2x10 - Au ralenti (9/19) - Promenade
Andy et Uriel marchent côte à côte, le long du Lac Michigan. L'infirmier meurt d'envie de tenir la jolie blonde par la main, mais il sait à quel point elle détesterait ça. C'est souvent tout ou rien, avec elle. Collés serrés ou à distance respectable, se voir tous les jours ou ne pas donner de nouvelles pendant un mois, face à face ou silence radio ; elle ne connaît pas de juste milieu. Elle est extrême dans ses actions comme ses opinions, et il ne peut pas dire qu'elle lui a un jour donné une raison de s'attendre à quoi que ce soit d'autre de sa part. Alors, au lieu de céder à son envie, ou en tous cas pour éviter d'y penser, il l'admire en souriant bêtement.
Andy est belle. Le dire est en-dessous de la vérité : elle est parfaite. Elle ne le serait sans doute pas tant même si elle était littéralement tout droit sortie d'un magazine. Son profil, sa peau, ses lèvres, ses cheveux, ses yeux… Tant de détails dans chacun desquels il pourrait se perdre des heures. Certains dans la contemplation desquels il s'est effectivement perdu de longs moments. Et pourtant, elle arrive à rester discrète, à ne retenir l'attention que de qui dont elle veut la capter. Sa façon de bouger, de s'exprimer… Elle est irrésistible, comme taillée sur mesure. Le seul souci, c'est qu'il n'est pas encore fixé quant au fait qu'elle n'a pas été envoyée sur cette Terre spécifiquement pour le tourmenter.
— Tu n'aimes pas les promenades, pas vrai ? il finit par demander après un moment.
Il s'arrête, et vient s'accouder à la barrière qui les séparent de la plage de sable grossier qui borde le lac.
— Pourquoi tu dis ça ? s'étonne Andy.
Elle l'imite, et vient elle aussi prendre appui sur la rambarde, quoique d'un seul bras, afin d'être tournée vers lui. Avec le léger vent qui souffle, elle doit faire un geste pour empêcher sa chevelure d'or de barrer son visage, ce qui manque de faire perdre le fil de sa pensée à l'infirmier.
— Parce que tu as toujours l'air un peu… en colère, quand on se promène, il s'explique malgré tout, se forçant à regarder l'horizon.
Pour tous les talents de la jeune femme pour dissimuler ce qui peut bien être en train de lui passer par la tête, il commence à reconnaître certains indicateurs de ses humeurs. Il faut dire aussi qu'elle n'en a pas 36. Elle peut être joueuse – ce qui est souvent mauvais signe pour ses chemises –, attentive – ce qui est à la fois déconcertant et agréable –, ou bien contrariée – ce qui est à la fois négatif et curieusement le plus facile à gérer.
— J'apprécie que tu apprécies, se défend Andy, bien que sans contredire l'accusation tout à fait.
Il sourit à cette proclamation d'affection candide, mais ne se laisse pas distraire pour autant. Elle est la femme à la fois la plus fascinante et la plus mystérieuse qu'il connaisse, et il ne se lasse pas d'essayer d'en apprendre plus à son sujet. Le seul problème, c'est l'extrême difficulté de la tâche ; les ouvertures sont rares. Alors, quand il pense en avoir une, comme maintenant, il essaye de ne pas lâcher.
— C'est gentil, mais je ne suis pas convaincu que ce soit une approche saine à une activité partagée. Pourquoi est-ce que tu n'aimes pas ça ? Je sais déjà que ce n'est ni l'air frais ni l'exercice… il cherche à gratter un peu, éliminant des possibilités en espérant qu'elle l'interrompra en lui donnant la bonne.
— Ce sont les arbres, elle déclare alors simplement, sans le couper mais avant qu'il ait pu reprendre sa liste.
Elle se dit qu'elle n'a en fin de compte pas de raison particulière de devoir cacher ce ressentiment. Il y a tellement de choses qu'elle ne peut pas dire à Uriel, mais celle-ci ne devrait avoir aucune implication.
— Les arbres ? il répète, abasourdi, sourcils levés.
— Je n'aime pas les arbres, elle élabore par le strict minimum, avec un haussement des épaules, comme si ce n'était pas important.
— Qui n'aime pas les arbres ? il se permet de lui demander.
Il n'a lui aussi plus qu'un coude sur la rambarde, maintenant, pour pouvoir lui faire convenablement face. Il ne sait pas à quelle réponse il s'attendait, mais celle-ci n'était certainement pas dans ce qu'il envisageait comme le champ des possibles.
— Moi, elle répond en toute logique.
Elle ne comprend pas pourquoi il a posé cette question alors qu'il avait de toute évidence déjà la réponse puisqu'elle vient juste de le dire, mais elle a appris par Strauss que les Terriens ont parfois besoin de répétition pour assimiler les informations. Alors, elle s'y astreint en général au moins une fois, avant de se plaindre de devoir le faire.
— D'accord, mais pourquoi ? insiste l'infirmier en riant.
Sa façon de parfois prendre les choses au premier degré est décidément tout aussi amusante que déstabilisante.
— Ils sont statiques. Presque passifs. Sans défense, elle décrit les végétaux, dont le fonctionnement l'a toujours laissée circonspecte.
Elle comprend qu'ils sont essentiels à l'écosystème terrien, mais en tant que forme de vie, elle les trouve dénués d'intérêt. Ils sont lents, soumis à leur environnement, vulnérables. Ils pourraient aussi bien être inertes, minéraux, et fournir plus ou moins le même service. L'organisation terrienne est souvent bien inefficace, selon elle.
— Donc… pour toi… les arbres sont… faibles ? paraphrase Uriel avec toujours autant d'incrédulité.
— Quelle importance pourquoi je ne les aime pas ? Ou que je ne les aime pas tout court ? Je ne leur souhaite pas de mal, s'agace Andy.
Elle n'a aucun goût pour le débat. Une fois les opinions partagées, quel intérêt de continuer à en parler ? Changer d'avis signifie s'être trompé ou céder. Et elle ne se trompe pas. Et elle cède encore moins.
— Qu'est-ce que tu aimes bien, alors ? il change d'approche, puisqu'il ne voulait pas du tout l'attaquer.
Si elle se braque, un seul faux-pas de plus conduit à son départ, et il ne voudrait pas en arriver là. Aussi déconcertante cette conversation soit-elle, il pourrait rester ici avec elle des heures.
— Toi, répond Andy presque sans marquer de pause, comme si ça coulait de source.
Il baisse les yeux et rougit légèrement. Il aurait pu s'y attendre, à celle-ci. S'il y a bien une chose sur laquelle elle a toujours été franche-tireuse, c'est l'affection qu'elle lui porte. Même si elle a parfois de drôles de façon de le montrer, elle ne mâche jamais ses mots sur ce sujet.
— Qu'est-ce que tu fais quand je ne suis pas là ? il lui demande, utilisant une nouvelle fois le lac au loin pour ne pas se laisser déstabiliser.
— Mon travail, elle répond à nouveau sans hésitation.
— Et quand tu ne travailles pas ? il persévère.
Il ramène son regard au sien, au cas où ses yeux pourraient lui en dire plus que ses paroles. C'est rarement le cas, mais il n'a pas d'autre idée.
— Je travaille tout le temps, elle déclare, ne comprenant pas la question.
— Tu es une femme bien complexe, Mandy Lespers, il déclame doucement.
Il est à deux doigts d'abandonner à nouveau l'idée d'en apprendre plus sur elle, comme à chaque fois. Peut-être qu'elle est une énigme qui ne doit pas être résolue, l'un de ces miracles qui se passent d'explication.
— J'ai pourtant l'impression du contraire, elle grommelle en ce qui la concerne.
Si elle ne connaissait pas les intentions de l'infirmier, elle pourrait presque s'agacer à nouveau. Qu'il n'y ait que deux choses qui lui importent ne lui paraît pas représenter une bien grande complexité. Et puis, c'est tout de même culotté de la part d'un Terrien de lui dire ça ! Il y a tant de mécanismes inutiles, purement superflus dans le fonctionnement des Humains ! Ils dépensent tant d'énergie pour rien, et sont souvent bien incapables d'optimiser les efforts qu'ils investissent. Ils ont un éventail d'émotions beaucoup trop large pour des créatures pratiquement inaptes à toutes les gérer de front. Ils se dispersent sans cesse dans mille directions alors qu'ils n'ont pas réellement la possibilité d'en tenir plus d'une à la fois. La seule raison pour laquelle il la trouve compliquée, c'est sans doute parce qu'il l'est lui, voilà tout.
— Est-ce qu'on peut passer un marché ? il lui propose alors, voyant bien qu'elle va lui filer entre les doigts s'il ne rattrape pas le tir rapidement.
— Un marché ? elle relève, intriguée.
— Oui, un accord. La prochaine activité qu'on pratiquera ensemble, ce sera toi qui la choisiras. J'aimerais vraiment beaucoup que tu m'emmènes faire quelque chose que toi tu aimes faire. Fais-moi découvrir ton monde, il étoffe son idée, d'un ton plus téméraire qu'il ne se sent réellement.
Sur un malentendu, peut-être que la mettre au défi saura la faire coopérer. Ça vaut la peine d'essayer.
— Ça pourrait devenir… dangereux, elle souligne après avoir considéré la suggestion un instant.
Tout ce qu'elle a jamais apprécié faire au cours de toutes ses visites sur cette planète, en dehors de ce qu'ils ont déjà fait ensemble, implique de la violence sous une forme ou une autre. Et elle n'en est pas sûre, mais elle pense que certaines des activités auxquelles elle songe sont même devenues illégales depuis. Non pas qu'elle aurait pu l'emmener à la chasse aux chasseurs de sorcières de toute manière ; ça fait des lustres qu'il n'y a plus de chasseurs de sorcières.
— J'ai toute confiance en tes capacités pour me protéger, il rétorque en souriant, s'imaginant simplement qu'elle envisage des sports extrêmes.
— Tu apprécies tellement ma compagnie que tu serais prêt à te mettre en péril ? elle l'interroge, rendue perplexe par cette proclamation de sécurité de sa part.
Elle le connaît plutôt comme prudent voire presque peureux. Il est d'ailleurs étonnant qu'il soit si excellent en temps de crise alors qu'il lui faut plusieurs minutes pour se remettre de quelqu'un qui aurait surgit pour le surprendre. Elle le sait de source sûre, puisqu'elle le lui a déjà fait subir plusieurs fois par mégarde.
— Tu apprécies tellement la mienne que tu supportes les arbres, je peux bien faire un effort, il se défend à nouveau, usant d'un trait d'humour pour dissimuler qu'il est un peu vexé qu'elle puisse le croire à ce point timoré.
C'est pourtant légitime de sa part, il doit le reconnaître. Il n'a pas exactement déjà fait preuve d'un courage particulier devant elle. Mais tout de même, le peu d'ego qu'il a en prend un coup. Raison de plus pour lui d'insister sur son idée, donc.
— Je ne peux pas en être certaine, mais j'ai comme l'impression que tu te moques de moi, elle lui soumet son interprétation de sa réponse, les yeux plissés par la suspicion.
Ce n'est pas souvent qu'elle arrive à lire entre les lignes. Il faut dire aussi qu'elle ne s'y efforce pas beaucoup non plus. Elle apprend deux trois petites choses intéressantes, à son contact.
— Moi ? Jamais, il ose plaider l'innocence, ne serait-ce qu'une seconde.
Rendu intrépide par son propre élan d'espièglerie, et incapable de garder un air sérieux plus longtemps de toute manière, il se penche pour l'embrasser. Il voit le fait qu'elle n'ait pas de suite dit non à sa proposition comme au moins un "peut-être". Et c'est plutôt encourageant, venant d'elle. Il y a des gens pour qui cet adverbe signifie toujours non, et d'autres pour qui il signifie toujours oui, mais en son expérience, pour Andy, il représente véritablement une chance équitable pour chaque alternative. Alors il reste optimiste. Il n'a rien à perdre et tout à gagner.
Elle le laisse s'approcher et passe sa main derrière sa nuque lorsque leurs lèvres se rencontrent, appréciant comme toujours le frisson que son contact provoque chez lui. Il est si facile à déstabiliser, c'est adorable. La plupart des Humains sont aisément distraits, leur attention rapidement captée. La preuve aux promeneurs qui ne peuvent se retenir de leur jeter un regard attendri en passant à côté d'eux. Uriel ne fait pas exception à son espèce sur ce point, mais ce n'est pas un problème. Tout n'est pas à jeter, chez les autochtones de cette planète. Et il a largement assez de caractéristiques distinctives par ailleurs pour amplement mériter tout l'intérêt qu'elle lui porte.
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