2x10 - Au ralenti (15/19) - La gâteau tombe par terre

En fin d'après-midi, Fred est dans les vestiaires du gymnase du commissariat. La tête farcie par leur recherche de points communs entre leurs deux victimes ou ne serait-ce que leurs scènes de crime, et redoutant particulièrement le moment fatidique où il faudra se résigner à lire l'œuvre de Mrs. Galwater, elle et son partenaire ont choisi de ne pas faire brûler la chandelle aujourd'hui. Il est parti faire un tour, et elle a tenté de faire de l'exercice, ne se sentant pas d'humeur à s'entraîner au tir. Après un dernier coup de serviette éponge dans sa courte chevelure décolorée, elle échange l'accessoire de toilette avec son dernier ustensile policier qu'elle n'avait pas encore récupéré de son casier, puis referme la porte métallique, avant de quitter la pièce.

— Toi ! elle s'exclame alors en tombant nez à nez avec la dernière personne qu'elle s'attendait à voir, où que ce soit et tout particulièrement dans ce couloir.

Elle porte sa main à son pistolet, mais se retient à la dernière seconde de le sortir de son étui. En face d'elle, adossé au mur et les mains dans les poches, Jazz suit son geste des yeux avant de ramener lentement son regard au sien. Il place ensuite le bout de ses doigts sur son sternum et ouvre sa bouche en O, l'air profondément outré :

— Vraiment ? Maintenant que tu as une arme, je n'ai même pas l'honneur que tu la pointes sur moi ? il se vexe ouvertement, écartant les bras à présent, dans une imitation parfaite d'une diva.

Fred serre les mâchoires à s'en faire grincer les dents et les poings à s'en faire blanchir les phalanges. Elle a l'impression de bouillir intérieurement. Toute la relaxation procurée par sa séance de sport est instantanément perdue. Elle ne croit pas avoir déjà été autant en colère de toute sa vie, et pourtant elle est déjà rentrée dans des rages pas possibles. Du coin de l'œil, elle se rend bien compte que personne n'est à proximité, pas même à portée de voix. Et elle n'a pas besoin de connaître l'emplacement des caméras de surveillance pour savoir que soit ils se trouvent dans un angle mort, soit il a déjà couvert ses arrières et n'apparaîtra jamais sur les enregistrements.

— Je ne suis pas supposée la dégainer sans me sentir menacée. Et il est hors de question que tu me files entre les doigts sur un détail technique, elle parvient à prononcer, le foudroyant toujours du regard.

Jasper ne se laisse nullement impressionner par cette petite boule de fureur en contrebas. Il se sent comme un Grand Danois face à un Chihuahua. Il pensait déjà que sa différence de taille avec Ann était adorable, mais là, c'est un autre niveau encore. Elle est littéralement tremblante. Il serait à peine surpris si de la fumée se mettant à sortir de ses oreilles. Il lutte tout de même pour ne pas sourire, histoire de ne pas la mettre d'en d'encore plus mauvaises dispositions qu'elle n'est déjà. Il n'est pas venu pour l'embêter, après tout.

— D'accord. J'en déduis que tu penses toujours que je suis le grand méchant loup. Mon bon conseil ne t'a pas convaincue de mes bonnes intentions, alors… Je ne suis pas suffisamment naïf pour penser que je serai un jour dans tes bonnes grâces, donc je ne peux pas dire que ça me surprenne. Mais c'est vrai qu'un peu d'indulgence aurait été sympa, il poursuit sur sa lancée blessée, bien qu'en laissant tomber les minauderies.

Il conçoit que sur le coup elle ait remis en question ses dires. Il ne s'attendait pas à moins de sa part, et la laisser trop perplexe pour agir était sa stratégie première. Qu'elle choisisse de l'écouter aurait été un plus, mais il ne se faisait pas trop d'illusions. Qu'elle ne soit pas immédiatement allée à l'encontre de sa demande est déjà une petite victoire, pour lui.

— D'où est-ce que tu connais O'Michaels ? elle l'interroge, ignorant complètement sa tirade.

À cette question, Jazz croise les bras et hausse un sourcil. Il ne s'y attendait pas, à celle-là.

— Nulle part. Je ne le connais pas, il répond platement.

Il ne ment même pas. Il ne s'est jamais trouvé dans la même pièce que le tueur en série. On ne lui a d'ailleurs communiqué aucun détail quant aux raisons de sa coopération. Il présume qu'il a renié les laboratoires qui l'ont formé avant de se lancer dans sa croisade meurtrière, et que lorsque l'un d'entre eux a capturé la nièce de l'un des inspecteurs à sa poursuite, il y a vu l'occasion de sa racheter pour avoir mis son coéquipier à l'hôpital. Ça n'explique pas comment il a réussi à faire accepter son aide à la famille Quanto, mais le pirate sait que ça ne le regarde pas. Chacun ses affaires, et son périmètre d'intervention est entièrement parallèle à celui du psychopathe.

— Le nom t'est familier, pourtant, sa sœur se permet de lui faire remarquer, narquoise.

— Oui. Parce que je suis tombé dessus en fouillant dans vos dossiers. Et puis, son arrestation a fait du bruit. Je lis, tu sais ! il justifie en s'offusquant de plus belle.

— À d'autres ! Si tu ne le connais pas du tout, pourquoi est-ce que tu t'es donné tant de mal pour protéger l'enquête qui a permis de le coincer, huh ?

Elle se dit qu'un fois l'origine de sa question mise en lumière, peut-être qu'il se rendra compte qu'il ne peut pas se débiner. S'il a pris contact après tout ce temps, il avait forcément une excellente raison. Et si elle n'a pas réussi à la trouver avant la conclusion de l'enquête sur l'enlèvement de la nièce de Quanto, elle a l'impression d'y voir un peu plus clair depuis que la gamine a été retrouvée. Ou en tous cas, d'avoir de nouveaux angles d'attaque à considérer. Elle comprend maintenant que garder le silence sur le lien qu'elle avait trouvé était la bonne chose à faire pour ne pas mettre à mal tous les efforts de discrétion du maître-chien dans son approche d'un criminel qu'il savait très bien informé. Par conséquent, la motivation du pirate en face d'elle de lui faire cette demande est forcément celle-ci. Mais pourquoi ? Qu'est-ce qu'il gagne à ce que Kayle O'Michaels soit enfin hors d'état de nuire ?

— Pfff. Rien à voir. Ce n'était pas cette partie de l'enquête que je cherchais à préserver, s'esclaffe Jazz, amusé qu'elle ait pu penser ça.

Il n'a à nouveau même pas besoin de faire appel à ses talents de bluff. Quand il est venu à la rencontre de Fred pour la première fois, il n'était pas encore question de faire porter le chapeau à Kayle. Ce qu'il cherchait à protéger à ce moment-là, c'était la gamine. Si son enlèvement avait été lié à DeinoGene avant qu'elle ne soit retrouvée, elle n'aurait jamais été à l'abri des soupçons d'avoir été retenue dans le laboratoire. Et il sait ce qui arrive aux gens qui sont passés dans un endroit pareil avec l'étiquette de patient. Il était donc impératif pour sa protection que son endroit de détention soit d'abord confirmé comme disons civil avant que la connexion entre son kidnappeur et une quelconque organisation scientifique renégate ne soit établie.

— La gamine, alors ? Tu pensais qu'attirer l'attention sur le labo mettrait la puce à l'oreille de son kidnappeur, et empêcherait qu'elle soit récupérée ? propose Fred comme deuxième hypothèse, croisant les bras à son tour.

Elle aurait bien aimé pouvoir accuser son jumeau d'avoir simplement voulu la faire tourner en bourrique, mais il a l'air de confirmer qu'il avait bien un dessein caché en lui demandant de ne pas enregistrer sa trouvaille. Ceci étant dit, même si elle refuse de lui prêter de bonnes intentions, elle n'est pas entièrement satisfaite par cette nouvelle théorie, car elle trouve quand même que, de la part d'un manipulateur comme lui, un objectif aussi simple paraît presque décevant.

— Hm. Ça aurait pu être mon souci, c'est vrai. Et si j'étais vraiment le scélérat que tu penses que je suis, je prendrais sûrement le crédit. Mais non, c'était pas ça, la détrompe Jazz une seconde fois.

Ça y est, il peut enfin mentir. Pas trop tôt ! Il aurait pu lui laisser croire que c'était effectivement l'innocente Mae Quanto qu'il défendait par sa démarche, mais curieusement, il est plus à l'aise avec les contre-vérités que les demi-vérités. Il ne voulait en effet pas qu'il y ait de doute sur là où la petite s'est trouvée, mais admettre cette intention ferait forcément penser à son interlocutrice que, justement, elle a des raisons de remettre ce point en question. Aussi grave puisse en être les conséquences, pourquoi se donner tant de mal pour éviter une simple supposition, si elle est censée être infondée de toute manière ? Ce n'est vraiment pas le moment de la faire revenir sur les aveux de Kayle.

Afin d'aller dans le sens de ce que Fred et la copine du frère Quanto avaient déjà découvert chacune de leur côté, le lien entre le tueur en série et DeinoGene a dû être officialisé lors de ses aveux. Ils n'ont pas eu le choix sur ce point. Néanmoins, l'idée que Mae ait pu être retenue par DG à un moment donné a été soigneusement écrasée dans l'œuf par celui qui a justement été arrêté pour l'avoir enlevée en premier lieu, lorsqu'il a attesté des endroits où il l'a cachée. Aucun n'était un laboratoire, et il a suffisamment clamé s'être mis à tuer spécifiquement parce qu'il ne pensait pas que la recherche pouvait aider l'espèce humaine pour que personne ne remette sa parole en cause. Et ce serait tout de même bête que son succès tombe à l'eau aujourd'hui, par une simple maladresse de formulation.

— Il était où, ton intérêt, alors, gros malin ? Parce qu'il n'y a pas d'autre aspect à cette affaire, s'agace Fred, à court d'idée.

Avoir croisé les bras lui permet de se contenir, mais elle n'est pas encore calmée d'avoir son Némésis sous les yeux pour autant. Et surtout, elle rage de ne toujours pas réussir à lui extirper de réponse à ses questions.

— Sérieusement ? Tu suis ma carrière depuis genre 10 ans, et ça ne te paraît pas évident que je veuille faire tomber un réseau d'expérimentation illicite ? Surtout un qui a déjà survécu à un premier démantèlement ? C'est l'enquête du DHS, que je voulais protéger. S'ils avaient eu vent d'une potentielle connexion avec un bête enlèvement, ça aurait pu tout dérailler. Et quand des endroits pareils perdurent, des gens meurent, expose le pirate avec une certaine exaspération, faisant rouler ses yeux dans leur orbite.

Bien que pas son objectif initial, la chute de Deinogene a été un gros plus pour lui. Les dimensions de l'organisation la lui auraient rendue intouchable, en temps normal. S'associer à des gens du terrains n'est usuellement pas sa préférence, mais en ce moment, ça porte ses fruits.

Sa sœur fait rouler ses yeux dans leur orbite et pas du tout convaincue :

— Comme si ça t'importait vraiment. Tu n'es qu'un… elle commence, en le désignant d'un geste vertical, jusqu'à ce qu'il la coupe.

— Si tu dis "criminel", je vais littéralement te vomir dessus, il la met en garde avant qu'elle ne puisse finir sa phrase.

Il lève un index pour souligner à quel point il n'utilise pas cet adverbe à la légère, aussi invraisemblable cela puisse paraître.

— Peu importe. Comment est-ce que tu as seulement su que tout était lié en premier lieu, si la Sécurité Intérieure n'était pas au courant et que c'était leurs arrières que tu couvrais ? elle proteste à son explication, le visage fermé.

— J'ai des yeux partout. Même là où Homeland non. Quanto et Randers avaient l'info, donc moi aussi, il contrecarre aisément ses objections, avec un haussement d'épaules hautain.

Avec un soupir de saturation, Fred lâche l'affaire :

— Pfff… Je sais même pas pourquoi je te pose des questions quand je sais que je ne peux pas me fier à quoi que ce soit qui sort de ta bouche. Qu'est-ce que tu fais ici ? Qu'est-ce que tu veux ?

Elle n'accepte pas sa réponse, mais elle est bien incapable d'y trouver une répartie valable dans l'immédiat. Et puis, ça commence à faire un certain temps qu'ils sont postés à la sortie des vestiaires, alors il faudrait peut-être en finir avec ce rendez-vous clandestin qu'il lui impose. Comment est-ce que personne n'est encore passé par ici ? Pas moyen qu'il puisse prévoir la circulation dans un commissariat. Pas moyen. Pas plus qu'il n'a pu arriver jusque-là où il est sans que personne ne le voie. La personne à l'accueil l'a forcément aperçu. Et être physionomiste est un prérequis, pour être affecté à ce poste.

— Er… Allô, la Terre ? Hier était notre anniversaire. Je me suis dit que, maintenant qu'on s'est rencontrés, ce serait la moindre des choses de venir te le souhaiter en personne, il lui offre la raison de sa visite, sur le ton de l'évidence.

Il n'est pas venu le jour-même parce qu'il était occupé à fêter ça avec sa chère et tendre, et ne voulait pas déclencher un esclandre avec elle. (Comme il n'a pas manqué de le faire ce matin, d'ailleurs, mais ça, c'est un autre incendie qu'il gérera plus tard.) Il s'est aussi dit que ça laissait à sa frangine l'occasion de célébrer l'évènement de son côté, même s'il sait très bien qu'elle ne fait jamais rien de spécial ce jour-là depuis le décès de ses mères adoptives, fidèle à son tempérament peu sociable.

— Bien essayé, mais mon anniversaire est dans 15 jours, Fred ment alors sans même marquer de pause.

C'est bien simple, elle est prête à tout pour lui donner tort et lui ôter cette ombre de sourire victorieux des lèvres.

— Ah. Tes mères te le faisaient systématiquement fêter avec 2 semaines d'avance, alors ? il s'étonne.

Il n'est pas dupe une seule seconde. Il a un œil sur sa vie depuis des années. Elle le sait, en plus. Comment a-t-elle pu s'imaginer une seconde qu'elle arriverait à le tromper que quelque chose d'aussi gros ?

— Tu n'es qu'un pervers, elle crache.

L'idée qu'il l'a épiée tout ce temps la fait frissonner.

— Ne me dis pas que tu n'as jamais remarqué mes cadeaux… il lui soumet alors.

Il fait bien sûr référence à toutes les affaires qu'elle a débloquées à cette date au cours de sa carrière, grâce à de jolis petits colis de pièces à convictions confectionnés par ses soins. Elle ne peut pas avoir manqué ça.

— Tu appelles ça des cadeaux ? Je pensais que tu me narguais, elle proteste à cette description de son ingérence annuelle dans ses enquêtes.

Elle a toujours plutôt eu l'impression qu'un chat errant la prenait pour sa maîtresse malgré elle et lui laissait des carcasses sur son paillasson. Ou bien qu'un psychopathe était obsédé par elle et lui partageait ses trophées morbides pour lui faire la cour. Oui, c'est une meilleure métaphore. Les chatons, c'est mignon, au moins.

— Je peux comprendre pourquoi tu le prendrais de cette façon, admet Jazz à contrecœur.

Il baisse les yeux sur le sol pour prendre sur lui. Une telle ingratitude… Il y a des gens qui lui ont envoyé du bétail vivant pour ses services. Certains sont allés jusqu'à lui offrir leur fille en mariage. (Il n'a jamais accepté qu'une poule, une fois, et c'était parce que Gertrude avait vraiment un beau plumage. Il a été très triste quand elle est morte, et il a toujours une photo d'elle.) Il y a des enquêteurs qui l'ont supplié pour un indice. Fred a même un jour eu un rival qui a remarqué qu'elle recevait un traitement de faveur de sa part et a tenté de se faire passer pour elle auprès de lui. Comme ça n'a évidemment pas fonctionné, il a ensuite voulu se retourner contre elle, et ça aurait pu mal se terminer, si Jazz n'avait pas trouvé de quoi le distraire. Et accessoirement le faire muter en Alaska. Comment est-elle si aveugle à tout ce qu'il fait de bien ? Pire, comment arrive-t-elle a toujours interpréter ça comme quelque chose de mal ?

— Est-ce que cette année ton cadeau c'est de te rendre ? Parce que ça, ça pourrait peut-être me faire plaisir, pour une fois, elle tente, le sentant presque vulnérable.

— Tu veux dire que d'habitude mes cadeaux ne te font pas plaisir ? il relève, en même temps que le menton et la voix.

Non, il n'est pas capable de plus d'abnégation que ce bref élan juste avant. Il ne voulait même pas la coacher, à la base, juste entrer en contact. C'est sa faute, si tout a escaladé comme ça, et maintenant elle ne veut même pas reconnaître le mérite là où il est dû ? Elle ne lui demande pas de l'apprécier, mais au moins de l'estimer à sa juste valeur.

— Par principe, j'évite d'être reconnaissante envers les… voyous, elle se justifie simplement, en faisant attention à ne pas utiliser le terme "criminel", au cas où il aurait été sérieux un peu plus tôt.

— Encore ça ! Tu n'aurais jamais attrapé un seul de ces types sans mon aide, il s'enflamme, excédé par son attitude de Saint Nitouche.

— On ne saura jamais, maintenant ! elle réplique, haussant d'un ton à son tour.

Que personne ne soit alerté par leurs éclats de voix est un miracle. Il y a toujours quelqu'un dans les parages, à cette heure-ci. Ils ne sont pas très loin des salles d'interrogatoire, et il y a bien quelqu'un qui va aller au ou sortir du gymnase !

— C'est ça, ton problème ? À moins que les limites que tu acceptes de franchir aient soudain bougé, je crois qu'on est tous les deux fixés sur cette question, il raille.

Anubis lui a déjà soufflé beaucoup trop d'arguments pour critiquer sa sœur pour qu'il se retrouve à court de sitôt. Il les rejette, habituellement, mais en l'occurrence, ils lui rendent bien service.

— D'accord. Donc, si je comprends bien, mon cadeau, cette année, c'est juste de voir ta tronche et que tu te payes la mienne ? résume Fred.

Elle n'arrive honnêtement pas à comprendre comment il croit encore pouvoir établir une relation avec elle. En admettant qu'elle accepte qu'ils sont effectivement frère et sœur, même sans amener la question de jumeaux sur le tapis, ça ne change pas leur passé. Pas plus que leur présent, d'ailleurs, parce que ni lui ni elle n'a l'intention de changer de voie. Qu'est-ce qu'il espère donc accomplir en entrant en contact avec elle maintenant ? Ce n'est même pas comme s'il faisait des efforts particuliers pour la convaincre de sa bonne foi, en plus.

— Oh. Parce que couvrir tes arrières n'est pas suffisant ? Jazz lui jette au visage.

Dans son énervement, il perd momentanément la notion de ce qu'il est prudent de lui laisser entendre.

— Tu viens juste de me dire que ce n'était pas ton intention première, elle lui rappelle, pensant naturellement qu'il fait allusion à l'affaire O'Michaels.

— Parce que ça n'est arrivé qu'une fois, évidemment… il pouffe, d'un ton ostentatoirement sarcastique.

— Quand est-ce que tu aurais eu besoin de soi-disant surveiller mes arrières avant ça ? elle ne manque pas de relever, attentive aux détails.

À vrai dire, elle est tellement plongée dans la conversation à présent qu'elle ne remarque pas un officier en uniforme enfin passer au bout du couloir. Ce dernier jette un bref coup d'œil dans leur direction en entendant des voix, mais n'estime pas qu'il y ait de problème malgré les attitudes hostiles des deux interlocuteurs. L'inspecteur Insley sait se défendre. Et même s'il la dépasse de 20 centimètres, celui à qui elle s'adresse n'a pas l'air bien dangereux. Aussi, du peu de son caractère qui est revenu aux oreilles du policier, il ne pense pas qu'il soit nécessaire d'être un malfrat pour s'attirer les foudres de l'inspectrice, donc sa posture conflictuelle n'est aucunement une indication de quoi que ce soit d'anormal.

— C'est grâce à moi que tu es là, pour commencer, laisse échapper le pirate.

Toutes ces années à agir dans l'ombre sont en train de remonter à la surface, à cause de la flagrante indifférence de celle en la faveur de qui il a œuvré. Qu'est-ce qu'il doit faire pour qu'elle soit enfin satisfaite ? Et puis, quand est-ce qu'il s'est retrouvé garant de son bonheur, de toute façon ? Tout ce qu'il a jamais essayé de faire, c'est être sympa avec elle, lui faire plaisir, avoir de petites attentions, être un frère, voilà tout. Il n'a jamais rien demandé en échange. Et pourtant, elle n'a jamais bien pris quoi que ce soit venant de lui.

— Qu'est-ce que tu insinues ? elle lui demande de préciser cette déclaration qu'elle ne comprend pas.

La voir ainsi déroutée a au moins l'avantage de le ramener à la raison, juste à temps pour qu'il ne lui avoue pas quelque chose qu'il pourrait regretter. Elle lui en veut déjà suffisamment de l'influence qu'il a eu sur sa vie sans le faire exprès pour qu'il apporte de l'eau à son moulin en confessant l'impact qu'il a intentionnellement eu.

— Façon de parler… Tu as dit toi-même que c'est à cause de moi que tu es devenue flic. Je te dirais bien de me faire un procès, mais je doute que ce soit nécessaire, il noie le poisson, redescendant dans les tours comme dans les tons.

— Tu sais quoi ? Je n'ai pas besoin de te tenir en joue pour t'arrêter. C'est quoi, ton plan d'évasion, cette fois ? elle le met alors au défi.

En voyant qu'il a été capable de reprendre ses esprits, elle y parvient elle aussi. En dépit d'à quel point ils le nieraient tous les deux, les jumeaux ont non seulement certains traits de caractère en commun, mais aussi et surtout une alchimie palpable. Ils savent instinctivement comment se taper sur le système, et une fois face à face, pour toutes leurs différences physiques évidentes, ils agissent comme en miroir. Ils croisent et décroisent les bras presque en cadence, ce qui pourrait être observé chez deux interlocuteurs quelconque, mais au-delà de ça, ils se reflètent dans les humeurs de l'autre. Ils invoqueraient sans doute le fait de ne pas avoir grandi ensemble pour que ces observations ne soient pas pertinentes, sans se rendre compte qu'ils ont tout de même partagé à distance bon nombre de leurs années formatrices.

— Ça va te plaire : sortir comme je suis entré, tranquillement par la porte d'entrée, il expose sa solution, narquois.

Son sourire ne peut se lire que dans ses yeux. Il n'a la plupart du temps que des sourire discrets aux lèvres, et il n'est de toute façon pas d'humeur en le cas présent.

— Tu n'oserais pas, murmure Fred, bouche bée, choquée par son audace.

— J'ai été frappé récemment pas le fait que, tant que tu n'as pas révélé notre ascendance commune, me mettre en état d'arrestation n'est sans doute pas ce qu'il y a de mieux pour toi. Alors, apprécie la vue, il n'hésite pas à la provoquer, avant de se détourner déjà.

— Ça va venir. Je vais tout balancer. Je te ferai tomber même si ça me coûte mon badge, elle lui lance.

Le manque de d'assurance dans sa voix souligne cependant à quel point elle est plutôt en train de se convaincre elle-même que de lui faire une promesse.

— Pourquoi ce n'est pas déjà fait, alors ? il lui fait remarquer, juste avant de disparaître au détour du couloir.

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