une conversation. Lorsqu'on n'explique quelque chose à quelqu'un qu'une fois interrogé sur le sujet, la personne devant le fait accompli, même la vérité peut paraître suspecte." La jeune fille se sent un peu triste de devoir vivre selon ces principes aujourd'hui, mais comme son père avant elle, elle essaye de rester focalisée sur son objectif de conserver tous ceux à qui elle tient en sécurité, plutôt que sur les moyens qu'elle doit employer pour y parvenir.
— Jena, la corrige Strauss en souriant.
Il voudrait bien terminer leur discussion, lui dire qu'une solution simple au problème que représente Gregor serait de l'extraire d'ici. Il n'a pas besoin d'avoir accès à sa patiente en permanence pour participer à l'élaboration d'un traitement éventuel. Ils pourraient l'emmener ailleurs, dans un endroit plus sûr, moins exposé. Mais il n'a pas le cœur de faire rechuter son humeur. Elle n'acceptera jamais que ce soit l'équipe de Jena qui les sépare, et il ne peut pas lui promettre la seule alternative : qu'il soit sous tutelle homienne. Pas sans en avoir discuté avec Andy et Chad. Alors il s'abstient, et profite de son sourire retrouvé, à la mention de cette référence qu'ils ont en commun, en attendant qu'elle propose d'elle-même un nouveau sujet, dans le temps qui leur est imparti avant qu'elle doive aller se préparer à la visite de ses deux meilleurs amis.
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