2x11 - Sables mouvants (11/18) - Mille tonnerres
Il a beau avoir quitté Lakeshore, Caesar ne se soustrait pas à des sessions quotidiennes avec le Docteur Conway. Ils sont tous les deux suffisamment raisonnables pour savoir que ces entrevues lui sont encore utiles malgré ses énormes progrès et la relative stabilisation de sa situation familiale. Sa réinsertion a été pour le moins brutale, et l'accompagner dans cette transition paraît bien normal. Même en des circonstances moins chaotiques, un résident libéré tire toujours des bénéfices d'une poursuite de son suivi psychiatrique.
Kennedy a été particulièrement fière de la façon dont son jeune patient a géré sa découverte de ce qui était arrivé à sa sœur en premier lieu. Là où d'autres que lui se seraient effondrés, le grand adolescent avait au contraire paru tranquillisé, en apprenant enfin ce qui n'allait pas au dehors. C'était finalement la dernière preuve qu'il lui fallait pour commencer à croire qu'il n'est bel et bien pas fou et ne l'a jamais été. Toujours est-il que son aplomb, à la fois face à l'information en elle-même mais aussi face à la façon dont elle lui a été transmise, avait grandement impressionné sa thérapeute. Même en ayant passé les jours précédents à se convaincre qu'il allait la surprendre, et à se rappeler toutes les indications dont elle disposait en faveur de sa résilience, elle n'en attendait pas tant de sa part.
Malgré cela, il avait tout de même eu besoin de son soutien dans les jours qui ont suivi l'abrupte nouvelle. Le laisser sortir à ce moment-là n'aurait pas été une bonne idée. Ce n'est que lorsque la situation de Mae s'est résolue que le Docteur a jugé pertinent de libérer son patient, l'autoriser à se mêler à ce qui se passe, plutôt que de le garder à l'écart et risquer qu'il ne retombe dans les mêmes angoisses d'ignorance qu'auparavant. Et elle reste dans l'idée qu'elle ne s'est pas trompée, puisqu'en étant intégré à la situation, il semble prendre chaque jour un peu plus confiance en lui. En dépit de ses circonstances pourtant atypiques, il paraît être dans les conditions idéales pour terminer sa thérapie et ainsi devenir un hyper intuitif entièrement autonome.
Ce qui n'empêche toujours pas qu'il a justement besoin de suivre cette thérapie pour encore un certain temps.
L'enfant du milieu quitte le bureau de sa pédopsychiatre avec de nouvelles billes pour arrêter de se laisser si facilement atteindre par ses impressions comme il lui est arrivé ce matin. Il ne sait toujours pas ce qui l'a inquiété dans le simple fait que son frère ait été en retard, mais il a encore quelques cartes à abattre avant de se résigner à ne jamais le découvrir. La suggestion de sa thérapeute a été d'interroger Markus lorsqu'il le recroiserait, tout bêtement. S'il lui est effectivement arriver quelque chose à cause de cette panne de réveil, alors peut-être que ça permettra à Caesar, à l'avenir, de mieux reconnaître les signes avant-coureurs d'évènements similaires. Et si rien de particulier ne s'est produit, alors ça devrait l'aider à se faire une raison quant au fait que son intuition ne vise pas toujours juste, ou en tous cas que si elle ne se trompe pas, il n'aura parfois jamais le fin mot de ce qu'il a pressenti. En d'autres termes, il faut qu'il s'habitue à mettre de côté ce sur quoi il n'a pas le contrôle. C'est évidemment toujours beaucoup plus facile à dire qu'à faire, et ce n'est pas la première fois qu'il reçoit ce conseil, mais se l'entendre rappeler à chaque session l'aide à l'avoir de plus en plus présent à l'esprit.
— Hey ! il interpelle soudain une silhouette en noir et fluo, qui le tire de ses pensées en passant devant lui sans sembler le voir.
Setsuko s'arrête, mais ne fait volte-face que dans un second temps. Elle marque ensuite encore une autre pause avant de répondre :
— Caesar. Salut, elle lui accorde, brève, comme si elle se contraignait à rester courtoise.
— Ça fait drôle, de t'avoir vue tous les jours pendant des mois, et maintenant de ne pas s'être croisés depuis deux semaines, il commente en souriant doucement.
Il choisit de ne pas relever son attitude distante pour le moment. Peut-être qu'il surinterprète. Elle ne lui a pas échappé, mais il ne compte pas ouvrir par ça. Il peut y avoir mille raisons pour que la Japonaise ne soit pas d'excellente humeur. Toute bonne actrice qu'elle soit, il la soupçonne d'avoir un caractère assez fort, en-dessous de toutes ses façades.
— Au moins, tu es revenu, elle lui offre en retour, toujours sur ce même ton étrangement mesuré qu'il ne lui a jamais connu.
Il est étreint de l'irrésistible impression d'avoir commis un faux-pas. Et ses méninges commencent déjà à travailler en surrégime pour déterminer lequel. Puisque comme il vient de le dire il ne l'a pas revue depuis une dizaine de jours, et étant donné ce qu'elle vient elle-même de dire, il pourrait paraître évident que c'est justement de son absence ou de la façon dont il est parti qu'elle lui tient rigueur. Mais ça ne lui ressemblerait pas. Elle savait qu'il voudrait sortir dès que sa sœur serait retrouvée, et elle devait également se douter que le Doc n'insisterait pas pour le garder à l'Institut. Elle lui en veut forcément pour une raison bien moins petite.
— Pourquoi je ne serais pas revenu ? Tu dis toujours que sortir d'ici ne signifie pas être sorti d'affaire, il s'étonne de sa remarque.
Il ne voit pas quelle autre contrariété elle pourrait souligner par ces mots, alors il est relativement directe dans sa quête de réponses.
— Oui, mais beaucoup de familles déménagent, lorsqu'elles récupèrent leur proche. Pour que tout le monde puisse prendre un nouveau départ, explique simplement la conseillère infiltrée.
Il y a une certaine lassitude, dans son attitude, comme si elle était fatiguée par quelque chose.
— Oh. Bah… Je suppose que mon père a eu d'autres priorités, il balbutie maladroitement.
Cette divergence à la norme par les siens ne l'embarrasse pourtant pas. Il ne blâme pas son géniteur de ne pas l'avoir mis tout en haut de sa liste de préoccupations. Il a lui-même tout fait pour ne pas représenter un problème de plus dans la maisonnée. Il est d'ailleurs assez fier d'à quel point il est parvenu à ses fins sur ce plan. Et il sait aussi que, s'il avait besoin de plus de soutien de la part de qui que ce soit de sa famille, ils répondraient tous présents à l'appel. Ils ne l'ont jamais oublié, et ne sont pas près de commencer. C'est en voulant le protéger qu'ils l'ont mis dans un état pas possible ; ils n'auraient pas pu prévoir sa réaction à ce qu'ils ne lui disent pas tout.
— La vie continue, déclare platement Setsuko, avec un haussement d'épaules.
— En tous cas, elle fait tout pour. Ça va, ici ? il enchaîne, sentant que la conversation tourne en rond.
Ça n'a jamais été un problème auparavant. Est-ce que le fait qu'il soit sorti affecte tant leur dynamique que ça ?
— Tu n'es pas obligé de demander, tu sais, elle rétorque sèchement, retrouvant un peu de son mordant.
Malgré lui, en dépit de la rudesse de la réplique, il sourit un peu plus largement. Il n'avait pas pensé qu'elle lui manquerait. Il n'avait même pas réfléchi au fait que certains visages qui l'ont entouré pendant tout son séjour à Lakeshore pourraient lui manquer. Et très honnêtement, avant de la recroiser à l'instant, il ne s'était pas rendu compte à quel point l'absence de leurs échanges avaient créé un certain vide dans ses journées. Donner la réplique à Jack est pratiquement un travail à plein, mais ce n'est pas la même chose.
— Je sais. Mais je suis sincèrement intéressé, il répond calmement à l'accusation de vacuité de sa question, absolument pas froissé.
Il a déjà établi qu'elle en a après lui pour quelque chose ; il lui reste juste à déterminer quoi. Et jusqu'à ce qu'il y parvienne, il ne peut ni lui en tenir rigueur ni s'en excuser. Alors, il attend que ça sorte. Ce ne serait pas la première fois qu'il l'aurait à l'usure.
— Ce n'est pas vrai : quand tu étais ici, tu ne parlais à personne, elle lui fait remarquer, croisant les bras maintenant, dans une attitude défensive.
— Ça ne veut pas dire que je m'en fiche. Et je te parlais à toi, il proteste à cet argument peu solide.
— Je ne suis pas une patiente, elle rappelle, comme si ça pouvait lui retirer toute importance.
— Est-ce qu'Alfred a enfin remarqué Marina ? il interroge au lieu de relever.
Il se montre intentionnellement spécifique dans sa question, comme pour lui prouver qu'elle se fourvoie sur son indifférence vis-à-vis des autres patients. Il n'a jamais activement participé à la thérapie de groupe, et il ne pense pas que s'il l'avait fait il aurait eu quelque affinité avec quelque autre résident, mais il n'en a pas moins vécu entre les mêmes murs que les autres patients pendant tous ces mois. Et ils ont en plus été les premières personnes sur lesquelles il a pu exercer ses capacités d'observation.
— Il l'a envoyée sur les roses. Elle est en isolation. Elle va peut-être être transférée dans un établissement de plus haute sécurité, Setsuko lui apprend sans émotion, son regard froid.
— Désolé de l'entendre, il offre sa sympathie à ce triste développement, baissant les yeux sur le sol.
Et dire que la jeune fille avait fait tant de progrès, grâce à son infatuation. Il l'avait surprise à sourire, et elle semblait presque sereine, par moments. Quelle tristesse qu'elle se soit vue retirer ce qui lui avait permis de reprendre un peu goût à la vie. Mais on ne peut pas contraindre quelqu'un à retourner les affections qu'on lui porte. Et ce n'est pas pour tout le monde de s'éterniser sur des sentiments non partagés.
— C'est tout ce que tu voulais savoir ? demande Setsuko, le tirant de ses considérations.
— Er… Si c'est tout ce qui s'est passé depuis mon départ, il répond maladroitement, relevant les yeux vers elle avec une expression un peu perdue.
Difficile d'estimer si on a reçu toutes les nouvelles quand on est justement en train d'en demander. S'il a appris une chose de Brennen Watson, c'est que c'est bien là l'un des plus dangereux angles morts des médias.
— Est-ce que ça ne te suffit pas ? lui lance la Japonaise, haussant un sourcil.
Il se mord la langue pour ne pas lui demander si c'est la rechute de Marina qui la met de si mauvaise humeur. Parce qu'il sait que non. Et lui poser la question ne fera qu'empirer les choses. Mais qu'est-ce qu'il est supposé penser d'autre ? Qu'est-ce qui lui échappe qui pourrait la rendre si acariâtre ?
— À choisir, j'aurais préféré que rien ne se passe, mais on n'a pas toujours ce choix, il confirme malgré le caractère rhétorique de la question.
La régression d'une patiente est en effet plus que suffisante pour deux semaines. Setsuko sait aussi bien que lui que ce n'est pas ce qu'il a voulu dire. Elle joue sur les mots. Elle cherche la bagarre.
— On est dans un institut pédopsychiatrique dédié aux adolescents aux comportements autodestructeurs ; rien n'est jamais vraiment une bonne nouvelle, par ici, déclare simplement la conseillère, fataliste.
Quand un nouveau patient arrive, c'est qu'il est mal en point. Certains patients ne sortent jamais. Et quand ils sortent, la plupart disparaissent sans jamais donner de nouvelles. Quant à ceux qui reviennent, eh bien, ce n'est jamais plus pareil avec eux…
— Merci pour cette note optimiste ! choisit de plaisanter Caesar à la noirceur du propos.
Il n'a pas grand espoir de dérider son interlocutrice, mais il faut bien qu'il essaye.
— C'est toi, qui n'as jamais voulu que je te mente, elle lui rappelle, comme s'il n'avait qu'à s'en prendre à lui-même qu'elle soit si réaliste.
— Et j'apprécie l'honnêteté. Merci. Er… Je devrais y aller, mais c'était sympa de te voir, et j'espère que le reste de ta journée sera mieux que le début semble l'avoir été. À plus.
Bien qu'il fasse l'effort de lui signaler qu'il ne lui tient pas rigueur de son élan défaitiste, il prend tout de même congé. Il est clair et net qu'il n'obtiendra pas de réponse quant aux raisons de son aigreur, alors il ne voit pas trop pourquoi il s'astreindrait à la subir. Il serait un bon ami de la laisser passer ses nerfs sur lui, mais il n'en a pas la capacité émotionnelle en ce moment. Il a d'autres priorités à gérer. Trop de secrets à garder, trop de travail à faire sur lui. Et puis, il n'arrive pas à se défaire de cette sale impression que c'est justement lui, le nœud du problème de la jeune femme. Et si ce n'était pas son départ mais justement son retour, qui l'embêtait ? Il a du mal à voir pourquoi, mais ça reste une possibilité. Peut-être qu'elle n'a pas l'habitude revoir ses anciens patients, et préfère tourner la page de façon claire et nette ? Il se dit qu'il serait plutôt triste, s'il devait complètement couper les ponts avec elle. Mais sans doute que ce serait préférable à se séparer en de mauvais termes comme ils semblent en prendre le chemin.
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