2x09 - Plein phare (12/19) - Souffle de vie

Chacun a son rôle à jouer. Et malgré le peu de temps de préparation dont ils ont bénéficié, chacun doit le jouer à la perfection. La moindre fausse note dans un témoignage, la moindre incohérence entre deux discours, et tout pourrait encore s'écrouler. Or, ce n'est pas un risque qu'ils peuvent se permettre d'encourir. Si ce qui est arrivé à Mae est remis en question, Sam et Patrick ne seront que les premiers à en payer le prix. Une enquête sur leur mensonge mènerait à Chuck, ce qui conduirait à s'intéresser de plus près à la connexion avec DeinoGene, et ramènerait finalement à Alek. Exposé, il entraînerait Caroline et Robert dans sa chute. Les Kampbell ne seraient sans doute pas loin derrière à tomber, à moins qu'ils n'arrivent à s'enterrer avant. Jena, Vladas, et Siegfried devraient disparaître également. Et surtout, Mae serait tuée.

C'est à toutes ces implications que songe Markus en s'avançant dans les couloirs de son ancien lycée. Il ne peut que se réjouir que sa contribution au subterfuge soit si mineure. Et aussi que tout soit bientôt terminé. Le raid factice semble s'être déroulé sans accroc, et de ce qu'il a vu à l'hôpital, Bertram a effectivement réussi à masquer toute anormalité dans la physiologie de sa patiente. Dommage que ce ne soit que temporaire. Et qu'il prédise également que Mae ne puisse pas le supporter éveillée. Mais de toute façon, l'étudiant ne pense pas que ça garantisse une réelle normalité pour sa petite sœur, alors ça n'aurait pas été une solution pérenne quoi qu'il en soit.

Lorsque le jeune homme atteint la salle de cours qui lui a été indiquée par le surveillant général, il souffle pour se donner du courage avant de frapper. Une voix de femme mûre l'incite à entrer, et il ouvre la porte en souriant :

— Bonjour. Désolé de l'interruption. J'aurais juste voulu vous emprunter Ellen et Nelson quelques minutes, si possible ? J'ai une autorisation, il s'annonce poliment.

Il s'efforce d'ignorer la trentaine de lycéens qui braquent leur attention sur lui comme une seule personne, à la manière de moutons dans une étable. Mrs. Hemmerson pianote sur la surface de son bureau devant elle afin de vérifier qu'un visiteur a bien été annoncé pour les élèves qu'il vient de nommer, puis lui donne son accord d'un hochement de tête et d'un geste. Assis côte à côte, les deux adolescents se dévisagent, inquiets de ce que Markus peut bien avoir à leur dire qui ne pouvait pas attendre la fin des cours. Ignorant eux aussi les regards de leurs camarades, ils quittent leur place et traversent chacun une allée jusqu'à la sortie.

— S'il te plaît, ne nous apporte pas de mauvaise nouvelle, lâche Ellen d'une traite dès que la porte de leur salle de cours s'est refermée derrière eux, paniquée.

— Mauvaise nouvelle ? Non ! C'est tout l'inverse : je viens vous dire qu'on a récupéré Mae, il la corrige instantanément.

Il ne peut pas vraiment blâmer la jeune fille pour son appréhension. Même en sachant qu'il allait recevoir la bonne nouvelle du retour de sa sœur, il n'a pas pu s'empêcher de se tendre, lorsqu'un duo de policiers en uniformes est apparu dans son amphithéâtre, tout à l'heure. Ceci étant dit, il n'est pas en uniforme, lui. Est-ce qu'Ellen a sincèrement pensé qu'il lui apporterait lui-même une mauvaise nouvelle au sujet de sa propre petite sœur ? Et aussi, est-ce qu'elle n'a pas vu sur son visage qu'il n'était pas dévasté ? Il aime bien la marginale, mais il doit bien admettre qu'il a encore un peu de mal à la comprendre, parfois.

— Quoi ? T'es sérieux, là ? Pas de blague ?

Prudent, Nelson préfère vérifier avant de se réjouir. Rien dans ce qu'il sait de Markus ne pourrait lui laisser penser que c'est le genre de plaisanterie qu'il oserait ou même voudrait faire, mais c'est plus fort que lui ; son aversion pour les fausses joies est trop grande.

— Oui ! Elle est probablement déjà sur le chemin de la maison, l'étudiant confirme ce qu'il vient de leur annoncer.

Il est très content de faire des heureux de manière aussi sans équivoque pour la première fois depuis longtemps. Le sincère soulagement sur les visages d'Ellen et Nelson fait plaisir à voir. Il se sent soudain d'autant plus coupable d'avoir dû feindre la surprise lorsqu'on est venu le chercher dans son amphi. Il doit paradoxalement en grande partie à l'anxiété d'avoir à jouer la comédie que les uniformes chargés de cette mission et toute sa promo autour n'y aient vu que du feu.

Les deux ados échangent un regard alors que la jeune fille commence à sautiller sur place. Nels a la main sur le haut de son front, à la limite de sa chevelure de jais, muet de béatitude.

— Oh Mon Dieu ! Elle va bien ? Qu'est-ce qui s'est passé ? enchaîne Ellen, surexcitée à présent.

Elle ne croit pas avoir déjà reçu une aussi bonne nouvelle de toute sa vie. Et elle a beau se creuser les méninges, elle ne pense pas qu'elle pourra un jour être plus satisfaite de quelque nouvelle que ce soit. C'est la quantité maximale de soulagement qu'elle pense être capable de ressentir.

— Oui, elle va bien. Elle n'a rien. C'est un taré qui en voulait à mon oncle qui l'a fait enlever, mais il l'a simplement gardée sous anesthésie pendant tout ce temps. Elle commençait déjà à montrer des signes de réveil tout à l'heure, et a priori, elle ne devrait se souvenir de rien depuis qu'elle a été prise.

Il raconte diligemment le mensonge sur lequel toute sa famille s'est accordée, s'efforçant de se focaliser sur le fait que la part de vérité concerne l'état de sa sœur, et c'est bien là le plus important.

— On peut aller la voir ? demande Nelson.

Il n'a jamais arrêté d'espérer le retour de sa meilleure amie une seule seconde, et pourtant, il ne sait pas trop comment réagir en voyant ses prières exaucées. Un quart d'heure plus tôt, il était toujours énervé par l'attitude de Jack dans cette histoire, et quelque part un peu aussi celle d'Ellen. Mais les facéties du blondinet sont oubliées, maintenant. Qu'importe qu'il ait eu tort ou raison, si tout est terminé. Qu'est-ce qu'on s'en fiche, de ce qui est passé par la tête des cinglés qui ont enlevé Mae, du moment qu'elle a été récupérée saine et sauve ? Le plus tôt cette histoire sera reléguée au passé, le mieux ce sera pour tout le monde.

— Pas encore. On prévoit qu'elle soit pas mal désorientée et faible au début. On va commencer par la ramener à la maison, et on va lui laisser un peu de temps pour se remettre avant de lui amener des visiteurs. Mais je vous promets de lui dire que vous pensez à elle, comme je ne doute pas qu'elle va demander après vous. Et vous serez les premiers que j'amènerai à la minute où elle sera prête. Tout comme vous êtes les premiers à qui on voulait annoncer qu'on l'a retrouvée.

Bien que déçu par cette tempérance de ces ardeurs par Markus, Nelson comprend tout à fait. S'il tombe des nues, alors qu'il a passé le cap du choc de la nouvelle de l'enlèvement, et a eu le temps de s'inquiéter pendant tout ce temps, il n'ose pas imaginer ce que ça va être pour Mae, alors qu'elle ne doit se souvenir que d'avoir été prise par ces types…

— Oh. Mais vous avez chopé le coupable, pas vrai ? enchaîne l'adolescent, un peu plus sombre mais voulant être absolument certain de la résolution de la situation.

— Oui. Tous les responsables ont été stoppés. C'est terminé, répond Mark sans ambiguïté, et surtout sans mentir, cette fois.

Enfin, sans mentir sur le principe. Les mercenaires qui ont précisément frappé Brennen au visage et emmené Mae sont toujours dans la nature, mais leur commanditaire est morte depuis presque trois semaines.

— On peut… Est-ce qu'on a le droit d'en parler ? demande Ellen.

En ce qui la concerne, elle n'a pas oublié le meilleur ami de Caesar. Et elle s'en voudrait qu'il continue à creuser et s'attire les foudres de Nelson encore, alors que ce n'est plus la peine. Quoi que son camarade en pense, elle estime qu'il a fait du bon travail et mérite d'être tenu informé tout autant qu'eux.

— Bien sûr. Ce n'est pas un secret. Tout est véritablement terminé, confirme Markus.

La nouvelle devrait bientôt paraître dans les journaux de toute manière, et il n'a délivré aucune information à l'instant qui priverait quelque journaliste que ce soit de son exclusivité. Il va falloir quelques jours encore avant que les détails de l'enquête – aussi fabriqués soient-ils – fassent surface, puisque les rapports de Police officiels doivent être rédigés en bonne et due forme, mais dans les grandes lignes tout devrait sortir très vite. Attrapé la main dans le sac et offrant des aveux complets, Kayle ne fait pas partie de ces suspects dont on protège l'identité jusqu'aux résultats de leur procès. Les fausses confessions sont des choses qui arrivent, mais en dehors du fait que ceux qui les fournissent savent à quoi ils s'exposent, elles constituent de toute manière un délit en elles-mêmes.

— Et c'était à cause de votre oncle, alors ? se permet de relever la marginale, revenant sur la brève explication donnée par l'étudiant.

— Apparemment, Mark valide le mensonge sans élaborer, avec un hochement de tête.

Il ne peut pas s'imaginer où elle veut en venir. Grâce à Ann, tout le clan Quanto est au courant que Jack a cherché de son côté. Ils savent aussi qu'il a été contrecarré à chaque tournant dans son investigation, et n'a par conséquent sans doute pas pu aller bien loin. Ce qu'ils ignorent, c'est qu'il a tenu du monde informé, même de son avancée limitée.

— Qu'est-ce que ça peut faire, Ell' ? Mae est de retour ! rabroue Nelson.

Il voit très bien pourquoi elle cherche à remettre en cause cette description de ce qui s'est passé, lui, et ça ne lui plaît pas plus que tout à l'heure. Tout ça parce que ça ne colle pas avec les théories folles de l'autre cinglé. Elle s'attendait sérieusement à ce qu'au retour de Mae tout soit confirmé ? Qu'ils apprennent que c'était la faute de Jena ou Aleksander voire les deux ? Il n'est plus bien sûr du dernier suspect en date, car très honnêtement, ça ne l'intéresse pas. La solution la plus simple est souvent la bonne, et c'est quand même mille fois plus logique que tout ça soit arrivé à cause de l'oncle de Mae qu'à cause de son père. Le premier est dans les forces de l'ordre et s'attire légitimement les foudres de criminels, alors que l'autre est juste un chercheur. Et en plus il a quitté le service de l'armée bien avant que sa fille ne se fasse kidnapper.

— On devrait retourner en cours. Merci, Markus !

De peur de remettre son ami dans le même état qu'avant le déjeuner, Ellen coupe elle-même court à ses propres questions.

— Je vous assure que le plaisir est pour moi ! À bientôt !

L'aîné de trois les salue, puis les laisse rentrer dans leur salle après avoir frappé, avant de lui-même tourner les talons.

Alors qu'il se réjouit d'une affaire si rondement menée, ayant pu faire deux heureux sans s'emmêler les pinceaux dans son histoire, il est loin de se douter que la dernière question de la meilleure copine de sa sœur relevait de plus que de la simple curiosité. L'adolescente gantée n'arrive pas à se concentrer sur la fin de son cours d'algèbre, occupée à faire coller ce qu'elle vient d'apprendre à ce qu'elle croyait savoir. Elle ne remet pas en doute la parole de Markus, mais elle n'arrive pas à comprendre comment Jack a pu se tromper à ce point. Rien de ce qu'il pensait ne semble être correct. Selon lui, l'oncle Sam n'était impliqué que dans la dissimulation de la vérité, il n'était pas à l'origine du problème. Sauf que, par ailleurs, les hypothèses du petit blond au sujet de Jena et le père de Mae paraissaient se tenir. Est-ce qu'il serait possible que l'enlèvement n'ait effectivement rien eu à voir avec ça, mais qu'il n'ait pas fait erreur dans son analyse pour autant ? Et s'il se passait plusieurs choses en parallèle chez les Quanto ? Ce serait franchement pas de bol, mais on sait jamais. Ce qui est sûr, c'est qu'il ne faut surtout pas que Nelson soit là lorsqu'elle soumettra l'idée à Jack.

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