2x07 - Atlas (13/20) - Friction
Alors qu'il est en train de terminer de se rhabiller, suite à la douche qu'il a prise après sa partie de basket avec son oncle, un signal sonore attire l'attention de Markus vers son bureau. Tirant sur le bas de son polo vert pour l'ajuster, il se rapproche du meuble pour voir qui lui écrit. Sans surprise, il s'agit de Rob. C'est après tout la seule personne avec qui il communiquait déjà régulièrement par ce biais même alors que celui-ci n'était pas prisonnier du support numérique.
Un symbole d'avertissement, deux tickets, et un calendrier sont affichés sur la surface :
L'étudiant ne comprend pas, et fronce les sourcils.
— De quoi tu parles ?
Apparaissent alors sur la ligne suivante un chapeau de lauréat, une robe, un haut-de-forme, et deux danseurs :
— C'est supposé signifier quoi, tout ça ? Mark continue de s'exclamer, de plus en plus perdu.
Le lycée, les initiales W et P, ainsi qu'un chapeau de célébration laissent d'abord Markus songeur.
— Walter Payton ? Est-ce que tu essayes de me parler du Bal… Oh, merde !
Brusquement frappé par ce que son ami essaye de lui rappeler et ce que cela implique, le jeune homme plaque sa main sur sa bouche alors que ses yeux s'arrondissent comme des soucoupes.
Applaudissements, cloche, et signe de victoire et de paix ; clairement, Robert le nargue. Il n'a rien perdu de son espièglerie même dans sa situation.
— Merde ! Mais qu'est-ce que je vais faire ? Je peux pas me désister maintenant, l'étudiant continue de paniquer, prenant sa tête entre ses deux mains à présent.
Ce que son camarade essaye de lui rappeler, c'est qu'il y a quelques semaines il s'est porté volontaire pour chaperonner le Bal de Promo de son ancien lycée. Sauf que c'était avant que Mae ne se fasse enlever et donc avant que tout ne se complique entre Jena et lui. Initialement, il voulait d'ailleurs justement faire la surprise à la jeune femme. Il avait pensé, à l'époque, que ça pourrait leur changer les idées à tous les deux, de Caroline, de Caesar, et de Robert. Ça partait d'un bon sentiment. Sauf qu'avec tout ce qui s'est passé depuis, ses plans lui sont totalement sortis de l'esprit. Et maintenant c'est dans une semaine !
Par une suite d'icônes représentant d'une part diverses formes d'encouragements et d'autre part faisant allusion à la romance, Rob lui suggère de profiter de l'occasion pour se réconcilier avec sa petite amie.
Il a toujours été le plus fervent militant pour leur relation, c'est vrai. Même avant qu'elle ne commence, et même après qu'ils l'aient débutée à son insu. Il n'a jamais lâché l'affaire, même quand il tenait la chandelle, même quand Jena a brusquement disparu juste après l'enlèvement de Mae, et même après ses aveux difficiles à son retour. Il est un peu comme ces fous sur le Réseau, qui défendent à cor et à cris les mérites de tel ou tel couple dans une série télévisée ou un roman, le plus souvent sans arguments construits. En plus calme, aussi peu haute la barre soit-elle.
— Autant j'apprécie que tu n'aies pas été en train d'écouter ce matin, autant ce n'est pas si simple. Et de toute façon, elle est blessée, Mark écarte l'idée malgré le soutien indéfectible de son pote.
Il accompagne son refus d'un geste vague, tout en commençant à marcher de long en large dans sa chambre, songeur.
Même si elle était en état, il doute que Jena accepterait de l'accompagner. S'il est tout à fait honnête avec lui-même, il n'était déjà pas certain qu'elle accepte alors qu'ils étaient toujours ensemble. Il savait qu'il prenait un risque en les inscrivant. Il ne pensait pas que ce serait celui-ci, cependant…
Pendant ce temps, Rob se lamente Rob par l'imagerie, associant l'animal emblématique du célibat – le cerf – à une mine déconfite :
— Oui, je sais que ça va être déprimant d'y aller tout seul. Mais je peux pas me désister une semaine avant, répète Markus.
Il n'aime vraiment pas revenir sur sa parole.
En guise de réponse, son ami affiche une ribambelle de policiers, cherchant à souligner que le comité d'organisation du Bal a probablement engagé une quantité excessive de chaperons, précisément pour les cas de désistement de dernière minute.
— Si tout le monde pense comme toi, ils vont finir en sous-effectif, rétorque Mark.
Malheureusement, il n'est pas non plus à l'aise avec l'idée de se reposer sur les autres. Rob échange alors les uniformes de ces marionnettes numériques pour des mains levées, souhaitant faire références aux suppléants qui sont toujours préparés pour ce genre d'évènements, en plus du nombre déjà plus que suffisant de volontaires initiaux. Mais son interlocuteur n'est pas plus convaincu par ce second argument.
— Ça vaut aussi pour les remplaçants ! il proteste.
La suite de symboles qui apparaît ensuite lui donne plus de fil à retordre que les précédentes.
Markus a un mouvement de recul du menton à ces variations sur le thème du silence. Il n'arrive pas à les replacer dans le contexte de leur conversation. Est-ce qu'il a vexé Rob ?
— Quoi ? Je ne te suis pas, là… il s'étonne tout haut en plus de sa grimace.
— C'est à Rob que tu parles ?
La voix de Jena dans son dos fait sursauter l'étudiant. Il comprend mieux maintenant ce qu'a voulu lui dire Rob à l'instant. Ils se comprennent plutôt bien de manière générale, même très bien malgré les circonstances, mais évidemment, il y a des limites à ce mode de communication. Les brusques changements de sujet en sont une.
— Er… Oui. Tu es là depuis combien de temps ? répond Markus, plaçant nerveusement une main derrière sa nuque.
— Pourquoi ? T'as peur que j'aie entendu un truc qu'il fallait pas ? s'enquiert la brunette.
Elle plisse les yeux à son comportement qu'elle reconnaît comme suspect. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il n'est ni un bon menteur, ni un bon cachottier. C'est bien à cause de lui qu'ils se sont faits griller par Robert en un rien de temps. Que les deux garçons se connaissent aussi bien n'a pas joué un si grand rôle là-dedans. Mais cette inaptitude est aussi l'une de ses qualités, ce qui le lui rend si attachant, pour elle qui a commencé assez tôt dans sa vie à n'être entourée que d'acteurs et de joueurs de poker.
— Non. Je suis juste curieux de ton degré de discrétion même avec une attelle, Markus se défend par un petit mensonge tout de même, abaissant sa main traîtresse et s'éclaircissant la gorge.
Bon, normalement, même si elle avait tout entendu, il ne pense pas qu'elle serait en mesure de tout à fait saisir de quoi il était question exactement. En tous cas, il l'espère. Heureusement, bien qu'elle se doute qu'il se sent pris en flagrant délit, elle n'insiste pas ; elle n'est pas dans une position qui lui permette d'exiger la transparence.
— Rob a l'air de vraiment bien comprendre ce que tu lui dis, elle enchaîne sans relever ce compliment à ses compétences.
À la quantité de petits dessins qu'elle entrevoit affichés sur le bureau depuis là où elle est, elle peut deviner que c'est un échange fourni qu'elle vient d'interrompre.
— Il n'a pas trop le choix. Je ne suis pas un aussi bon pianiste que mon père, explique Markus avec une grimace un peu coupable.
À la bibliothèque, ou même en cours, il est penché sur une surface et surtout dans l'impossibilité de s'exprimer à haute voix (pas sans passer pour un fou), alors il n'a pas d'autre option que de taper sur des touches pour s'adresser à son ami. À la maison, en revanche, c'est une autre histoire, et lui comme son camarade se sont lassés de sa lenteur et ont opté pour une alternative. Heureusement que Rob a été plus rapide à s'adapter à son nouveau mode d'audition que Mark ne l'a été à devoir utiliser un clavier au lieu d'un stylet.
— Caroline a plus de mal. Même si je parle lentement, j'ai l'impression qu'elle ne capte pas toujours tout, Jen compare la progression de leur ami à celle de sa petite sœur, un pli inquiet sur son front.
— Mais elle est arrivée à lire le cursif. Chacun ses facilités. Ça ne veut rien dire, tente Markus pour la rassurer.
En ce qui le concerne, il ne voit pas de problème particulier à ces disparités. Jena sourit à son indécrottable optimisme, puis redevient sérieuse et détourne la tête. La façon dont elle écarte inutilement une mèche de ses cheveux du bout des doigts, qui retombe instantanément sur sa tempe, est un signe immanquable de malaise chez elle.
— Enfin bref, à la base je suis venue pour m'excuser. Pour ce matin. Tu as raison, tu as pris soin de moi quand je me suis blessée, et tu continues à m'accueillir chez toi après tout ce qui s'est passé, alors je n'aurais pas dû te parler comme ça, elle en vient à la raison de sa visite dans sa chambre.
Elle n'y est à vrai dire plus entrée depuis le matin de l'enlèvement de Mae, il y a maintenant une trentaine de jours. Ça lui paraît à la fois hier et il y a une éternité. Elle n'est pas du genre à laisser des traces de son passage, même dans un endroit où elle pense revenir sous peu, donc il ne reste aucun signe de sa présence ici. Malgré ça, en observant le décor familier, elle ne peut s'empêcher de se demander, furtivement, si Markus en aurait laissées s'il y en avait eues.
— C'est pas grave, il la pardonne instantanément.
Elle a clairement fait l'effort de se mettre à sa place et il n'a de toute manière aucune envie de rester fâché pour si peu. Tout le monde est tendu, chacun s'inquiète pour les uns et les autres, il était inévitable que le ton monte à un moment ou un autre pour une broutille. Il continue à penser qu'elle sous-estime ses sentiments pour elle, mais ce n'est pas le bon moment pour la détromper.
— Je pense quand même qu'il est temps pour moi de partir, la brunette lâche ensuite, ramenant ses yeux aux siens sans tout à fait se tourner vers lui.
Il tombe évidemment des nues à cette annonce.
— Quoi ? Mais pourquoi ?
Seul le pied de son lit derrière lui l'empêche de faire un pas en arrière sous le coup de la surprise.
— D'après la géolocalisation des derniers clichés de Mae, elle pourrait être ici demain matin ou même ce soir. Ça voudra dire que ma mission est terminée, elle explique les raisons de sa décision.
— Tu n'es pas ici juste pour une mission, proteste l'étudiant.
Il n'est pas du tout convaincu par cet argument fumeux. Ça ressemble plus à une excuse qu'à une réelle justification.
— C'est la seule raison pour laquelle j'ai jamais été ici, Markus, elle insiste pourtant.
Son ton est dur. C'est comme si elle cherchait à le blesser pour qu'il la laisse partir.
— C'est faux ! il la reprend entre ses dents, incapable de s'en empêcher même s'il voit clair dans son jeu.
Il déteste être aussi manipulable. Mais il déteste encore plus qu'elle s'imagine devoir user de telles tactiques avec lui. Qu'est-ce qui a bien pu lui faire penser qu'elle ne pouvait plus tout lui demander ? Ça, ça n'a jamais changé. Il se serait déjà fait damné pour elle alors qu'ils étaient encore au lycée et qu'il la connaissait à peine. Il aimerait pouvoir dire que ça lui a passé avec le temps, mais il préfère ne pas se voiler la face. La question, c'est comment ce n'est pas évident pour elle.
Elle soupire, puis laisse tomber cette idée pour une autre. Elle n'a plus le courage de la soutenir plus longtemps, bien qu'il n'y ait pourtant apporté aucun contre-argument encore. Elle sait qu'il en a, elle les connaît, et elle n'a pas envie de les entendre. Pas aujourd'hui.
— Il y a beaucoup trop de monde qui va et vient dans cette maison. J'ai joué mon rôle, il est temps que j'y aille, elle abat la carte de la surpopulation, consciente qu'il aura plus de mal à la rejeter que la précédente.
Même sans ses deux mentors, il y a encore Ann qui est souvent là, et Ben qui est aussi passé régulièrement cette semaine. Ellen et Nelson se sont faits plus rares ces derniers temps, mais tout ça va très probablement changer au retour de leur meilleure amie. De même, le reste des extraterrestres va sans doute faire sentir sa présence de manière accrue une fois la blondinette récupérée, afin d'assurer une réinsertion sans accroc.
— Mae va vouloir te voir. Elle va vouloir voir tous ceux qui ont participé à son sauvetage, ne peut qu'opposer Markus.
Il n'estime pas que la recrudescence de monde sera une mauvaise chose pour sa petite sœur à son retour.
— Je reviendrai. Quand les choses se seront calmées, transige Jena, sans pour autant démordre de son idée de quitter la maison.
— Où est-ce que tu vas aller ? l'interroge alors le jeune homme.
Doucement, il commence à se résigner à son départ.
— Dans ma planque, dans un premier temps. Jusqu'à ce que Sieg et Vlad reviennent me chercher ou que je les rejoigne. Après ça, on verra. Un peu partout, sans doute, elle l'informe, détachée, factuelle.
— Et Caroline ? il tente.
Malgré sa situation flexible, l'adolescente est tout de même beaucoup plus à l'aise ici que n'importe où ailleurs. Et c'est vraisemblablement de cette maison que proviendra le remède à sa condition.
— Je serai là à son réveil. Et celui de Rob. En attendant, ça n'a pas vraiment d'importance où je suis. Je suis pas passée à l'hôpital depuis des semaines, et c'est pas comme si mes parents vérifiaient que je venais, réplique la brunette sans hésitation, pour y avoir déjà réfléchi.
— Ta décision semble prise, en conclut Markus, à court d'idées pour la retenir.
Du coin de l'œil, il voit la conversation qu'il a eue avec Robert juste avant clignoter sur son bureau, mais choisit de l'ignorer. Ce n'est pas le moment pour aborder ce sujet. Pour peu qu'un tel moment vienne un jour. Les choses sont trop compliquées, pour elle comme pour lui, pour leur ajouter des préoccupations aussi triviales. Ils ont chacun autre chose à penser, d'autres problèmes plus importants à régler en priorité.
— Oui. J'ai déjà fait mon sac. Je voulais juste te prévenir, confirme platement la jeune femme, s'appliquant à ne laisser transparaître aucune émotion dans sa voix comme sur son visage.
Il ne relève pas que son sac est toujours fait, tous les soirs et tous les matins. Il le sait parce que c'était déjà le cas lorsqu'ils l'ont hébergée pour la première fois. Et c'était aussi le cas lorsqu'elle vivait dans son appartement. C'est comme ça qu'elle a disparu aussi vite après avoir été témoin de l'enlèvement de Mae, d'ailleurs. Mais dans un coin de son esprit il apprécie qu'elle essaye de lui offrir des éléments pour le convaincre qu'il n'y a rien qu'il aurait pu faire pour la retenir.
— D'accord. Considère-moi prévenu, il s'efforce de rester poli, refusant de conclure cet échange comme le précédent, abruptement et dans le ressentiment.
Ne pouvant pas manquer à quel point il lutte pour garder un semblant de sourire, Jena n'ajoute rien, pour ne pas lui rendre la tâche encore plus difficile, et quitte l'encadrement de la porte avec un hochement de tête.
Le plus triste, c'est qu'elle n'a pas plus envie de partir qu'il n'a envie de la voir s'en aller. Mais la cohabitation entre eux n'a plus été la même, depuis qu'il a appris pour sa profession. Ils ne savent plus comment être ensemble. Avant, ce qui faisait leur force était justement leur connivence, elle l'intriguant, lui l'apaisant. Ils ont été amis avant d'être amants. Désormais, c'est comme s'ils ne savaient plus comment se parler, quels mots utiliser, comment se comporter avec l'autre. Ils se font l'impression d'étrangers à l'intimité forcée. La vérité, c'est que si elle part, c'est parce qu'elle pense que c'est le seul moyen qu'elle pourrait avoir d'un jour, peut-être, avec beaucoup de chance, le retrouver.
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