2x10 - Au ralenti (18/19) - À reculons
Assis sur les dernières marches de l'escalier de l'immeuble de Jena, à son étage, Markus l'attend. Les yeux baissés sur ses mains entrelacées, il tapote nerveusement du talon droit. Il espère sincèrement qu'elle va rentrer ce soir. Il n'a aucune certitude, mais il lui semble que les statistiques sont de son côté. Elle est partie depuis plusieurs jours, et malgré ses prévisions initiales au moment d'annoncer son départ de chez eux, elle n'est encore jamais restée loin de Chicago plus longtemps que ça depuis qu'elle a regagné ses pénates. À sa décharge, elle n'avait pas anticipé qu'ils auraient encore besoin des services de ses mentors une fois Mae de retour, mais puisque les deux Européens ont décidé de rester dans les parages afin de surveiller leur captif, elle n'a pas encore fait ses valises comme elle l'avait prévu. Tout ceci considéré, si elle devait ne pas rentrer ce soir malgré tout, Markus retentera sa chance demain, et chaque jour jusqu'à ce qu'il arrive enfin à avoir une conversation avec elle. Mais bon, il préférerait quand même que ça se produise plus tôt que tard.
Cela fait près de 45 minutes qu'il patiente quand celle qu'il est venu voir fait enfin son apparition en contrebas. Lorsqu'elle l'aperçoit, elle s'arrête, laisse glisser le barda qu'elle a à l'épaule par terre, puis soupire. Comme il ne s'attendait pas à ce qu'elle lui saute dans les bras, il ne se formalise pas de sa réaction. D'autant qu'on ne peut pas exactement être regardant sur la façon qu'ont les gens de répondre à une visite surprise. Voire à tout type de surprise. Il s'efforce tout de même de ne pas laisser trop longtemps sur son visage le sourire qu'elle lui inspire, histoire de ne pas passer pour un imbécile heureux. Par chance, son état de tension actuel lui est d'une grande aide dans cette entreprise.
— Markus. Je suis crevée. Qu'est-ce qui ne pouvait pas attendre ? elle lui offre pour tout accueil.
C'est la seule diplomatie dont il va bénéficier ce soir. Si les raisons de sa présence ne sont pas solides, elle va s'autoriser à l'envoyer sur les roses sans aucune cérémonie. Mais il a effectivement l'air troublé, donc toutes les chances sont de son côté. Il n'a eu ce sourire niais qu'il a toujours en la voyant que pendant un instant, alors la situation est potentiellement sérieuse.
— Comment va Caroline ? il enchaîne sans transition, s'adaptant à l'approche directe qu'elle semble vouloir privilégier.
Il doit admettre que la journée commence à lui paraître longue à lui aussi, donc il ne s'oppose pas à essayer d'expédier cette discussion, autant que ce sera possible.
— C'est pour ça que tu attends sur mon palier à une heure pareille ? Elle va bien. Elle a passé la journée avec moi et ça a été. Elle a fait attention et a même été hyper utile. Pourquoi ? répond la jeune femme avec mauvaise volonté, avant d'à nouveau soulever son sac de voyage et commencer à reprendre son ascension.
Au moins, il n'est pas là pour parler de ses sentiments ou s'assurer qu'elle va bien après sa dernière mission. Elle n'aurait pas la patience pour lui faire grâce de ce type d'états d'âme cette fois. Si c'est à propos de sa sœur, en revanche, elle peut encore faire un effort. Mais s'il y avait vraiment de quoi s'inquiéter à son sujet, il aurait pu utiliser d'autres moyens de la prévenir que d'attendre de pouvoir la voir face à face. Rien ne lui garantissait qu'elle serait de retour aujourd'hui, d'ailleurs. Quel degré d'urgence faut-il réellement donner à sa venue, alors ?
— J'ai eu une conversation un peu bizarre avec Rob, ce matin, et je me demandais si Caroline avait laissé filtrer quoi que ce soit, s'explique calmement Markus.
Il se relève avant qu'elle n'arrive à sa hauteur, et lui emboîte le pas vers sa porte, un peu plus loin dans le couloir.
— Là, comme ça, il n'y a rien qui me vienne à l'esprit. Quel genre de conversation ? s'enquiert son ex, tout en se contorsionnant pour extirper ses clés de l'une des poches intérieures de sa veste.
Son insistance pour utiliser des moyens de verrouillage analogues le laisse souvent perplexe, mais il n'y prête aucune attention cette fois, et n'émet donc aucun commentaire à ce sujet. Il est plutôt focalisé sur le choix de ses mots, en l'occurrence.
— Du genre… enthousiaste de sa condition. Peut-être un peu trop.
Le jeune homme a bien du mal à résumer l'impression que lui a laissé l'échange qu'il a eu avec son meilleur ami dans la matinée, dans sa chambre d'hôpital. Il a passé la journée à osciller entre penser qu'il lisait trop entre les lignes et se dire qu'au contraire, il avait raté un indice important de danger imminent.
— Un peu trop ? relève la jolie brune en même temps qu'un sourcil perplexe.
Elle n'est pas certaine de comprendre où il veut en venir. Elle préfère largement que sa petite sœur trouve un certain confort dans sa situation plutôt qu'elle s'en morfonde. Ça rend la situation moins pénible à tout le monde.
— Il n'a pas utilisé ces mots, mais j'ai eu l'impression qu'il me demandait de… ne plus chercher à le réveiller.
Markus lutte pour énoncer à haute voix, et baisse d'ailleurs inutilement d'un ton sur la dernière partie de sa phrase, comme s'il prononçait une obscénité.
Contre toute attente, Jena glousse et secoue vigoureusement la tête de gauche à droite. Elle voit bien qu'il ne plaisante pas, mais cette notion lui semble si absurde qu'elle ne peut pas s'empêcher d'en rire.
— Caro s'éclate pas mal, c'est sûr, mais pas à ce point, non, elle rejette catégoriquement son hypothèse.
— Donc elle te demande régulièrement où ça en est du côté de mon père ? lui soumet alors son visiteur du soir.
Il est ravi de l'entendre aussi sûre d'elle. Très sincèrement, il ne demande qu'à être rassuré. Mais il aimerait tout de même entendre des arguments pour soutenir une telle confiance. Ça aiderait notamment à éviter qu'il ne se dissuade plus tard par lui-même.
Cette fois, Jena ne répond pas de suite. Elle prend le temps d'ouvrir sa porte et balancer son sac à l'intérieur de son studio. Elle reste ensuite encore une seconde à jouer avec son trousseau de clés avant de reprendre la parole.
— Non. Mais en même temps, elle est sans doute plus au courant que moi, elle est bien obligée d'admettre, quoique sans accepter que ce soit aussi inquiétant qu'il semble le penser.
— Leur coopération n'a pas exactement été au beau fixe, ces derniers temps, il insiste.
Les difficultés rencontrées par son père et ses acolytes pour travailler avec leurs deux patients depuis le retour de Mae et que leur situation est redevenue leur priorité numéro 1 ne sont un secret pour personne. Et comme la paranoïa de l'étudiant a tourné en roues libres toute la journée, depuis le moment où Rob a disparu dans sa chambre d'hôpital, il n'a pas manqué d'ajouter cet élément à sa liste de mauvais signes. Il a d'abord ressassé la conversation, les termes employés, puis leur ton, et enfin la gestuelle qui les a accompagnés. Puis, une fois qu'il a eu usé ce sujet jusqu'à la corde et s'est convaincu tout seul qu'il avait une raison de paniquer, son cerveau s'est mis en quête d'évènements alentours qui pourraient aller dans le sens de son angoisse. Et malheureusement, il en a trouvé pléthore, dont leur relative réticence à travailler avec Alek et les Kampbell. Leurs énormes progrès dans leur nouvel environnement, si bien qu'il ne paraît plus si nouveau aujourd'hui, est également un facteur aggravant, mais aussi leur enthousiasme à la tâche, et surtout leur mise en place d'un système de communication qui arrange finalement beaucoup plus les autres qu'eux-mêmes. Leur apparition sons et lumières n'est en effet un avantage que s'ils ont l'intention de rester désincarnés encore longtemps. Que ce soit par choix ou par simple acceptation de leur état, la conclusion reste alarmante.
— Parce que l'approche par la robotique ne leur semblait pas bonne. Et ils avaient raison, puisqu'ils ont réussi à se projeter sans l'aide de qui que ce soit, objecte Jena.
Elle bénéficie d'un regard plus frais sur le problème, puisqu'il vient de lui être mis sous le nez à l'instant. Et comme en a attesté sa réaction première, l'idée que sa sœur ne veuille pas être réveillée ne l'a jamais effleurée. Idem pour Rob. Ils sont tous les deux des battants et des bons vivants à leur manière, alors il lui semble évident qu'ils ne sont pas près d'abandonner de sitôt. Ils ont tiré leur parti de leur situation, oui, mais c'est uniquement pour se la rendre plus supportable et peut-être même justement pouvoir aider à la résoudre. Bien sûr qu'ils veulent se réveiller !
— Est-ce qu'elle te paraît impatiente qu'ils trouvent une solution ? Markus revient à la charge.
Toutes les réponses de son interlocutrice sont parfaitement recevables, mais tout de même insuffisantes pour le faire changer d'avis encore. Elle n'était pas là, ce matin. Elle n'a pas vu ni entendu Rob. Il aimerait pouvoir lui passer une rediffusion de l'échange, pour qu'elle puisse se forger un avis à partir d'autre chose que son récit subjectif.
En face de lui, Jena soupire, arrête de faire tressauter ses clés entre ses doigts, et croise les bras. Elle voit bien qu'il a un nœud au ventre. Elle est bonne en analyse de la communication non verbale, mais surtout elle a appris à bien le connaître. C'est un émotif, et il est en plein dans le mauvais côté de ce trait de caractère. Elle ne va pas réussir à le calmer juste avec des arguments, aussi légitimes soient-ils.
— C'est sérieusement juste une conversation qui te met dans un état pareil ? Pourquoi c'est moi que tu viens voir, si tu t'inquiètes pour eux ? On n'a qu'à leur demander directement comment ils se sentent. Si Rob a été si peu subtil avec toi, il n'y a pas de raison qu'il se cache maintenant, pas vrai ? elle lui rentre dans le lard, se disant que c'est un potentiel moyen de le tirer de son spleen.
— Er… Il se peut que j'aie un brouilleur sur moi, il confesse en grimaçant et baissant les yeux, pour l'informer que ni sa sœur ni leur ami ne va pouvoir répondre à son appel dans l'immédiat.
— Quoi ?! Super façon d'entretenir la confiance, Markus ! s'offusque Jena, choquée qu'il en soit arrivé là.
Ils ont des brouilleurs à disposition depuis un certain temps déjà, mais pour de simples raisons d'intimité, pas pour dissimuler quoi que ce soit. Disons que Rob s'est montré beaucoup plus maladroit que Caroline, à ses débuts, au point de lui-même faire la demande d'un moyen de savoir quand sa visite n'est pas la bienvenue. Il n'a pas été très clair sur ce qu'il a surpris, mais personne n'a tenu à le pousser à en dire plus.
— Il peut y avoir mille raisons pour que je veuille être seul avec toi, Markus défend faiblement l'acceptabilité de sa démarche.
— Donc tu comptes carrément leur mentir sur ce que tu es venu faire ici ce soir, maintenant ? Waw.
Il semble vouloir esquiver les implications de son choix, et Jena n'hésite pas à les lui souligner. Elle est initialement devenue un peu plus agressive pour le secouer un peu, mais depuis la mention du brouilleur, elle ne plaisante plus. C'est une chose de voir le mal où il n'est pas, c'en est une autre d'agir en conséquence. Markus est pourtant d'habitude beaucoup plus frileux que ça pour passer à l'acte. Car pour elle, il ne s'agit pas d'une précaution mais bel et bien d'une prise de mesures, une stratégie offensive et non pas défensive. Peut-être que, dans son inquiétude, il n'a pas mesuré la porte de son geste, mais tout de même. Il est d'ordinaire plus réfléchi et considéré que ça.
— C'est pas… Écoute, je ne suis pas fier d'en arriver là, d'accord ? Et tu as peut-être raison, peut-être que je panique pour rien, et que je m'imagine des menaces qui ne sont pas là. Mais dans l'éventualité où j'ai raison, je préférerais ne pas les pousser à l'action. Ou leur donner des idées si j'ai tort, il justifie un peu mieux sa décision.
Le vague dégoût dans les grands yeux verts en amande de Jena reflète beaucoup trop bien une grande partie du malaise qu'il a ressenti au moment d'activer l'accessoire. Bien sûr, qu'il avait hésité à s'en équiper. Ça n'avait pas été son premier réflexe. Mais peu importe nos bonnes intentions, personne n'apprécie qu'on parle de soi dans son dos. Et il s'avère que Caroline et Robert sont mieux placés que quiconque pour entendre une conversation à leur sujet. Alors, il avait pris cette précaution, aussi sournoise paraisse-t-elle.
— À l'action ? Quelle action ? Au pire, ils sont déprimés, résignés, peu importe. Qu'est-ce que tu penses qu'ils pourraient faire ? lui oppose Jena, écartant les mains.
Il a un mouvement de recul, se rendant soudain compte qu'elle n'a pas saisi l'ampleur de ses craintes. Il s'en veut un peu de chercher à lui transmettre ses angoisses. C'est juste qu'il a désespérément besoin de quelqu'un pour le convaincre qu'il se trompe, et à défaut, de quelqu'un qui pourra l'aider à décider quoi faire. Et qui mieux qu'elle ?
— Je… ne m'inquiète pas seulement qu'ils ne veuillent plus particulièrement être réveillés. Rob n'avait pas l'air déprimé ce matin, au contraire. Ce dont j'ai peur, c'est qu'ils veuillent faire en sorte de nous empêcher de les aider, il précise sa pensée, les sourcils arqués par l'appréhension, à la fois de ce qu'il s'efforce de lui expliquer et de sa réaction lorsqu'elle va le comprendre.
— Comment ? Comment est-ce qu'ils pourraient bien s'y prendre ? En partant le plus loin possible ?
Malheureusement, Jen ne rattrape toujours pas le fil de son raisonnement. Elle semble encore incapable de s'imaginer un scénario réaliste où de telles inquiétudes pourraient se concrétiser.
— Ils n'ont jamais fait mine de vouloir partir ; mais si c'était revenir, qui ne les attirait plus ? Ils sont branchés sur des machines, lui rappelle l'étudiant, estimant que c'est suffisant pour tirer la conclusion qui s'impose.
La jeune femme plisse les yeux un instant, cherchant ce qu'il peut bien sous-entendre. Dès qu'elle percute enfin, elle se met aussitôt à secouer vigoureusement la tête de gauche à droite, avec encore plus de ferveur qu'un peu plus tôt.
— Ils ne feraient pas une chose pareille, elle refuse avec un air horrifié.
Ce qu'il envisage serait au-delà de se laisser mourir : ce serait activement chercher à sa faire du mal. Caroline et Robert ne sont pas sous assistance respiratoire. Leurs réflexes sont intacts. Leur corps est encore en vie et autonome. La seule raison pour laquelle ils ne sont pas chez eux c'est que personne de leur famille n'a les compétences pour s'occuper d'eux, mais à part ça, ils sont autant en bonne santé que s'ils étaient simplement endormis.
— Je n'ai pas envie d'y penser non plus ! Et je sais que tu vas me dire que leurs hologrammes ne sont pas fiables, mais tu n'as pas vu Rob ce matin. Son attitude, sa gestuelle… Je le connais bien, Jen. Vraiment bien. Et je ne l'ai jamais vu comme ça, insiste Markus.
Il aurait infiniment préféré pouvoir lui apporter de meilleures nouvelles ce soir. Ou pas de nouvelles du tout. Il aurait bien aimé juste penser à elle, se dire qu'elle lui a manqué, et venir l'attendre sur le pas de sa porte sans raison, pour rien, juste parce que. À la tête qu'elle a tirée quand elle l'a découvert sur les marches, s'il avait fait ça, il se serait indéniablement fait incendier, mais ça aurait tout de même été mieux que ce qu'il lui inflige maintenant. Il préférera toujours qu'on s'en prenne à lui plutôt que d'avoir à s'en prendre à quelqu'un, à quelque degré que ce soit.
— Qu'est-ce que tu veux faire, alors, huh ? Les attirer dans une petite boîte, couper l'alimentation, et l'enfermer dans une cage de Faraday ? On ne peut pas les contenir. Ils n'emmènent pas tout leur signal avec eux partout où ils vont. On risquerait même de les corrompre, si on tente un truc pareil ! elle éclate, furieuse qu'il rende si crédible un risque qu'elle se sent par avance incapable de gérer.
— Er… Je pensais plutôt commencer par surveiller leur chambre d'hôpital, en fait, il propose en guise d'alternative, son ton soudain méfiant.
Il semblerait qu'elle ait déjà songé à des tactiques de mise en quarantaine des deux comateux, et plutôt deux fois qu'une. Il ne s'attendait pas à ça. Mais bien sûr, qu'elle y a déjà pensé. Elle y a d'abord réfléchi pour leur propre protection, pour qu'ils ne se fassent pas remarquer, ou pour limiter leur vulnérabilité aux menaces extérieures. Et comme ils ont rapidement montré qu'ils étaient capables de rester discrets et de se débrouiller, le besoin d'en arriver à des plans pareils ne s'est pas présenté. Mais évidemment, entraînée à se préparer à toutes les éventualités, Jena a aussi envisagé, dans un coin reculé de son esprit, que peut-être la loi de la prudence en place – et contre laquelle ils luttent tous – n'était pas la mauvaise, et qu'un jour sa petite sœur représenterait peut-être un danger dans son état actuel. Elle n'avait pas imaginé qu'elle le serait pour elle-même, ceci dit.
— C'est clair que ce serait d'une grande aide de monter la garde au pied de leur lit. Et comment tu leur expliquerais que tout à coup il va y avoir quelqu'un en permanence à leur chevet, de toute façon ? elle raille pour toute réponse à sa suggestion, réfléchissant à toute allure, les yeux dans le vide.
Elle est toujours moins diplomate lorsqu'elle glisse vers ses déformations professionnelles. Mais c'est en partie son expertise, qu'il est venu chercher, alors il ne lui en tient pas rigueur.
— Les Kampbell ont rejoint l'équipe pour eux. Si quelqu'un peut s'interposer, ce sera sans doute eux, offre Markus.
Anubis a pris contact avec son père parce qu'elle était impressionnée par son travail de mise à nu de DeinoGene auprès des autorités, lors de l'enquête initiale, qui a suivi l'attaque de son laboratoire militaire. Il y a donc indubitablement certaines compétences de Caroline et Robert que la pirate ne possède pas. Mais parallèlement, elle leur a beaucoup appris, et a beaucoup appris d'eux en retour. Et bien qu'il soit arrivé dans la course un peu plus tard, Jazz n'est sans doute pas en reste dans ses compétences. La seule inconnue, dans cette équation, c'est la motivation des deux pirates à ramener les deux fantômes de la machine à eux. Car c'est bien leur situation actuelle qui est intéressante pour le couple. Mais l'étudiant les sait avoir défendu de nombreuses victimes sans recours, il ne voit pas pourquoi ils s'arrêteraient à celles-ci, même si c'est d'elles-mêmes qu'il faut les protéger.
— Ne me dis pas que tu es déjà allé les voir, grogne Jena, ses yeux lançant des éclairs.
— Bien sûr que non ! Tu crois que j'ai envie d'en arriver là ? Je me sens déjà suffisamment mal d'avoir activé mon brouilleur pour pouvoir discuter d'eux dans leur dos, même si je ne leur veux que du bien, alors je ne suis pas près de les faire surveiller à leur insu sans être sûr de mon coup. C'est pour ça que je suis venu te voir toi. J'essaye de me convaincre que je me fais des films. Ou qu'au contraire, je ne m'en fais pas. Je ne sais pas… Et je me suis dit que tu serais la seule personne qui pourrait à peu près comprendre mon dilemme, parce que tu connais Rob, et tu es plus concernée que quiconque, et… J'ai songé à en parler à Sieg et Vlad, en ton absence, mais finalement j'ai changé d'avis.
Il prend son visage dans ses mains, mais malgré le récit un peu décousu de ses états d'âmes dans lequel il est parti, il a réussi à la rassurer, ce qui était l'objectif de sa réponse.
Il pensait pouvoir parler à ses pères de substitution parce que ce sont ceux qui la connaissent le mieux et par conséquent ils pourraient peut-être donner son opinion à sa place. Mais ce n'est pas juste son opinion, dont il avait besoin. Il voulait lui parler à elle, en personne. Il aurait voulu lui parler même si elle n'était pas directement touchée par le problème auquel il pense faire face. Il fut un temps où c'était Rob, vers qui il se tournait en période de doute, mais il a perdu ce monopôle depuis un certain temps. Depuis avant son accident, même.
— Pas vraiment ce que j'avais en tête en souhaitant que vous vous entendiez, mais d'accord, marmonne Jena par rapport à la dernière partie de la tirade qui vient de lui être délivrée, détournant brièvement les yeux.
Elle n'est jamais à l'aise avec l'expression verbale des émotions. Elle avait d'ailleurs prévenu Markus de ce fait au moment de devenir sa petite amie. Elle sait qu'il n'a pas oublié, mais elle est aussi consciente que, parfois, il ne peut pas retenir ce qui s'échappe de lui. Et quelque part, c'est courageux de sa part, de pouvoir se montrer aussi vulnérable. C'est juste qu'elle n'est pas vraiment câblée pour lui rendre la pareille.
— Jen. Rob m'a demandé pourquoi je venais encore le voir à l'hôpital. Il a dit qu'il n'y était plus depuis longtemps et qu'il avait du mal à imaginer y retourner. Dis-moi comment tu le comprends, toi, il reprend, libérant son visage.
— Il n'a pas eu de forme physique depuis mois ! Bien sûr qu'il ne s'y sent plus connecté ! C'est de la nostalgie, c'est tout, elle interprète sans peine les propos rapportés comme beaucoup moins effrayants que Mark ne les a compris.
— C'est ce que j'ai pensé aussi, au début ! Et j'espère que c'était que ça. J'espère que je me trompe. Mais plus j'y repense, plus tout ce qu'il a dit était tendancieux. Et c'est de Rob, dont il s'agit, quelles sont les chances que tout ce qu'il dise ait un double-sens funeste ? Ça ne lui ressemble pas.
L'étudiant n'arrive pas à se laisser convaincre. Son visage se tord à son propre attachement impérieux à son mauvais pressentiment, et il passe ses mains dans ses cheveux puis sur sa nuque, désemparé. Est-ce que c'est comme ça que Caesar se sent en permanence ? Est-ce qu'il a ce nœud au ventre et doit patauger à tâtons dans le noir pour y trouver une origine ? Est-ce qu'il arrive jamais à s'en débarrasser ?
En le voyant se décomposer devant elle, Jena pousse un petit soupir résolu. Même s'il est complètement en train de divaguer, il faut qu'ils soient fixés. Et malgré son premier réflexe à lui d'observer leurs deux proches comateux à leur insu, sa réponse à elle reste la même : il n'y a qu'à la source qu'ils pourront trouver le fin mot de l'histoire.
— Qu'est-ce qui te fait croire que Caroline est dans le même état ? elle interroge, d'un ton presque clinique à présent, totalement passée en mode agent.
— Rien. Je n'ai aucune raison de le penser en particulier. Mais vu qu'ils font tout ensemble, si elle ne partage peut-être pas son humeur, elle est quand même forcément au courant, il répond.
Le fait qu'elle semble enfin prête à faire quelque chose le calme un peu.
— J'ai besoin de lui parler, déclare la jolie brune en face de lui, plus péremptoire qu'émettant un simple souhait.
— Si tu fais ça et que j'ai raison, quel pourcentage de risque il y a pour que ça déclenche quelque chose, à ton avis ? il la met en garde.
Il n'est tout de même pas rassuré à ce point qu'elle prenne l'affaire en main pour lui accorder une confiance aveugle quant à la marche à suivre. Son assurance aide, et il ne pourrait pas faire sans, mais il ne veut en aucun cas lui refiler le fardeau et ne plus y penser. Il faut qu'ils fasse face à ce problème ensemble.
— Je pense surtout que si je l'attaque de front sur ce sujet, elle ne va plus jamais me parler, parce que c'est complètement absurde. Je suis pas stupide, je ne vais pas lui poser la question directement. Je vais juste… tâter le terrain, elle le rabroue.
Elle est prête à l'aider à mettre les choses au clair, mais pas pour autant à accepter qu'il a raison avant d'en avoir le cœur net. Elle reste sur sa réaction initiale, malgré les éléments qu'il lui a apportés.
— J'espère que j'ai tort. J'espère tellement avoir tort, Markus répète encore une fois, dans l'état d'esprit inverse du sien, attendant d'être détrompé.
— Je sais. Moi aussi. Mais on va tirer tout ça au clair. Tu as bien fait de venir m'en parler.
Elle s'efforce de se montrer aussi modérée que possible en dépit sa fatigue et son léger agacement à la simple possibilité qu'il ait effectivement raison. Elle a tenté de le secouer tout à l'heure, et il n'a pas démordu ; reste donc la méthode douce.
— Désolé d'avoir ruiné ta soirée, il s'excuse alors.
Il reconnaît le ton de saturation de son interlocutrice, pour l'avoir atteint plus d'une fois, bien malgré lui, à l'époque où les questions personnelles étaient encore un problème pour elle.
— Je viens de passer 5 heures dans un train de marchandises ; ma soirée n'avait pas super bien commencé, elle le rassure en étouffant un éclat de rire, effectivement fourbue.
— Oh, il laisse simplement échapper.
Il est trop occupé à calculer d'où dans le continent elle pourrait revenir qui nécessiterait un aussi long trajet pour former une réponse plus cohérente pour formuler une phrase plus longue. Elle profite alors de sa stupeur pour prendre congé, rentrant enfin chez elle.
— Bonne nuit, Markus. Je te tiens au courant, t'en fais pas.
Il la regarde fermer la porte derrière elle avec un simple hochement de tête en guise d'au revoir. Cette fille, vraiment ! C'est un petit mélange de tout dans un seul empaquetage. Il n'est jamais au bout de ses surprises, avec elle. En l'espace de quelques instants, elle est capable de l'embarrasser, le faire rire, l'inquiéter, l'attendrir, l'étonner, l'impressionner, lui faire peur, … Parfois, il est même partagé entre plusieurs de ces émotions pourtant pour la plupart contradictoires. Il ne sait jamais sur quel pied danser. Tout ce dont il est sûr, c'est qu'il en a envie même sans connaître les pas. S'il y a bien une seule de ces décisions d'aujourd'hui qu'il ne remet absolument pas en question, c'est celle de s'être tourné vers elle.
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