2x09 - Plein phare (5/19) - Coup d'éclat
Malgré – ou bien à cause de, Markus n'en est plus très sûr – l'importance de la journée, il est capital d'agir comme si de rien n'était. L'objectif principal de ce qui va se dérouler aujourd'hui est que personne ne soupçonne quoi que ce soit d'anormal, alors rien ne doit être laissé au hasard. Malheureusement pour le jeune homme en son état de tension avancé, ça inclut son comportement d'étudiant en médecine. Dont le meilleur ami est dans le coma et la sœur manquante, mais un simple étudiant en médecine tout de même. Il s'en voudrait presque d'être resté si composé à travers tout ce qui lui est tombé dessus ces derniers temps, parce que ça aurait pu lui excuser un comportement un peu plus erratique et lui permettre de faire autre chose aujourd'hui. Tant pis. C'est trop tard, maintenant.
Assis à une table au fond de la bibliothèque, une habitude prise depuis qu'il a commencé à avoir besoin de dissimuler les étranges messages que lui envoie parfois Rob depuis là où il est, Markus potasse. Ou en tous cas, il essaye. Il a beaucoup de mal à rester concentré. L'avantage d'être ici, c'est qu'au moins, qu'il lise correctement ou cinq fois la même ligne sans s'en rendre compte, personne ne devrait voir la différence. Si d'habitude il préfère avoir l'air distrait et bien travailler, il se contente exceptionnellement de l'inverse. Son inattention sera bien sûr beaucoup plus problématique lorsqu'il devra suivre un cours en amphithéâtre un peu plus tard dans la matinée, mais pour le moment, il s'en accommode à peu près.
La déconcentration est un cercle vicieux avec effet boule de neige. Une fois que votre attention est attirée par une broutille, aussi infime soit-elle, elle est attirée par une autre, puis encore une autre, et ça n'en finit plus. La lumière n'est pas bonne, puis c'est un bruit de chaise, quelqu'un qui tapote sur sa table, un raclement de gorge, … Toutes les excuses sont bonnes pour son cerveau pour divaguer vers tout et n'importe quoi, papillonnant d'idée en idée sans s'y attarder. Ça a un côté épuisant, et n'y tenant plus, Mark finit par se dire qu'un début de solution serait peut-être un bruit blanc dans ses oreilles. Il se met donc en quête de son casque audio dans son sac au pied de sa chaise.
— Tu cherches un tRuc ? lui souffle soudain une voix, sur ce ton proche du murmure qu'on n'utilise jamais que dans les bibliothèques et les lieux de culte.
— Ouais, mon… Quoi ?! il commence à répondre puis s'interrompt, se rendant compte qu'il ne sait pas à qui il s'adresse.
Relevant la tête, il regarde autour de lui sans trouver personne à proximité. Le grand hall n'est pas vide, mais il n'y a pas suffisamment de monde non plus pour qu'il ne puisse pas être à plusieurs tables de son premier voisin. En avisant le groupe d'étude le plus proche, chacun de ses membres profondément absorbé par sa lecture, il n'a pas l'impression qu'ils aient entendu quelque chose en ce qui les concerne, et encore moins que ce soit l'un d'eux qui vienne de lui parler.
— Je suis dans la seCTion Histoire, reprend la voix, curieusement familière et toujours sur le même ton.
Dans un premier temps, Markus grimace de perplexité, parce que le rayon Histoire n'est pas suffisamment proche pour que qui ce soit puisse échanger avec lui depuis là-bas. C'est tout droit depuis là où il est, oui, mais ça reste l'alcôve la plus reculée de toute la bibliothèque par rapport à la grande salle de lecture. Elle est excentrée à ce point parce qu'elle contient les livres les plus anciens et par conséquent de plus grande valeur, et pour les mêmes raisons les moins consultés, à défaut d'un contenu complet pour la plupart. C'est plus un coin d'exposition qu'un réel rayonnage au sens pratique. Ces livres sont plus intéressants par leur aspect que par le peu de connaissance qu'ils renferment encore. À bien y réfléchir, il est cependant possible que le propriétaire de la mystérieuse voix soit plus proche que ça, et ait simplement l'intention d'être retrouvé à cet endroit.
Dans un deuxième temps, l'étudiant se demande pourquoi quelqu'un chercherait à l'attirer là-bas. Même lorsque Jena et lui n'avaient encore parlé à personne de leur rapprochement et avaient pour habitude de s'éclipser à l'abri des regards indiscrets pour se bécoter dès que l'occasion se présentait, ils n'allaient pas se perdre aussi loin pour se cacher. C'est limite flippant, cet endroit, comme un musée vide de monde. S'y donner rendez-vous relèverait d'un désir de discrétion singulièrement élevé.
Enfin, dans un troisième temps, et s'en voulant un peu de ne pas avoir commencé par là, Markus réfléchit à l'identité de celui qui l'invite. Il a reconnu une voix masculine, mais au-delà de ça, c'est flou pour lui. Il y a quelque chose qui cloche avec, mais il ne saurait pas mettre le doigt sur quoi. Comme un écho, peut-être ? Ou un léger grésillement ? Ça ne sonnait pas comme un enregistrement ou même une retransmission, mais il y avait tout de même comme une tonalité mécanique dans les deux phrases qu'il a entendues. Mais aussi un côté familier…
La décision raisonnable serait de rester là où il est. C'est valable de manière générale mais d'autant plus en les circonstances du jeune homme, qui non seulement fricote avec ni plus ni moins que des espions mais aussi et surtout s'efforce de dissimuler un paquet de choses pour une grande partie illégales et quoi qu'il en soit toutes passibles d'un très fort châtiment ou d'un autre. Suivre une voix mystérieuse vers un lieu isolé n'est jamais conseillé pour personne, mais ce serait tout particulièrement peu judicieux de sa part. Il n'est rien censé faire qui sorte de l'ordinaire, aujourd'hui. Et même en dehors de ça, il n'est pas certain d'être entièrement à l'abri. Gregor n'arrête pas de répéter que ceux qu'ils l'ont récemment séquestré vont venir après lui si ce ne sont pas d'autres agents du même acabit. Et avant que Mae ne se fasse kidnappée, son père pensait toute cette affaire avec DG terminée et que personne n'était en danger imminent. Si aujourd'hui tout le monde est méfiant, les risques d'incident sont tout de même sans doute encore plus élevés qu'alors. Markus a donc nombre d'arguments pour ignorer cet étrange appel et rester assis sur sa chaise.
Ceci étant dit, quel genre de kidnappeur essaierait de l'attirer dans un piège en lui murmurant des instructions cryptiques dans un lieu public ? Et il n'y a qu'une seule sortie au rayon Histoire, c'est un cul-de-sac ; s'il devait s'y faire prendre en embuscade, ce serait franchement un mauvais plan, puisqu'il n'y aurait aucun moyen de l'évacuer sans être vu. Bien sûr, si on voulait uniquement lui faire du mal dans l'immédiat, on pourrait toujours l'abandonner sur place, mais il se dit qu'il faut qu'il arrête d'écouter Sieg, Vlad, et Jena discuter, parce que leur tendance à banaliser la violence commence dangereusement à déteindre sur lui.
Se levant de son siège, s'efforçant d'avoir simplement l'air de quelqu'un qui a besoin d'aller chercher un livre, puisque ça, c'est quelque chose qu'il fait régulièrement sans que ça n'interpelle qui que ce soit, Markus se dirige donc contre toute logique vers le rayon Histoire. Si ça se trouve, il a juste eu une hallucination auditive. Ce sont des choses qui arrivent, non ? Et si c'est le cas, autant en avoir le cœur net, parce que ça peut impliquer tout un tas d'autres problèmes sous-jacents. Et si c'est vraiment quelqu'un, eh bien… il préfère aussi savoir. Il ne peut pas tolérer plus de suspense aujourd'hui. Ni peut-être bien pour le restant de ses jours, d'ailleurs.
Lorsqu'il atteint sa destination, il est dans un premier temps étonné d'y trouver quelqu'un qui lui tourne le dos. Même si on lui a pourtant soufflé qu'on l'attendait ici, il penchait plutôt vers l'hypothèse de se faire poser un lapin, pour tout un tas de raisons diverses possibles, allant du canular à son esprit lui jouant effectivement des tours. Mais même s'il y a quelqu'un, ça pourrait toujours être le cas, alors il ne dit rien, de peur qu'il ne s'agisse pas de celui qui l'a hélé à peine plus tôt. Une coïncidence est vite arrivée, même dans un endroit aussi peu passant que celui-ci. Lorsque la silhouette se retourne, cependant, c'est une tout autre surprise qui attend le jeune homme :
— … Rob ? il lâche, bouche bée, incrédule et époustouflé.
— Tada ! reprend cette même voix qu'il a entendue plus tôt.
Enfin, il la replace comme celle de son meilleur ami, à travers tout un tas de modulations subtiles mais toutes aussi étranges qu'inattendues. Et c'est bien Robert qui se tient devant lui, bras grands ouverts. C'est son sourire, sa posture, son regard. Il n'a jamais eu l'air aussi en forme. Ses cheveux sont peut-être un peu différents de la dernière fois qu'il l'a vu, réveillé comme comateux d'ailleurs, mais même sa tenue est fidèle au souvenir de Markus. Ces baskets, ces jeans, ce polo, et cette veste, il l'a vu les porter de trop nombreuses de fois pour qu'ils ne lui soient pas familiers.
— C'est ta voix. Et toi ! continue l'étudiant dans sa stupéfaction.
Il toise son camarade de haut en bas encore et encore, sans arriver à faire sens de ce qu'il a sous les yeux. Robert est à l'hôpital. Ça fait même des mois qu'il y est. Il est couché dans un lit du service de réanimation, plongé dans un profond coma. S'il s'était réveillé, ou si son état avait seulement présenté le moindre changement, il ne fait aucun doute dans l'esprit de Markus qu'il en aurait été averti sur-le-champ, ses parents lui ayant accordé la place juste après eux dans la liste des contacts en cas d'urgence. Comment peut-il se trouver en face de lui maintenant, alors ?
— C'est un hologramMe, intervient soudain Caroline.
L'adolescente apparaît aux côtés de Rob, ce qui ne manque pas de faire violemment sursauter Markus.
Elle, il ne l'a jamais rencontrée en personne. Il ne l'a jamais vue que dans le coma, depuis le seuil de sa chambre d'hôpital, les quelques fois où il a accompagné Jena la voir. Mais il a vu des photos d'elle, même si elle y était bien plus jeune. Et c'est elle qui se tient devant lui, autant que c'est Rob. Elle a les mêmes yeux en amande que sa sœur, les cheveux à peine plus sombres mais tout aussi brillants, et ce même teint de peau légèrement hâlé impossible à situer. Elle a même ce tatouage de chevalier d'échec à l'intérieur de la cheville droite, qui leur a permis de décrypter les fichiers qu'elle avait récupérés chez DeinoGene, visible au-dessus de l'une de ses Converses basses.
— Oh Mon … ! Comment ? interroge Markus.
En fin de compte, il est bien content de se trouver autant à l'écart des autres visiteurs de la bibliothèque car il n'arrive pas à contenir le niveau de sa voix.
— Pendant qu'Anubis, Jazz, et ton père planchaient sur une iNterface pour nous, on s'est rappelés qu'ils avaient laissés de côté un autre moyen de mettre à profit nos sensations motRices, explique l'adolescente, faisant un geste ample de la main pour illustrer son propos.
Tout comme celle de leur voix, la projection de leur image saccade de temps en temps, mais c'est clairement négligeable. Leur posture semble naturelle, ils clignent même des yeux et leurs épaules se soulèvent au rythme d'une respiration qu'ils n'ont pourtant pas, sous cette forme. Certes, ces mouvements réflexes sont plus réguliers qu'ils ne devraient l'être, mais l'attention au détail est plus qu'appréciable. Même le fait qu'ils ne projettent aucune ombre passe inaperçu. Ce dont Mark est témoin ici rivalise avec une salle de jeux vidéo de très haute qualité.
— J'ai tellement envie de te prendre dans mes bras, vieux, tu n'as pas idée, avoue l'étudiant à son meilleur ami, une main devant sa bouche à présent, sa tête allant de l'un à l'autre des deux miraculés.
Il n'a pas réellement perdu Rob pendant tout ce temps. Il a rapidement établi le contact, et ils n'ont ensuite pas cessé d'échanger chaque jour. Mais l'avoir en face de lui, lui parler de vive voix, c'est tout de même un énorme progrès. C'est presque inespéré, si tôt en tous cas. Son père et lui ont eu tellement de choses à gérer ces derniers temps que venir en aide aux deux comateux n'a jamais pu être au premier plan, ou en tous cas jamais pour très longtemps. C'est triste à dire, mais tant qu'ils n'étaient plus menacés de découverte par DeinoGene comme ils avaient pu l'être avant la première déchéance du laboratoire, leur situation était la plus stable de toutes celles avec lesquelles il fallait jongler. Voilà donc un pas de géant auquel personne ne s'était attendu.
— Désolé, s'excuse Rob à cette réaction, malgré tout, comme si son exploit n'était pas suffisant.
— Est-ce que c'est sécurisé ? Est-ce que vous ne risquez pas de vous faire repérer ? l'interroge soudain Markus, reprenant son sérieux avant d'avoir pu détromper son ami sur son ressenti de ce développement, à l'opposé de la déception bien sûr.
Ils devaient déjà éviter de se faire remarquer alors que leur condition n'avait pas de manifestation visuelle, est-ce que se projeter ne présente pas un risque inconsidéré ? Si quelqu'un les reconnaissait, en personne ou même par l'intermédiaire d'une vidéo de surveillance, en sachant qu'ils sont actuellement supposés être dans un lit d'hôpital ? Si on les voyait apparaître et disparaître, ou encore passer au travers d'un objet ? La définition de leur image n'est pas absolument parfaite, un clignotement est vite arrivé. Et si en soi la technologie de projection holographique est connue du grand public, elle n'est pas pour autant attendue n'importe où. Même s'ils ne font que se soulever quelques sourcils surpris, ce sera déjà beaucoup plus d'attention qu'il ne leur en faut.
— Pas plus qu'avant, répond Rob.
Son haussement d'épaules est un peu en décalé de ce qu'il aurait dû être, mais tout de même criant de réalisme. En y regardant bien, Markus peut aussi voir que ses yeux ne sont pas tout à fait sur lui. Ses pupilles ne réagissent pas aux changements de luminosité même faible de la pièce, au rythme du passage de quelques nuages aux fenêtres. Il le repère sans doute par l'intermédiaire des caméras de surveillance de la bibliothèque, qu'ils ont certainement détournées pour l'occasion. Comme ils ont dû détourner des projecteurs d'habitude réservés aux animations nocturnes, d'ailleurs.
— Qu'est-ce que mon père en pense ? se permet de demander l'étudiant.
Il préférerait avoir deux avis sur la question qu'un seul. Robert ne serait pas le premier patient à prétendre, lassé de sa convalescence, que tout va mieux qu'en réalité. Lorsqu'une solution se fait attendre, la première venue paraît parfois plus tentante qu'elle ne devrait. On prend souvent plus de risques sous le coup de la douleur, du désespoir, ou même tout simplement de l'ennui qu'en temps normal.
— Il ne sait pas enCore. Tu es le premier à qui on fasSe une démo, lui explique Caroline.
La façon dont elle croise les bras et semble changer d'appui lui donne des airs de PNJ en attente. En y regardant bien, ses manières sont cycliques, préprogrammées, réalistes mais répétitives. Il faut cependant reconnaître qu'elle a mis le paquet sur les détails de sa chevelure et ses vêtements, là où Rob s'est contenté de rester beaucoup plus sobre. Markus ne sait pas si c'est dû à une facilité particulière de la jeune fille à jouer avec les croisements lumineux, comme elle était plus douée à répondre aux signaux visuels que sonores par exemple, ou bien simplement à son goût pour la mode.
— Hier, vous nous parliez en images, il se permet de leur rappeler.
Il ne se remet quand même toujours pas de ce bond en avant. Peut-être qu'il est endormi sur ses révisions, et que tout ça n'est qu'un rêve.
— On planche sur le truc de la voix dEpuis un peu plus longtemps que le reste, pour être honnête, admet Rob.
Il était tout aussi frustré de devoir écrire à son camarade en pictogrammes qu'il le voyait l'être de devoir utiliser un clavier pour lui répondre. Ils devront toujours recourir à ces modes de communication lorsque Mark sera en public, mais seul à seul, il est certain que ça va fluidifier la conversation.
— Mais toi, Caroline, tu ne répondais pratiquement qu'au cursif, poursuit Markus.
Sans se l'être vraiment consciemment avoué, il les pensait beaucoup plus diminués que ça dans leurs capacités de communication. Ils étaient pour lui complètement imprégnés de leur nouvel environnement. Leurs étonnantes prouesses dans le domaine – aussi bien lorsqu'il s'est agi de donner un coup de pouce à l'enquête contre DeinoGene que d'assister toute l'équipe pendant l'infiltration de leur dernier bastion – en ont plus qu'attesté. Et s'il a toujours admiré leurs progrès, ce sentiment était systématiquement accompagné d'une inquiétude sourde quant à leurs chances de quitter cet état un jour. Il n'a jamais pensé leurs capacités cognitives réduites, bien sûr, mais il était moins convaincu de leur disposition à les mettre en application au travers de leur ancienne interface. Ce qui se passe maintenant a donc tout pour le rassurer.
— Ma reconnaissAnce des sons pêche toujours un peu. Robby transcrit pour moi, avoue l'adolescente, pensant même à désigner la projection de son comparse d'un mouvement de tête.
Ce doit être une mécanique mentale bien particulière, comme de jouer à un jeu vidéo à la troisième personne.
— Il… transcrit ? relève l'étudiant.
Il n'est pas certain de comprendre ce qu'elle veut dire par là. Ni Rob ni elle n'a jamais été capable d'écrire en cursif depuis là où ils sont. Rob n'a même jamais été capable de taper des lettres. Comment est-ce qu'ils communiquent entre eux, exactement ?
— T'occupe.
Avec un geste de la main particulièrement féminin, Caroline l'incite à ne pas trop se creuser les méninges.
— Il faut que je prévienne Jen ! s'exclame soudain Markus.
Tout à sa surprise, il n'a pas pensé que son ex petite amie est encore plus impactée que lui par ce développement. Il est d'ailleurs étonné que ce ne soit pas elle que le duo soit allé voir en premier. Il est cependant vrai qu'il serait peut-être plus malvenu de la distraire elle que lui, même si son rôle dans la journée n'est pas aussi prononcé qu'il aurait pu l'être.
— Pas maintenant. Elle est occupée. J'ai pensé ce soIr, quand tout sera terminé, la cadette des sœurs Miller confirme ce qu'il a déjà déduit.
— C'est sûr que vous avez choisi votre jour pour vous manifester, il concède, avec un éclat de rire amusé.
Il est évidemment ravi de la nouvelle, mais ce n'est pas comme s'ils n'avaient pas tous déjà mille choses à gérer. Il voudrait pouvoir fêter ça dignement et ça va sans doute encore passer à l'as au profit d'autres affaires plus pressantes à gérer. Comme le retour officiel de Mae. Et celui de Caesar dans la foulée.
— En même temps, si on devait attendre une ouverture avec tout ce qUi se passe chez vous, on pourrait rester au placard longtemps, proteste Bob, avec une toute petite pointe d'aigreur dans la voix en ce qui le concerne.
À ces mots, Mark reprend son sérieux. Il voit là un rappel non démérité que ce n'est pas la première fois que les deux comateux vont passer un peu au second plan. Ça fait un moment déjà qu'ils y sont relégués, malgré eux comme malgré tous ceux qui essayent de leur venir en aide. Qu'ils viennent de se charger eux-mêmes d'améliorer leur situation en est hélas la preuve s'il en fallait une.
— Et c'est quoi, le projet, dans l'immédiat, alors ? il les interroge.
Maintenant qu'ils ont la possibilité de manifester leur présence de manière audio-visuelle, il se demande déjà quelle est la prochaine étape de leur plan. Ce développement devrait rassurer son père et ses deux aides de camp, mais ça n'est pas une solution pérenne.
— Te filer un coup de boost avant la perfOrmance de ta vie, pour commencer, lui propose Caroline, affichant un sourire en coin.
Elle ne lui tient apparemment nullement rigueur de ses priorités, elle. Mais d'un côté, elle n'est pas dans cette situation à cause de lui, et son père a répondu présent lorsqu'elle lui a demandé de l'aide alors qu'il aurait très bien pu l'ignorer, alors il a plus de poids du côté de la reconnaissance, dans sa balance.
— Et ensuite peut-être convaincre Ann et ton père qu'ils n'ont plus besoin de nous faire passer tous ces tests, poursuit Robert, avant d'échanger un hochement de tête entendu avec sa voisine.
C'est bon signe que leurs avatars manifestent ce type de gestes de connivence instinctifs alors qu'ils ne se voient pourtant pas face à face. D'une part ça signifie qu'ils ont encore des sortes de réflexes, une mémoire musculaire de comment ils bougent selon ce qui leur passe par la tête. D'autre part, ça illustre surtout l'intégration optimale entre leur projection et leurs fonctions motrices ; ils n'ont pas reconstitué leur forme et leurs mouvements, ils ont bel et bien repris ce qu'ils avaient déjà à leur disposition. C'est exactement ce qu'Alek cherchait à leur faire faire.
— Ça semble légitime, ne peut que leur accorder Markus à ce programme.
Il a entendu son père grommeler à plusieurs reprises à propos de la réticence de ses protégés. C'est à se demander pourquoi ils ne lui ont pas parlé de ce qu'ils manigançaient, pour le tranquilliser. Peut-être qu'ils avaient peur de ne pas y arriver, et donc de le décevoir.
— Tu devrais y retourner, avant que quelqu'un ne commence à s'inquiéter de ton absence prolongée, lui suggère ensuite son meilleur ami.
Sans en avoir l'air, il a sans doute un œil sur les documentalistes ainsi que les visiteurs de la bibliothèque. Ils n'ont pas dû perdre leurs précédents acquis pour développer celui-là.
— C'est bon de te voir, Rob, lui offre l'autre étudiant pour tout réponse.
Il tient à insister sur ce point avant que leurs retrouvailles ne s'achèvent. Il n'aura pas l'accolade dont il rêve tant, pas aujourd'hui, mais il aimerait en faire passer le sentiment, si possible.
— Je sais que tu continues à venir à l'hôpital, lui fait alors remarquer son camarade.
Curieusement, un mélange d'incompréhension et d'agacement passe sur son visage.
— C'est loin d'être pareil, le jeune homme objecte évidemment.
Il n'y a aucune commune mesure entre être posté au chevet de son ami et le voir se tenir en face de lui, même si pas en chair et en os.
— On se voit ce soir, conclut alors Rob sans plus essayer de discuter.
Sa silhouette et celle de sa compagne disparaissent ensuite, avec une fraction de seconde de décalage à peine. Markus reste seul encore quelques instants dans le rayon Histoire après leur départ, à essayer de faire sens des dernières remarques de Rob, de son ton presque pessimiste qu'il ne lui a pratiquement jamais connu. Il lui faut un certain temps de réflexion avant d'enfin penser voir où il voulait en venir ; pour lui, rien n'a changé. C'est exactement pareil qu'avant. Il voit et entend toujours le monde de l'exacte même façon. Il ne se sent pas moins coincé de l'autre côté des écrans qu'auparavant. De son point de vue, ce n'est pour lui pas la première conversation qu'il a eue avec son meilleur pote depuis son électrisation. En fin de compte, cet effort que Caroline et lui font, ce n'est pas pour leur propre bénéfice, mais exclusivement celui des autres.
Attristé à cette idée, Markus retourne enfin à sa place, en traînant les pieds. Personne n'a remarqué la longueur de son absence, évidemment, mais il n'arrive pas à s'en réjouir. Au-delà d'anxieux, il se sent soudain très fatigué. Comment est-ce qu'il peut avoir l'impression d'à ce point se démener dans tous les sens pour qu'au final ceux pour qui il pensait se battre soient tout de même déçus et insatisfaits ? Quelle balle a-t-il laissée tomber au bond sans s'en rendre compte, à force d'essayer de jongler avec trop de situations à la fois ? Refusant de se laisser happé par un tourbillon de pensées noires, l'étudiant en médecine se met à nouveau en quête de ses écouteurs non plus pour aider à sa concentration cette fois mais au contraire dans l'espoir d'arriver à s'empêcher de réfléchir jusqu'à ce qu'il en ait strictement besoin.
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