2x08 - L'eau qui dort (1/19) - Sentinelles

De fines coulées plus claires sont gravées dans le bois du cadre de lit, comme des éclaboussures d'eau de javel qu'on aurait manqué d'essuyer à temps. Sous les draps, froissés par endroits d'avoir été serrés sans retenue, une frêle silhouette blonde se débat doucement dans son sommeil, grimaçant d'un inconfort inexplicable, comme en proie à des cauchemars ou des douleurs. Les cheveux collés sur le visage, sa respiration irrégulière, elle passe des frissons aux sueurs d'une seconde à l'autre, sans que la température de la chambre ne bouge pourtant. Ce qu'on devine à peine être des empreintes de mains sur la tête de lit, proches de griffures et semblables aux autres traces de corrosion visibles si ce n'est par leur forme, attestent qu'elle a dû convulser plus violemment à un moment donné, même si elle paraît relativement tranquille pour l'instant.

Voilà une semaine que Maena est dans cet état, plongée dans une inconscience aussi lourde qu'agitée.

Comme chaque matin depuis son retour, Ben entre dans la chambre pour venir s'assurer de la stabilité de sa dernière patiente en date, et éventuellement protéger un nouvel objet de son environnement du caractère actuellement corrosif de son contact, à l'instar de ce qu'il a déjà fait pour sa literie. En attendant de trouver un remède à sa condition, le grand brun agit de concert avec Kayle pour ne pas que l'état de la jeune fille ne s'aggrave ; le mécanicien veille sur elle la journée, dès l'aube, tandis que l'ex tueur en série a été cantonné à la nuit, à la fois par souci de discrétion mais aussi pour le punir.

Au premier abord, tout le monde s'attendait à ce que Mae se réveille d'elle-même, après un petit temps de repos. Mais ce n'est pas ce qui s'est passé. Elle n'a tout bonnement pas rouvert les yeux depuis qu'elle s'est effondrée sur le seuil de son domicile. Après une paire de jours sans amélioration, toutes les personnes potentiellement compétentes sur le sujet ont commencé à se pencher sur les dossiers récupérés chez DeinoGene, afin de déterminer ce qui aurait pu lui avoir été fait là-bas pour qu'elle ne reprenne pas connaissance aujourd'hui. Malheureusement, l'entreprise n'a pas connu un succès retentissant. Autant que les deux Soigneurs homiens puissent en juger, les entrées concernant la jeune fille ne sont en fait carrément pas les bonnes, sans quoi elle n'aurait jamais survécu au traitement qui lui a été infligé. Or, sans savoir précisément ce qui lui a été fait, ils n'osent pas intervenir plus en profondeur, de peur d'empirer son état au lieu de l'améliorer.

Assis dans un fauteuil au pied du lit de sa petite sœur, Markus s'est endormi. Tête sur le côté et poignets croisés sur ses cuisses, il respire profondément, profitant d'un repos visiblement nécessaire. Quelques minutes après que Ben l'a contourné pour rejoindre le chevet de Mae, l'étudiant se réveille cependant dans un sursaut. Il agrippe son accoudoir comme s'il était soudain pris d'un vertige.

— Tu ne devrais pas dormir dans cette position, lui suggère l'alien lorsqu'il semble avoir repris ses esprits et s'être souvenu d'où il se trouvait.

— Je sais… répond l'aîné de fratrie d'une voix pâteuse.

Ce conseil évident lui tire tout de même un sourire amusé ; ses lombaires endolories lui dictent exactement la même chose.

— Je t'ai réveillé ? se reprend le jeune extraterrestre dans un second temps.

Depuis que Jena a refusé qu'il soigne sa cheville et son épaule, il n'a de cesse d'évaluer son impact sur les gens autour de lui. Sa prévenance fait sourire Markus une nouvelle fois. Comment est-ce qu'il peut seulement douter qu'il est essentiellement un ninja ? Même Sieg et Vlad sont plus bruyants que les Homiens, si on peut seulement estimer qu'un groupe comme l'autre fait le moindre bruit. C'est se faire remarquer qui est difficile pour eux, pas l'inverse.

— Non, t'inquiète, ma montre s'en est chargé. J'ai oublié de désactiver l'alarme que j'avais mise pour mon partiel d'hier. Que j'ai planté, en plus, le rassure gentiment l'étudiant avec un éclat de rire désabusé.

D'un geste du menton et de l'avant-bras, il désigne l'appareil à son poignet, qui l'a en effet sorti du sommeil par vibration.

— Mais non, l'encourage Ben, visiblement convaincu du contraire en ce qui concerne l'examen.

— C'est gentil, mais comment tu pourrais le savoir ? commente le jeune homme.

Bien que la question n'attende pas de réponse, Ben se permet tout de même de lui exposer une véritable explication à son soutien, qui n'était finalement pas de la simple compassion :

— En cherchant à aider ta sœur et ton ami Robert, tu es allé plus loin sur le sujet de la neurologie que tes cours. Tu n'as pas l'impression d'avoir révisé, et pourtant…

— Oh… Intéressante théorie, ne peut que balbutier Markus en guise de réplique.

Il est déstabilisé que le Soigneur soit à ce point au courant de ses faits et gestes. Il est conscient que les Homiens entendent à peu près tout, et perçoivent encore plus que ça, mais à chaque fois qu'il est confronté aux conclusions qu'ils peuvent en tirer, il ne sait jamais trop quoi dire. Tout ce dont il est sûr, c'est qu'il leur est reconnaissant de conserver ce type de remarques à un minimum, car ils pourraient sans nul doute pousser beaucoup plus loin dans l'inconfort. Et c'est d'autant plus appréciable de la part de Ben en particulier qu'il n'a pas toujours les bonnes notions de ce qui est correct ou non en société, donc l'effort doit lui être double.

— J'aimerais avoir autant de certitudes au sujet de Maena. Mais tant qu'on ne sait pas ce qui lui a été infligé exactement, on ne peut pas faire plus que ce qu'on fait maintenant. C'est-à-dire pas grand-chose, reprend l'alien avec frustration.

Il s'est rarement retrouvé face à une condition à laquelle il ne pouvait pas remédier. Il n'y a jamais été confronté, mais il se sait capable de ramener des êtres vivants de très loin, des portes de la mort s'il le fallait. Même la situation de Caroline et Robert, dont Chuck lui a fait mention au détour d'une conversation, lui paraît un jeu d'enfant à côté de ce qui afflige la petite blonde. Il ne peut pas agir sans avoir toutes les pièces du puzzle, et trépigne d'impatience qu'elles lui soient amenées. Ne pas être capable de les obtenir par lui-même est également une grande source de frustration.

— Hey, elle est stable ; c'est déjà mieux qu'à son arrivée. De toute façon, c'était présomptueux de notre part de s'imaginer que son simple retour suffirait à ce que tout rentre dans l'ordre. Je sais pas pourquoi on a pensé ça, Mark reprend le grand brun.

Il serait selon lui absurde que Ben se sente coupable alors qu'il est pratiquement la seule raison pour laquelle sa sœur est seulement encore en vie à l'heure actuelle. Il la maintient alimentée alors qu'elle a violemment rejeté toute tentative de pose d'une intraveineuse, et a aussi réussi à un tant soit peu réguler son état corrosif. Et c'est sans compter les interférences qu'il a menées alors qu'elle était encore retenue par DeinoGene. Sans jamais franchir le périmètre extérieur, il a rendu les individus les plus inquiétants malades ou désorientés pour les empêcher de s'en prendre à elle, contaminé des livraisons de produits chimiques pour retarder leur utilisation ou au moins diminuer leur efficacité, et perturbé le bon fonctionnement de certains appareils de mesures pour retarder la progression des expériences. Le tout sans se faire remarquer. Il sait qu'il a reçu un peu d'aide d'Andy sur la fin, mais ça n'en reste pas moins impressionnant.

— Parce que vous êtes optimistes, déclare simplement le Soigneur.

Une fois de plus, il répond à une question rhétorique sur le ton de l'évidence. Markus sourit à la candeur des compliments qu'il dispense sans économie. La plupart de ses commentaires bénéficient d'ailleurs de tout autant de fraîcheur. Puis, l'étudiant se lève enfin de son siège. Il est fourbu et a bien besoin d'une douche. Et il a toute confiance en le motard pour veiller sur sa petite sœur. Il sait qu'il fait tout son possible pour elle. S'il est venu s'asseoir au pied de son lit hier soir, c'était plus pour se rassurer lui-même que par réelle nécessité ou même utilité. Jusqu'ici, c'est son père qui a occupé cette place chaque nuit depuis son retour, et qu'il se soit abstenu cette fois-ci ne peut qu'attester que Mae est entre de bonnes mains, même celles de Kayle. Tout ce que son frère souhaite maintenant, c'est qu'elle ouvre enfin les yeux et revienne parmi eux pour de bon. Il semblerait cependant qu'il doive encore attendre un peu avant que son vœu ne soit exaucé. Qu'à cela ne tienne, ce ne sont pas les comateux qui manquent dans son entourage. Et peu importe à quel point ce constat est déprimant, il refuse de perdre espoir si près du but. La seule chose qui pourrait dérailler à présent serait qu'ils ne soient pas aussi proches du but qu'ils ne le pensent, mais combien de fois peuvent-ils se voir ramener en arrière comme ils l'ont déjà été ?

Scène suivante >

Commentaires