2x07 - Atlas (17/20) - Conflit d'intérêts

Chez les Quanto, un tambourinement à la porte d'entrée tire Aleksander de ses calculs. Sachant Markus suffisamment absorbé dans ses révisions à l'étage pour ne rien avoir entendu, et Jena isolée au jardin, en plus d'handicapée d'une écharpe et d'une attelle, le père de famille quitte son laboratoire pour aller ouvrir. Il est le plus proche, de toute manière. Et à la façon de frapper, il soupçonne de plus que ce soit pour lui.

— Ann. Bonsoir. Je ne t'attendais pas, il accueille sa visiteuse avec le sourire mais une petite dose de surprise tout de même.

Il ne pensait effectivement pas la revoir avant quelques jours. En le quittant la veille, elle lui avait annoncé prendre son week-end pour s'occuper d'une affaire personnelle. Si prévisible compte parmi les derniers adjectifs qu'on pourrait associer à la jeune femme, à chaque fois qu'elle a utilisé cette excuse, il n'a pas eu de nouvelles et n'a pas pu la joindre avant l'heure dite. Et alors qu'elle a partagé avec lui nombre d'histoires plus incriminantes les unes que les autres, elle se garde bien de lui donner quelque détail que ce soit sur ce mystérieux problème en particulier. Car oui, il ne fait aucun doute pour lui qu'il s'agit à chaque fois d'un seul et même problème. Avec tous ces éléments en tête, il se demande donc ce qui a bien pu l'arracher à cette préoccupation qu'il soupçonne cruciale pour venir le voir.

— Je sais. Mais il faut qu'on parle, elle lui annonce pour toute excuse de sa venue à l'improviste, avant de se frayer un chemin à l'intérieur de sa maison.

Il s'écarte de son passage, puis referme derrière elle, sans s'offusquer de son entrée presque en force, somme tout assez banale pour elle.

— Ah bon ? il s'étonne sans perdre son calme.

Il lui emboîte le pas jusqu'à la pièce juste avant son bureau, où elle se retourne enfin vers lui. Une fente haute d'un centimètre et demi et large de plusieurs millimètres est toujours visible dans le mur, à côté de la porte du laboratoire. Personne n'a pris le temps d'y remédier depuis que Siegfried en a retiré son couteau. L'accident serait difficile à expliquer à un spécialiste, et parmi les visiteurs dotés des compétences nécessaires, tous ont eu autre chose à penser jusqu'ici.

— Tu sais que Jazz et moi, on s'occupe de garder tout le monde à distance de ce qui se passe ici ? commence Ann.

La question sonne rhétorique ; elle essaye de le situer dans le contexte de ce dont elle s'apprête à parler.

— Oui, Alek confirme doucement à sa complice qu'il la suit.

Il attend ensuite sagement qu'elle poursuive et en vienne aux faits, puisqu'elle ne lui a encore rien apporté de nouveau ou qui aurait pu lui sortir de l'esprit. Sécuriser le périmètre et s'assurer qu'ils ne laissent aucune trace est sa principale valeur ajoutée. Ça a été son premier cheval de bataille à son arrivée. Sa contribution à retrouver Mae et organiser son sauvetage ensuite, et aujourd'hui à la recherche d'une solution pour Caroline et Robert, n'est venue que dans un second temps.

— Eh bien, on a réussi à stopper Jack net, mais Fred est peut-être un peu plus proche de la vérité qu'on ne le souhaiterait, révèle enfin la jeune femme.

Dans son embarras de ne pas avoir exécuté son rôle à la perfection, elle regarde ailleurs. Elle n'a jamais apprécié Fred. Elle et ses petits collègues ont mis trop de ses connaissances en prison. L'étrange rivalité amicale qu'entretient son mari avec l'enquêteuse l'exaspère d'ailleurs souvent. Qu'elle soit aujourd'hui en plus la cause d'une admission d'échec de sa part n'est donc pas pour plaire à la pirate.

— Fred ? La nouvelle coéquipière de Sam ? s'étonne l'ingénieur, sourcils soudain froncés.

Il préfère vérifier qu'ils parlent bien de la même personne, avec presque exactement la même formulation que la dernière fois que ce prénom lui a été mentionné par Ann, quoique pour des raisons différentes.

En ce qui le concerne, la jeune inspectrice les a jusqu'ici plutôt aidés qu'autre chose. Il a donc du mal à voir en quoi elle pourrait maintenant représenter une menace. Ses méthodes traditionnelles ont été tout aussi indispensables à la localisation de Mae et la mise en place d'un plan d'intervention que celles moins conventionnelles d'Ann. Au point qu'il s'était naïvement fait la remarque que les deux femmes formeraient une bonne équipe, si elles se rendaient compte qu'elles avaient le même but. En effet, pour toutes ses transgressions, il ne pense pas que sa collègue d'infortune ait un mauvais fond. Ça devrait compter pour quelque chose, non ?

— Ouais. Et, er… accessoirement ma belle-sœur. Techniquement, confesse justement Anubis, les yeux toujours fuyants.

Cette information a pour seul et unique but de justifier d'avoir passé tout ce qui a concerné l'ancienne cyber-enquêteuse depuis leur arrivée à Chicago sous le compte d'une "affaire personnelle". Elle craint en effet qu'Alek ne soit pas ravi d'avoir été tenu à l'écart de cette histoire. Pour toute sa tolérance, il défend sa famille comme un tigre, et qu'ils aient joué un rôle dans l'arrivée de la nouvelle partenaire de son frère pourrait ne pas lui plaire.

— Oh. Mais…

Effectivement, l'ingénieur raccroche péniblement les morceaux de ce qu'elle vient de lui dire. Il va jusqu'à devoir s'asseoir sur l'accoudoir du fauteuil le plus proche afin de pouvoir se concentrer sur tout ce que ça implique. Il n'en a pas excessivement entendu au sujet de la jeune Fred de la part de Sam. Et à propos de Jasper, le mari d'Ann, il ne sait presque rien non plus. Tout ce qu'il peut dire c'est que le fait que ces deux individus soient finalement connectés, surtout par une relation familiale, lui est inattendu. Pour lui, chacun se situait dans des compartiments de sa vie séparés, et surtout l'un à l'opposé du spectre de la légalité de l'autre.

— Oui, elle vient de la brigade Cyber, donc oui, c'est le comble que son jumeau soit l'un des hackers les plus recherchés du continent, Ann lui mâche le travail de réflexion, anticipant son commentaire.

Elle n'a pas la patience de l'entendre. Le peu de fois où elle a dû expliquer cette situation à quelqu'un, elle en a pratiquement eu la nausée. Il est déjà arrivé que Jazz protège sa sœur des malfrats les moins bien intentionnés du web, et même si elle ne souhaite pas non plus du mal à sa seule belle-famille, ça lui a fait une petit pincement au cœur de voir son cher et tendre utiliser ses talents pour préserver quelqu'un dont la seule envie est de les coincer.

— Attends… Est-ce que vous avez quelque chose à voir avec son affectation à Sam ?

Comme le redoutait la jeune femme, Alek repère enfin la plus grosse coïncidence qui vient d'être mise en évidence par cette révélation, passant outre le paradoxe du lien de parenté. Qu'Ann soit venue vers lui est une chose, qu'elle se soit aussi immiscée dans la vie de son frère en serait une autre. À la façon dont elle en parle, elle ne semble pas avoir quelque contrôle que ce soit sur la dernière recrue des Homicides de Chicago, mais il préfère en avoir le cœur net.

— Nan. Enfin, on a facilité son transfert depuis Portland, oui, parce qu'on savait qu'on venait et que Jazz aime bien la garder à portée de main. Mais qu'elle soit tombée sur Sam est un pur hasard, la pirate rassure l'ingénieur, avant qu'il ne puisse lui tenir réellement rigueur d'agissements plus machinateurs qu'elle n'en a réellement perpétrés.

Ça a été une surprise pour eux aussi, lorsqu'ils ont appris que Fred avait été appariée à un certain inspecteur Quanto alors qu'ils recherchaient justement un professeur du même nom. Ils ont même envisagé que ce soit à eux qu'on jouait un tour, ayant anticipé leur arrivée. Mais non, il s'agissait d'une coïncidence tout ce qu'il y a de plus naturelle. C'est rare, mais ça arrive malgré tout.

— D'accord, accepte Alek simplement, avec un lent hochement de tête.

Il se laisse encore un peu de temps pour tout à fait assimiler toutes ces informations. Malgré son inquiétante approche, il a appris à avoir confiance en Ann. C'est bien la première chose qui le concerne qu'elle lui ait dissimulée. Et elle semble trop embarrassée par ses aveux pour qu'ils cachent un autre secret encore.

Une fois qu'elle est satisfaite du taux de digestion d'Alek, la jeune femme décide de recentrer la conversation sur ce qui l'a amenée ici en premier lieu, pour pouvoir exposer point par point la situation actuelle ainsi que tout ce qui risque d'en découler :

— Bien. Maintenant qu'on est sur la même page, notre souci, c'est qu'on n'a pas pu empêcher Fred d'apprendre pour le raid de Lundi. Je veux dire… C'est elle qui nous a permis de lier ce bâtiment à l'enlèvement de Mae. Et elle considère d'en parler à quelqu'un. Ce qui veut dire qu'elle peut tout ramener à nous, ou en tous cas à toi. Et ça veut dire Caro et Bobby, aussi.

— Si tu dis vrai, c'est une excellente enquêteuse, l'ingénieur ne peut s'empêcher de commenter, dubitatif à ce scénario.

Pour lui, la jeune inspectrice devrait être loin d'avoir les éléments nécessaires pour tout relier de cette façon. Il serait en effet suspect pour les forces de l'ordre d'apprendre que les hommes qui ont enlevés sa fille sont associés au laboratoire qu'il a justement participé à faire tomber quelques mois plus tôt. À choisir, il préférerait même l'éviter, oui, comme ils l'ont soigneusement fait jusqu'ici. Mais le fait que DG soit responsable du kidnapping ne justifierait jamais une nouvelle enquête sur sa personne et donc ses protégés ; il serait une victime. La brigade des Personnes Disparues ne pourraient pas lui reprocher de ne pas avoir parlé de sa connexion avec DeinoGene, à la fois parce que le laboratoire a été officiellement déclaré comme démantelé il y a des mois, et aussi parce que son témoignage est sous scellé militaire. Et à la façon dont ils ont effacé toute trace de leur passage dans l'Est, il n'y a aucun risque qu'il puisse être soupçonné d'avoir eu été impliqué dans la mise en évidence de cette dernière tête de l'hydre. Il ne dit pas qu'il se sent particulièrement à l'aise ou en sécurité à l'idée que le mobile réel derrière l'enlèvement de Mae soit découvert, mais il n'en est pas paniqué pour autant. Ses inquiétudes sont ailleurs, et Sam a un peu participé à les apaiser, lors de sa visite en milieu de journée.

— Pourquoi est-ce qu'à chaque fois que je viens vers toi avec quelqu'un qui représente une menace, tu admires leurs compétences ? s'offusque Ann en croisant les bras, effarée par son stoïcisme à toute épreuve.

Elle profite que le chercheur soit assis pour le toiser d'aussi haut qu'elle peut malgré leur différence de taille, seulement en partie compensée par les talons de ses bottines. Ce n'est pas le seul homme grand dans sa vie, alors elle a l'habitude de composer avec cette légère contrainte.

Il lui a déjà fait le coup du maître zen lorsqu'elle lui a fait part des avancées de Jack, complimentant l'ingéniosité de son astuce d'une fausse alerte à la bombe pour accéder aux vidéos de surveillance du complexe dans lequel il avait son ancien laboratoire. Et déjà à ce moment-là, ça l'avait agacée.

Prenant une grande inspiration, il s'efforce de lui communiquer les raisons sa tranquillité d'esprit sur le sujet :

— Parce que tu ne m'as pas encore apporté de menace réelle. Ann, on a couvert nos traces. Même sans compter l'influence de l'agent Denton, Homeland n'ont aucune raison de penser à nous pour cette histoire ; Caroline et Robert ont complètement détruit toutes les archives numériques de DG après notre passage, laissant croire à un mécanisme interne. Tu le sais, c'est toi qui leur as appris comment faire. Ou bien est-ce que tu n'as plus confiance en toi ?

Dans son explication, il prend garde de ne pas appeler Chuck par son prénom, de peur de la laisser soupçonner qu'il est un peu plus qu'un simple agent du gouvernement. Sa participation est déjà, en elle-même, suffisamment étonnante pour ne pas y rajouter une touche de familiarité indue.

Beaucoup de choses inquiètent Alek en ce moment, mais pas leur travail de couverture de ce qui s'est réellement déroulé dans les locaux de DG.

  • Il se demande ce qui a été fait à sa fille, et comment il va pouvoir le dissimuler, ainsi qu'expliquer son retour à la maison lorsqu'il arrivera.
  • Il s'interroge aussi sur la décision que Sam va prendre à propos du tueur en série qui a envoyé son coéquipier à l'hôpital, et qu'ils ont fait ramener parmi les vivants pour leur venir en aide.
  • Il espère un prompt rétablissement pour Jena, et que le cœur de Markus n'est pas irréversiblement brisé.
  • Il angoisse à propos de Caesar, et des circonstances dans lesquelles il va revenir parmi eux, de ce qu'il va pouvoir lui dire ou non, et surtout de sa réaction.
  • Il se questionne également sur sa capacité à réveiller Caroline et Robert, et s'il y parvient, dans quelles conditions précisément.

Mais l'enquête officielle sur la seconde chute de DeinoGene, non, ça ne fait pas partie de ses inquiétudes. Grâce à la fuite de neurotoxine qu'ils ont provoquée, personne qui ait été mis en état d'arrestation ce jour-là ne pourrait avoir le moindre souvenir d'une intrusion, et encore moins de ceux qui l'ont perpétrée. Devant l'impossibilité que qui que ce soit ait pu pénétrer dans le laboratoire central tel que Kayle l'a fait, seule une dissension interne peut être blâmée pour la désactivation du système de sécurité, et l'investigation n'ira pas beaucoup plus loin. D'ailleurs, si l'absence du scientifique qu'ils ont laissé partir avec Mae est rapportée par ses anciens collègues, c'est sans doute lui qui portera le chapeau.

— J'ai toute confiance en mes méthodes, merci. Mais le DHS savent que tu es à l'origine de l'enquête qui a permis de faire tomber DeinoGene à la base. Si jamais une inspectrice un peu trop zélée leur souffle qu'il y a un lien entre leur dernier bastion et l'enlèvement de ta fille…

Ann laisse sa phrase en suspens, avec un haussement de sourcils entendu. Elle est beaucoup moins sereine que lui quant aux conclusions que pourraient tirer des agents gouvernementaux avec ces informations. Elle n'est pas du genre à leur accorder beaucoup de crédit de manière générale, mais par déformation professionnelle, elle a aussi tendance à être exagérément prudente. En ce qui la concerne, les autorités en savent trop depuis le début de cette affaire. Le crime parfait n'est même pas sur le radar de qui que ce soit, après tout. Et si elle ne peut pas se vanter d'avoir toujours réussi à faire passer ses méfaits inaperçus, elle peut en revanche se targuer de n'y avoir été liée qu'en quelques rares occasions, et jamais aussi fortement qu'Alek pourrait l'être aujourd'hui, si Fred ouvre sa bouche. De son point de vue, même sans preuves, une accusation hypothétique reste dangereuse.

— Fred ne sait pas pour ma participation au premier coup de filet. Et même si c'était le cas, encore une fois, la connexion entre les deux affaires serait au mieux circonstancielle. Même s'il venait à être suggéré que c'est DG qui ont commandité l'enlèvement de Mae, il n'y a aucun élément pour relier ni elle ni nous à ce laboratoire. On est en sécurité sur ce front. On a couvert nos traces, l'ingénieur répète ses assurances avec plus de détails, pragmatique.

Si ce qui est arrivé à sa fille devait être découvert, ce ne sera pas par le biais de ceux qui le lui ont infligé. Cette relation a été brûlée et enterrée. Il s'étonne d'ailleurs un peu lui-même d'être aussi à l'aise dans sa défense de leur plan somme toute complètement illicite. Sa vie a bien changé, en l'espace de quelques mois seulement.

— Très bien ! Sois aussi détendu que tu veux ! Mais si tout foire à cause de cette fouineuse incontrôlable, tu diras pas que je t'ai pas prévenu, capitule Ann devant son inébranlable confiance, levant les bras au ciel avant de les laisser retomber le long de son corps, exaspérée.

Voilà ce qu'on gagne à vouloir se montrer altruiste. Car elle se sait en sécurité, elle. C'est peut-être triste à dire, mais elle n'entre jamais en collaboration avec quelqu'un sans être certaine de pouvoir couper les ponts à tout moment en cas de pépin. On ne devient pas si prolifique dans son domaine sans être capable de ce degré de détachement, de toute manière. Mais tout en sachant qu'elle fera toujours ce qu'il faut pour se protéger elle-même, elle commençait quand même à s'attacher au professeur. Et toute sa stupide famille, quelque part, même si elle ne les fréquente que peu. Elle préférerait qu'être doué pour quelque chose implique toujours que ce soit facile à faire, mais la vie n'est pas aussi simple.

— Jazz et toi avez bien réussi à encadrer Fred jusqu'ici ; qu'est-ce qu'elle a fait qui vous rend soudain si fébriles ? s'enquiert Alek, perplexe à cette soudaine emphase.

Il connaît la jeune femme méfiante mais pas paranoïaque pour autant. Il y a donc forcément eu un évènement déclencheur à sa décision de partager ses craintes avec lui, après avoir mis tant de soin à le tenir à l'écart de leur gestion de l'inspectrice. Et connaissant son degré de confiance en elle, ça n'a pas dû être quelque chose d'anodin.

— C'est pas tellement un truc qu'elle a fait. C'est juste qu'elle a déjà un pied dans la porte, depuis que Sam lui a demandé son aide avec le croquis et le logo, et si on peut l'empêcher d'obtenir certaines infos (et encore, que dans une certaine mesure) on ne peut pas lui retirer celles qu'elle détient déjà. Et on n'a pas trop l'habitude de naviguer sur un terrain glissant comme ça, c'est tout, elle justifie son inconfort face à la situation.

Cette sensation n'a en fin de compte fait que s'accumuler au fil du temps, au lieu d'être brusquement provoquée comme Alek le soupçonnait.

— Même si je ne pense pas qu'on craigne quoi que ce soit de la part de Fred, Sam a réussi à la convaincre de ne pas archiver l'adresse jusqu'ici. Il saura peut-être la persuader de continuer même en ces nouvelles circonstances. Je lui en parlerai, il propose comme marche à suivre.

Il offre cette option non seulement parce qu'il n'en voit pas d'autre à ce stade, mais aussi parce que son frère et la hackeuse n'ont pas exactement une relation qui leur permette de se demander des services. Si aucun ne manifeste d'animosité envers l'autre, l'oncle ne passe presque jamais quand elle est là, et inversement. Par leurs occupations respectives, ils ont naturellement tendance à s'éviter, même en sachant qu'ils travaillent en l'occurrence tous les deux vers le même objectif. Ils se respectent mais savent qu'ils n'ont rien en commun.

— Merci. Ça pourrait peut-être aider, oui. Jazz lui en a déjà touché deux mots. Pour la première fois de toute sa vie face à face… Mais je pense pas que ça va avoir l'impact escompté. J'aurais aimé pouvoir le retenir, mais il a vraiment peur qu'elle fasse une connerie, elle lui apprend alors.

Sans vraiment s'en rendre compte, elle vient de révéler la véritable raison de l'atteinte de son seuil d'inquiétude limite : son mari est compromis. Si Fred parle maintenant, ce n'est pas seulement vers Alek que les autorités seront orientées, mais aussi vers celui qu'elles connaissent comme Jazz. Le père de famille peut comprendre que la jeune femme tienne à préserver l'anonymat de son époux par-dessus tout. C'est sur ça que repose tout leur mode de vie. Et il ne peut pas se permettre de la juger, avec tous les principes qu'il remet lui-même en question dans l'unique but de protéger sa propre famille.

— Excuse-moi, mais je dois demander : comment est-ce que ça se fait que sa sœur pourchasse très précisément les gens comme lui ? il demande alors.

La révélation du début de cette conversation manque cruellement de détails, maintenant qu'il l'a tout à fait assimilée, alors il revient dessus. Non seulement il estime le sujet des risques d'exposition clos jusqu'à ce qu'il en parle à son frère, mais il préférerait également éviter que sa collègue ne se laisse engloutir par ses préoccupations maritales. Ce n'est visiblement pas quelque chose dont la jeune femme a l'habitude d'avoir à se soucier, et ce sont justement ces angoisses-ci, nouvelles, qui sont les plus difficiles à gérer. Il n'est pas insensible à sa détresse, mais confronter ce développement à chaud ne serait pas pertinent. Aussi, il n'y a bien que le principal intéressé qui puisse réellement la rassurer.

— Erreur de parcours, répond simplement Ann en grimaçant.

Elle n'est pas plus fière que tout à l'heure, mais elle retrouve un semblant de sourire au moins, en même temps que de la perspective.

Lorsqu'elle a rencontré Jasper, le mal était déjà fait, il avait déjà initié le contact avec sa sœur et celle-ci s'était déjà lancée dans la vocation de l'arrêter. Bien qu'il s'en défende, elle soupçonne d'ailleurs que ce soit ce rejet qui ait poussé son mari à chercher un partenaire, à l'époque. Elle n'aime pas l'idée de devoir l'homme de sa vie à une flic, mais elle se console en se disant qu'ils auraient sûrement fini par se croiser par un autre biais même sans Fred.

Sentant bien qu'il ne gagnerait rien à la presser sur le sujet, Alek s'abstient de plus de questions. Si elle estime qu'elle peut lui en parler, elle lui en parlera sans doute ; elle n'a déjà pas eu sa langue dans sa poche pour des révélations qu'il aurait en ce qui le concerne considérées comme compromettantes. Aussi, incongrument, ainsi que contrairement à la plupart des gens, Ann est beaucoup plus productive lorsqu'elle discute en même temps qu'elle travaille.

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