2x09 - Plein phare (6/19) - Éveil
Debout à la fenêtre de sa chambre, la première épaisseur de ses rideaux pourpres pourtant tirée, Mae doit plisser les yeux pour ne pas être aveuglée. Elle se force à lutter encore un moment avant de devoir les fermer complètement, incapable de supporter plus longtemps la luminosité pourtant faible qui filtre à travers le tissu. C'est comme ça depuis qu'elle s'est réveillée. Tous ses sens la trahissent, se retournant contre elle avec une vengeance, lui envoyant de manière aléatoire des stimuli bien plus forts qu'ils ne devraient.
Au début, le plus inconfortable avait été le toucher ; ses vêtements, les meubles, et même le sol sous ses pieds nus lui étaient intolérables. Sa seule chance a été de bien répondre aux matériaux de confection homienne, qui avaient déjà été utilisés pour remplacer ce avec quoi elle avait déjà été en contact avant son réveil, car avant d'être des matériaux qu'elle supporte, ils avaient déjà été établis comme des matériaux qui lui résistent. Ses amis venus d'ailleurs ont donc eu la gentillesse de lui fabriquer une copie conforme de sa garde-robe et de son linge de literie, ainsi que de certaines choses du quotidien qu'elle ne pourrait pas faire sans toucher. Aussi reconnaissante soit-elle, il reste malheureusement dommage que la même démarche ne puisse pas être appliquée à tout, comme notamment l'eau ou la nourriture.
Elle n'a pas été en capacité de prendre une douche ou avaler quoi que ce soit depuis qu'elle est revenue à elle. L'odeur de la nourriture lui donne parfois la nausée. Et à chaque fois qu'elle passe seulement la main sous un robinet, quelle qu'en soit la température, c'est comme si on lui versait de l'acide sur la peau. Ce qui est paradoxalement ce que son contact provoque chez les autres, jusqu'à nouvel ordre. Sauf les Homiens, évidemment, qui apportent justement et là encore une solution en continuant à lui fournir les nutriments dont elle a besoin par ce biais, comme ils le faisaient déjà lorsqu'elle était inconsciente. Être alimentée par contact est embarrassant maintenant qu'elle est réveillée, mais elle n'est plus à ça près.
Le moindre mouvement dans sa vision périphérique la fait sursauter, comme si elle était en état d'alerte permanent. Elle entend Markus tourner dans son lit la nuit, et parfois même elle jurerait que les battements du cœur de son père lui parviennent. Elle est cependant contente que les odeurs et les voix humaines lui fassent la majeure partie du temps le même effet qu'avant. Son hyperesthésie sélective va et vient, irrégulière et gênante. Ce n'est même pas une douleur, juste une saturation épuisante, trop d'informations lui parvenant à la fois pour qu'elle puisse tout gérer de front.
Gregor dit qu'en la déconnectant de son système nerveux pendant son traitement, il a comme forcé une réinitialisation lorsque le branchement a été remis en place. Elle est comme un nouveau-né, à calibrer tout ce qu'elle perçoit sur une échelle de pertinence et d'importance. Il lui a même demandé si elle voyait son nez, se demandant si cette ignorance basique et réflexive avait été perdue également. Par chance, ce n'était pas le cas. Et elle pense qu'il n'a pas tort, et que petit à petit elle commence à retrouver ses marques. Sauf qu'elle a l'impression que c'est beaucoup plus lent que chez un nourrisson.
— Est-ce que tu es prête ? lui demande Strauss dans son dos, la tirant de ses pensées.
Elle se retourne vers le grand brun en costume, dans l'encadrement de la porte de la pièce. Il s'est porté volontaire pour chaperonner Bertram alors qu'il la préparerait pour la mise en scène de son sauvetage. Le Docteur n'est jamais laissé seul avec elle, et il s'avère que Vladas et Siegfried, qui le surveillent la plupart du temps, sont quant à eux en train de se changer en vue de se faire passer pour les mercenaires engagés par Kayle. Andy, Chad, et Ben complèteront l'équipe factice et sont eux aussi en train de s'apprêter à l'étage inférieur. Chuck, Sam, et Patrick sont au commissariat, en train de briefer leur propre équipe pour l'assaut. Quant à Alek et Markus, ils ont quitté la maison au matin, l'un pour tromper son anxiété et l'autre pour aller en cours comme si de rien n'était. Reste donc seulement le jeune Diplomate, Jena, et les Kampbell pour veiller au grain, et Strauss tenait tout particulièrement à accompagner l'adolescente dans cette épreuve. Le couple de pirates étaient plus inquiets du père de famille et l'ont donc accompagné. Quant à Jen, elle ne se sentait pas capable de regarder la scientifique faire quoi que ce soit à l'adolescente, et a donc choisi de s'occuper de son encadrement pendant l'opération.
— À faire plonger celui qui a en réalité été essentiel à mon sauvetage ? Non. Mais je crois que ce sera jamais la cas, donc bon, Mae répond à la question avec bien plus d'assurance qu'elle n'en ressent réellement.
Elle arrive même à sourire à son interlocuteur. Elle arrive toujours à lui sourire. Il fait partie de ces quelques personnes qui la font instantanément et irrationnellement se sentir en toute sécurité. Même le malaise qu'elle ressentait au début à le voir évoluer en compagnie de sa famille n'a jamais su tromper cet effet qu'il a sur elle par ailleurs. Elle ne l'a pas situé à l'époque, mais elle est convaincue qu'elle a eu cette sensation dès la première fois où elle l'a vu franchir le seuil de sa salle de cours.
— Puisque tu ne te souviens pas de ton emprisonnement, tu n'as en fait à accuser Kayle à aucun moment que ce soit, lui rappelle Strauss.
Il ne fait que reprendre les instructions d'Andy lors des briefings de la semaine passée. La belle blonde venue de l'espace a apporté les touches finales au plan de Kayle, avec son collègue Protecteur Chad. Ils ont également été particulièrement efficaces pour coacher tout le monde quant à son déroulement, malgré leur manque de tact partagé.
— Je sais. Je dis la vérité sur ce dont je me souviens, et je tais ce que je sais, Mae répète mécaniquement ce qui lui a été inculqué ces deux derniers jours.
Strauss lui sourit à son tour, lui donnant des frissons, puis s'écarte d'un pas sur le côté pour céder le passage à Gregor, derrière lui dans le couloir. Toujours menotté, le scientifique s'avance doucement vers sa patiente en rajustant ses lunettes sur son nez. Il a un petit pistolet injecteur entre les mains.
— C'est le cocktail que j'ai mis au point avec l'aide de… er… notre résident bouc émissaire. Ça devrait masquer tout ce que tu as subi, et reproduire les effets du sédatif sous lequel tu étais quand tu étais… là-bas. Lorsque tu te réveilleras, ton père aura déjà demandé à te ramener à la maison, et personne n'y aura vu d'objection, il récapitule maladroitement ce qu'il s'apprête à faire, bien qu'elle soit déjà au courant.
— T'es pas obligé de me parler comme si j'avais cinq ans, tu sais ? J'ai compris ce qui va se passer. On en a déjà parlé, elle le rassure.
Elle le sent encore plus stressé qu'elle, ce qui est un comble. Il va rester ici, lui. Il est tout autant à risque que les autres, mais si tout venait à capoter, alors il serait sans doute le dernier à se faire attraper. Mais c'est peut-être pire de voir tout le monde tomber avant soi, c'est vrai ; l'appréhension.
— Je n'ai pas exactement eu d'occasion de te demander ton avis auparavant, alors je me rattrape.
Il ne plaisante qu'à moitié. Comme toujours, son sourire échoue à pointer au coin de ses lèvres.
— Je ne me souviens pas de beaucoup de choses, voire de rien du tout, mais je sais quand même que tu m'as protégée. Je te fais confiance, elle lui répète pour la énième fois depuis son réveil.
Elle ne se retient qu'à l'ultime seconde de poser sa main sur son bras, mais elle ne la retire pas pour autant complètement, afin qu'il comprenne l'intention de son geste.
Bien que ce ne soit pas du goût de tout le monde, pour ne pas carrément dire que ça ne plaît à personne, Gregor est aussi l'une de ces personnes qui la font se sentir en sécurité. Ce n'est effectivement pas qu'elle se souvient, c'est qu'elle sait qu'elle peut compter sur lui, à un niveau instinctif irrépressible, qu'elle a bien du mal à expliquer à ceux qui auraient pourtant le plus besoin de l'accepter.
— Et quelle proportion de ce sentiment est due à ton traitement, tu crois ? il lui offre une nouvelle objection, comme à chaque fois.
La première fois, il avait tout simplement mis en doute qu'elle se souvienne de quoi que ce soit, ce qui n'était pas faux même si ça n'avait pas de rapport pour la jeune fille. Puis il avait suggéré qu'elle le confonde avec quelqu'un d'autre. Il avait même invoqué le syndrome de Stockholm. Une autre théorie était qu'elle prétendait pour se rendre la présence de son ancien tortionnaire supportable. Il est plein de ressources, mais elle est suffisamment sûre d'elle pour savoir qu'il sera à court d'idée avant de l'avoir convaincue, tout simplement parce qu'elle ne peut pas l'être.
— Aucune. Je suis encore maîtresse de mon jugement, elle insiste sereinement, comme à chaque fois elle aussi.
Il est comme un chien battu qui refuse l'affection d'un nouveau maître. Il lui fait de la peine, la plupart du temps, et la façon dont les autres le traitent n'aide pas à lui faire passer ce sentiment. Mais évidemment, elle n'a encore jamais osé s'interposer, puisque ceux qui le rejettent lui sont aussi ceux qui l'ont tirée d'affaire elle. Elle leur est non seulement redevable mais elle peut aussi comprendre leur point de vue. Elle aimerait qu'ils fassent l'effort de comprendre le sien, mais elle se contente pour l'instant de leur être reconnaissante de ne pas objecter lorsqu'elle se montre pour sa part décente envers le scientifique.
— Tu es encore plus courageuse que je ne l'avais imaginé, Princesse, répond simplement Gregor.
Il ne croit pas une seule seconde ce qu'elle dit, mais il n'a pas le cœur de débattre plus longtemps sur le sujet. Il n'aurait rien à y gagner. Peu importe combien il mérite qu'elle ait peur de lui et/ou le haïsse, ça lui rendrait la tâche bien plus difficile pour s'occuper d'elle. Et autant qu'il sache, c'est la seule chose à laquelle il est encore bon sur cette Terre.
Mae accepte le compliment avec un bref sourire mais n'est pas dupe quant au fait qu'il s'agisse simplement d'une distraction. Elle ne désespère pas de l'apprivoiser un jour. Elle le laisse même utiliser ce stupide surnom qu'elle n'autoriserait à personne à part peut-être son père et son oncle, un peu comme il n'y a qu'aux Homiens qu'elle fasse grâce d'utiliser son prénom complet. Ceci étant dit, il pense sûrement ce qu'il vient de dire. Or, quand elle repense à son réveil il y a quelques jours, elle ne se sent pourtant pas courageuse du tout…
— Papa ? elle s'était étonnée d'ouvrir les yeux sur son père, et dans un second temps d'avoir la bouche aussi pâteuse.
— Hey, ma chérie. Comment tu te sens ? il lui avait demandé, à son chevet, un sourire un peu crispé aux lèvres, tordant discrètement ses mains jointes.
— Pas terrible. Qu'est-ce que… Je sortais du lycée. Et ensuite… Il y avait des hommes cagoulés dans une camionnette !
Elle ne s'était pas réveillée en sursaut, en panique, comme d'un cauchemar. Elle avait repris connaissance comme après une bonne nuit de sommeil, en douceur. Ce n'est que peu à peu qu'elle avait paniqué, au rythme de la remontée à la surface du souvenir, trop vivace pour ne pas être réel même si incohérent avec sa situation courante.
— Tout va bien, Mae, tu es en sécurité. Tu es à la maison. Ils ne peuvent plus te faire de mal, avait instantanément cherché à la tranquilliser son père.
Il avait placé une main sur son épaule, par-dessus ses couvertures, alors qu'elle tentait de se redresser.
— Brennen ! Est-ce que Brennen va bien ? elle s'était ensuite inquiétée pour la personne qui était avec elle.
En dépit de ses souvenirs alarmant, elle se sentait effectivement en sécurité, en ce qui la concernait.
— Brennen ? Oui. Oui, il va bien. Il a été frappé au visage, mais il a à peine une marque. Il va très bien, l'avait rassurée son père.
Il ne s'était visiblement pas attendu à cette question, mais il était tout de même en mesure d'y répondre. La sollicitude de sa fille pour son acolyte de ce jour-là lui avait d'ailleurs fait remarquer qu'il n'avait pas lui-même pris de ces nouvelles depuis. Il n'en avait obtenues que par l'intermédiaire d'Ellen et Nelson.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'est-ce qui m'est arrivé ? sa fille l'avait ensuite interrogé.
Elle avait les sourcils froncés dans son incapacité à se remémorer quoi que ce soit après l'apparition des mercenaires. Elle était à la maison, maintenant, donc ça ne pouvait pas avoir été si grave, mais il fallait quand même qu'elle sache. Elle avait un mauvais pressentiment. Et un sacré mal de crâne, aussi. Et pourquoi est-ce que son lit était si inconfortable ?
— Tu as été enlevée, avait fini par réussir à prononcer son père.
Il avait beau s'être préparé à devoir tout lui raconter, les chances qu'elle se souvienne de quoi que ce soit plus que minces, ça n'en avait pas été facile pour autant. Avoir tenu un discours comparable à Caesar la veille seulement n'avait rien arrangé pour lui.
— Enlevée ?
Mae avait cru mal entendre, et fronçait de plus en plus fortement les sourcils.
— Je… J'ai voulu aider quelqu'un, avec mon travail. Mais ça n'a pas plu à certaines personnes. Alors ils ont essayé de te faire du mal pour se venger, avait avoué Alek, avec un terrible pincement au cœur d'avoir à le faire à un second enfant.
— Mais ils n'ont pas réussi. Quelqu'un les a arrêtés, la blondinette avait conclu d'elle-même, se basant sur le fait qu'elle était chez elle.
— Mae… Ils t'ont eue pendant presque un mois, l'avait corrigée son père à regret.
Il était à la fois triste de devoir lui apprendre une telle nouvelle et soulagé d'avoir confirmation qu'elle n'ait aucun souvenir de sa détention.
— Un mois ? elle avait répété la durée, de plus en plus éberluée.
— Nous sommes intervenus pour te récupérer le 25 Mai. Et tu es revenue à la maison le 30. Aujourd'hui, nous sommes le 9 Juin.
Il lui avait fourni les dates clés de sa disparition doucement, lui laissant le temps de les assimiler.
— Juin…
Elle avait répété le mois de l'année, cette fois ; elle ne se rappelait pas avoir entamé celui de Mai.
Elle avait eu envie de tout nier en bloc, mais rien de toute cette histoire ne ressemblait à une blague, et elle savait déjà au fond d'elle que son père disait vrai. Aussi vif dans son esprit le souvenir de son enlèvement soit-il, elle ne le ressentait pas comme s'il s'était déroulé la veille. Elle n'était pas courbatue là où les hommes s'étaient saisis d'elle, et elle ne sentait plus la piqûre de l'injection qui lui avait été faite dans le cou non plus. Du temps s'était écoulé, il n'y avait aucun doute là-dessus.
— Mais… Pourquoi je ne me souviens de rien ? elle avait osé demander tout de même, bien qu'appréhendant la réponse.
— Ils t'ont gardée sous sédatifs. Et ils… C'était un laboratoire, Mae. Ils ont fait… des expériences sur toi, lui avait appris son père avec une boule dans la gorge.
Il luttait pour ne pas baisser les yeux, tenant à être là pour sa fille.
— Des expériences ? Pourquoi est-ce que je suis pas à l'hôpital, alors ? elle avait enchaîné, bien évidemment effrayée à l'idée de ce qui avait pu lui être fait.
Pas étonnant qu'elle ne se sente pas dans son assiette ! Quelque chose n'allait pas, même si elle n'aurait pas su dire quoi exactement. Elle s'était rendue compte qu'elle n'arrivait pas à savoir si elle avait chaud ou froid, ce qui ne l'avait pas rassurée.
— Parce qu'il y a une loi, une loi historique, qui punit très sévèrement l'expérimentation non approuvée par un comité. Et ses sujets, contraints comme volontaires. Mais on fait tout ce qu'on peut pour toi ici, je te promets, lui avait assuré Alek.
À la vue de la terreur dans les yeux de sa vie, les siens étaient devenus humides, mais il faisait tout son possible pour rester fort pour elle.
— Qui ça "on" ? elle avait alors demandé.
Elle se doutait que rien de tout ça ne pouvait relever de la seule expertise de son père. D'autant qu'il avait aussi déjà dit qu'"ils" étaient intervenus pour la récupérer, au pluriel. Elle commençait donc à se demander qui pouvait bien avoir accepté de la protéger, au mépris d'une loi qui plus est. Qui en avait les capacités, pour commencer ?
— J'ai eu un peu d'aide, pour te sortir de là-bas. Ton oncle Sam, évidemment, et Patrick. Jena a aussi amené des amis. Et… Strauss, aussi, avait énuméré Alek.
Il avait hésité sur le dernier nom. Il ne savait pas trop comment elle allait y réagir. Il savait à quel point les extraterrestres l'avaient contrainte au secret, quels moyens ils avaient employés. Qu'elle s'y soit pliée laissait anticiper une certaine inquiétude de sa part à l'idée que ce qu'elle avait gardé sous silence soit soudain connu de ses proches.
— Strauss ? avait répété Mae.
Elle avait été sincèrement prise au dépourvu dans un premier temps, et s'était efforcée de ne pas laisser la panique apparaître sur son visage dans un second.
Comment est-ce que son père pouvait-il avoir ce nom à la bouche ? Est-ce qu'ils s'étaient rencontrés ? Est-ce qu'ils s'étaient parlés ? Qu'est-ce qu'ils auraient pu se dire ? Comment est-ce que Strauss aurait pu avoir quoi que ce soit à voir avec son sauvetage ? Est-ce qu'il s'était mis en danger pour elle ? Ou pire, est-ce qu'il avait mis sa famille en danger ?
— Oui. Strauss, son père avait hélas confirmé qu'elle n'avait pas mal entendu.
— Er… Je…
Elle était restée bouche bée, tétanisée.
— Tout va bien, Mae. Il sait, le mathématicien était alors intervenu.
Il était apparu dans l'encadrement de la porte depuis le couloir, d'où il écoutait la conversation avec angoisse.
— Strauss ! elle s'était exclamée, cette fois.
Comme toujours, sa simple présence l'avait rassurée. Mais parallèlement, elle n'avait pas su comment réagir à ce qu'il se tienne à quelques mètres de son père. Il l'avait fait promettre de ne rien dire, promettre de garder son secret, sous peine de conséquences terribles. Est-ce qu'il avait réussi à coopérer sous un autre couvert ? D'après ses mots, elle en doutait.
— Il fallait que nous nous manifestions, Maena. C'était le seul moyen pour pouvoir te récupérer, Strauss avait justifié sa décision d'impliquer le reste du clan Quanto.
— Mais… Tu as dit…
— Toute ta famille est sous notre protection, ne t'inquiète pas, il l'avait assurée, solennel.
Il était quelque part heureux d'enfin pouvoir lui faire cette promesse en personne.
— Je suis désolée, elle avait alors prononcé en baissant la tête.
D'un côté, elle avait été soulagée de ne pas avoir mis les siens en danger par son association aux extraterrestres. Mais de l'autre, elle avait aussi été embarrassée que ces derniers aient dû confier leur secret à plus de monde pour son bénéfice. Elle savait l'importance de leur discrétion à leurs yeux. Elle a toute confiance en sa famille, mais personne n'est infaillible. L'idée d'être à l'origine d'un conflit intergalactique évité depuis des temps immémoriaux ne lui était pas très attrayante.
— Je comprends que tu ne m'aies rien dit, Mae, c'est rien, avait cherché à la consoler son père, se méprenant comme la cible de ses excuses et ne se retenant de poser sa main sur son épaule découverte que de justesse.
— Non, je veux dire… Je suis désolée qu'il ait dû faire ça, elle l'avait corrigé en relevant les yeux.
Son géniteur avait eu un mouvement de recul, interloqué qu'elle considère les aliens avant lui. Elle ne semblait même pas regretter de lui avoir caché leur existence. Il savait que d'excellentes raisons lui avaient été données pour garder le secret, mais tout de même, il s'était demandé s'il n'aurait pas préféré qu'elle ait plus d'états d'âmes à dissimuler des choses à sa famille.
Pour cacher sa gêne, il avait enchaîné sur autre chose :
— Est-ce que tu es fatiguée ?
— Non. Et tu viens de dire que j'ai dormi pendant genre… 40 jours, elle avait répondu en toute honnêteté, effectivement parfaitement réveillée à présent.
— Dans ce cas, il reste pas mal de monde qui aimerait te voir. Est-ce que ça t'irait ? Alek avait donc proposé, espérant enfin pouvoir commencer à partager avec elles des informations un peu plus positives peut-être.
Elle avait acquiescé du chef, et la plupart des participants à son sauvetage s'étaient bientôt succédé au pied de son lit. Ni son père ni Strauss n'avaient quitté la pièce à quelque moment que ce soit de ce défilé. Markus avait été le premier à entrer, ayant accepté de ne pas être dans la chambre en premier lieu uniquement pour ne pas inquiéter sa sœur plus que de rigueur au moment de son réveil. Sam, patient pour les mêmes raisons, n'avait pas tardé à rejoindre son neveu, son chien sur les talons. C'est pendant leur visite que Mae avait été informée de son incompatibilité au contact. Voir son oncle tenir Sing Sing par son collier lui avait encore plus fendu le cœur que de comprendre pourquoi son père n'avait pas arrêté de se retenir dans ses élans de poser la main sur elle, juste avant.
Après sa famille, c'était Jena qui était venue, ayant comme promis répondu présente lors de l'annonce du réveil imminent de la jeune fille. Elle avait amené Sieg et Vlad avec elle. Elle les avait présentés en restant vague sur leur participation exacte à tous les trois, gardant la suite et les détails des révélations pour plus tard. Chuck et Chad étaient arrivés ensuite, encadrant Kayle. Ils avaient eux aussi commencé par la présenter comme la seule raison du succès de son sauvetage, préférant parler ultérieurement de son sombre passé, même si à son prénom et son entourage, Mae l'avait fortement soupçonné. Puis, Alek avait jugé bon de mentionner Ann et Jasper, absents mais qu'elle allait forcément croiser à l'avenir, insistant surtout sur leur ignorance des origines des Homiens.
Par précaution, Gregor avait été introduit en tout dernier. Personne ne savait comment Mae allait réagir à lui. Pour tout le monde, le plus probable était qu'elle ne le reconnaisse pas, mais qu'en apprenant qu'il était responsable de son état elle ne veuille pas qu'il l'approche. Si elle devait avoir quelque réaction instinctive à sa présence, les paris avaient été sur la peur ou l'aversion. Nul n'avait imaginé qu'elle pourrait l'accueillir à bras ouverts comme elle l'avait fait. L'entrée du scientifique avait provoqué un grand sourire chez elle, une étrange et plus qu'inattendue expression de reconnaissance et de soulagement sur son visage, dont elle semblait elle-même surprise. Et même la révélation de son identité ne l'avait pas dissuadée de ce sentiment. Le seul avantage trouvé à cette acceptation avait été qu'elle faciliterait grandement la participation du scientifique à ses soins futurs. Pour le reste, chacun est encore plutôt réfractaire dans l'ensemble, même si on s'abstient de tout commentaire trop explicite, pour ménager l'adolescente. Aussi contre-intuitif soit-il, contrarier son incompréhensible élan d'affection pour le responsable de son état ne lui serait d'aucune aide. Ses émotions sont sans nul doute déjà suffisamment conflictuelles pour qu'on puisse s'abstenir de le lui souligner.
Les jours qui avaient suivi n'avaient pas été très différents pour Mae de ceux de Caesar en termes de révélations. Elle avait été mise au courant de ce qui s'était passé exactement depuis sa disparition, et de ce qui allait être amené à se produire pour que tout rentre dans l'ordre. Ou presque. Elle allait pouvoir revoir ses amis, les rassurer sur son état, mais devoir leur mentir par ailleurs. Encore plus qu'elle n'avait déjà dû leur mentir à propos des Homiens. Et pas seulement mentir pour les protéger, mais pour se protéger elle-même. Comme si elle ne pouvait plus leur faire confiance. Alors que tout ce qu'elle ressent en voyant toutes ces personnes qui se sont réunies pour son sauvetage et sa protection, c'est justement une confiance absolue. Elle a du mal à accepter d'être autorisée à se fier à des gens qu'elle a rencontrés à son réveil mais pas à son meilleur ami depuis qu'elle a sept ans. Pour elle, ce n'est absolument pas de balader les autorités publiques qui va être le plus dur.
— Je suis prête, elle annonce à Gregor, menton haut, à la fois pour lui donner la satisfaction d'avoir raison en la qualifiant de courageuse, mais aussi et surtout parce que le sédatif devrait lui permettre de ne plus ressasser tout ça pendant quelques temps.
Dans la seconde où il a appuyé sur la détente, son outil apposé à son cou, l'adolescente s'effondre et Strauss la réceptionne comme il va bientôt finir par avoir l'habitude de la faire, genou à terre. Il soulève la jeune fille comme si elle ne pesait rien, et l'amène solennellement à l'équipe de faux mercenaires au rez-de-chaussée, le scientifique sur les talons. Alors que Ben est pourtant le plus digne de confiance de la troupe, ni le mathématicien ni le généticien ne peuvent retenir une forme d'apnée lorsqu'il récupère le précieux chargement, pas plus que lorsqu'Andy la dissimule sous une couverture. Les deux regardent ensuite la fine équipe partir, chacun avec la conscience aiguë que son appréhension ne passera malheureusement pas tant que la petite blonde ne sera pas de retour entre ces murs saine et sauve.
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Alors ? Ça vous a plu ?