2x10 - Au ralenti (2/19) - Tête chercheuse

Jack attend Caesar au coin de la rue, sur son chemin vers leur lycée. Adossé à une grille de fer forgé, une jambe ramenée sous lui et les mains dans les poches de son blouson, son sourire en coin s'élargit lorsque son camarade fait enfin son apparition. Puisqu'il aime à se penser parfaitement indépendant et auto-suffisant, le fait que ça lui ait manqué l'agace un peu, mais il est tout de même absolument comblé que leur routine reprenne. Avec la façon dont il a soulevé ciel et terre pour le grand brun en son absence, il serait bien hypocrite de sa part de cacher sa joie à son retour. Pour tous ses talents de menteur, personne n'y croirait. Tout n'est peut-être pas exactement encore aussi rose qu'il le souhaiterait entre eux, mais en attendant que ça vienne, autant se focaliser sur le positif.

— Prêt à replonger ? il accueille son camarade, tout en se détachant de son appui.

— J'ai que 5 jours à tirer ; je pense que ça va aller, répond l'interpellé en dédramatisant calmement la tournure carcérale de la question posée.

— N'importe qui aurait séché, à ta place, lui rappelle le petit blond.

Il avait bien failli ne pas le croire, lorsqu'il lui a annoncé son intention de revenir en cours cette année scolaire, pourtant bientôt terminée. Il va avoir des cours d'Été quoi qu'il arrive ; ces cinq jours ne vont rien lui apporter en matière d'éducation. Tout ce qu'il va gagner à revenir entre ces murs, ce sont des regards curieux et peut-être même des questions inconfortables de la part des élèves les plus courageux et les moins subtils. Pas exactement un environnement dans lequel il aime évoluer, à la connaissance du tatoué.

— J'ai envie d'être là, insiste pourtant Caes.

C'est autant à son interlocuteur qu'à lui-même qu'il confirme sa décision. Il souhaite que les choses reviennent à la normale, dans la mesure du possible, et le premier pas vers cet objectif est de faire les choses normalement. Néanmoins, en dépit de sa certitude d'avoir choisi la bonne marche à suivre, il appréhende tout de même un peu son retour au lycée. Il était déjà inquiet de revenir le soir du bal, en se sachant masqué, pour ainsi dire en sécurité, et pourtant à l'époque il ignorait qu'on avait d'autres raisons de parler de lui que sa blessure auto-infligée. Aujourd'hui, il sait que sa famille est l'objet de beaucoup de conversations, et que bon nombre ne sauront pas résister à le dévisager. Il n'a pas oublié la dernière et seule fois où il a été le centre de l'attention de la sorte, et il n'en garde pas un souvenir particulièrement agréable. Son seul avantage est de se sentir capable de ne pas avoir besoin de s'y soustraire aujourd'hui comme il y a quelques mois. Mais Jack n'a pas tort de s'inquiéter, car il ne prévoit pas que les feux des projecteurs le laissent indifférent.

— D'accord. Et moi, je me demande pourquoi…

C'est malgré lui que le surdoué accepte la sage décision. Pour toute son intelligence, à défaut d'en détenir tous les éléments, il serait bien incapable d'en comprendre l'origine. Même en admettant que Caesar veuille faire écran de fumée vis-à-vis de ce qui se passe chez lui en agissant normalement, est-ce que justement, revenir en cours pour l'ultime semaine de sa scolarité lycéenne après plusieurs mois d'absence, la majeure partie passée dans un institut psychiatrique, donne réellement une illusion de normalité ? Est-ce que ce ne serait pas plus logique qu'il souhaite rester auprès de sa sœur, fraîchement secourue d'un enlèvement suivi d'une séquestration sous sédatifs pendant plusieurs semaines ?

Sans rien ajouter, Caesar sourit à cette capitulation bougonne et initie le mouvement de reprise de la route. C'est un énorme progrès de la part du petit blond de ne pas discuter davantage. Le grand brun a passé le plus clair de la semaine précédente avec Mae, mais lorsqu'elle n'était pas disponible pour une raison ou une autre, il rejoignait systématiquement Jack quelque part. Trop de monde chez lui, l'impression d'être dans les pattes de chacun, et incapable de rester seul à gamberger dans son coin. Pourtant, ce n'est pas ce qu'il retient de ces premiers jours après avoir quitté l'Institut. Ce qui l'a le plus frappé, c'est le changement chez son meilleur ami. Il n'irait pas jusqu'à dire qu'il est silencieux ou même seulement discret, mais il est évident qu'il a été beaucoup plus affecté par son absence qu'il ne veut le laisser paraître. Son effort pour respecter son instruction de ne plus chercher la vérité en est le signe le plus criant. Même si ça ne saurait durer, sûrement…

— Mae est rentrée depuis une semaine maintenant, lâche justement le petit génie après quelques longues minutes de silence.

Ils sont sont déjà rentrés dans l'enceinte de leur lycée, et atteignent le couloir qui mène à leur salle de Chimie, leur premier cours de la journée.

— C'est vrai, répond posément le frère de la petite blonde.

Il se retient de sourire trop largement à cette entrée en matière pataude ou de souligner qu'il est également de retour depuis cette durée. Pour la défense de son meilleur ami, s'ils se sont rejoints presque tous les jours depuis qu'il est revenu, personne n'a vu Mae, qui elle n'a pas quitté la maison. Ça explique qu'il soit déjà réhabitué à sa présence et pas encore à celle de sa cadette. Et même sans ses propres raisons toutes particulières, qu'il soit curieux à son sujet. Tout le monde l'est probablement, à ce stade, même en estimant avoir obtenu toute la vérité sur l'affaire dans les journaux.

— Comment elle va ? le tatoué continue dans sa lancée très correcte, ce qui ne lui ressemble toujours pas.

C'est la première fois qu'il aborde directement le sujet depuis sa promesse de retenue. Caesar trouve qu'avoir réussi à se contenir pendant une semaine entière est un exploit de sa part. Peut-être qu'il n'a pas le crâne si épais qu'il ne le croyait, finalement.

— Plutôt bien, en les circonstances. Qu'elle ne se souvienne de rien a ses bons et ses mauvais côtés, mais c'est surtout le retour au régime solide qui lui en met un coup, résume le grand frère.

Il n'a pas besoin de mentir, puisque la nourriture pose toujours des soucis à sa cadette, même si ce n'est pas dû uniquement au fait d'avoir été alimentée par intraveineuse pendant ses semaines de captivité. Il y a des drogues qui permettent de retarder l'occlusion intestinale complète, sous lesquelles elle a été placée, selon Gregor, mais même si elle n'avait pas d'autres soucis de rapport à son environnement, les effets de ces médicaments ne sont pas miraculeux non plus, et elle aurait tout de même eu besoin d'un temps de réadaptation.

— Est-ce qu'elle voit la même psy que toi ? s'enquiert Jack, dansant toujours autour du pot.

— Le Docteur Conway est plutôt spécialisée dans les comportements autodestructeurs, mais peut-être qu'elle ferait une exception pour quelqu'un qu'elle la connaît déjà. Je ne sais pas. En attendant, Mae n'est pas encore d'attaque pour des visites, alors encore moins des sorties, Caesar écarte la possibilité.

Il sait que celui qui l'interroge a déjà la réponse à sa question, mais il se sentirait vraiment péteux de le lui souligner alors qu'il fait tous ces efforts pour ne pas creuser par ailleurs. Son excuse pour avoir gardé un œil sur ce qui se passe à l'Institut Lakeshore, s'il est pris la main dans le sac, sera sans doute d'avoir tout simplement laissé un canal ouvert. Si les informations lui arrivent passivement, sans action particulière de sa part, il n'a techniquement pas enfreint sa promesse. Puisqu'il ne pourrait de toute manière rien apprendre par ce biais, Caesar accepterait cette excuse si elle devait lui être présentée. En attendant, il en sourit intérieurement.

— Huh. Je croyais qu'E et N allaient la voir aujourd'hui, s'étonne le petit blond, avec une désinvolture décidément louable.

— Mais tu es terriblement bien informé, dis-moi, plaisante son camarade.

Il se demande combien de temps Jack va pouvoir tenir cette façade de détachement. Tout bon menteur qu'il soit, ça doit être une forme de petite torture, pour lui.

— J'ai mes sources, c'est pas nouveau, se défend le surdoué en se renfrognant.

Il refuse qu'il soit dit qu'il a manqué à sa parole. Il marche spécialement sur des œufs pour pouvoir défendre ce fait !

Au final, Caes ne sait même pas s'il lui en voudrait vraiment s'il dérapait. Il y a un plus grand risque qu'il se mette lui-même en danger qu'il ne leur apporte des ennuis. Les Homiens lui tomberont dessus bien avant qu'il puisse faire une découverte significative. Et il a déjà tellement pris sur lui !

— Certes, il lui accorde donc, ne voulant pas le brusquer.

— Pendant ce temps, toute cette agitation n'est pas encore retombée, le génie commente ensuite, désignant du menton un groupe d'élèves dont les coups d'œil dans leur direction manquent légèrement de discrétion.

Il paraît loin, le temps où c'était le charisme du fils d'ambassadeurs qui faisait tourner les têtes des filles, et pas les dernières péripéties de son pote et sa famille qui attiraient tous les curieux. Non pas qu'ils ne reçoivent pas encore quelques œillades des rares demoiselles intéressées et qui n'ont pas encore osé tenter leur chance avec lui, et sentent la fin de l'année arriver à grand pas. Mais il a d'autres choses à penser.

— En même temps, entre mon retour et celui de Mae, et l'article de Brennen qui n'est pas encore sorti, ça a toutes les raisons d'être pire qu'après la prise d'otages, confirme Caesar.

Il est résigné à ce côté de la situation. Il le met même curieusement moins mal à l'aise que par le passé, alors qu'il est beaucoup plus prononcé. Curieusement pour un observateur extérieur, en tous cas, mais pas pour lui-même. Il a gagné en recul et en assurance, pendant son séjour à l'Institut. Ça aide de savoir qu'on n'est pas fou, même si on ne l'avait jamais consciemment pensé auparavant. Il n'en est pas à avoir une confiance aveugle en ses intuitions, mais savoir qu'elles ne viennent jamais de nulle part est d'une grande aide pour sa confiance en lui, peu importe qu'il arrive à en déterminer l'origine ou non.

— Tu penses qu'il va écrire sur le sujet ? Alors que tous les journaux de la ville ont déjà couvert cette histoire en long en large et en travers ? D'autant qu'il a déjà eu sa couronne, Jack rebondit sur la mention du journaliste, haussant un sourcil dubitatif.

Il n'est pas convaincu qu'FYI s'implique à nouveau dans cette affaire. Il a déjà été bien assez mêlé à tout ça. Et étant donné la réaction causée par son dernier gros titre chez l'un des principaux concernés, on pourrait penser qu'il aurait envie de se montrer plus prudent dans ses intrusions dans la vie privée des gens.

— Ce ne serait pas la première fois qu'il relaye en interne une info extérieure avec sa touche perso, rétorque Caesar.

Il est plutôt d'avis qu'au contraire, le jeune journaliste voudra clore le chapitre qu'il a ouvert. En étant impliqué au degré où il l'est, il doit en avoir presque autant envie que lui et les siens.

— Mouais. T'as raison. Peut-être que je me lasse juste plus vite que d'habitude de toutes ces redites parce que je sais que c'est de l'intox, concède Jack, quoique non sans défendre sa réaction initiale tout de même.

— Ah bon ? relève Caesar, sans agacement dans sa voix, haussant simplement un sourcil curieux et se retenant de sourire trop largement.

Il est presque intéressé de savoir où en est Jack dans ses théories. Il ne s'inquiète pas qu'il s'approche de la vérité. Il sait qu'il ne peut rien lui dire, et que moins il en sait mieux c'est, mais il est par ailleurs convaincu qu'il ne poserait aucun problème grave s'il était au courant de tout. Mais il faudrait tout de même le gérer, et il ne peut pas imposer ça aux autres. Ils sont dans les tranchées plus profondément et depuis plus longtemps que lui.

— Allées et venues d'individus étranges autour de chez toi, renforcement de la mise en quarantaine des lieux depuis le retour de Mae, un rapport de Police presque trop beau pour être vrai… Je n'ai peut-être encore rien de définitif, mais ça va venir, Jack ajoute ses dernières observations à la liste des éléments qu'il avait déjà récoltés avant que les Quanto ne soient officiellement à nouveau au complet.

— Et tu n'as rien su de tout ça en creusant, peut-être ? le taquine Caesar.

— J'ai le droit de me tenir informé de ce qui se passe autour de moi, non ? se défend l'autre, levant brièvement les bras d'irritation.

Se museler tant dans ses paroles que dans ses actes l'épuise. Il n'est pas habitué à être limité par autre chose que le temps ou ses performances physiques.

— Depuis quand les rapports de Police sont en accès libre aux citoyens ? le grand brun souligne par une question rhétorique.

Il est toujours aussi amusé de voir son camarade faire à ce point d'efforts, à la fois pour respecter son souhait de rester à l'écart et lui cacher qu'il ne s'y est pas entièrement tenu. Il ne sait pas s'il doit être plus impressionné par sa bonne volonté ou son ingéniosité.

— Si n'importe quel uniforme peut lire ces aveux, je doute qu'ils contiennent quoi que ce soit de compromettant pour vos affaires, Jack se justifie du tac au tac, presque cinglant.

Il ne fait absolument aucun doute dans son esprit, malgré l'habileté de Caesar pour ne pas l'admettre directement, que la vérité est dissimulée dans cette histoire. Et pas seulement au public, mais aux autorités elles-mêmes. Il ne voit pas beaucoup d'autres raisons pour que les murs qu'on avait dressés devant lui pour accéder aux informations de la Police aient soudain disparus au retour de l'adolescente. Pas très subtil de la part des responsables – qu'il n'a toujours pas réussi à identifier – mais il leur fait grâce de leur maladresse, puisqu'il soupçonne qu'ils aient plus important à faire depuis le retour de celle qu'ils protègent.

— Et pourtant, il y a bien quelque chose qui te dérange dedans, si j'ai bien compris…

Clément, Caes lui tend la perche pour qu'il évacue un peu de sa frustration. Il lui doit bien ça.

— Pour moi, il est évident que ce Kayle O'Michaels n'a pas enlevé M. Mais je n'arrive pas à savoir comment vous auriez pu le convaincre de porter le chapeau, puisqu'apparemment personne ne lui a fait de cadeau.

C'est là la contradiction principale à laquelle le petit blond est confronté, et de laquelle il lutte sans succès pour s'extirper. Il se doutait qu'il allait falloir aux Quanto une couverture pour ce qui s'est réellement passé, afin d'éviter que qui que ce soit ne puisse remonter à ce qu'il soupçonne s'être déroulé dans le laboratoire du père, mais il ne se serait pas attendu à celle-ci. Pas à un coupable coopératif, qui avoue, avec preuves à l'appui.

— J'aimerais pouvoir te répondre, Jack. Mais comme je te l'ai déjà dit, c'est en grande partie pas mon secret à partager. Et pour le reste, ce serait plus un soulagement pour moi que pour toi de te le déballer.

Presque à regret, le grand brun en est arrivé aux limites de ce qu'il peut offrir à son ami. La pièce qu'il lui manque est bien trop secrète pour qu'il ne fasse ne serait-ce qu'y faire allusion. Il ne saurait même pas comment faire ça, d'ailleurs.

— S'il te plaît, n'hésite pas à te mettre en premier, pour une fois ! le blondinet saute cependant sur ce qu'il voit comme une opportunité à bras littéralement ouverts.

Caesar éclate de rire, mais ne se laisse évidemment pas convaincre par cet argument, aussi astucieux soit-il :

— Peut-être que c'est dans mon intérêt de garder quelqu'un hors du coup, qui sait.

La sonnerie de début des cours retentit avant que Jack ait pu répliquer, et Caes se soustrait de toute façon à lui en s'engouffrant dans la salle qui s'est ouverte. Avec un peu de chance, d'ici la fin des deux prochaines heures, puisque ce n'est pas le genre de matière où on peut se permettre des discussions parallèles, le tatoué aura réussi à se remotiver pour ne plus aborder le sujet. C'est fort peu probable, étant donné sa capacité à gérer plusieurs choses à la fois, mais avec la façon dont la guigne s'est acharnée sur eux depuis quelques temps, Caesar se dit que l'univers lui doit bien un petit coup de pouce, pour changer.

Scène suivante >

Commentaires