2x07 - Atlas (8/20) - Scène de ménage
De nouveau blonde, à son plus grand agacement après avoir pu arborer sa chevelure dans sa couleur instinctive pendant quelques jours encore après son intervention dans l'Est du continent, Andy laisse un petit portique en bois se refermer derrière elle. Elle s'avance dans la courte allée qui mène à l'entrée de la maisonnette, n'accordant qu'une attention passagère aux massifs de fleurs qui bordent son chemin. Du poing, elle vient frapper à la porte, puis remet ses mains dans les poches de sa veste en daim en attendant qu'on vienne ouvrir.
— Andy ? Qu'est-ce que tu fais là ? s'exclame Holden en la découvrant, après être apparu de l'autre côté du seuil.
— Je viens te voir, elle répond platement par l'évidence, dégageant une mèche dorée de son visage d'un mouvement de tête.
— Je voulais dire : comment est-ce que tu sais où j'habite ? il précise sa question.
Visiblement, il ne s'attendait pas à la voir ici, et pour plus d'une raison, à commencer le fait qu'il n'a pas le souvenir de lui avoir donné son adresse postale. Même si elle utilisait une SD, ce qu'il ne la strictement jamais vue faire, elle n'aurait que les moyens de le contacter par le Réseau, pas physiquement. Il faut une autorisation un peu plus explicite, pour transmettre une telle information.
— J'ai toujours su. Je ne suis juste jamais venue, Andy ne cache pas, avec même une légère grimace à la trivialité de ce détail.
Les épaules de l'infirmier s'affaissent. Il ne sait pas pourquoi il s'obstine à lui poser des questions. Il devrait avoir compris, depuis le temps qu'il la connaît, qu'il n'obtiendra jamais une réponse convenable de sa part. Ce n'est pas qu'elle lui ment ou esquive, c'est plutôt qu'elle a un talent suprême pour lui en dire juste assez pour qu'il ne se rende pas tout de suite compte que justement ce n'est pas suffisant. Parfois, il se demande à quel moment dans sa vie Andy est devenue comme ça. Mais même si elle avait la réponse, ce serait sans doute également la croix et la bannière pour la lui soutirer.
— D'accord… Qu'est-ce que tu veux ? il s'enquiert au lieu d'insister sur le caractère intrusif de la visite.
Il a les bras croisés, mais ça donne plus l'impression qu'il se serre lui-même dans les bras que ça ne laisse transparaître une posture de confrontation. Entre ça et son ton un tout petit peu sec, voilà là rassemblé tout le peu de froideur dont il est capable.
— Je ne suis pas satisfaite que tu sois en colère, déclare Andy sans aucun filtre.
— Je ne suis pas en colère ! il proteste immédiatement.
Cette réponse fait lever un sourcil à sa visiteuse. Sa réaction va justement à l'encontre de ce qu'il proclame. Difficile de défendre qu'on n'est pas énervé en s'énervant justement.
— Tu n'es pas de bonne humeur non plus, elle ne le contredit cependant pas directement.
Elle est consciente que la colère, comme toutes les émotions, a plusieurs niveaux. Et il est vrai que le plus haut niveau de ce sentiment que le trentagénaire est capable d'atteindre n'arrive pas à la cheville du plus bas de certains autres individus. Voilà sans doute pourquoi il considère ne pas remplir les bons critères pour pouvoir être qualifié d'en colère.
Holden soupire. Lourdement. Il ne peut effectivement pas nier qu'ils ne sont pas en meilleurs termes. Et elle a fait l'effort de venir jusqu'à lui pour qu'ils s'expliquent, alors il se voit mal lui claquer la porte au nez. Même s'il se demande ce qu'ils peuvent bien encore avoir à se dire après leur dernière conversation…
— Je t'ai posé une question. Une question fermée. Tout ce que tu avais à dire c'était "non". C'était aussi simple que ça. Tu n'aurais même pas dû avoir à réfléchir. Et pourtant, j'attends toujours ta réponse. Qu'est-ce que je suis supposé penser ? il lui rappelle la situation avec un sourire au bord de la résignation.
Ce n'est pas comme s'ils s'étaient disputés. Le ton n'est pas monté, ils ne se sont pas quittés fâchés. En tous cas, pas en apparence. Un échange normal entre eux s'est juste brusquement refroidi, et elle a disparu comme elle le fait la plupart du temps, sans rien ajouter. Et sur le coup, il n'était pas si agacé que ça, mais peu à peu, en son absence, plus il y a repensé plus son malaise est monté, jusqu'à ce qu'il atteigne son humeur actuelle. Comment elle a su qu'il était si contrarié sans le revoir, il l'ignore, mais ce n'est qu'un point à ajouter à la liste des comportements inexplicables de Miss Mandy Lespers.
— Probablement ce que tu penses naturellement…? elle répond avec candeur à sa question, qu'elle prend au premier degré comme souvent.
Elle ne voit pas comment il pourrait bien faire autrement que penser ce qu'il pense. Les humains ont cette fâcheuse tendance à estimer qu'on a le choix, alors qu'on ne fera jamais que ce qu'on va faire. On hésite, peut-être, mais ce sur quoi on s'arrête n'aurait pas pu être autre chose. Ils ont du mal à accepter qu'ils ne sont que des machines biologiques, et par conséquent déterministes, comme tout le reste de l'univers, d'ailleurs. Ce qui ne signifie pas qu'on soit prévisible pour autant, même par des homiens qui ont pourtant accès à beaucoup de mesures environnementales et de puissance de calcul.
— Je ne sais pas quoi penser, Andy, c'est bien là le problème ! Tu me dis que j'approuverais de ce que tu fais, et quand tu reviens et que je te demande si tu as quoi que ce soit à voir avec l'enlèvement de Mae Quanto – ce qui est quand même une question aberrante –, tu n'as rien à me dire ! il expose le paradoxe auquel il est confronté et dont il n'arrive pas à faire sens.
Il ne sait même pas pourquoi il a abordé ce sujet en premier lieu. C'était stupide de sa part. Il a laissé Jack et Ellen semer un trouble absurde dans son esprit, avec leurs mécanismes de défense sous forme de théories du complot tirées par les cheveux. Mais justement, ça n'aurait rien dû causer de plus que lui donner l'air idiot et rassurer ses soupçons infondés. La jolie blonde n'était pas supposée répondre par autre chose qu'un déni amusé. Et au lieu de ça, elle l'avait dévisagé comme jamais auparavant, et avait catégoriquement refusé de lui offrir une réponse directe, prétextant que la nature de son travail ne se prêtait pas au questionnement. Et tout à coup, ce qu'il avait pu comprendre jusque-là était devenu un problème.
— Uriel, je ne peux pas répondre à ce genre de questions, elle réitère d'ailleurs sa proclamation initiale, comme un disque qui tourne en boucle.
— Tu peux si c'est non ! il éclate, incapable d'accepter que la réponse puisse être autre chose que négative.
Il peut concevoir qu'elle ait des obligations de confidentialité, voire des choses qu'elle ne souhaite tout simplement pas partager, mais il ne sait pas ce qu'il ferait si sa petite amie était effectivement mêlée à l'enlèvement d'une de ses élèves. Même si ça ne devait la concerner que parce qu'elle fait partie des enquêteurs, il ne saurait pas comment réagir. Il sait que son occupation est pour le moins particulière, mais il n'aurait jamais imaginé que ça puisse l'impacter aussi directement. Ce qui est sans doute naïf, mais c'est sans doute l'un des adjectifs qu'on utilise le plus souvent pour le décrire, alors aucune surprise de ce côté-là.
— Non, je ne peux pas. Si je faisais ça, dès que je refuserais de répondre, tu saurais que ça veut dire oui, elle reste parfaitement pragmatique une fois de plus, le prenant de court.
Holden ouvre la bouche mais ne sait pas tout de suite quoi répliquer à ça. Il referme alors les lèvres et souffle doucement par le nez en clignant longuement, prenant le temps de chercher ses mots. Finalement, il décide de faire appel à sa compassion, puisque c'est bien ce qui le motive lui-même à vouloir en savoir plus :
— Mae est une de mes élèves. Je l'ai conseillée après qu'elle a été prise en otage, et après que son frère s'est ouvert le bras. Je la connais. Je connais ses amis, que je vois d'ailleurs régulièrement depuis qu'elle a disparu et qui sont tout aussi inquiets que moi à son sujet. Est-ce que tu ne peux pas faire une exception à ta règle ? Ce n'est pas comme si j'allais en parler à qui que ce soit !
Il n'est pas sans ignorer que l'empathie n'est pas là le trait de caractère principal de la belle blonde, mais il ne sait pas quoi faire d'autre. Il ne peut pas continuer à la fréquenter si cette énorme incertitude continue de planer au-dessus d'elle.
— Tu n'aurais pas besoin d'en parler. Savoir suffirait à te mettre en danger, elle le met en garde, tout comme Strauss a mis Maena en garde avant de lui révéler leur secret.
En l'occurrence, lui parler de sa planète d'origine ne serait pas nécessaire pour apaiser ses questions, mais être au courant des affaires homiennes, même sans savoir qu'elles en sont, est déjà une infraction aux Accords. Et si elle était prête à mettre l'entièreté du clan Quanto sous cette épée de Damoclès, elle ne partage pas cet avis en ce qui concerne Uriel. Elle n'a jamais connu aucun Terrien exposé à leur monde pour qui les choses se sont bien terminées, et elle ne peut pas infliger ça à l'infirmier. De toute évidence, elle savait qu'elle ne pourrait pas apprécier sa compagnie sur le long terme, mais elle avait tout de même espéré pouvoir le quitter en de meilleures circonstances.
— Alors mens-moi ! il lâche finalement sous le coup de la frustration, instinctivement, presque sans réfléchir.
Andy a un léger mouvement de recul à cette demande, à laquelle elle ne s'était pas attendue, et qui la laisse bouche bée. Ses sourcils se froncent, comme s'il l'avait physiquement blessée, bien que ce soit impossible.
— … Quoi ? elle murmure comme avec difficulté, déconcertée.
Voyant son regard choqué, Holden soupire et descend d'un ton. Il s'est clairement laissé emporter. Non pas qu'il aurait pensé que de tout ce qu'ils ont déjà dit sur ce sujet, ce serait cette phrase qui la toucherait le plus. Ce qui ne fait que rendre son incompréhension de son comportement plus intense, d'ailleurs.
— Mens-moi, Andy. Dis-moi que tu n'as rien à voir avec ça, que tu ne sais rien à ce sujet, et que tu espères juste que ça va se résoudre. Pourquoi tu ne peux pas faire ça ? Pourquoi est-ce que tu insistes pour me laisser m'imaginer des choses ? Qu'est-ce que… ça change ? il reprend plus doucement, finalement soulagé de pouvoir partager son ressenti avec elle.
Ce n'est pas comme s'il pouvait discuter avec quelqu'un d'autre du fait que sa petite amie lui cache peut-être quelque chose. Si elle ne veut pas lui en parler à lui, il est peu probable qu'elle apprécie qu'il en fasse mention à un tiers parti. Et aussi blessé soit-il qu'elle ne semble pas lui faire confiance, il ne pourrait jamais la trahir pour autant.
— Ce ne serait pas la vérité, elle justifie platement les complications qu'elle leur impose, d'une petite voix mais néanmoins sur le ton de l'évidence.
Aussi paradoxal cela puisse paraître, mentir n'est pas aisé pour les Homiens. Ils n'ont généralement aucun mal à dissimuler et danser autour de la vérité, mais énoncer une contre-vérité leur cause beaucoup plus de soucis. Et même si ce n'était pas le cas, ils n'apprécient de toute manière pas de l'infliger à leurs proches. C'est pour eux parmi les plus hautes formes d'insulte.
— Oh. Donc tu es impliquée… Non pas que je ne m'en doutais pas, parce que quel danger il pourrait y avoir à savoir que tu n'es PAS impliquée dans quelque chose ? Holden conclut avec un éclat de rire désabusé, le choc de cette confirmation étouffant totalement le soulagement d'enfin être fixé.
— J'ai commis une erreur en venant ici, déclare alors Andy, se détournant pour partir.
— Andy, reviens ! il l'appelle, s'élançant à sa suite dans son allée.
Elle fait brusquement volte-face avec des éclairs dans ses yeux, sa chevelure blonde virevoltant autour de son visage. Son air menaçant le stoppe net dans sa course.
— Non ! Ma mission est de protéger, pas mettre en péril. Et je ne compte pas échouer avec toi. Garde tes distances, elle l'avertit, sinistre.
— Andy… il répète son prénom, sur le ton de la tristesse cette fois, reflétée sur son visage aux sourcils inquiets.
Alors qu'elle reprend sa route d'un pas vif mais étonnamment silencieux, il reste planté là, bras ballants, incapable de comprendre comment la situation a pu empirer de cette façon. Elle était venue pour se réconcilier, non ? Et s'il y a un domaine dans lequel il est presque trop doué, c'est bien celui des réconciliations. D'ailleurs, il ne peut plus dire qu'il est en colère. Quel que soit son rôle dans l'enlèvement de Mae, la jolie blonde est clairement du bon côté. Il se demande comment il en a seulement douté une seule seconde. Et surtout pourquoi il était si embêté par l'idée. Il aurait dû se contenter de cette présomption et lui faire confiance. Elle ne lui dit peut-être pas tout, loin s'en faut, mais il la connaît. Qu'est-ce qui lui a pris d'insister ?
Prenant sa tête entre ses mains et fermant les yeux, il regagne son domicile d'un pas traînant. Il s'est déjà fait larguer auparavant. Autant même avouer qu'il n'a jamais quitté personne et s'est toujours fait abandonner. Mais curieusement, il n'a pas l'impression que c'est ce qui vient de se produire ici. Elle était effrayante, mais il n'arrive pas à se défaire du sentiment qu'elle était aussi quelque part triste et protectrice, comme une mère qui crie sur son enfant parce qu'elle a eu peur pour sa sécurité. Mais qu'est-ce qu'il est bien supposé faire de ça, lui ?
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