2x09 - Plein phare (1/19) - Confiance

"Il faut qu'on parle." n'est pas une phrase qu'on souhaite entendre. De la part de qui que ce soit. C'est même plutôt l'inverse ; on la redoute. Il n'existe pas vraiment de contexte dans lequel cette déclaration serait bienvenue, rassurante. Dans les rares cas où elle correspond à un appel à l'action, elle atteste forcément d'une situation inconfortable, et le reste du temps, elle introduit systématiquement une sombre révélation. Si on a l'intention d'apporter une bonne nouvelle, on s'arrange pour l'introduire autrement, voilà tout. C'est la moindre des choses, une règle implicite de vie en société depuis au moins quelques siècles. Certes, il n'y a rien de mal à communiquer, au contraire ; on ne peut pas vivre avec des œillères et refuser d'entendre ce qui ne va pas. Mieux vaut aborder ses problèmes que les ignorer, ce n'est pas un secret. Néanmoins, à choisir, il est évident qu'on préférerait esquiver ce qui vient après "Il faut qu'on parle.". Parce que c'est naturel, humain, de se protéger du danger. Spontanément, on a tous tendance à fuir toute source de douleur et d'inconfort, physiques comme émotionnels. Non ?

Malgré toutes ces considérations, Holden aurait quand même apprécié qu'Andy fasse suite à cette phrase par une réelle conversation, la veille au soir. Il a été distrait sur le moment, mais à présent, il redoute de devoir encore appréhender un certain temps ce qu'elle peut bien avoir à lui dire de si funeste.

En considérant la jolie blonde endormie dans son lit, par l'ouverture de la porte de sa salle de bain où il vient de finir de se préparer, l'infirmier soupire et baisse les yeux. Comment est-ce qu'il aurait pu éviter de se retrouver dans cette situation, d'un autre côté ? C'est elle qui est venue le voir, c'est elle qui a quelque chose à annoncer, et pourtant c'est elle qui a circonvenu un échange verbal. Il n'a absolument aucun contrôle sur leurs interactions, ce n'est pas nouveau. Il s'y est résigné il y a un certain temps déjà. Sans doute le jour où elle est revenue de son mois d'absence inopiné et qu'il n'a pas trouvé la force de lui en vouloir ni même seulement demander une meilleure explication.

— Uriel, qu'est-ce qui importe le plus : la fin ou les moyens ? la voix de sa dulcinée le fait soudain sursauter.

Elle dormait profondément il y a une seconde à peine, et maintenant elle est assise, adossée contre sa tête de lit et enrobée de ses draps, à le transpercer d'un regard exempt de toute trace de somnolence. Il n'est pas si surpris par la fulgurance de cette transition d'un état à un autre. Après tout, il n'a jamais rencontré quelqu'un d'aussi versatile qu'elle.

Une main passée dans ses cheveux pour y appuyer sa tête, elle l'observe alors qu'il ressort de la pièce adjacente pour revenir vers elle. Il s'arrête à hauteur de l'embrasure et s'appuie de l'épaule sur le chambranle pour lui renvoyer son regard. Ou en tous cas, essayer.

— Je te demande pardon ? il répond.

Il s'est perdu un instant dans la contemplation de ses longues mèches blondes sur ses épaules, et n'est donc plus certain de ce qu'elle vient de lui demander.

— Qu'est-ce que t'importe le plus, personnellement : le résultat final, ou bien les moyens employés pour l'obtenir ? reformule Andy.

Maintenant qu'il l'a bien assimilée, la question le laisse perplexe.

— Vraiment ? C'est maintenant que tu veux me poser une question pareille ? Je vais être en retard, il proteste en jetant un œil à l'horloge sur sa table de chevet.

Pour toute son impatience de savoir ce dont elle a dit vouloir lui parler hier soir, il n'est pas pour autant préparé à se lancer dans un débat philosophique de si bon matin.

— C'est une question fermée, elle lui fait remarquer, comme si cette caractéristique rendait la réponse facile.

— Ce n'est pas si simple ! Andy, ce doit être l'une des quefstions éthiques les plus disputées au monde. Ça dépend de la situation, du résultat, et surtout des moyens mis en œuvre. Et même en ayant tous ces éléments, arbitrer reste souvent très difficile pour ne pas dire impossible. De quoi est-ce que tu parles, exactement ? il lui oppose tout en demandant des détails quand même.

Il devine qu'elle ne l'interroge pas sans raison. Elle ne fait jamais rien en l'air. Sa détermination est d'ailleurs l'une de ses qualités qu'il admire le plus. Quand elle a décidé quelque chose, elle n'en démord pas jusqu'à ce que son objectif soit atteint, et elle ne perd jamais de temps à tergiverser. Elle est comparable à un missile à tête chercheuse, avec ses bons comme ses mauvais côtés. Il n'a pu que s'en rendre compte lorsqu'elle a jeté son dévolu sur lui.

— Maena Quanto va être retrouvée, aujourd'hui, la jolie blonde lui annonce alors enfin ce qu'elle n'a pas eu l'occasion de lui dire la veille au soir.

Elle avait prévu de passer lui transmettre cette information, rien de plus, mais son plan avait dérapé. Elle s'était retrouvée distraite par son odeur, sa chaleur, et finalement tout le reste de ce qui le rend lui. Elle voudrait continuer à blâmer sa lignée pour l'attraction qu'il exerce sur elle, mais elle ne veut pas se mentir et a bien compris que, malgré elle, son attachement à lui va désormais un peu plus loin que sa simple génétique intéressante. Non pas qu'elle tolèrerait que qui que ce soit d'autre lui soumette cette idée.

— Quoi ? Mais comment ? Par qui ? Où ?

Il tombe évidemment des nues à cette révélation. Il écarte les bras et se rapproche de son interlocutrice, anxieux d'obtenir des réponses.

— Il va y avoir une explication à ce qui lui est arrivé, et je sais que tu vas avoir du mal à y croire, Andy poursuit dans son partage d'information, ignorant royalement ses questions.

— Ce n'est pas une façon très efficace de me laisser me forger ma propre opinion, il se permet de lui faire remarquer.

Il croise les bras à présent, pas vexé, simplement dérouté par sa stratégie. Si elle est au courant du mensonge, elle doit forcément y trouver un intérêt, une raison. Alors pourquoi ne pas attendre sa réaction avant de lui offrir la vérité ?

— Je préfère te dire ce dont il est raisonnable que tu doutes plutôt que tu en décides par toi-même à mauvais escient, la jolie blonde se justifie sans broncher.

Le plus important est de garder une situation sous contrôle. Elle savait qu'elle jouait avec le feu en s'engageant avec l'infirmier, mais elle a la ferme intention d'assumer ses choix d'association. Ceci étant dit, elle n'est pas sans avoir conscience de la chance qu'elle a que son tempérament soit celui qu'il est : docile, compréhensif, et coopératif. Peut-être que c'est justement ce qui fait d'eux une paire si bien assortie. Elle n'ose pas imaginer ce qu'elle aurait sans doute déjà dû faire s'il était d'un naturel plus suspicieux.

— D'accord… Donc, tu as enterré ce qui lui est réellement arrivé, c'est ça ? déduit Uglow, avec un soupir à cette idée.

Il n'a jamais aimé les romans d'espionnage, et n'est donc pas ravi d'avoir parfois l'impression d'en être un personnage. S'il était tout à fait rationnel, il aurait tout arrêté avec Andy en apprenant sa profession. Il se serait senti particulièrement intolérant, mais ça lui aurait évité bien du souci. Il aurait au moins dû ne pas la laisser revenir vers lui après avoir découvert qu'elle n'était pas étrangère à la disparition d'une de ses élèves. Ça aurait dû être sa limite. Mais sa plus grande faiblesse est son indulgence, ça, il n'a pas attendu qu'elle entre dans sa vie pour s'en rendre compte. Et voilà où ça l'a mené.

— Pas moi. Mais ce n'est pas la question. Je voudrais juste que tu me promettes de ne pas remettre en doute son histoire.

La jeune femme ne le rassure qu'à moitié, et pour de nouveau l'inquiéter dans la foulée.

— Tu viens juste de me dire que ce serait un mensonge ! il se permet d'objecter.

Vraiment, il l'a connue beaucoup plus convaincante. D'un côté, il apprécie l'once d'honnêteté dont elle s'efforce de faire preuve, même si elle ne va sans doute pas lui dire ce qui se cache derrière cette couverture qu'il va apparemment se voir vendue dans la journée. De l'autre, il se demande s'il ne serait pas pour une fois plus heureux dans l'ignorance. Même s'il avait des raisons de douter de ce qu'on allait lui raconter, ça ne serait resté que des doutes. Maintenant, il a la certitude que ce ne sera pas vrai. Est-ce que ce sera réellement plus facile pour lui en ces circonstances de ne pas rendre qui que ce soit autour de lui suspicieux ?

— Je ne te demande pas d'y croire, simplement de l'accepter pour ce que c'est, de t'en contenter. Lâche l'affaire. Satisfais-toi du retour de ton élève, saine et sauve, et oublie le reste. Est-ce que tu penses que tu peux faire ça ? Andy précise sa demande exacte.

Elle ne le prend pas pour un imbécile, non plus. Elle souhaite uniquement maîtriser au mieux sa réaction pour éviter toute propagation de soupçons à qui que ce soit d'autre. Elle partage ses doutes sur sa capacité à ne rien laisser paraître, mais elle se dit que si elle lui demande d'essayer, au moins il fera un effort, ce qu'elle ne pense qu'il aurait fait sinon.

— Je… Je ne sais pas, il ne peut que balbutier en haussant une épaule.

Il est de bonne volonté, mais il ne veut pas lui faire une promesse qu'il ne pourra peut-être pas tenir. Il accepte déjà d'ignorer beaucoup. À propos d'elle, de ses activités, de ses origines. Et ce n'est pas vraiment une concession pour lui, parce qu'il comprend mieux que beaucoup de ne pas vouloir parler de son passé et de là d'où on vient. Mais là il ne s'agit pas juste d'elle. Les raisons pour lesquelles il a été si bouleversé en apprenant qu'elle avait des informations sur la jeune fille disparue sont toujours valables. Il a bien dû se rendre à l'évidence qu'elle n'était ni responsable ni complice, mais qu'elle soit impliquée de quelque autre façon, de près ou de loin, ne le met pas à l'aise pour autant.

— Uriel, il le faut. Tout ce que j'essaye de faire, c'est te protéger et toutes les personnes concernées, insiste Andy.

Son regard redouble d'intensité comme il le fait parfois. Sachant que s'il ne fait pas attention il va se laisser distraire, l'infirmier baisse les yeux pour réfléchir. Vraiment, ils avaient des heures pour parler de ça hier soir ! Ce n'est pas le moment ! Et même s'il avait la journée, il ne l'a pas réellement, justement, puisqu'apparemment tout va se jouer d'ici ce soir. Elle le met dans la position inconfortable de devoir prendre une décision rapidement alors qu'il sait que même avec tout le temps du monde il ne serait sans doute jamais satisfait de son choix.

— Quel a été le prix ? il finit par demander après réflexion, sans relever la tête encore, sérieux.

— Qu'est-ce que tu veux dire ? elle accepte doucement sa question.

— Est-ce qu'il est arrivé malheur à qui que ce soit d'innocent pour que Mae puisse rentrer ? Ou est-ce qu'un criminel de la pire espèce s'en tire ? Est-ce que c'est quelque chose de ce genre-là, qui va être caché ? précise Holden, osant enfin affronter son regard.

— Non, elle peut heureusement lui offrir en toute honnêteté.

Kayle va sans doute passer un sale quart d'heure, mais il n'est pas innocent. Et il s'est porté volontaire, aussi. Gregor s'en sort à meilleur compte que ses collègues de DeinoGene qu'ils ont laissés se faire cueillir par le gouvernement, mais on ne peut pas dire qu'il s'en tire complètement pour autant. Il est toujours un prisonnier. Et ce n'est que son avis personnel, mais Andy n'estime de toute façon pas qu'il soit de la pire espèce de criminels. Non, tout ce que leur subterfuge va accomplir, c'est protéger des individus qui autrement seraient inutilement condamnés à mort. Elle avait déjà dit à l'infirmier qu'il approuverait, s'il connaissait les détails de ses actions, et ça n'a pas changé.

— Alors d'accord. Je vais m'y faire, il concède devant une telle franchise.

Il ignore bien sûr qu'elle serait tout à fait capable de feindre une telle sincérité, mais il a en l'occurrence la chance qu'elle soit on-ne-peut-plus authentique.

— Merci, elle s'incline littéralement devant sa coopération, ce qui lui fait lever les yeux au ciel.

Il n'a pas l'impression de mériter gratification. Il a plutôt l'impression d'être une bonne poire, comme d'habitude. Mais il espère sincèrement que voir Mae retournée saine et sauve à sa famille lui fera oublier tout ça. Il ne compte pas l'admettre à haute voix, mais il s'agit peut-être de l'une de ces situations dans lesquelles la fin justifie effectivement les moyens. En tous cas, il l'espère ardemment, puisque selon toute probabilité il va devoir passer toute sa vie avec l'incertitude de ce qui se sera réellement passé dans cette histoire.

— Et maintenant je suis vraiment en retard ! il s'exclame soudain, alors que son regard tombe à nouveau sur l'horloge de sa table de nuit.

Souriant à l'incorrigible banalité de la plupart des situations dans lesquelles elle observe l'infirmier, Andy ne le retient pas plus longtemps :

— Vas-y. Cours.

— Tu es nue dans mon lit, il lui fait remarquer.

Alors qu'il déplore intérieurement de ne pas pouvoir prononcer ces mots avec plus de fierté, elle ne comprend pour sa part par son objection. Le lien de causalité lui échappe totalement. Elle le toise avec un sourcil haussé, perdue.

— Et ça t'empêche d'utiliser tes jambes parce que… ?

— Si je pars, tu vas te retrouver enfermée, il explique, même si ça devrait à son sens être une évidence.

Elle est venue deux fois chez lui, et elle est entrée pour la première fois hier soir. Par conséquent, son SD n'est en aucun cas associée au verrouillage de son domicile. Et il n'a d'autant pas le temps de l'enregistrer comme visiteuse qu'il n'est absolument pas doué pour tout ce qui touche à la technologie. C'est l'agent immobilier qui lui a fourni son adresse qui a fait la manipulation pour lui au moment de son emménagement, et il n'a jamais eu à toucher à la liste depuis, puisqu'il n'a jamais eu besoin de laisser qui que ce soit seul chez lui.

— Je peux ouvrir une porte, proteste Andy, son regard toujours plissé de perplexité.

Il s'apprête à objecter par le raisonnement qu'il vient d'avoir intérieurement, avant d'être percuté par l'idée qu'elle peut sans doute contourner ce problème.

— Pas sans… Oh. Ça fait partie de tes compétences, c'est ça ?

— Oui, elle confirme en hochant la tête.

Elle ne sait pas ce à quoi il fait référence exactement mais elle soupçonne que sa réponse n'en serait sans doute pas différente si c'était le cas.

— C'est à la fois impressionnant et terrifiant. On… se voit plus tard ?

La dernière partie de ce qu'il vient de dire sonne plus comme une réelle question que la suggestion que ça devrait être. Il est à la merci de sa compagne, dans cette relation. Et le plus triste, c'est que ce n'est même pas spécifique à Andy, puisqu'il n'a jamais été très assertif. La jolie blonde semble cependant apporter une nouvelle dimension à sa vulnérabilité. Des fois, il jurerait qu'elle vient d'une autre planète tant elle bouleverse les codes de la vie de couple tels qu'il les connaît.

— Je vais faire un effort pour rester en contact, elle lui accorde en faisant rouler ses yeux dans leur orbite, voyant bien qu'il a besoin de cette assurance.

Le concept ne l'enchante guère. Soit on est en présence de quelqu'un soit on ne l'est pas, et on devrait s'en accommoder. Cette volonté des humains d'interagir à distance hors de cas d'urgences la laisse confondue.

— Et ce sera dûment apprécié ! Bonne journée… ? il la salue donc.

Sa voix monte à nouveau à l'interrogative sur la fin alors qu'il se demande dans un second temps seulement si c'est approprié par rapport à ce qu'elle vient de lui dire qui allait se passer aujourd'hui. Est-ce qu'elle aura quelque chose à faire de particulier ? Et si oui, est-ce que ce sera pénible ?

— Oui. Toi aussi, elle le rassure implicitement, amusée par sa prévenance.

Qu'il s'applique encore à prendre des pincettes avec tout ce qu'il sait pourtant sur elle l'impressionne. Il ne faut à la plupart des gens pas très longtemps avant de se montrer abrasif envers elle, ou en tous cas de laisser tomber les civilités. Elle le sait bien, puisqu'elle a été en contact avec plus d'êtres humains que jamais, dernièrement. Le patriarche Quanto est très souvent réduit au silence en sa présence, par refus de se montrer trop discourtois, mais le reste ne mâchent pas leurs mots avec elle. Et elle ne s'en formalise absolument pas, puisque leur analyse de sa personnalité est tout à fait légitime. Le plus étonnant en ce qui concerne Uriel, c'est qu'il ne s'abstient pas par politesse mais par sincère volonté de lui être agréable. Cet homme défie parfois toute logique. Plus encore que ces congénères.

Tandis que l'infirmier s'enfuit pratiquement dans les escaliers, et qu'elle l'entend attraper sa veste et sa sacoche sur son passage d'abord puis claquer la porte derrière lui avant de se précipiter dans l'allée de gravillons jusqu'à la rue, Andy se laisse à nouveau glisser en position allongée dans le lit. Si pas si chargée qu'elle aurait pu l'être, la journée qui commence va tout de même être importante. Elle s'est beaucoup investie dans la mise au point du plan qui va être suivi, et parmi les nombreux intervenants le degré de fiabilité varie. Sa seule consolation, c'est que si tout tombe à l'eau et ils se retrouvent exposés, s'occuper du ménage avec Chad sera un changement de rythme pas forcément malvenu pour elle.

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