2x10 - Au ralenti (19/19) - Agneaux

Gregor sursaute en repérant Strauss du coin de l'œil, debout dans l'encadrement de la porte de sa chambre, dans la semi pénombre. Il a failli le manquer, car il n'y a bien que le blanc éclatant de sa chemise et la relative pâleur de sa peau pour ressortir de la toile de fond du couloir, le reste de sa tenue et sa personne entièrement de jais. La maison est endormie, ou sur le point de l'être, et la seule lumière encore allumée est celle à l'intensité réduite de la lampe qui éclaire actuellement le scientifique. Il n'y a pas un bruit, et son visiteur n'y a pas ajouté en arrivant là où il est. Si Greg se doute qu'il n'est jamais laissé sans surveillance, d'ordinaire, ses gardiens de nuit se font plus discrets, ce qui est une raison de plus pour lui pour n'avoir attendu personne à cette heure-ci. Ceci étant dit, il ne pense pas que le grand brun ait endossé ce rôle ce soir, d'une part parce qu'il ne l'a jamais fait auparavant, et d'autre part parce que, bien qu'il ne soit pas exactement sûr de son champ de compétences, il ne pense pas que ce soit dans ses cordes.

Sans surprise, personne ne lui a été présenté en bonne et due forme. En conséquence, c'est par lui-même qu'il a dû se créer des repères, et en ce qui concerne les individus qui ne font pas partie du cercle familial, il pense avoir réussi à établir plusieurs catégories. Les deux géants européens, la blonde à veste en daim, et le type à casquette sont l'équivalent de videurs, tandis que Ben est plutôt consultant biochimiste, en dépit de ses allures de mécano. Quant à Kayle, il semble être un inattendu mélange de ces deux options. Le couple que Gregor a entraperçu aller et venir de ce qu'il ne peut que deviner être le laboratoire du père de famille, il les considère comme des profils techniques, à l'instar du patriarche. La copine du premier fils, quoi que ce dernier dise de leur statut relationnel, doit être une version soit édulcorée soit insoupçonnée de ses deux armoires à glace personnelles. Et il y a bien aussi le partenaire de l'oncle, mais le badge rend son occupation évidente. Pour ce qui est des deux hommes sans cesse en costume, en revanche, difficile de se forger un avis quant à leur rôle exact. Greg a suspecté le blond en costume trois pièces d'être du gouvernement à plusieurs reprises, mais il n'en est pas encore tout à fait convaincu. Ce n'est pas comme si ça avait de l'importance à ses yeux, cependant.

— Quelqu'un s'est occupé de ton bras, Strauss décide d'engager la conversation, devant le mutisme de celui qu'il vient voir.

Il a pourtant clairement remarqué sa présence, puisqu'il regarde directement dans sa direction maintenant, après avoir eu un évident mouvement de surprise.

— Er… Oui. Le… fils aîné, balbutie le scientifique en guise de confirmation.

Il jette inutilement un coup d'œil à son avant-bras ; le nouveau bandage est entièrement recouvert par la manche de son pull. Il doit bien admettre que l'intervention a grandement aidé à diminuer la douleur qui pulsait jusqu'à aujourd'hui de son poignet à son coude, ce qui a nettement amélioré sa concentration, mais il n'en est pas moins déterminé qu'avant à faire de son mieux pour dissimuler sa blessure. Il semblerait cependant que ses efforts aient été vains en ce qui concerne certaines personnes…

— Tu n'es pas très doué pour les prénoms, n'est-ce pas ? fait remarquer Strauss avec un demi-sourire.

Il n'a pas manqué de noter le surnom qu'il s'obstine à utiliser avec sa patiente, en dehors du fait qu'il ne pense pas l'avoir déjà entendu interpeller qui que ce soit. Mais il est vrai qu'il n'a pas beaucoup d'occasions ou même de raisons de le faire, surtout depuis que Kayle est parti. Il ne demande jamais d'aide, ne parle que rarement sans qu'on lui ait adressé la parole en premier lieu, et lorsqu'il est amené à le faire, il s'arrange pour être seul avec son interlocuteur ou qu'en tous cas il ne puisse pas y avoir de malentendu sur la personne à qui il s'adresse. C'est habile de sa part.

— Il faut passer du temps avec les gens, pour retenir leur nom, se défend faiblement Bertram.

La vérité, c'est qu'il n'a tout bonnement jamais pris ce réflexe ni en grandissant ni une fois adulte. Et jusqu'ici, personne n'avait relevé ce manquement de sa part, sûrement parce que la plupart de ses fréquentations avaient le même tort.

— Tu as passé beaucoup de temps avec Maena et tu ne l'appelles jamais par son prénom, rétorque Strauss du tac au tac, susceptible sur ce point.

— Donc c'est ce qui se sera passé, aujourd'hui : les gens m'auront confronté. D'accord… marmonne le scientifique dans son fond de barbe naissant, baissant la tête et remontant ses lunettes sur son nez, se résignant à son sort.

D'abord le patriarche au matin, puis son premier fils à midi, et ce soir ce satellite à la famille dont il n'arrive même pas à déterminer le rôle précis. Très bien…

— Pourquoi est-ce que tu n'as rien dit à Aleksander ? l'interroge son visiteur, décidant à son commentaire qu'il est prêt à être soumis à la question qu'il est venu lui poser.

Il voulait s'entretenir avec lui à ce sujet plus tôt dans la journée, mais Maena l'a intercepté. Il aurait pu attendre le lendemain, ou un autre jour, mais il n'en a pas eu la patience. Un détail crucial lui échappe dans la conversation qu'il a entendue ce matin entre le père de la jeune fille et celui qu'il tient pour entièrement responsable du sort de cette dernière. L'initiative de confrontation de l'ingénieur lui a paru normale, et il respecte même sa retenue de s'être abstenu jusqu'ici, sans doute afin de pouvoir conserver son calme. L'une des réponses de l'accusé, en revanche, n'était à son avis pas honnête. Et il n'arrive pas à concevoir pourquoi, puisqu'il a ensuite admis bien pire que ce que son mensonge aura servi à dissimuler.

— Il va falloir être un peu plus spécifique, car il y a plus d'une chose que j'évite de mentionner en présence du père de ma patiente, annonce Gregor, bien incapable de répondre sans plus de contexte.

— Tu sais comment elle a survécu, déclare simplement le grand brun, pas sur le ton de l'accusation mais celui de la certitude.

Tous les faits pointent vers cette conclusion. Quand Ben surveillait ce qui était en train de se passer dans l'enceinte de DeinoGene, il soupçonnait déjà que quelqu'un avait remarqué ses interférences. Et ne s'y opposait pas, voire les facilitaient. Puis, lorsqu'ils ont étudié la première version du dossier de Maena, celle récupérée lors du raid, il est devenu évident que certains éléments avaient été omis, notamment tout ce qui aurait pu concerner leur intervention, avant l'enlèvement comme après. À l'arrivée du Docteur et sa mise en lumière d'une partie des pièces manquantes, le doute n'avait plus été possible sur le fait qu'il taisait la part de responsabilité homienne dans l'état de santé de la jeune fille. La seule chose que le scientifique n'a pas su masquer c'est que, brillant et avancé dans son domaine comme il l'est, il est indéniablement capable de s'être rendu compte de quelque chose. Les extraterrestres avaient donc eu raison de craindre l'exposition en découvrant que Maena était retenue dans un laboratoire. La question, maintenant, c'est pourquoi Bertram n'a pas partagé sa découverte, aussi bien avec Vurt qu'avec Aleksander ce matin.

— À vrai dire, je n'avais qu'une petite idée, jusqu'ici, mais tu viens de la confirmer. C'est drôle, j'aurais parié sur Ben.

Après cette admission partielle, Gregor prend appui sur le bureau derrière lui, accusant le coup de cette validation de sa théorie. Il n'a pas manqué de remarquer des anomalies chez sa patiente dès les premiers rapports d'analyse à son sujet, oui, mais il n'a jamais réussi à en déterminer l'origine exacte. Il n'a donc pas menti au père sur ce point. Quand Kayle est apparu pour venir la chercher, il a cependant su que c'était lui sinon quelqu'un comme lui (quoi qu'il puisse être) qui était responsable des incohérences dans ses relevés de mesures. Ensuite, à l'attention portée à l'adolescente par Ben, tout aussi doué si ce n'est plus que son acolyte blond, c'était sur lui que le scientifique avait arrêté ses soupçons. Mais il n'avait aucune preuve tangible, et donc aucune certitude.

— Il a participé, admet Strauss, mâchoires serrées.

Bien qu'à l'origine de la situation, il ne peut en effet pas en prendre toute la responsabilité. Sans Ben, Maena aurait succombé à sa contamination. Ce sont ses mesures palliatives qui ont eu pour conséquence indirecte et involontaire de rendre l'adolescente réceptive à ce qui lui a été infligé par la suite. Ou si pas réceptive, en tous cas, résistante. Mais encore une fois, il n'aurait pas eu à les mettre en place si elle n'avait pas été infectée en premier lieu. Le Diplomate essaye de se concentrer sur le fait que sans cette maladresse de sa part il n'aurait pas eu le poids de convaincre ses congénères de porter secours à l'adolescente, et surtout elle ne serait pas ressortie vivante de sa captivité, avec ou sans leur aide. Mais tout ce qu'il voit ces jours-ci, c'est l'inconfort dans lequel elle se trouve.

— Pourquoi est-ce que TOI tu n'as rien dit au professeur ? lui soumet alors Greg, cherchant à la guider vers la réponse à sa première question, qu'il pense qu'il détient déjà sans le savoir.

Si le père savait déjà comment sa fille a survécu à un traitement supposé mortel, il ne serait pas venu le questionner. Et si le grand brun avait fait des aveux entre temps, il ne serait pas venu aborder le sujet avec lui maintenant, à la tombée de la nuit. Tout laisse à penser que ce point de détail est un secret pour tout le monde. Est-ce qu'au lieu de lui demander pourquoi il l'a gardé, son visiteur ne devrait pas lui en être reconnaissant ? Non pas qu'il en attende tant ; le manque d'habitude lui rend à vrai dire les remerciements particulièrement gênants.

— Parce que… je me sens coupable. De ce qui lui arrive aujourd'hui, de ce qu'elle doit traverser. Et, égoïstement, je n'ai pas envie qu'elle m'en veuille autant que je m'en veux moi-même, avoue le grand brun, baissant la tête à son tour.

— Alors tu sais pourquoi je n'ai rien dit non plus. Je préfère éviter d'aller à l'encontre des intérêts d'un groupe dont j'ai vu l'un des membres tuer par simple contact. Et aussi sans, d'ailleurs. Je ne sais peut-être pas ce dont vous êtes tous capables exactement, ni comment vous prenez soin les uns des autres, mais j'en ai assez vu pour me méfier, le généticien achève de justifier son léger mensonge du matin.

La disparité de la bande qui gravite autour des Quanto rend la tâche d'en analyser la hiérarchie complexe. Ce dont Bertram a la certitude, c'est que Siegfried, Vladas, et leur jeune protégée sortent du même système que lui, le recrutement définitif par une entité clandestine mis à part. Sa théorie actuelle au-delà de ça, c'est que le trio s'est rebellé et a commencé à vouloir libérer les rats de laboratoire qui, en des mains plus officielles, seraient exécutés. À partir de là, il suspecte que Ben et Kayle comptent parmi ceux qu'ils auraient réussi à délivrer avant de s'atteler au cas de Maena. Il hésite encore à placer la belle blonde et le type à capuche dans le même sac, puisqu'il ne les a encore rien vu faire d'inexplicable au premier abord. Et avant maintenant, ses doutes étaient encore plus forts pour celui à qui il s'adresse présentement, mais puisqu'il vient de lui confirmer avoir eu quelque chose à voir avec la tolérance de sa patiente pour son traitement, il semblerait qu'il mérite lui aussi l'étiquette. Le blond en costume trois pièces demeure un électron libre, qu'il ne sait pas trop s'il ne devrait pas plutôt rattacher à l'oncle qu'aux autres intervenants extérieurs dans cette histoire. Il ne sait pas non plus à quel moment le rapprochement entre les deux partis a eu lieu, s'il a été déclenché par l'enlèvement ou bien s'est produit à une date antérieure, mais ça n'a que peu d'importance sur le bilan final.

— L'instinct de survie est ton explication ? relève Strauss en ramenant son attention à son interlocuteur, clairement insatisfait par cette justification de ses actes.

Il leur donne sans cesse de bonnes raisons de l'achever depuis qu'ils l'ont récupéré. Si quoi que ce soit, la mort donnée par un Homien serait plus douce que celle donnée par un Humain. Pourquoi ne pas en profiter ?

— Oui. Je suis un cafard, après tout, non ? Greg confirme sur le ton de la plaisanterie.

N'importe quel autre de ses geôliers habituels aurait accepté cette auto-dérision sans broncher, mais ce n'est pas le cas de Strauss, plus cartésien :

— Sauf que nous accuser diminuerait ta part de responsabilité dans son état, et améliorerait par conséquent ta situation, il objecte.

En admettant qu'il ne les a effectivement pas dénoncés par peur de leurs représailles, il aurait pu parier qu'ils ne seraient pas en position de les mettre à exécution s'ils étaient eux aussi sous soupçons. Et une faute partagée est toujours moins difficile à porter. S'il souhaitait uniquement défendre ses propres intérêts, comme le cafard proverbial auquel il se compare, les pointer du doigt aurait été le bon calcul.

— Certes. Peut-être. Mais on ne peut pas exactement se permettre que vous ne soyez plus en odeur de sainteté, n'est-ce pas ? oppose le scientifique à ce raisonnement pourtant valide, l'ombre d'un étrange sourire passant sur ses lèvres.

— Pourquoi pas ? s'étonne Strauss.

Il sent qu'il s'approche de l'information qui lui manque pour comprendre le fonctionnement du chercheur, mais il n'arrive pas à effectuer le dernier bond de logique seul.

Gregor soupire. Profondément, calmement. Il n'est pas agacé. Ou même fatigué. Pas émotionnellement, en tous cas. Et il n'aura sans doute pas l'occasion de le lui dire, mais les soins qu'a prodigués le frère aîné de Maena à son bras lui apportent en fin de compte un soulagement significatif. Non, il soupire presque d'aise, à ceci près qu'il ne sait pas reconnaître ce sentiment, donc pour lui ça se résume à une certaine paix intérieure, ce qui n'est pas beaucoup moins déroutant. Il ne pensait pas être questionné sur ses motivations de sitôt. Si seulement un jour. Il pensait que l'interrogatoire qu'il a subi pendant le trajet en 4x4 qui l'a amené ici serait la dernière fois qu'il aborderait le sujet. Il trouve d'ailleurs qu'il a plutôt bien noyé le poisson, à ce moment-là, puisqu'il n'avait pas le recul qu'il a aujourd'hui.

— Parce que je vais mourir, il répond succinctement, sans perdre son expression cryptique.

Il baisse ensuite ses yeux bleus vers ses mains entre ses genoux, et fait doucement glisser le pouce de l'une sur la paume de l'autre suivant des motifs aléatoires. Toujours sur le seuil de la pièce, le grand brun ne le suit pas, et fronce les sourcils à cette vérité générale à tous les Humains.

— Quel rapport ?

— Tu ne saisis pas. Je ne vais pas juste mourir un jour, je vais très certainement mourir bientôt. Il y a des gens après moi. Des gens que ça ne vaudra pas la peine de stopper, parce que ça mettrait plus de monde en danger que je ne pourrais jamais en aider. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils ne me rattrapent, et quand ce sera fait, ils ne prendront pas la peine de me torturer, cette fois. Et après moi, c'est vous, votre équipe – Ben, mais aussi Kayle, tout indisponible qu'il soit pour le moment – qui êtes la meilleure option pour gérer la condition de Maena. C'est pour ça qu'il est primordial que vous soyez les bienvenus dans cette maison. Au-dessus de tout soupçon ou rancœur. Je vois bien que ça te travaille de tout déballer, mais si ça ne te dérange pas trop, je pense que ce serait mieux que tu t'abstiennes. Au moins jusqu'à ce que son état soit stable et sous contrôle, Greg élabore sa prédiction, sans aigreur, uniquement une extrême lucidité.

— Alors c'est pour le bénéfice de Maena que tu nous épargnes notre part du blâme, déduit Strauss, une pièce centrale du puzzle représenté par le scientifique se mettant en place.

— Est-ce que j'ai une autre raison de faire quoi que ce soit, ces jours-ci ? lui soumet ce dernier.

S'il ne l'a pas clamé haut et fort, il n'estime pas non plus l'avoir caché, aussi dubitatifs soient la plupart de ses gardiens sur ce fait.

— Ça explique qu'elle te fasse à ce point confiance, enchaîne l'autre, y voyant décidément beaucoup plus clair à présent.

— Tu penses ? relève Bertram en pouffant, pas convaincu qu'il y ait effectivement une bonne raison derrière l'affection de l'adolescente.

C'est probablement chimique. Son réveil de son état de fugue l'aura plongée dans une sorte de douce euphorie, la rendant vulnérable émotionnellement, et elle s'est retrouvée irrépressiblement attachée à tous ceux qui lui ont été présentés à ce moment-là. Qu'il soit le vilain petit canard de la bande, celui que tous les autres rejettent, n'a fait qu'amplifier l'instinct de protection qu'elle ressent envers ses amis. C'est de la psychologie inversée de bas étage. Elle n'a aucun moyen de savoir qu'il sacrifierait tout pour elle, et dispose même de beaucoup d'arguments que ce n'est pas le cas. Il l'a bien exposée à un traitement qu'il pensait la tuer, après tout.

— La plupart des gens ne sont capables de mettre le bien-être de quelqu'un d'autre au-dessus du leur que jusqu'à un certain point, juge bon de lui faire remarquer Strauss, qui le trouve dur avec lui-même.

Il n'a pas décidé de faire enlever Maena. Il n'a pas décidé non plus du protocole auquel elle allait être soumise. Au contraire, il a tout fait pour le lui adoucir, avec une marge de manœuvre pourtant plus que réduite, sachant qu'en son absence elle n'aurait plus personne pour la protéger. Et il les a empêchés de commettre l'irréparable lorsqu'ils sont venus la sauver. De son point de vue, Gregor était autant prisonnier qu'elle de ce laboratoire. Il y était simplement enfermé depuis beaucoup plus longtemps, et n'a pas eu la chance que quelqu'un vienne le chercher. Le grand brun n'a pas oublié l'avoir menacé de mort lorsqu'il a dû la laisser partir avec lui, et il ne revient pas sur ses promesses, mais force est de constater qu'il n'a pas eu à les mettre à exécution. Le scientifique n'a pas eu d'autre priorité que la jeune fille depuis le moment où il l'a rencontrée.

— La plupart des gens ont encore quelque chose d'autre à perdre. Mais c'est quand même drôle que tu dises ça, parce que j'ai l'impression que presque tout le monde dans cette maison serait prêt à tout pour les autres, souligne Bertram.

Il ne pense avoir aucun mérite. Comme il l'a expliqué à Markus, il est plutôt perceptif des relations qui unissent ceux qui l'entourent, en héritage de son enfance passée à esquiver les caïds les plus violents et quiconque ferait partie de leur clique. Et il peut bien deviner que personne sous ce toit n'est étranger au sacrifice.

— Tu es sûr que ta mort ne peut pas être évitée ? Ça lui brisera le cœur, demande Strauss pour toute réponse.

Il est bien incapable de présumer des limites de chacun, et il se dit aussi que pour toutes ses précautions et bonnes intentions, le scientifique en face de lui va tout de même blesser sa protégée au moins une fois.

— Et ce sera déjà trop d'honneur. Je pense qu'on est d'accord sur le fait qu'il vaut mieux qu'elle vive avec ma perte plutôt que je l'entraîne dans ma chute. Elle s'en remettra, et elle ne se portera même que mieux de mon absence, confirme Gregor avec un hochement de tête solennel, résolu.

Strauss n'a rien à répondre à ça. Il n'est pas assez familier du processus de deuil pour pouvoir anticiper comment Maena gèrera celui de son Docteur. De ce qu'il en sait jusqu'ici, l'expérience varie selon les individus, et selon la personne voire l'objet qu'ils ont perdu. Ce sur quoi il est d'accord en tous cas, c'est que Ben devrait être capable de s'assurer de son état en l'absence de son principal responsable. Il ne sera pas satisfait de le perdre, mais il n'aura néanmoins aucune difficulté à se débrouiller sans lui.

Voyant son visiteur ainsi songeur, l'auto-proclamé condamné à mort éteint la lumière, survolant la surface à côté de lui avec sa paume. Puis, il va s'allonger sur le matelas qui lui a été octroyé. Il paraît que la nuit porte conseil, et même s'il n'estime plus en avoir besoin lui-même, le grand brun a l'air de quelqu'un qui pourrait en bénéficier, lui.

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