2x07 - Atlas (18/20) - Messe de minuit

Le Docteur Conway réside juste à côté de l'Institut Lakeshore, qu'elle gère et où elle exerce. Comme beaucoup de ses confrères, elle apprécie de ne pas habiter loin de ses patients, en cas d'urgence. Aujourd'hui aura cependant été un Samedi sans incident, durant lequel elle a pu vaquer à des occupations sans relation aucune avec ses jeunes résidents. Elle espère d'ailleurs qu'ils auront autant profité de leur temps libre qu'elle. Les fins de semaine sont souvent porteuses de conseil, pour eux. C'est l'occasion de bien intégrer tout ce qui a été échangé en sessions les cinq jours précédents, avec un peu plus de recul que de la veille au lendemain.

Un tambourinement à sa porte d'entrée en début de soirée, qui la tire da sa lecture dans son canapé, met hélas fin à la quiétude de Kennedy. En robe de chambre par-dessus son pyjama, la psychiatre pose sa tablette et se lève avec un grognement pour aller ouvrir. Elle retire le battant juste alors qu'un poing s'apprête à s'y abattre, pour une nouvelle série de coups.

— Setsuko !? Qu'est-ce que tu fais ici à cette heure-ci ? s'exclame le médecin en reconnaissant sa protégée sur son palier.

— Je ne voulais pas qu'on me voie sortir, s'explique simplement la jeune Japonaise.

Tout de noir vêtue pour son excursion crépusculaire hors des murs, bien qu'il soit loin de faire très sombre encore, elle a de faux airs de ninja. Ou peut-être que c'est juste le choc de ne trouver aucune couleur flashy sur sa tenue.

— Si tu cherches à conserver ta couverture, je doute que ce soit une urgence… se permet de commenter son aînée, croisant les bras et prenant un air sévère.

— Je suis désolée, mais ça va m'empêcher de dormir, s'excuse l'intruse.

À son regard fuyant, elle est aussi embêtée de déranger sa mentor qu'elle l'est de ne pas pouvoir trouver le sommeil elle-même.

Avec un soupir silencieux, attendrie par cette expression de chien battu, Kennedy ouvre la porte un peu plus grand et invite son ancienne patiente à entrer du geste. Celle-ci se glisse à l'intérieur avec un sourire reconnaissant.

— Qu'est-ce qui va t'empêcher de dormir ? demande l'hôtesse, après avoir refermé derrière sa visiteuse.

— Est-ce que c'est grave ? interroge Setsuko pour toute réponse.

Afin d'être plus à l'aise, elle abaisse sa capuche et retire sa queue de cheval basse de son col.

Évidemment, sans aucun contexte, le Docteur ne la suit pas. Resserrant machinalement son peignoir autour d'elle, elle réclame donc des précisions :

— Est-ce que quoi est grave ?

— Ce qui se passe chez les Quanto. C'est sérieux ou pas tant que ça ? reformule la jeune Asiatique avec un peu plus de détails.

— Pourquoi est-ce que tu me demandes ça ? s'étonne la thérapeute de cette question, fronçant les sourcils.

Pour aider à son intégration, Setsuko sait qu'elle est soumise aux mêmes restrictions que les autres résidents : ce qu'ils ignorent, elle est censée l'ignorer également. Elle dispose de certains légers laisser-passer, pour des évènements majeurs, mais certainement pas pour quelque information personnelle que ce soit. Elle n'est même pas systématiquement mise au courant de ce qui leur est offert en session, de la même manière qu'elle ne rapporte pas tout ce qui lui est dit dans la confidence. Son infiltration est une sécurité, pas une trahison. Mais alors, pourquoi est-ce qu'elle poserait une question pareille ?

— Je ne vais pas lui dire, d'accord ? C'est juste… J'ai l'impression qu'il s'imagine des choses de plus en plus sombres. Et ce serait plus facile de le raisonner si je savais qu'il se fait du souci pour pas grand-chose, elle se justifie doucement.

Elle a dans la voix la lassitude de celle qui sait que son argument ne va pas faire le poids mais tente quand même le tout pour le tout.

Kennedy soupire une fois de plus, toujours presque sans bruit. Elle est compatissante à la situation de la jeune femme. Voir Caesar se torturer par rapport à un problème qu'il ne peut pas estimer, ces dernières semaines, n'a pas été facile pour elle non plus. (À sa plus grande surprise, c'est même encore plus difficile que de savoir que quelque chose ne va pas dans la famille d'un patient, et le regarder faire des progrès en isolement sans rien pouvoir lui dire.) Elle a fait son possible de son côté pour rassurer le grand brun, le maintenir concentré sur sa propre situation, mais ce n'est pas toujours évident. Et elle doit bien admettre que, depuis la dernière visite de son père, c'est devenu de plus en plus compliqué.

— Je ne peux pas te dire, elle répond à Setsuko après un moment d'hésitation.

— Très bien. D'accord. J'aurai essayé, accepte la jeune femme avec un rapide haussement d'épaules, prête à se résigner.

— Non, ce que je veux dire, c'est que je n'ai aucune idée de la gravité de la situation, la corrige cependant la psychiatre.

La Japonaise relève la tête avec un air intrigué. Non seulement elle ne s'attendait pas à obtenir une réponse au-delà de négative à sa requête, mais elle n'a également jamais entendu ce ton dans la voix de Kennedy. Elle semble perdue. Mais pourquoi serait-elle perdue sur un sujet comme celui-ci ? Elle est supposée tout savoir de la situation familiale de ses patients. C'est pratiquement dans le contrat de traitement qu'elle fournit aux proches au moment d'accepter un résident. Si elle ne sait pas tout, elle peut faire des erreurs, ou ne pas être en mesure d'apporter tout l'aide qu'elle serait capable d'apporter.

— Comment ça ? s'enquiert donc Setsuko, incapable de faire sens de cette déclaration sans aide.

— Quelque chose s'est passé, mais je n'ai pas de détails quant à la résolution du problème, l'informe le Docteur.

Quelque part, elle est un peu soulagée de pouvoir partager son ignorance avec quelqu'un. Ce n'est pas comme si elle pouvait discuter de ses entrevues avec les Quanto avec n'importe qui, et surtout pas ouvertement. Et comme si la visite d'Aleksander n'avait pas été suffisamment alarmante, avec sa volonté de garder son fils cadet en dehors de tout ça et sa promesse de récupérer sa fille par des moyens potentiellement détournés, le dialogue avec Sam deux jours plus tard n'avait pas aidé à la tranquilliser non plus. Markus semblait un peu mieux disposé que son oncle et son père, mais elle n'est pas entièrement convaincue que ce ne soit pas uniquement dû au fait qu'il a préféré parler d'autre chose que de sa petite sœur.

— Est-ce que l'un d'entre eux est blessé ? demande alors la Japonaise directement.

Elle ne cherche après tout qu'à connaître les grande lignes, juste assez pour ne pas complètement se décomposer intérieurement à chaque fois que le front de Caesar se plisse à l'idée de ce qui peut bien être en train de se dérouler chez lui.

— Je ne sais pas, répond hélas Conway à cette question pourtant large.

— Comment…?

La jeune femme n'arrive même pas à formuler une phrase entière. Elle ne comprend toujours pas qu'une information aussi basique puisse échapper à sa thérapeute.

— L'un d'entre eux manque à l'appel, finit par avouer Kennedy.

Au bout du compte, elle se dit qu'elle en sait de toute manière trop peu pour que le partager avec son infiltrée présente un réel risque. Et en dépit de la condition de Caesar, elle sait qu'elle ne laissera pas plus filtrer qu'il n'a déjà pressenti par lui-même.

— C'est-à-dire ?

Sets n'arrive pas à interpréter cette tournure de phrase. Elle ne pense pas que ce soit un euphémisme pour un décès, mais elle n'arrive pas à concevoir ce que ça pourrait décrire d'autre.

— Il y a eu un enlèvement. Des hommes en noir, en plein jour. Une enquête est en cours, bien sûr, mais je ne suis pas tenue informée, et ils sont tous plus en détresse les uns que les autres. Et tant que tout ça n'est pas réglé, je ne sais pas si c'est le bon environnement auquel confronter Caesar dès sa sortie, déballe la psychiatre plus explicitement.

Elle est clairement frustrée d'avoir pour seule décision possible l'inaction, à laquelle elle se voit contrainte en les circonstances.

Après cette révélation, Setsuko aurait bien besoin de s'asseoir, mais il n'y a hélas pas de fauteuil dans l'entrée. Elle reste donc debout, immobile, à ciller plusieurs fois en intégrant les informations qui viennent de lui être communiquées. Ce n'est pas typiquement un développement pareil qu'on constate dans les familles des résidents en leur absence. Il arrive qu'il se produise des évènements sans relation avec leur internement, mais là, c'est quand même une situation exceptionnelle.

— Hm. J'ai l'impression que tu regrettes autant de m'avoir fait parler que je suis soulagée de l'avoir fait, observe Kennedy, avec un sourire à la fois triste et amusé au regard vague de sa jeune collègue.

— C'est juste… Tu as raison, je ne sais pas trop comment il réagirait à une situation comme celle-ci. Mais… Il considère de te mentir, tu sais ? reprend Setsuko, une fois ses esprits retrouvés.

— Me mentir ? Qu'est-ce que tu veux dire ?

La psychiatre plisse les yeux, perdue une fois de plus.

— Il m'a raconté ton petit défi. Et il a peut-être trouvé la date de son Bal de fin d'année. Oui, déjà. Mais il sent bien que tu n'es pas très enthousiaste à l'idée de l'autoriser à sortir, alors pour t'éviter d'être au pied du mur, il considère de te laisser croire qu'il est bredouille, lui apprend la Japonaise.

De son point de vue, cette réaction de la part du jeune homme illustre parfaitement qu'il peut encore les surprendre. Il n'arrête pas de retourner les situations depuis son arrivée. Il a fait parler les autres, il a pris Sets par surprise, et il continue à prioriser tout le monde avant lui-même.

— Oh, Caesar… s'exclame doucement la thérapeute.

Elle porte ses doigts à ses lèvres et ferme les yeux, le bénissant en silence pour son bon cœur. C'est censé être son rôle de le protéger, pas l'inverse. Aucun patient n'est supposé mettre les émotions de son conseiller avant les siennes. Historiquement, même les résidents avec l'estime d'eux-mêmes la plus basse n'en sont jamais arrivé là. Pas sans se fourvoyer dans leurs bonnes intentions, en tous cas.

— Depuis le début, il ne fait que nous prouver qu'il est plus fort qu'on s'y attend. Pourquoi est-ce qu'on continue à le sous-estimer ? demande ensuite Setsuko.

Les question s'adresse autant à son interlocutrice qu'à elle-même. Elle écarte les mains, comme pour souligner le manque de logique de leur comportement jusqu'ici.

— Je ne le sous-estime pas. J'ai même dit à son père qu'il pourrait gérer. Et je le pense sincèrement. Mais… commence à protester le Docteur.

Elle ne revient absolument pas sur le jugement dont elle a fait part à Alek en début de semaine. Aussi complexe son cas soit-il, elle a une vision assez claire des progrès de Caesar. Certaines branches, en tous cas.

— Mais quoi ?

— Mais juste parce qu'on pense quelqu'un capable de surmonter une épreuve ne veut pas dire qu'on a envie de le voir la traverser, elle termine.

Avec un soupir coupable, elle baisse les yeux vers la moquette. Elle est égoïste. Elle agit égoïstement. Qu'est-ce qui est pire pour Caesar, après tout, de s'inquiéter sans savoir, ou bien d'être brutalement confronté à la réalité ? Qu'elle se fasse du souci pour lui ne justifie pas l'étouffement qu'elle lui impose. Elle projette sa propre appréhension sur lui, et ce n'est pas correct. En cherchant, elle trouvera toujours une raison de retarder son départ de l'Institut. Il est temps pour elle de faire le point sur la question, et séparer le rationnel de l'émotionnel. Cette visite clandestine de Setsuko était la sonnette d'alarme qu'il lui fallait.

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