2x09 - Plein phare (15/19) - Copains comme cochons

Une fois qu'Alek a obtenu l'autorisation de ramener sa fille à la maison avant même son réveil, se faisant violence pour ne pas trop insister de peur d'attirer une attention indésirable sur son cas, Sam a pu se rendre au commissariat. Il s'est assuré que sa nièce, son frère, et l'aîné de ses neveux étaient à bon port, puis il a filé vérifier que tout se déroulait également comme prévu sur l'autre front. Pour des raisons évidentes, Patrick n'a pu le tenir informé que des étapes officielles de l'arrestation, et les quelques messages inquiets pour lui d'Iz n'ont pas pu lui indiquer si les aveux de Kayle étaient acceptables ou si quoi que ce soit d'autre avait levé une alerte.

— Quanto !? Qu'est-ce que tu fous là ?

Contre toute attente, c'est Fred qui accueille le maître-chien alors qu'il franchit le seuil, son molosse aux chevilles. Si elle se trouve providentiellement dans le hall, c'est en fait parce que le reste du bâtiment est encore en ébullition. Il est impossible de travailler où que ce soit d'autre ou presque sans avoir en bruit de fond une conversation à propos du dossier Eugène. Certains discutent ses meurtres, d'autres ses victimes laissées vivantes, et le reste l'une ou l'autre de ses confrontations avec Randers. Si elle y a d'abord prêté une oreille distraite, l'ancienne cyber-enquêteuse en a assez entendu, et voudrait pouvoir avancer en paix sur son investigation en cours.

— Mon frère a ramené Mae à la maison. Elle ne s'est pas encore réveillée mais elle va bien, en les circonstances. Je voulais voir comment ça se passait ici, répond Sam sans relever l'intonation impertinente, habituelle entre eux.

— On m'a dit de pas m'en mêler, la jeune inspectrice déclare alors.

— Er… C'est pas très cool. Je sais que je t'ai tenue à l'écart, mais ça reste une de tes affaires, techniquement, s'étonne son aîné.

Il a toutes les raisons de penser qu'elle essaye de justifier le fait qu'elle n'a aucune nouvelle à lui donner. Elle secoue cependant la tête de gauche à droite et corrige sa mauvaise interprétation de ce qu'elle vient de dire :

— C'est pas ça dont je parle. Je te parle pas d'aujourd'hui. Ta nièce. Un… indic m'a avertie de ne pas creuser du côté de son enlèvement, de suivre ton ordre et ne pas lier le bâtiment que j'avais trouvé à la descente qui y a été faite un peu après. Même demande que ton pote du DHS ou presque, juste quelques jours plus tôt, elle le détrompe.

Sam va de surprise en surprise et fronce les sourcils et écarte les mains en signe d'incompréhension.

— Pourquoi est-ce que tu me racontes ça maintenant ?

Si elle n'a pas jugé pertinent de partager cette info au moment des faits, pourquoi est-ce qu'elle pense que ça peut avoir son importance alors que le dossier est sur le point d'être bouclé ? Il a bien envie de lui répondre qu'il se fiche bien de pourquoi elle a suivi ses recommandations, du moment qu'elle les a suivies, mais il va tout de même la laisser aller au bout de son idée. Pour que ce soit la première chose qu'elle trouve à lui dire en le retrouvant maintenant, ça doit la travailler.

— J'essaye de m'excuser, d'accord ? grogne Fred.

En dépit de ses mots, son expression est exaspérée au lieu de contrite. Mais bon, il ne croit pas l'avoir déjà vue émue.

— Oh. Je vois pas trop pourquoi, mais je t'écoute. Je sais à quel point c'est chiant, il accepte ses bonnes intentions.

Il doit faire un petit effort pour ne pas profiter de la position de force qu'elle lui offre pour la taquiner, mais elle le mérite. Il lui en a fait subir plus que son mauvais caractère ne pouvait justifier de lui faire subir, et il est temps qu'il se rattrape un peu.

— Ce que j'essaye de dire, c'est que le fait qu'un sale type m'ait fait la même demande que ton petit copain – aussi grand soit-il –, ça m'a fait douter de toi. Mais finalement, tout s'est bien terminé donc… Je suis contente que ta nièce aille bien, marmonne la jeune femme.

Elle expédie son admission d'erreur en la chassant par le résultat final de cette enquête pour le moins tordue, mais encore une fois, Sam ne peut pas trop lui en tenir rigueur. Il serait mal placé pour juger cette tactique dont il a sans doute usé plus de fois qu'il n'apprécierait de l'admettre.

— Je sais. Je sais que tu ne pensais pas à mal en fouinant, aussi. Et je suis désolé de pas avoir pu te mettre dans la boucle. C'était juste trop dangereux.

Elle n'a pas de moyen de le savoir, mais il se sent sans doute plus coupable qu'elle. S'il a sûrement autant de difficulté avec son caractère que le sien l'insupporte elle, il ne peut pas nier s'être à plusieurs reprises senti mal de devoir l'envoyer sur les roses. Ses suspicions étaient bonnes, ses capacités d'investigation pertinentes. Il n'est pas sans souhaiter qu'elle ait eu plus de chance dans sa première affectation aux homicides. C'est quand même pas de bol d'être tombée sur une tête de cochon comme lui ET pile au moment où il ne pouvait pas se permettre de faire confiance à qui que ce soit.

— Le gars a mis ton partenaire hors-jeu et s'en est pris à ta famille ; je peux comprendre que tu ça t'ait rendu réticent à impliquer d'autres personnes, arrive à admettre Fred, qui a pourtant sur le coup détesté se faire tenir à distance.

— Merci. Pour comprendre, et aussi pour ne pas avoir désobéi, Sam transmet sa gratitude là où elle est due.

Si elle avait été encore plus revêche et n'avait écouté ni son jumeau ni Chuck, il ne sait pas ce qui se serait passé. Peut-être que Jazz aurait réussi à l'arrêter malgré tout. Et si pas lui, les Homiens seraient sans doute intervenus, en dernier recours. Mais à quel prix, dans les deux cas ? Bien qu'elle soit sa sœur, le pirate a d'autres priorités qu'elle. Si elle venait à présenter une réelle menace à ses projets, il ne fait aucun doute qu'il n'hésiterait pas à frapper aussi fort que nécessaire pour s'en débarrasser. Quant aux extraterrestres, pour tous les efforts qu'ils semblent avoir fournis afin d'aider sa famille, l'oncle les soupçonne d'avoir toujours eu une solution de repli pour se préserver eux et leur secret, simplement beaucoup plus radicale.

— Je délibérais toujours, en fait, tempère Fred en fronçant le nez.

Elle rechigne à accepter qu'il soit dit qu'elle s'est effectivement pliée à la volonté de qui que ce soit, qu'il s'agisse d'un ennemi ou de collègues.

— Bah merci d'être aussi lente à réfléchir, alors ! le maître-chien se reprend d'un ton railleur, incapable de maintenir cet échange civilisé entre eux plus longtemps.

Sa collègue accueille la boutade d'un rire faux et en faisant rouler ses yeux dans leur orbite :

— Ha ha. Le seul truc que j'arrive pas à faire coller, c'est l'intérêt de mon indic…

Elle enchaîne sur une question sérieuse avant que son interlocuteur ne puisse considérer leur conversation terminée. Voilà quelques heures qu'elle a eu confirmation de la validité de l'étrange demande du pirate qui se prétend son seul lien de parenté, et elle n'a pas encore eu l'occasion d'en reparler à Iz. Et pour cause, puisque la profileuse va sans doute être complètement indisponible dans les prochains jours, ensevelie de travail sur le cas du tueur en série blond. Mais comme Fred est désormais sûre que Sam était cachottier pour des raisons valables, il est un interlocuteur tout aussi acceptable que sa dame, en fin de compte.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Il ne la suit pas tout de suite. D'une part, il n'est pas censé avoir quelque élément que ce soit au sujet de sa rencontre avec Jasper. D'autre part, il ne les a pas tous de toute manière. Bien qu'au courant de la connexion insolite entre Fred et Jazz, il n'a pour ainsi dire jamais été en contact direct avec le hacker ou sa femme depuis qu'ils ont chacun intégré la fine équipe. C'est Alek qui lui transmet toutes les informations pertinentes récoltées par le couple. Quant à Fred, Iz lui a bien fait mention de ses soupçons mais, soucieuse de préserver la confidentialité qu'elle entretient avec les officiers qu'elle protège, elle s'en est tenue au strict minimum. À aucun moment elle ne lui a parlé d'un informateur, et encore moins du potentiel lien de sang entre lui et l'inspectrice. Et elle a eu tout à fait raison, d'ailleurs, puisqu'en plus de relever de son secret professionnel, ça n'aurait rien apporté à Sam de toute manière.

— Je comprends ton intention et celle de ton pote Denton : vous vouliez faire le moins de bruit possible et avoir le moins de gens possible dans le coup, pour éviter les fuites et que le gars vous voie venir, puisque vous pensiez qu'il avait peut-être infiltré le réseau central. Mais Jazz ? C'est un hacker que je traque depuis avant mon entrée à l'Académie. Que je m'en mêle et me plante royalement aurait dû être son plus beau cadeau de Noël. Et il a dit que des vies étaient en jeu… révèle Fred.

Au bout du compte, elle est encore plus perplexe quant aux motifs de son Némésis qu'elle ne l'était déjà auparavant. Certes, si elle avait laissé fuiter l'établissement d'un lien entre l'enlèvement de la gamine et le labo de l'Est, ça aurait pu mettre le pronostic vital de la fille en danger, en faisant paniquer le cinglé qui la retenait, ce que cherchaient justement à éviter Quanto et Denton. Mais est-ce que la vie de cette môme est réellement quelque chose dont Jazz a des raisons de se préoccuper ? Et quand bien même, ça reste une seule vie, pas plusieurs.

— Peut-être que… il avait d'autres œufs dans le panier. Peut-être qu'il en avait après O'Michaels personnellement et tenait à ce qu'il se fasse coincer ? Ils ont pu bosser ensemble et ça s'est mal passé, ou alors il s'en est pris à lui ou quelqu'un qui compte pour lui, propose l'oncle un peu au hasard.

Il n'est pas si farfelu que des criminels interposés se tirent dans les pattes. Heureusement que ça arrive, d'ailleurs, car ça rend bien souvent service à la Justice. Il existe pour certains gangsters un code d'honneur, comme le dit l'expression pour les voleurs, mais en règle générale, mieux vaut ne pas compter sur ses compétiteurs pour refuser de témoigner contre nous, voire de carrément nous dénoncer.

— Peu probable. Jazz n'a ni foi ni loi, et il ne bosse qu'avec une seule personne qui, aux dernières nouvelles, se porte comme un charme, Fred commente la théorie en grimaçant, loin d'être convaincue.

Sam prend sur lui pour masquer sur son visage à quel point il la trouve ingrate. Il sait qu'en vérité c'est justement elle que Jazz a cherché à protéger en la mettant en garde, en plus de Mae, Caroline, et Robert. Il peut comprendre le point de vue de la jeune inspectrice, mais il n'arrive parallèlement pas à concevoir qu'elle ne puisse pas faire le même type d'effort de son côté. Si Jasper lui a dit la vérité, qu'est-ce qui la fait encore se méfier de lui ? Toutes les preuves vont forcément venir appuyer sa version de l'histoire. Rien que douter de ce qu'il lui a dit devrait lui mettre la puce à l'oreille que ça n'a pas été inventé pour la convaincre. Pourquoi est-ce qu'elle va chercher plus loin alors ? Parce que les faits ne lui plaisent pas, c'est ça ?

Ne voulant pas trop se mouiller dans cette histoire de fratrie, il cherche finalement à couper court à l'échange :

— Ça pourrait être un millier d'autres trucs. Je crois pas que tu t'adresses à la bonne personne, là, Insley. Pour moi, il t'a donné le bon tuyau, donc j'aurais plutôt tendance à le remercier que questionner ses motivations. Mais tu fais comme tu veux. Tu sais dans quelle salle il a été mis ?

— Ouais, la 3. Tu peux pas te tromper, il y a ta nana et un flux ininterrompu de curieux dans la pièce d'observation, répond Fred.

Elle renonce à essayer de retarder la fin de discussion. En les circonstances, il serait de toute manière encore plus peine perdue que d'habitude d'essayer de lutter contre Sam. Honnêtement, elle est surprise que leur prisonnier ne soit pas arrivé plus amoché qu'il ne l'était. Randers et lui ont fait preuve d'une sacrée retenue quand ils l'ont chopé, et à ce qu'elle a entendu à droite à gauche, elle n'est pas la seule à le penser. Elle a été étonnée de voir l'oncle arriver si vite après le retour de sa nièce, mais elle l'est d'autant plus qu'il ne se soit pas précipité vers son tortionnaire dès qu'il a remis les pieds au commissariat.

La remerciant rapidement, le maître-chien contourne sa désormais ancienne partenaire afin de suivre la direction qu'elle vient de lui indiquer verbalement. Une fois de plus, il ne relève pas son insolence, à la façon dont elle a désigné Iz cette fois. D'une part ça rentrerait par une oreille et ressortirait par l'autre, et d'autre part il a surtout mieux à faire dans l'immédiat. Si Iz est insatisfaite du moindre détail dans le comportement ou les aveux de Kayle, il va falloir qu'il détermine comment limiter les dégâts, de préférence sans avoir à faire intervenir qui que ce soit venu de l'Espace. Et ça, c'est un défi qu'il préférerait ne même pas avoir à tenter de relever.

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