2x07 - Atlas (9/20) - Fraternité

Après une première partie de matinée passée avec Iz, entre sieste et lecture tranquille, Sam est parti rendre visite à son frère et son neveu. Il est passé les voir tous les jours, depuis son retour bredouille de la capitale. La première nuit, l'inquiétude générale avait été tournée vers Jena, ses blessures encore fraîches et donc sensibles. À ce stade, Mae était sue accompagnée, certes de celui qui a très certainement expérimenté sur elle durant toute son absence, mais également surveillée par trois extraterrestres particulièrement motivés ; en s'efforçant de ne pas trop y penser, sa situation était donc presque tolérable. Mais quelques jours plus tard, alors que la brunette s'est relevée, n'y tenant plus d'être alitée, il leur est revenu aux oreilles que la benjamine de la famille était désormais toute seule dans la nature, et la tension était rapidement remontée.

Pour ne pas se laisser gouverner par l'angoisse, Markus et son père ont choisi la même tactique qu'après l'accident de Rob et l'internement de Caesar : de se plonger chacun dans leur domaine d'expertise respectif. L'étudiant n'a que rarement sorti le nez des bouquins ces cinq derniers jours, et Alek s'est re-penché avec une ferveur nouvelle sur le problème du réveil de Caroline et Robert.

Fort heureusement, lorsque l'oncle n'est pas là, l'un comme l'autre sont tout de même en bonne compagnie la plupart du temps. Ann épaule le père dans sa tâche, et son meilleur ami fait constamment savoir sa présence numérique au fils. Ce n'est pas une grande consolation de leur situation, surtout que ça contribue souvent à la leur rappeler, mais ça aide néanmoins indéniablement à la leur rendre un peu plus supportable.

La pirate, qui n'avait pas souhaité participer directement à l'opération de sauvetage – et n'y aurait de toute manière pas été autorisée à défaut d'avoir été incluse dans le cercle de confiance des Homiens –, a eu la bonne grâce de ne pas poser trop de questions. Elle a bien compris, par l'absence de Mae, que quelque chose ne s'était pas déroulé comme prévu, mais elle n'a pas cherché à en savoir plus. Elle s'est contentée de se tenir à disposition pour tout nouveau besoin de ses services dans cette affaire. Elle pratique rarement la retenue, mais elle ne pense pas qu'elle trouvera meilleures circonstances pour le faire. Si ce n'est pas toute l'étendue de son périmètre d'intervention, l'enlèvement de l'adolescente est après tout ce qui l'a poussée à proposer son aide en premier lieu.

La jeune femme n'est cependant pas là aujourd'hui, ayant eu besoin d'une journée à elle pour s'occuper d'une affaire personnelle. Sachant Alek livré à lui-même, son cadet n'a donc pas attendu le soir pour passer comme les autres jours de la semaine. Ou peut-être qu'Ann a justement élu un Samedi pour s'absenter par souci que quelqu'un d'autre soit disponible pour veiller sur le patriarche, visiblement au bout de sa corde émotionnelle.

— Hey, Sam attire doucement l'attention de son frère.

Dans la cuisine, le barbu se tient face à la fenêtre, le regard dans le vide. Il fait volte-face en entendant la voix familière, et accueille Sing Sing dans ses jambes, qui vient naturellement vers lui en le sentant en détresse.

— Hey. Tu as été rapide, s'étonne doucement Alek.

Il n'a pas l'impression d'avoir eu l'annonce de sa visite depuis suffisamment longtemps pour qu'il ait pu faire la route depuis chez lui.

— J'étais déjà en chemin quand je t'ai écrit, ne lui cache pas son petit frère.

— Comment va Iz ? s'enquiert alors l'ingénieur.

Il est peu pressé de discuter de l'inévitable sujet qui fâche. Il continue à caresser le Rottweiler à ses pieds, alors que celui-ci enfouit sa grosse truffe entre ses genoux.

— Bien. Frustrée d'être dans le noir, mais compréhensive malgré tout. Sans doute plus que je ne le mérite, répond l'inspecteur en toute honnêteté.

Il n'a de cesse de s'émerveiller de la patience de sa dulcinée. Malgré son ego solide, il lui arrive parfois de se demander pourquoi elle tolère tout ce qu'il lui fait subir. Et il est bien embêté de penser que, si les rôles étaient inversés, il ne serait peut-être pas aussi facile à vivre. Il espère juste qu'il saura un jour lui revaloir le soutien presque inconditionnel qu'elle lui offre.

— Est-ce qu'elles ne le sont pas toutes ? commente l'aîné sur le ton de la rhétorique, avec un sourire nostalgique pour sa propre moitié.

Alors qu'il baisse les yeux à la mention implicite de feu sa belle-sœur, Sam remarque une photo affichée sur la table devant lui. Il s'approche du meuble et réoriente l'image pour en confirmer le contenu. Il s'agit d'un cliché de Mae, dans sa tenue gris uni, debout près d'un arbre à l'orée d'un bosquet. Ce n'est pas la première image de ce type que Chad transmet de leur filature, pour les rassurer quant à la situation de la jeune fille. Il a capturé une à deux prises de vues par jour, lorsqu'il estimait que la progression était suffisante. La première a immensément soulagé tout le monde, mais aujourd'hui, c'est à se demander si ces nouvelles régulières ne font pas au contraire qu'accroître l'impatience générale du retour de la jeune fille.

— C'est arrivé quand, ça ? demande l'oncle, puisque ce cliché-ci lui est inconnu.

Alek lève les yeux pour voir ce sur quoi porte la question. À son expression vitreuse lorsqu'il pose les yeux sur l'image, visiblement, ces notifications d'avancement le laissent tout aussi partagé que tout le monde.

— Il y a dix minutes environ, il répond tout de même.

Ah. La récence de la réception peut peut-être expliquer la catatonie dans laquelle son frère l'a trouvé.

— Elle s'approche. Je connais ce terrain, déclare l'inspecteur.

Il hoche la tête. Il pense que c'est une conclusion encourageante. Ils savent que Mae voyage dans la bonne direction, mais enfin commencer à reconnaître le paysage autour d'elle est un petit plus. Tout ce qu'il reste à espérer maintenant c'est qu'elle s'arrête une fois arrivée à leur hauteur, ou qu'en tous cas son escorte parvienne à la guider à bon port. Étant donné sa réaction lors de son sauvetage, il a été décidé de ne pas l'approcher tant que ce n'est pas strictement nécessaire, mais l'un des cas de nécessité pourrait être son intention de dépasser Chicago. État de fugue ou non, il va bien falloir la récupérer à un moment ou un autre.

— Comment ? interroge l'ingénieur, plus curieux que réconforté.

D'emblée, il ne voit pas la raison que Sam pourrait avoir de s'éloigner autant de la ville et hors des sentiers battus. Il part en camping, de temps en temps, mais la végétation qui entoure Mae sur la photo n'y semble pas propice.

— Er… Une scène de crime. Il y a un bail, lui avoue alors Sam avec une certaine hésitation.

Il regrette un peu d'avoir parlé si vite, puisque maintenant ce qu'il voulait rassurant ne l'est plus vraiment. Son grand frère laisse enfin Sing Sing tranquille, et le chien en profite pour s'asseoir à ses pieds.

— J'aurais dû m'en douter, pouffe Alek en secouant la tête, sans joie, plutôt nerveux.

— J'ai dit que c'était il y a un bail ! insiste le plus jeune sur la dernière partie de sa déclaration.

Il juge que l'important n'est pas comment il connaît l'endroit ni son passé potentiellement funeste mais que sa nièce n'est plus très loin de la maison maintenant. L'aîné parvient à se forcer à sourire. Par géolocalisation, il savait déjà que Mae avait presque atteint les abords de la ville, mais il apprécie l'intention de son cadet de le tranquilliser. C'est tout ce qu'il a tenté de faire depuis le début de cette histoire, après tout. Et vu tout ce qui leur est tombé dessus sans relâche, ça n'a pas dû être une mince affaire.

— Où est-ce que j'ai déraillé, Sam ? lui demande tout de même Alek, ses yeux sombres retombant sur la photo de sa fille entre eux.

— De quoi tu parles ?

— Quand Caesar a fait ce qu'il a fait, je me suis demandé à quel moment je l'avais perdu de vue. Mais je me rends compte que j'ai perdu le contact avec tous mes enfants. Mae est en train de courir pieds nus dans la forêt, dans un état neurologique altéré après avoir été kidnappée et soumise à des expériences. Caesar est dans un institut psychiatrique. Et Markus, eh bien, Markus, je suis à peu près certain qu'il est amoureux d'une espionne, l'ingénieur résume la piètre situation dans laquelle se trouve sa famille, les mains écartées pour illustrer le manque de contrôle qu'il déplore.

— Cette dernière partie n'est pas exactement un échec, se permet Sam en dodelinant de la tête, cherchant un côté positif au bilan.

Malgré ses cachotteries et ses talents pour le moins particuliers, il apprécie beaucoup Jena. Si quelqu'un devait décider de le convaincre qu'elle a un mauvais fond, cette personne aurait bien du mal. Quels qu'aient pu être ses faux-pas par le passé, il estime en ce qui le concerne qu'elle a plus que fait ses preuves lors de leur intervention de début de semaine.

Face à cette objection, Alek utilise donc un autre argument pour justifier que Markus, à l'instar du reste de sa fratrie, n'est pas épargné par le sort qui semble s'acharner sur eux depuis quelques mois :

— Son meilleur ami est dans le coma, son esprit emprisonné dans une machine.

— D'accord, dit comme ça, c'est plutôt mauvais. Mais rien de tout ça n'est ta faute, le maître-chien n'admet qu'à moitié.

Il refuse de laisser son aîné s'apitoyer. Il est la colonne vertébrale de la famille. S'il tombe, personne ne tiendra le choc.

— Et pourtant, tout a commencé avec moi, non ? il lui soumet alors, pour avoir beaucoup réfléchi à la question.

Son expression restée contenue, mais ses phalanges blanchissent sur la prise qu'il a sur le bord de l'évier derrière lui.

Sam a une grimace de désaccord, déjà lassé par ce débat qui s'annonce. Son frère a toujours été le plus rationnel d'eux deux. S'il a décidé de culpabiliser à tort, le convaincre du contraire ne va pas être simple.

— Tu t'es fait affecter un mauvais partenaire, ce qui n'était pas ton choix. Et quand tu t'es rendu compte à quel point ils étaient mauvais, tu as fait ce qu'il fallait pour régler la situation. Tu as pris les bonnes décisions face à des trucs qu'il est honnêtement pas donné à tout le monde de devoir affronter, il offre son aval à ses actions.

Malgré ses propres objections au fil du temps, il juge qu'il aurait été très difficile pour n'importe qui de faire mieux en les circonstances.

— Pas vraiment. J'ai voulu tout gérer tout seul, et on voit le résultat. J'étais tellement préoccupé que je n'ai même pas remarqué que ma fille avait découvert des aliens. Des aliens, Sam ! Et je savais que Jena était probablement plus qu'une barmaid, et pourtant je n'ai rien dit. Pourquoi ? Il y avait tellement de secrets dans cette maison que ça a conduit Caesar à s'ouvrir le bras.

La façon dont tous les évènements sont reliés entre eux forme une bien cruelle ribambelle.

— Écoute, frangin. Je sais ce que j'ai dit quand ils ont pris Mae, mais si tu avais contacté les autorités à ce moment-là, Dieu seul sait ce qui serait arrivé à la gamine que tu protèges. Et Rob. Et Mae elle-même ensuite. On a fait le mieux d'une mauvaise situation. Aussi pourri que ce soit, je vois pas comment on aurait pu s'en sortir autrement. Et tu sais quoi ? Tout va rentrer dans l'ordre. Caesar va revenir à la maison. Et Mae aussi. Et tu vas finir par trouver une solution au problème de Rob et la sœur de Jena. Tout va rentrer dans l'ordre, l'assure son cadet.

Il s'accroche lui-même à cette conviction comme une bouée de sauvetage depuis son retour de D.C., et peut-être même avant. Il a vu des familles revenir de très loin, dans sa carrière. Ils ne vont pas se laisser abattre.

— C'est ce qu'on a dit quand Robert s'est électrisé. Et ensuite quand Caesar s'est coupé. Et maintenant Mae… Quelle sera la prochaine catastrophe ? lui fait remarquer l'ingénieur.

L'attente et l'appréhension constantes de ces derniers mois effritent peu à peu sa sérénité naturelle.

— Il n'y aura pas de prochaine catastrophe, Al' ! C'est terminé. Vurt est morte, son labo de malheur a été démantelé pour de bon, tous ses sous-fifres sont sous les verrous, et on a toutes ses archives. Plus personne ne va venir après toi. Et même si c'était le cas, tu m'as moi. Et Randers. Tu as aussi un trio d'agents secrets plus ou moins fréquentables, et j'arrive pas à croire que je vais dire une chose pareille à haute voix, mais tu as littéralement plusieurs unités des forces spéciales extraterrestres de ton côté. C'est terminé, déclame alors le plus jeune.

Il est intense d'abord, puis plus mesuré sur la fin, modérant son impatience pour en faire une sorte de supplique.

La tirade laisse Alek silencieux un moment. Vu comme ça, l'état des lieux n'est effectivement pas si défavorable. À toute sa panoplie de problèmes il n'y avait bel et bien qu'une seule origine, et elle a été neutralisée. Parfois, il a du mal à y croire, d'ailleurs. Il a déjà eu du mal à croire que Vurt était une femme. Sans qu'il puisse dire pourquoi, ça rend ses crimes encore plus atroces à ses yeux. Et qu'elle ait été tuée pendant l'opération, d'un simple contact pour ne rien gâcher, lui paraît encore irréel. Comment un individu si machiavélique et influent pourrait-il être éteint aussi facilement ? Par rien de moins qu'une intervention qui ne vient pas de ce monde, sans doute…

— Tu as raison. C'est terminé. Tu restes pour le déjeuner ? déclare le père de famille pour changer de sujet, après s'être éclairci la gorge, se rangeant à l'opinion de l'oncle.

Sam le dévisage un instant, essayant de jauger s'il ne dit pas simplement ça pour lui faire plaisir. Il semble satisfait de ce qu'il voit. D'eux deux, c'est lui le meilleur menteur, et il aurait pu être mauvais à ce jeu qu'il aurait quand même devancé Alek dans le domaine. Il n'est pas habitué à devoir faire entendre raison à son grand frère, puisqu'en général les rôles sont inversés, mais il semblerait qu'il y soit parvenu.

— Tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement. Et je comptais proposer une partie de basket à Markus, pour lui changer les idées, à lui aussi, il répond indirectement à la question, avec un petit sourire.

— Bonne idée. Merci, le gratifie Alek.

Il se rend bien compte qu'il n'a pas l'énergie d'épauler son fils aîné comme il se doit dans cette épreuve. Ni la relation pour, de toute manière. Quoi qu'il en dise, le centre des préoccupations de l'étudiant en ce moment, c'est Jena. Et même avant leur léger froid suite aux révélations de la jeune femme, son père n'a jamais été le confident de Markus en ce qui concerne la gent féminine. Il lui est arrivé de lui donner des conseils, mais dès que ça devient spécifique, il préfère s'adresser à son oncle. Il est de toute manière bien plus qualifié, quand on y pense. Et pour le reste de ce qui tracasse sûrement l'étudiant, Alek a déjà trop de mal à garder la tête hors de l'eau lui-même pour lui être d'un soutien suffisant.

— Ça sert à quoi, les frangins, sinon ? s'exclame l'inspecteur, écartant les bras tel un messie, toujours fier de pouvoir faire quelque chose d'utile pour les siens.

D'un claquement de doigts près de sa cuisse, il appelle ensuite son chien à le rejoindre. Il l'emmène avec lui en direction des escaliers et de la chambre de son neveu, où il se doute qu'il va le trouver plongé dans ses révisions comme à chacune de ses visites cette semaine. Est-ce qu'il peut le blâmer ? En plus de lui permettre de s'occuper l'esprit, ses études lui offrent l'opportunité d'en savoir plus sur ce qui est concrètement en train d'arriver à ses proches, aussi bien Mae que Rob. Étant donné combien il s'est senti impuissant par rapport à l'intervention de ce Lundi, c'est un besoin compréhensible de sa part.

Pendant ce temps, Alek se tourne à nouveau vers le lavabo, reprenant l'intention de préparer le déjeuner qu'il avait perdue au moment de sa réception de la photo de sa fille. Sam a raison. Les choses vont revenir à la normale. Ils vont continuer à faire tout ce qu'il faut pour ça, et leur travail va porter ses fruits. Il le doit.

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