2x07 - Atlas (5/20) - Règlement de comptes

Alors que Markus fait une pause dans sa lecture au salon pour aller chercher un verre d'eau à la cuisine, un gémissement en provenance de l'étage attire son attention. Il se précipite dans les escaliers, et trouve Jena, adossée au mur entre les portes de la salle de bain et de la chambre de Mae. La tête basculée en arrière, elle essaye de reprendre son souffle. Le bras gauche en écharpe et la cheville droite dans une attelle, la brunette grimace de douleur.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? Tu as besoin d'aide pour un truc ? s'enquiert Mark immédiatement.

Il est toujours très affecté par la vision d'une personne qui souffre, en quelques termes qu'il puisse être avec par ailleurs. Si Jena est toujours chez eux même alors que l'opération de sauvetage est passée, c'est principalement parce que Caroline continue à travailler avec Ann et Alek sur la surveillance de l'approche de Mae. Aussi, dans son état, elle a besoin d'être entourée.

— Dis plutôt pour tout, grince Jen entre ses dents, frustrée par son invalidité.

— Où sont Siegfried et Vladas ? l'interroge alors le jeune homme.

Les deux géants blonds sont usuellement toujours aux alentours pour lui venir en aide au besoin. Parfois même à un point presqu'effrayant, d'ailleurs. Ils se déplacent comme des fantômes mais veillent sur leur apprentie plus férocement que des lionnes leurs lionceaux.

— Ils sont rentrés au bercail. On est un peu sortis des sentiers battus, ces derniers temps, avec aucun résultat net, alors ils se sont dit qu'un retour aux sources ne leur ferait pas de mal.

L'explication des raisons derrière l'absence des deux hommes est succincte mais suffisante. Markus ne s'attendait pas à des détails de toute manière. La propension du duo à s'éclipser sans dire au revoir ni laisser de traces va au-delà de la déformation professionnelle. Il arrive parfois même à l'étudiant de se demander si ce n'est pas un jeu, pour eux. En les circonstances, il s'en étonne cependant :

— Et ils t'ont laissée ?

Il a été frappé de la proximité entre eux trois dès la première fois qu'il les a vus ensemble. Il ne les compare pas mentalement à des grands fauves grégaires par exagération. Quand ils l'ont ramenée de D.C., blessée, il a presque eu peur que les deux Européens ne laissent personne ne serait-ce qu'examiner leur protégée et encore moins la traiter. Il a retenu son souffle en estimant la sévérité de sa facture tant il a senti leurs regards dans son dos. Et il a quelque part été soulagé qu'ils aient remis son épaule en place avant de rentrer, car il ne pense pas qu'il aurait osé le faire devant eux. Ils ne sont pas imposants que par leur stature ; leur regard glacial est un atout qu'ils manient très bien.

— Je suis une grande fille. Et je suis pas en état de quoi que ce soit de toute manière, rétorque sèchement Jena à la remarque, clairement sur la défensive.

Pris de court par cette réaction hostile, Mark ne répond d'abord rien. Il essaye de se mettre à sa place et a du mal à s'imaginer ce que ça doit être pour elle, qui a toujours mis un point d'honneur à rester indépendante, d'être ainsi handicapée. Son agilité est ce qu'elle apporte à son équipe, et elle est actuellement hors-jeu. Pire que ça, son sacrifice n'a pas porté ses fruits ; elle est allée à D.C. pour ramener Mae à la maison, et elle est toujours quelque part dans la nature, sa situation incertaine, même si a priori une amélioration par rapport à la précédente.

Puisqu'il est lui aussi évidemment extrêmement déçu de ne pas avoir récupéré sa petite sœur, Markus peut compatir à cette dernière partie de la frustration de Jena. Il déteste l'idée que tous ces préparatifs, et tous ces risques qui ont été pris, aient pour ainsi dire été en vain. Il sait que les choses ont changé, que Mae n'est plus retenue par DG, et que ce n'est plus qu'une question de temps avant qu'elle revienne à la maison, mais tant qu'il ne l'a pas en face de lui saine et sauve, c'est une bien maigre consolation.

— Tu devrais arrêter de culpabiliser, il propose alors à son ex.

Il n'accepte pas de la laisser dans cet état sans rien faire, malgré son évidente animosité. Elle ne le laissera clairement pas la dépanner physiquement, alors il tente l'approche de son moral.

À sa remarque, elle ramène son attention à lui, ne comprenant ni d'où elle vient ni où il veut en venir avec.

— Huh ?

— Ce qui est arrivé à Mae n'est pas ta faute. Tu nous surveillais pour nous protéger, à la base. Et ils auraient su quand la prendre avec ou sans toi. Tu es allée la chercher, tu as pris de gros risques pour la récupérer ; c'est assez évident que tu tiens à elle. Je ne te blâme pas, et je suis à peu près sûr que personne d'autre non plus, donc ne le fais pas toi-même.

Son pardon, pour tout ce qu'elle lui a révélé, cet après-midi-là dans le parc Daily, arrive avec un peu de retard, mais il le lui offre tout de même.

— Er… C'est sympa de le dire, parce que ça se voit pas trop dans ta façon d'agir, parfois, elle ne peut pas s'empêcher de lui faire remarquer.

La distance qu'il a imposée entre eux ces derniers temps n'a pas exactement été ce qu'il a de plus agréable pour elle, quand bien même elle estime qu'il n'a pas entièrement tort et qu'elle en mérite une partie.

— Je ne te déteste pas ! Je suis juste énervé parce que tu m'as menti, ou m'as caché des trucs, peu importe. Mais au bout du compte, tu n'as rien fait de mal. Ce n'est pas ta faute si tout a mal tourné. Alors, je ne te déteste pas. Ça va me passer. Je suis énervé, mais ça va passer, il s'explique et s'excuse à la fois, cahin-caha.

— Tu aurais le droit de rester en colère, tu sais, elle lui concède.

Si ces mots la touchent, elle n'accepte pas qu'il l'absolve de toute faute non plus. Il a raison en disant qu'elle n'a rien voulu de ce qui s'est passé. Mais elle aurait quand même dû être honnête avec lui. Elle a eu des tas d'occasions : au moment de lui demander l'aide de son père pour la bague, au moment de la découverte du message laissé par Caroline à Alek, après le premier démantèlement de DG, et surtout dès que sa sœur a commencé à soupçonner que Vurt préparait quelque chose. Mais non, elle a cru qu'elle pouvait tout gérer toute seule. Contrairement aux Homiens, il n'y a pourtant aucune loi, aucun Accord qui la contraigne à ne pas partager son secret. La décision lui appartient entièrement de faire confiance à ses proches au sujet de sa profession. Mais elle a préféré rester cachottière, et ne peut pas s'empêcher de se demander si les choses auraient pu être différentes si elle avait été aussi ouverte avec son petit ami qu'il l'a toujours été avec elle.

— Mais non ! Je réagis comme un gosse qui pique une crise. Il faut que je digère, c'est tout. Je peux pas t'en vouloir pour toujours. Je n'en ai même pas envie, d'ailleurs. Aussi niais ça puisse sonner, tu me manques. Et c'est peut-être con, mais si je suis énervé, c'est parce que tu comptes. Je ne veux pas ne plus t'avoir dans ma vie. Je suis juste un peu… froissé, pour le moment, c'est tout.

Par ce discours, il refuse sa clémence, récupérant le blâme sur lui, maintenant. À chaud, il n'avait pas su voir les choses du point de vue de son père et son oncle, mais à froid, il comprend mieux.

— D'accord.

C'est tout ce qu'elle trouve à répondre à cette déclaration. Elle s'efforce surtout de ne pas laisser paraître à quel point elle l'affecte. Elle n'est pas habituée à ce degré d'acceptation. Ses propres parents ne lui ont jamais pardonné sa fugue, et la tiennent encore responsable de l'accident de sa petite sœur, même alors qu'ils n'ont pas les informations qu'elle a. Quant à toutes les autres personnes avec qui elle s'est disputée aussi fort, elle ne les a jamais revues. Et pour toute l'étroitesse de la relation qu'ils ont nouée avec elle, Siegfried et Vladas l'ont toujours tenue à un haut niveau d'exigence. À bien y réfléchir, elle ne s'est jamais montrée indulgente avec elle-même, non plus.

— Dis-moi juste que ce n'est pas pour te punir que tu as refusé l'aide de Ben, enchaîne soudain Markus.

Il n'a appris pour ce détail que dans un second temps. Initialement, il n'avait même pas envisagé que les Homiens étaient en mesure de quoi que ce soit vis-à-vis des blessures de la jeune femme. Il n'a pas encore tout à fait assimilé le fait que Ben a sauvé la vie de Patrick. C'est loin d'être un réflexe pour lui de considérer une intervention extraterrestre comme une possibilité, et même si c'était le cas, il est encore peu à l'aise avec ce qui est en leur pouvoir ou non. Mais lorsque le Soigneur de l'espace leur a rendu visite quelques jours plus tôt pour s'assurer de l'état de la brunette, il n'a pas manqué de remarquer son embêtement étonnamment élevé. Lorsqu'interrogé, le mécanicien lui a alors révélé que Jena avait décliné son aide quand il la lui avait proposée, pendant le vol de retour. Et l'étudiant s'était trouvé tout aussi perdu que lui quant aux raisons qu'elle pourrait bien avoir eues de faire une chose pareille.

— C'est un alien, Mark, déclare Jena, comme si ça se suffisait à soi-même.

— Qui peut réparer ta cheville et ton épaule en quelques minutes, il objecte à cet argument.

Il ne voit pas le problème. Ils se sont reposés sur eux pour bien plus.

— Si les sacrifices étaient faciles, ils n'auraient plus aucune valeur, elle change alors d'excuse, trop lasse pour élaborer la première.

— Je pense que tu as assez donné comme ça.

Markus n'est pas plus convaincu par cette idée que la précédente. Elle redevient alors cassante, comme un peu plus tôt, la douleur ayant raison de sa patience déjà naturellement fine :

— Je fais ce que je veux !

Une nouvelle fois, son agressivité laisse temporairement son interlocuteur sans voix. Mais il n'a plus les ressources pour se mettre à sa place. Ou en tous cas, il n'estime pas qu'elle mérite un second laisser-passer. D'autant que, contrairement à ce qui l'a fait s'agacer juste avant, il ne fait en l'occurrence aucun doute qu'il essaye simplement d'être gentil avec elle.

— … D'accord. Très bien. Qu'est-ce que j'en sais, après tout ? Je suis juste le type qui a dû te rafistoler après ta chute de deux étages.

Même si à contrecœur, il sort enfin les griffes à son tour, avant de redescendre les escaliers en haut desquels il se tenait depuis le début de leur conversation, sans lui laisser le temps de rétorquer.

Il a horreur du conflit. Mais il n'apprécie pas non plus d'être pris pour acquis. Il laisse volontiers les gens profiter de lui, parfois, tant qu'ils n'en abusent pas. Il part du principe qu'ils ont plus besoin de ses services qu'il n'a besoin de reconnaissance ou de remboursement. Sur ce coup, cependant, il lui semble avoir donné beaucoup plus que la jeune femme ne le considère, et ça lui fait mal. C'est comme si elle n'avait aucune idée de l'effet que ça lui a fait d'apprendre qu'elle avait été blessée dans l'intervention, de l'effet que ça lui fait encore de la voir dans cet état. Oui, il regrette que Mae ne soit pas revenue à la maison avec l'équipe, tout comme elle, mais qu'elle considère que c'est tout ce qui lui importe dans cette histoire, comme si elle pensait qu'elle ne comptait plus du tout pour lui, lui est plus douloureux qu'elle ne le saura sans doute jamais.

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