2x09 - Plein phare (14/19) - Contrat de confiance
Escorté comme son frère aîné par deux officiers en uniforme jusqu'à l'hôpital, où il retrouve son père et son oncle déjà au chevet de Mae toujours inconsciente, Caesar fait un retour en circulation un peu abrupt. Se retrouver au même endroit où il s'est réveillé après s'être ouvert le bras le met plus mal à l'aise qu'il ne l'avait anticipé. En avançant le long du couloir, il se surprend à tirer sur la manche de son pull, comme s'il cherchait à cacher le liseré de bandage qui dépasse au niveau de son poignet. Agacé par son propre subconscient, il n'arrive à se retenir de continuer qu'en traçant du bout des doigts les contours de son autre cicatrice, au talon de sa main. Ce n'est pas moins idiot, mais ça l'embarrasse déjà moins.
Découvrir sa sœur allongée sans connaissance derrière une vitre lui fait ensuite prendre conscience de ce qu'elle a elle-même dû subir lorsque les rôles étaient inversés, et ne fait qu'augmenter son malaise. C'est quelque chose que de voir tous ces appareils près d'elle, et tous ces gens s'affairer au-dessus de sa silhouette endormie. Ce spectacle était déjà un choc autour de lui-même alors même qu'il était éveillé. Il se réjouit par avance du fait qu'elle aura sans doute un retour à elle plus paisible que le sien, dans son propre lit au lieu de sanglée dans une chambre inconnue comme il l'a été.
Les regards de reconnaissance de certains infirmiers pour sa famille sont la dernière brique d'un mur d'inconfort pour l'adolescent. Et pourtant il n'y a aucun jugement dans leurs yeux, un simple étonnement peut-être, puisqu'ils ne sont pas habitués à recroiser d'anciens patients dans le rôle de visiteur, ni même leurs proches alors qu'ils ne sont autant qu'ils sachent plus dans leur service. Les sourires, satisfaits de le voir debout et visiblement autorisé de sortie, sont malheureusement un rappel pour lui que la tragédie semble s'acharner sur les siens.
Le voyant pâlir peu à peu, son oncle lui propose un verre d'eau, avant de carrément lui suggérer d'aller prendre l'air. Caesar refuse dans un premier temps, ne voulant pas quitter sa petite sœur, jusqu'à ce que ce soit son père qui l'y encourage. Mae ne va pas se réveiller avant le soir. Pour tout prêt qu'on l'a jugé à regagner la vie civile, personne ne va lui en vouloir de le faire à son rythme et selon ses termes. Et au cas où il aurait besoin d'une raison plus égoïste de la part de son géniteur, ce dernier lui suggère également qu'il ne se portera que mieux sans avoir deux de ses enfants déconfits sous les yeux. Son plus jeune fils a donc quitté les lieux à la fois à reculons et avec un certain empressement.
Dehors, livré à lui-même, il ne lui a pas fallu longtemps pour décider qui il avait envie de voir, et il s'est donc rapidement mis en quête de son meilleur ami. Ses recherches lui ont pris la majeure partie de l'après-midi, mais ce petit périple à travers la ville a finalement été bienvenu. Voir du monde et du pays, tout en se dirigeant vers un but précis, est une remise dans le bain beaucoup plus douce que la précédente et d'autant plus appréciable grâce à ce point de comparaison. Ceci étant dit, c'est tout de même avec soulagement que Caesar repère enfin son camarade.
Assis au bord du bowl d'un skate-park, les jambes dans le vide, Jack regarde un petit groupe de filles en patins s'entraîner au roller derby. Une chose est certaine : le blondinet n'est pas facile à traquer lorsqu'il ne veut pas l'être. Une zone de glisse n'est pourtant pas un endroit si surprenant où le dénicher, puisque ces deux types de repaires favoris sont les musées et les patinoires. Et si en plus il y a de jolies filles, c'est tout bonus pour un Don Juan comme lui. Sauf que ce n'est pas ce genre d'endroits qui manque à Chicago. Et à son air songeur, il y a de toute façon peu de chance que Jack soit là aujourd'hui pour les mêmes raisons qui l'y auraient amené un autre jour.
S'approchant aussi discrètement que possible, non pas parce qu'il veut le surprendre mais plutôt parce qu'il ne voudrait pas perturber sa concentration, Caesar vient prendre place à ses côtés, sans rien dire. Comme lui, il garde les yeux rivés sur un élément au loin, l'horizon en ce qui le concerne plus que les minishorts des patineuses. Chacun les bras tendus le long de son corps, les deux copains restent un long moment dans cette configuration, conscient de la présence de l'autre sans interagir avec lui pour autant. C'est comme s'ils avaient pris des années et non quelques mois depuis leur dernière interaction avant le soir du bal.
— Comment tu m'as trouvé ? finit par interroger le blondinet au bout d'un moment, baissant les yeux entre ses pieds.
— Le lycée m'a dit que tu étais rentré chez toi, et chez toi Sylvain m'a donné quelques pistes, ne cache pas Caesar, le regard toujours au loin.
— Quelle balance, celui-là, grommelle le petit génie, secouant la tête avec un sourire amer.
S'il ne peut même pas faire confiance à son majordome pour fermer son clapet, une grande partie de son intimité est à remettre en question. Mais il sait très bien que le valet n'aurait pas donné ce type d'info à n'importe qui d'autre que Caesar ; il met donc de côté cette infraction. Il ne lui en fera sans doute mention que de manière illégitime, lorsqu'il lui en voudra sans avoir de reproche valable à lui balancer au visage. Aussi, il a plus important à penser dans l'immédiat que l'indiscrétion de son maître d'hôtel.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? s'enquiert le grand brun.
Il devine la réponse, mais il ne sait pas trop comment entamer la conversation autrement.
À cette question, Jack éclate d'un rire jaune. Il est sérieux, là ? Il vient lui demander des comptes ? Est-ce que ce n'est pas lui qui est supposé être enfermé dans un institut psychiatrique ? Ou alors auprès de sa petite sœur, puisqu'elle a été retrouvée, à ce qui est revenu aux oreilles du jeune prodige ? Et quand bien même, avant il y a une semaine, ils ne s'étaient pas parlé depuis une dispute monumentale, peu après laquelle il s'était ouvert le bras avec un bout de miroir. Il n'a vraiment rien trouvé comme autre façon de briser la glace ?
— C'est toi qui dis ça ? le blondinet retourne pourtant seulement.
Il contient son agacement en cramponnant le rebord de la rampe sur laquelle il est assis, ses phalanges blanchies par la contrainte qui leur est imposée.
— Mae a été retrouvée, alors on m'a laissé sortir. Sa captivité était un peu la dernière raison pour laquelle on me gardait encore à l'intérieur. Puisqu'en apprenant ce qui lui était arrivé je n'ai pas complètement pété un câble, j'ai été jugé apte à réintégrer la société dès que je voudrais, Caesar résume succinctement et sans émotion les circonstances et raisons de sa libération, même s'il se doute que son camarade aura déjà compris tout ça par lui-même.
Ne pas l'avoir trouvé au lycée, et ensuite la tête de Sylvain lorsqu'il lui a dit qu'il n'était pas chez lui non plus, ont confirmé au grand brun que la nouvelle du sauvetage de Mae était parvenue à son meilleur ami. Elle s'est visiblement répandue comme une traînée de poudre après que Markus l'a rapportée à Ellen et Nelson, sans pourtant que ni l'un ni l'autre ne soit partisan des commérages. La simple visite du grand frère de leur camarade kidnappée a sans doute mis la puce à l'oreille de beaucoup de monde. Et comme Caesar sait par son père et ses deux étranges acolytes informaticiens que Jack s'était lancé dans sa propre enquête, il n'est pas surpris qu'il ait voulu s'isoler en entendant l'histoire officielle, qui ne colle certainement pas en tout point avec les éléments qu'il a pu rassembler par lui-même. Car il ne fait pas de doute non plus pour lui qu'il a trouvé plus de choses qu'ils ne le croient tous. Il ne se souvient pas s'être déjà trouvé dans une situation où les capacités du surdoué n'étaient pas sous-estimées. Même quand on le connaît, il est imprévisible.
— Pourquoi tu n'es pas avec elle, alors ? raille le petit blond.
Il redoute la réponse véritable, tout en sachant qu'il ne l'obtiendra pas.
— Elle n'est pas encore réveillée. Et elle ne va pas avoir besoin de mille personnes au-dessus d'elle quand ce sera le cas. Aussi, j'étais pas hyper à l'aise à l'hosto, je t'avoue, ne cache pourtant pas l'autre.
Même en ces circonstances critiques, l'honnêteté est encore pour lui la meilleure politique. Il est d'ores et déjà mal à l'aise à l'idée de devoir mentir incessamment sous peu. Il compte faire de son mieux pour esquiver les questions les plus piégeuses, mais il est bien conscient qu'il ne pourra pas échapper à toutes. Et pour ne rien gâcher, ce n'est pas du tout comme s'il devait duper le dernier des imbéciles.
Cette réponse n'est pas ce à quoi Jack s'attendait, mais il voit bien qu'elle est sincère. Ça ne signifie cependant pas pour autant qu'il a tort de penser qu'il y d'autres raisons encore derrière l'apparition de son ami à ses côtés. Il aurait pu aller n'importe où ailleurs, en quittant le chevet de sa frangine, et surtout il aurait pu rester seul. Mais il a choisi de venir le voir lui.
— Et donc tu as décidé de me chercher à travers toute la ville ? il continue donc de remettre en question le comportement de son camarade, dont l'incohérence ne fait pour lui que confirmer que tout n'est pas clair dans cette histoire.
Il lève ses yeux pâles vers lui pour la première fois depuis qu'il l'a rejoint. Il a l'air défiant et suspicieux, et presque blessé aussi, même si c'est difficile à dire tant c'est une émotion qui le traverse rarement.
— Je me suis dit que c'était une occasion comme une autre pour discuter, vu comme on a laissé les choses au bal. Et avant ça, même. Est-ce que tu cherches à ce que je m'excuse pour t'avoir mis mon poing dans la figure ? Caesar se justifie en toute simplicité.
L'idée de le retrouver dès aujourd'hui lui est effectivement venue à la dernière minute. Il savait qu'il allait devoir le retrouver un jour, notamment pour gérer ses potentielles suspicions au sujet de sa famille, mais il n'en a pas vraiment discuté avec qui que ce soit, et il ne s'était pas arrêté lui-même sur une marche à suivre précise.
— Si tu savais le nombre de personnes qui m'ont mis leur poing dans la figure dans cette cafét' depuis toi, tu ne poserais pas la question, Jack écarte cette explication possible de sa contrariété en secouant la tête avec mépris.
Leur altercation physique est bien lointaine, pour lui. Et même s'il n'avait pas cherché la bagarre par la suite, ce n'était pas la première fois qu'il prenait une beigne. D'ailleurs, c'était qui plus est sans doute la plus légitime de toutes celles qu'il a reçues. Il n'a donc aucune raison d'en vouloir à son ami pour si peu. Non, c'est tout autre chose qui le dérange aujourd'hui.
— Alors c'est quoi, ton problème ? l'interroge Caes plus doucement que sa tournure de phrase ne le suggère.
Il anticipe et quelque part redoute la réponse à sa question, mais il ne sait pas comment faire avancer la conversation autrement.
— Mon problème, c'est que ta sœur a été retrouvée, et son histoire ne tient pas la route, le petit blond confirme ce que son pote avait déjà deviné.
Il a une grimace de frustration à l'idée de ne pas avoir réussi à élucider le mystère encore, et se détourne de plus belle, bougon.
En sortant de sa salle d'examen en début d'après-midi, avec près de deux heures d'avance car moins motivé que d'habitude à ménager la concentration de ses collègues, Jack était tombé sur Sarah Degriff, entourée de toute une bande de ses copines pimbêches. Ordinairement, il filtre le bruit de fond permanent fourni par leurs piaillements mesquins, mais cette fois, son oreille avait été attirée par la mention de Mae. Tombé en arrêt, il avait d'abord écouté la reine des pestes se plaindre de toute l'attention reçue par la disparue, jusqu'à ce qu'elle en arrive à évoquer son sauvetage. Il l'avait alors saisie par le bras pour l'interroger, et entre deux protestations suraiguës avait obtenu les renseignements qu'il cherchait.
La faute est rejetée sur l'oncle. Un criminel quelconque lui aurait retiré sa nièce pour se venger. Bien que convaincu que pour une fois la rouquine n'invente rien, le blondinet ne croit pas une seconde à ce scénario pour autant. Filant comme s'il avait le diable aux trousses, il s'était empressé de rentrer chez lui afin de coller son oreille au plancher proverbial et récupérer plus de détails sur l'accusé. Si aucun rapport officiel n'est évidemment déjà sorti, l'assaut n'est en revanche pas sans avoir eu quelques témoins, qui eux ont déjà rendu compte aux journaux. Ces derniers attendront l'aval des autorités avant de publier quoi que ce soit, mais leurs bases de données sont moins sécurisées que celles de la Police. Les informations sont maigres, mais suffisantes pour que l'adolescent se rende compte qu'il ne peut pas les raccrocher avec celles dont il dispose déjà.
— Qu'est-ce qui ne tient pas la route dans son histoire, d'après toi ? rebondit calmement Caesar.
Il fait un effort pour rester léger, car il sait que passer à la défensive constituerait des aveux pour son ami. Il ne sait pas encore quelle quantité de grain il a à moudre, mais quoi qu'il en soit, il n'aimerait pas ajouter à la pile.
— C'est pour ça que t'es venu ? Pour me faire taire ? Jack l'accuse en dépit de ses précautions, et enfin directement.
Il est las de tourner autour du pot et de lui tendre des perches pour qu'il l'admette de lui-même. Il ne l'a jamais connu si prudent dans sa façon de s'exprimer. Il n'a jamais été particulièrement bavard, il le lui a suffisamment reproché par le passé, mais quand il parlait, jusqu'à maintenant, il donnait plus l'impression d'avoir du mal à exprimer ce qu'il pensait que de lutter pour ne pas laisser filtrer quelque chose de compromettant. Et ça, ça n'est pas une conséquence de quelque thérapie que ce soit.
Caesar ne répond pas immédiatement, car le reproche n'est pas loin de la vérité. Il n'a pas vraiment décidé à l'avance de venir le voir. Ce n'était pas prévu qu'il participe activement au subterfuge du retour de sa sœur au même titre que son frère par exemple. Mais plus il y a repensé, plus il s'est tout de même dit que le fait que Jack ait creusé de son côté ne pouvait pas être aussi sous contrôle que son père le lui a raconté. C'est gravement sous-estimer le surdoué que de penser pouvoir contenir son génie. Il en est parfois effrayant de ressources. Alors, il s'est dit qu'il allait au moins tâter le terrain. Mais peut-être que le faire si tôt n'était pas une bonne idée. Peut-être qu'il aurait dû prendre plus de temps pour se préparer à cet échange.
— Est-ce que ce n'est pas un peu ma mission divine de te faire taire en permanence ? il plaisante doucement, pour dissimuler sa gêne.
— Les types qui l'ont emmenée portaient un insigne. Contrairement à ceux qui voulaient me prendre moi et ont failli te prendre toi, ils étaient organisés. Pourquoi est-ce qu'ils se seraient postés dans une bête maison, alors ? En surface ? Et si proche de la ville ? Jack lui soumet, ne se laissant pas distraire par sa boutade.
— Je…
— Et pourquoi ils seraient allés bosser pour un mec seul, aussi ? Sans vouloir blesser personne, pour tous ses mérites, ton oncle est loin de se frotter aux malfrats qui recrutent usuellement des stipendiés de ce genre-là, poursuit le blondinet sans avoir laissé à celui qu'il questionne l'occasion d'en placer une.
— Donc, ton objection, c'est que les méchants ont été mauvais à leur job ? C'est comme ça que Mae a été trouvée, qu'est-ce que tu veux de plus ? se permet de lui faire remarquer Caesar, profitant de cette brève pause où il le dévisage.
— Le symbole que Bren a vu ressemble curieusement à l'entrelacs d'un Delta et d'un Gamma. C'est pas drôle, que le jour de ton petit numéro, un labo avec les initiales DG, pour un nom qui sent méchamment l'étymologie grecque, ait été démantelé ? ne démord pas Jack, prenant un autre angle d'approche, puisqu'il n'en manque pas.
— Er… Tu penses vraiment que je me suis ouvert le bras à cause d'un fait divers ? oppose cette fois le grand brun.
Il sait à quel point cette idée est difficile à avaler puisqu'il a lui-même mis près d'un mois à l'accepter. Même quand son père lui a tout avoué, il n'a pas réussi à comprendre comment il avait fait le lien à l'époque.
— C'est arrivé deux semaines après le soi-disant accident de ton père. À propos duquel tu m'as dit toi-même que j'avais raison, le blondinet prend maintenant ce qu'il lui a glissé le soir du Bal comme argument.
— Je venais d'apprendre que Mae avait été enlevée. Je pensais que ça avait quelque chose à voir à ce moment-là, mais… commence Caes, sans savoir comment terminer sa phrase, malheureusement pour lui.
— Et tu m'expliques pourquoi l'ex copine de ton frère traîne toujours chez vous ? Jack revient à la charge de plus belle.
Il est inlassable, et de toute manière peu désireux d'entendre les explications fumeuses du grand brun. Il saurait qu'il a raison même sans ces marques d'hésitation de la part de son meilleur ami. Même face au plus talentueux mythomane du monde il tiendrait bon. Et Caesar reste le pire menteur qu'il a jamais rencontré, ce dont il se vexerait presque, pour avoir déjà essayé de lui inculquer les bases de ce qu'il considère comme un art.
— Je… J'en sais rien, j'étais pas là, est tout ce que l'accusé trouve comme excuse.
Elle est somme toute valable, même si rendue peu crédible par la faiblesse avec laquelle elle est offerte.
— Elle est venue te voir la semaine dernière, pourtant. Vous vous êtes regardés dans le blanc des yeux pendant une heure et demie ? s'enquiert Jack avec sarcasme.
Il n'a appris les visites que Caesar a reçues la semaine passée que parce qu'il a voulu vérifier qu'il n'était toujours pas sorti de l'institut. Grand bien lui en a pris, puisque ça n'a fait qu'ajouter de l'eau à son moulin. Jena est forcément plus impliquée dans cette affaire qu'en tant qu'ex petit amie du grand frère et témoin du rapt, sinon il n'y aurait eu aucune raison pour qu'elle soit l'une de ses premières visites après qu'il a appris pour l'enlèvement de sa sœur.
— Elle était là quand Mae a été enlevée. Elle a tenu à venir m'en parler en personne, vu que j'étais pas mal choqué de la nouvelle. On n'a pas discuté de ce qui s'est passé avec Markus, Caes rétorque avec des éléments choisis de la vérité, pour ne pas avoir à mentir franchement.
— Elle ne t'aurait pas dit comment elle s'est blessée et ensuite miraculeusement rétablie en l'espace d'une douzaine de jours, par hasard ? Parce que ça m'intéresse, ne serait-ce que par pure curiosité scientifique, continue le blondinet sur sa lancée.
Il est loin d'être à court d'arguments encore pour soutenir que le retour de Mae est une vaste couverture. Il n'a peut-être pas la vérité, mais il sait que ce n'est pas ce qui est en train d'être vendu à tout le monde.
— Quoi ? Non ! De quoi tu parles ? s'exclame Caesar, criant de sincérité cette fois puisque ce détail de l'intervention a été omis de ses cours de rattrapage.
Il savait pour la chute volontaire de la copine de son frère, mais pas pour la manière dont elle s'en était remise. Jena avait diminué la gravité de ses blessures lors de son récit, afin de ne pas avoir à parler de ce qu'avait fait Ben, qui la laisse encore suffisamment retournée pour qu'elle estime ne pas avoir besoin de mettre le grand ado mal à l'aise avec cette idée lui aussi.
Puisqu'il peu percevoir l'honnêteté dans cette dernière réaction, Jack hoche la tête, et lève un peu le pied dans ses attaques :
— Ah, enfin un truc vrai. Je suppose que tu n'es pas au courant non plus pour les gardes du corps qu'elle semble avoir affectés à ta famille. Ou les étranges similitudes entre ce qui est arrivé à sa sœur et au meilleur pote de ton frère, alors.
— Tout n'est pas relié dans une vaste conspiration, Jack ! finit tout de même par s'écrier Caesar.
Il prend son visage entre ses mains à l'avalanche de questions qu'il vient de subir. Elles visent toutes justes, et il pense n'avoir réussi à se tirer d'aucune. Comment est-ce que Jack a réussi à arriver aussi loin dans son enquête ? Alors qu'il a été bloqué à chaque tournant par la Police, par son père, et surtout par Anubis et Jazz ? Le grand brun n'a pas encore rencontré le couple, mais d'après la description qui en a été faite par un peu tout le monde, il ne doute pas de leurs capacités. Il a beau s'être attendu à être surpris, il est quand même impressionné. Il ne pensait pas pouvoir se sentir plus mal de devoir cacher la vérité au petit génie, et le voilà détrompé.
— Tu oublies à qui tu parles. Tu vas peut-être pouvoir faire croire ça à n'importe qui d'autre, mais je ne serai pas dupe, feule le tatoué en réponse.
Il est particulièrement froissé que Caesar de toutes les personnes tente de l'abuser. Il n'a pas investigué que pour lui, mais ça le blesse tout de même énormément qu'il néglige autant le service qu'il a voulu lui rendre. Clairement, c'était peut-être inutile, en fin de compte, puisque ceux pour qui il pensait déterrer les faits sont en réalité ceux qui cachent le plus de choses, mais ses intentions étaient bonnes, pour une fois. Il ne veut pas une médaille, mais au moins plus d'égards que le conte prémâché qu'on va essayer de vendre à qui voudra l'entendre. C'est déjà un scandale que la Police et les journaux l'avalent.
— Jack, je suis de retour. Mae est de retour. Est-ce qu'on ne peut pas juste apprécier ça sans essayer de démonter le pourquoi du comment ? le grand brun lui propose alors, braquant ses yeux dans les siens.
Leurs regards qui jusqu'ici se fuyaient l'un l'autre se percutent avec intensité. Le marron profond de Caesar supplie le noisette pâle à la fois enflammé et glacé de son meilleur ami. L'impression de changement que Jack a eue en le croisant au bal et lorsqu'il est venu s'asseoir à côté de lui aujourd'hui achève d'être tout à fait confirmée par cette communication silencieuse. Il n'y a pas que sa coupe de cheveux plus courte, ça va au-delà de ça. C'est comme s'il avait pris plusieurs années en quelques mois. Setsuko s'en est également fait la remarque alors qu'elle ne le connaît que depuis peu. Son calme déjà contagieux a pris une nouvelle ampleur. Le jeune prodige a toujours apprécié cette caractéristique, mais elle ne lui avait jamais été appliquée avec une telle force, et encore moins alors qu'il était si remonté. Il a l'impression d'être percuté par un paquebot.
— Nan, t'as raison, je suis rien qu'un petit con, je vois pas pourquoi je m'attends à ce que qui que ce soit me fasse confiance… il lâche finalement en se détournant à nouveau vers les patineuses toujours en plein entraînement.
Il sait que s'il continue à fixer Caesar, il va lui faire grâce de tout. De son rejet il y a des mois, puis de son geste ensuite, et de son absence après ça. Il lui pardonnerait même ses mensonges d'aujourd'hui. Il est celui qui a toléré le plus de ses facéties, est resté impassible au plus grand nombre de ses entreprises plus douteuses les unes que les autres. Il est la seule personne à lui avoir souhaité son anniversaire malgré toutes ses mesures pour s'en prévenir de la part de qui que ce soit. Il est le seul ami qu'il a jamais eu.
— La confiance va dans les deux sens, laisse échapper Caesar machinalement, presque comme un réflexe, un adage qu'il n'a même pas le temps de se demander s'il pense vraiment.
— Alors demande-moi de te faire confiance, au lieu de baratiner ! répond pourtant l'autre du tac au tac, écartant les mains avant de serrer les poings et les mâchoires sous le coup de la frustration.
— Fais-moi confiance, Jack, déclare donc son camarade, en toute simplicité.
Il aurait vraiment dû mieux anticiper leurs retrouvailles, mais maintenant que c'est fait, c'est trop tard, autant assumer. Et le seul résultat qui compte, c'est de surtout ne pas faire de son meilleur ami un antagoniste. Déjà pour la simple raison que si ça arrive ils sont tous perdus, et ensuite et surtout parce que Caesar ne pense pas qu'il va arriver à gérer tout ce qui se passe sans son soutien. Il n'a jamais caché que leur amitié s'est nouée malgré lui, à son insu, mais il ne peut pas non plus nier l'importance qu'elle a prise aujourd'hui. Pour lui aussi, son camarade est une source d'équilibre, le chaos de son inertie, la tempête de son calme.
Sa demande n'est pas vraiment juste, cependant, ils en ont tous les deux conscience. Ce n'est pas comme si le jeune prodige avait le choix. Quelle est son alternative ? Continuer à fouiner, se faire rembarrer à tous les coins de rue par une force invisible, et perdre son meilleur pote dans la manœuvre ? Pour un résultat net de quoi, puisque la seule et unique raison pour laquelle il voulait découvrir la vérité en premier lieu c'était pour se rendre utile au besoin. Comment est-ce qu'on aide quelqu'un qui ne veut pas de votre assistance ? Et comment est-ce qu'on accepte d'être tenu à l'écart par quelqu'un à qui on ne veut pourtant que du bien ? Est-ce qu'il n'y a vraiment rien qu'il puisse faire ?
— Est-ce que tu me diras au moins sur quoi j'ai bon ? tente de négocier l'imploré, un peu radouci.
— Je peux pas faire ça. Ce sont même pas mes secrets à partager. Tout ce que je peux te dire, c'est que si tu n'arrêtes pas de creuser, ça va mal finir pour tout le monde, répond le grand brun en secouant la tête.
Il est quelque part un peu soulagé de ne plus avoir à prétendre, d'avoir au moins le droit de dire qu'il ne peut pas en parler. Peut-être qu'il aurait dû considérer cette option de lui-même au lui d'y être amené. Sauf qu'il n'aurait jamais pu croire qu'une telle tactique fonctionnerait sur une tête de mule comme Jack. La psychologie inversée est son excuse préférée pour faire tout et n'importe quoi.
— D'accord, accepte pourtant le petit blond en acquiesçant quant à lui lentement.
— Vraiment ? s'étonne Caesar d'une reddition si rapide.
— Je vais arrêter de creuser activement, mais je ne m'interdis pas de rester à l'affût d'infos que tu laisseras filtrer. Et je ne désespère pas qu'un jour tu comprennes que je suis très doué pour la dissimulation, le tatoué élabore les termes de sa capitulation.
Il n'est capable de prendre sur lui que jusqu'à un certain point seulement.
— Même si c'était de ça dont j'avais peur, ce n'est pas moi qu'il faudrait convaincre, commente le grand brun en souriant, content de retrouver là le Jack qu'il connaît.
Ne prenant pas ça pour un non définitif, le surdoué n'ajoute plus rien. Caesar le rejoint dans sa contemplation muette de l'horizon, comme ils s'y sont déjà plongés ensemble avant d'engager la conversation. Tout étant plus clair pour l'un comme pour l'autre, un poids leur est retiré des épaules. Le prochain sujet abordé est indéniablement moins sérieux, traitant de l'intérêt marqué du plus rebelle de leur duo pour les jolies filles en minishorts.
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