2x09 - Plein phare (18/19) - Cas de conscience
Pendant que Chad donne à Strauss matière à réfléchir, Andy a rejoint Ben sur le toit. Elle s'était d'abord isolée dans sa chambre pour ne pas avoir à supporter les déambulations du grand brun en long, en large, et en travers du rez-de-chaussée, mais dès qu'elle a entendu son collègue Protecteur engager la conversation, elle a su qu'elle n'était pas suffisamment loin de la zone de tension. Vaguement intriguée par le perchoir inhabituel de leur Soigneur, elle s'est dit que se lancer elle-même dans une discussion pourrait peut-être lui permettre de faire abstraction du mélodrame qui se déroule en bas. Et à la mine perplexe du motard qu'elle entrevoit juste avant qu'il ne la repère, grand bien lui a sans doute pris de venir lui tenir compagnie.
Bien que clairement en pleine réflexion, sans quoi il aurait été alerté de son approche bien plus tôt, Ben accepte l'arrivée de la jolie blonde avec l'un de ses sourires sincères qui peuvent pousser presque n'importe qui à lui faire confiance. Longeant la gouttière par-dessus laquelle elle vient de se hisser à bout de bras, Andy vient s'asseoir à côté de lui sans rien dire dans un premier temps ; elle lui laisse l'occasion d'initier l'échange ou au contraire lui faire comprendre qu'il préférerait rester seul. Aucune des deux éventualités ne se présente cependant. Qu'il soit ici indique pourtant à quel point il est perturbé. Usuellement, lorsque quelque chose le travaille, on le trouve au garage ou à bricoler dans ses quartiers. Alors qu'elle conçoit tout à fait l'attraction de ce perchoir, sa Protectrice ne l'a encore jamais vu se réfugier en hauteur.
— Tu t'es bien débrouillé, aujourd'hui, elle le félicite.
Elle n'avait pas encore eu l'occasion de débriefer avec lui. Sa contribution au subterfuge d'un peu plus tôt avait un peu laissé matière à débat, au moment de sa planification, à cause de son tempérament, mais le besoin d'un nombre suffisamment élevé de participants avant fini par trancher dans ce sens. Et elle ne ment pas dans son éloge : il a correctement joué son rôle.
— Je suis un Soigneur, il déclare en guise de protestation, avec une grimace digne d'un enfant mal à l'aise.
C'est un constat simple, mais ça suffit à illustrer à quel point il ne peut pas être satisfait de sa participation à l'opération, toute réussie soit-elle par ailleurs. Porter une arme, prétendre se défendre contre des policiers, risquer qu'ils soient blessés dans l'assaut factice, conduire à l'arrestation de l'un des leurs, … Rien de tout ça ne lui convient. Il a eu si peur, quand il a été contraint de repousser un officier contre un mur pour s'échapper ! Il n'a rien entendu se briser, et ni Chuck, ni Samael, ni Patrick n'ont rapporté de blessé dans leur équipe, et pourtant il n'arrive pas à se défaire de l'impression d'avoir fait du mal à ce pauvre homme.
— Tu es plus qu'une seule chose, lui rappelle son aînée pour le réconforter.
Elle aimerait pourtant parfois elle aussi que les choses soient si simples. Ça lui rendrait notamment la situation avec Uriel beaucoup plus facile à gérer. Elle n'aurait même sans doute pas à la gérer du tout, si elle ne déviait jamais de son rang. Même si, en y réfléchissant, c'est bien sa place dans sa société qui l'a menée il y a des années à être dans la situation qui la rend aujourd'hui si sensible au jeune homme…
— Il est tout seul là-bas, reprend Ben dans sa complainte.
C'est bien évidemment de Kayle dont il parle. Il lève un regard triste vers son interlocutrice. Tout ce qui s'est déroulé aujourd'hui ne lui a pas plu, mais c'est passé, maintenant. Et la plupart des conséquences persistantes de tout ce qu'ils ont fait sont positives, alors peut-être qu'avec le temps il arrivera à se justifier ses propres actions. Toutes les conséquences sauf une, malheureusement, à laquelle il ne semble pas parvenir à se faire, pour tous ses efforts. La mise en cage de Kayle lui reste en travers de la gorge. Il n'avait déjà pas apprécié ce que Chuck avait dû faire pour pouvoir le ramener, et il n'a pas perçu la décision de l'envoyer en prison très différemment. Qu'il y soit désormais le rend malade.
La relation entre les deux Soigneurs est particulièrement complexe. Le grand brun n'a pas rencontré le petit blond avant qu'il ne devienne un tueur en série. Ses premières impressions de lui ont été ses scènes de crimes, ses victimes qu'il n'a pas pu sauver, ses messages de zélote. Puis, la première fois qu'il l'a rencontré, il l'a vu se démener pour sauver quelqu'un, juste avant d'être condamné et disparaître dans un nuage de fumée, d'étincelles, et de lumière. Il a ensuite porté une part de lui en lui pendant des mois, un peu comme Chuck en porte une à présent. Et comme le reste de son équipe, il a passé une semaine à lui reconstituer une enveloppe corporelle avant de pouvoir se débarrasser de ce fragment d'identité même inexploitable. Enfin, par la suite, il est finalement celui qui a travaillé le plus étroitement avec son collègue, justement puisqu'ils partagent leur vocation de soignants. Il a donc traversé pour lui un gradient d'émotions particulièrement étendu et a fortiori déroutant.
— C'était son idée, Andy tente de le consoler.
En ce qui la concerne, elle est indifférente au sort du blondinet. Il est devenu fou et a mis en danger leur accords avec les locaux ; son sort aurait dû être de rester dans les limbes. Et si son retour lui a rendu une forme de discrétion, il l'a aussi changé d'une façon qui lui ôté la possibilité de se sentir mal pour lui. Il est à peine encore un Homien, à ses yeux. Et même si elle avait de l'estime à son égard, elle le sait capable de résister à tout. Il s'en est bien sorti jusqu'ici…
— Ils vont nous faire le renvoyer, Ben poursuit sa description horrifiée du sort qui est réservé à l'ancien meurtrier par ceux à qui ils l'ont remis.
Pour toute l'affection qu'il porte à Patrick, il n'est absolument pas d'accord avec son verdict. Mais, sachant d'où vient sa haine envers Kayle, il ne peut pas lui en vouloir. Il a même abandonné l'idée de le convaincre du contraire. Les seules plaidoiries qu'il tente pour son collègue en présence de l'inspecteur lui échappent, et il sait que le fait que Randers ne lui en tienne pas rigueur est le mieux qu'il puisse espérer de sa part. Il n'empêche qu'il a ses plaidoiries en lui.
— Probablement, oui. Mais il n'était jamais supposé ressortir de toute manière, continue la fausse blonde sans broncher, cartésienne.
— C'était déjà la mauvaise chose à faire en premier lieu, souffle le mécanicien en secouant la tête et fermant les yeux, dépité.
— Tu étais d'accord, elle lui rappelle.
Son ton est devenu un rien plus tranchant qu'auparavant alors qu'elle plisse les yeux, soudain méfiante de la tournure que prend la conversation. Stopper Kayle est l'unique raison de la venue de Ben sur cette planète.
— Je n'ai pas participé, il lui fait remarquer, comme si ça pouvait souligner à quel point il ne veut rien avoir à faire avec cette condamnation.
— Tu ne pouvais pas avoir prévu qu'il y aurait un blessé qui nécessiterait toute ton attention, elle rejette son argument, illégitime du point de vue de la logique.
Ce n'était pas sa décision de ne pas participer à l'exécution. Il a été contraint pas les circonstances, voilà tout. Sinon, il aurait fait son devoir.
— Non, tu as raison. Mais même si ça n'avait pas été le cas, je ne pense pas que j'aurais pu le faire de toute façon, insiste Ben.
Il ramène enfin son regard sombre à elle, moins mal assuré que par le passé sur cette question. Lorsqu'il a été envoyé sur Terre avec Andy et Strauss, il connaissait leur objectif. Il savait ce qu'il allait devoir faire, à la fois pour trouver le fugitif, et une fois que ce serait fait. Le trio a répété la procédure maintes fois pour être prêts le moment venu. Jusqu'ici, la Protectrice avait toujours mis les hésitations du plus jeune de la bande sous le compte de son âge, justement. Elle doit néanmoins bien constater maintenant que ses protestations vont plus loin que de la naïveté.
— Alors ce n'est pas toi qui le feras la prochaine fois, c'est tout, elle tranche simplement en se détournant.
Puisqu'elle voit bien qu'elle ne pourra pas le convaincre, elle se rabat sur la solution la plus simple. Elle n'est pas déçue. Elle ne peut pas reprocher à Ben sa nature.
— Personne ne mérite ça ! il s'exclame.
Il est incapable de se contenter de ne pas participer ; sa ferveur va jusqu'à vouloir s'opposer à la manœuvre. Là, Andy tique.
— Ce n'est pas notre décision, elle grince entre ses dents, agacée.
Elle n'aime déjà pas qu'on remette en question les choix qui ont été faits de manière générale. Et elle aime en l'occurrence encore moins se retrouver dans la position de devoir défendre que le verdict final ne leur appartient justement pas.
— Ce n'est pas la leur non plus, Ben proteste, moins discipliné, ou en tous cas moins résigné.
— Non, tu as raison. Au bout du compte, ça reste celle d'Home, elle lui rappelle.
C'est en effet là-bas que la condamnation a été établie puis entérinée en premier lieu. C'est plus que démocratique. C'est une voix unanime, qui ressort d'une telle délibération.
— Home a passé un jugement avant son retour, se permet de souligner le grand brun.
Il ne peut pas remettre en cause l'opinion de la planète toute entière, mais il estime que les bons éléments ne lui ont pas été apportés.
Andy le toise d'un regard atterré. Vraiment ? Est-ce qu'il pense que si leur population avait estimé la situation actuelle comme acceptable ils n'auraient pas proposé cette solution pour commencer ? Le fait est qu'ils ont tout bonnement considéré plus cruel de lui retirer une part de lui que de le faire disparaître complètement.
— Même si Home étaient prêts à changer d'avis, tu ne peux pas justifier un revote sans avoir à expliquer que Kayle a déjà été ramené, à l'encontre de sa condamnation. Et comme c'est Chuck qui a pris la responsabilité de le réveiller sans autorisation, c'est lui qui en fera les frais si ça se sait et qu'il n'a pas de défense acceptable. Est-ce que tu es suffisamment sûr de toi pour prendre ce risque ? la jolie blonde soumet alors à son cadet, un sourcil haussé.
Elle sait que, bien qu'il soit moins proche du grand Diplomate que de son ancien Soigneur, Ben n'oserait jamais le mettre en péril.
Il ne répond rien. Au lieu de ça, il regarde au loin, très loin, vers l'horizon et au-delà, vers les étoiles qu'ils ont traversées pour arriver ici. Elle a raison : il n'a pas d'argument suffisant pour convaincre les siens de laisser Kayle dans son état actuel. Pas encore, en tous cas. Il ignore s'il parviendra à en trouver un avant que les deux inspecteurs décident fatalement de renvoyer le tueur en série là d'où il a été sorti pour rendre le sauvetage de Maena possible. Peut-être pas. Probablement pas. Mais il n'arrêtera pas de chercher pour autant. Jamais. Il a encore du mal à croire qu'une meilleure solution à ce genre de problème n'ait pas été imaginée plus tôt. Ils peuvent faire mieux pour les leurs. Ils peuvent forcément faire mieux…
Le voir ainsi de nouveau songeur déprimerait presque Andy. Elle a l'impression que sa visite n'a servi à rien. Il est tout aussi mélancolique maintenant que lorsqu'elle a grimpé après la gouttière et escaladé le rebord du toit. Sans doute même plus, puisqu'elle a diligemment écrasé la plupart des espérances qu'il a osé émettre. Les gens, quelle que soit leur planète d'origine, sont décidément difficile à contenter. Non pas que ce soit l'une de ses préoccupations principales, loin s'en faut, mais elle doit bien admettre que le simple message de remerciement qu'elle a reçu d'Uriel tout à l'heure lorsqu'il a appris pour le sauvetage de Maena lui a été particulièrement gratifiant. L'infirmier illustre parfaitement qu'il n'est pas si compliqué de se contenter du positif sans se focaliser sur le négatif. Elle choisit donc de suivre son exemple et sourit doucement au soleil couchant, laissant à Ben à côté d'elle le temps d'en arriver à la même conclusion. Ça ne se fera peut-être pas ce soir, mais un jour. Il est plus malin qu'il n'en donne souvent l'air, après tout.
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