2x07 - Atlas (3/20) - À travers champs

Propulsé par une main à plat entre ses omoplates, Strauss s'écrase en avant dans l'herbe. Son souffle, même si essentiellement superflu, est coupé par l'impact. S'étant réceptionné de justesse sur ses paumes, le nez à quelques millimètres de la terre, il se tourne vers le responsable, peu satisfait de ce traitement.

Plus les jours passent, moins Chad ménage ses deux compagnons de route. Kayle ne semble pas s'en formaliser, sans doute parce qu'il arrive le plus souvent à anticiper les décisions du Protecteur, mais le plus jeune du trio n'a pas cette chance. Il est constamment tiré par le bras ou l'épaule dans une direction ou une autre, et la plupart du temps sans le moindre avertissement.

— Ah, comme au bon vieux temps ! s'exclame le tueur blond avec un sourire.

Il a les poignets croisés sous son menton, comme s'il avait choisi de tout à coup s'étaler sur le sol de lui-même.

— Tu trouves ? s'étonne Chad.

Il ne voit pour sa part pas ce à quoi il pourrait faire référence. Ou alors peut-être qu'il le prétend avec grand talent.

— On faisait des trucs ensemble, à une époque, proteste son ancien Soigneur, comme vexé qu'ils ne partagent pas les mêmes bons souvenirs.

S'il est plus qu'évident que Chuck et Kayle étaient très proches avant que ce dernier ne vire à l'homicide – ce qui rend d'ailleurs leur situation actuelle parfois délicate – la relation passée entre l'encapuchonné et le serial killer est en revanche beaucoup plus difficile à cerner. Le ressentiment du premier écrase toute trace d'une éventuelle connexion préexistante entre eux. Il ne semble plus éprouver que colère, déception, méfiance, et mépris envers son ancien collègue.

— Ne me rappelle pas… Chad confirme d'ailleurs son aigreur, mâchoires serrées.

— Est-ce que vous pourriez évoquer votre passé plus tard ? On risque de la perdre, intervient Strauss.

Il est le seul à ne jamais oublier la raison pour laquelle ils errent à travers le pays depuis plusieurs jours. Après avoir laissé Mae s'enfuir des locaux de DG en compagnie d'un chercheur, ils n'ont pas traîné avant de s'élancer à sa poursuite. Puisqu'il restait certain qu'elle ne viendrait pas avec eux, incapable de les reconnaître comme ses amis dans son état de désorientation médicamenteuse, ils ont cependant gardé leurs distances. Au plus grand dam de Strauss, d'ailleurs, qui ne se remet que difficilement du regard qu'elle lui a accordé en se réveillant. Ainsi, ils se contentent depuis quatre jours de garantir une voie libre à la jeune fille, s'assurant qu'elle ne croise le chemin de personne de mal intentionné ou tout simplement attire l'attention sur elle. Étant donné le peu de temps qu'elle a passé sur des sentiers battus, la tâche n'a heureusement pas été aussi ardue qu'elle aurait pu le devenir.

— Au pire, on n'aurait pas de mal à la retrouver. Même Kayle n'a pas su rester caché bien longtemps, et il était effectivement en fuite, proteste Chad, rappelant indirectement que ce sont eux qui évitent l'adolescente, et pas l'inverse.

Elle n'a de toute évidence aucune idée qu'elle est suivie. Et c'est tant mieux, puisqu'elle est déjà suffisamment terrorisée comme ça. Le scientifique avec qui ils l'ont laissée la rassurait, au début de sa fuite, mais sans qu'ils aient pu déterminer pourquoi exactement, dès leur deuxième jour de cavale, il l'a mise dans un bus sans chauffeur pour Chicago, avant de partir de son côté, dans la direction opposée. Malgré l'intention louable de la mener à bon port, la jeune fille est hélas descendue du véhicule avant d'avoir atteint sa destination, dès son premier arrêt. Depuis, elle parcourt la cambrousse certes dans la bonne direction, mais à pied, et donc beaucoup moins efficacement. N'ayant pas jugé pertinent de se séparer pour garder son ancien tortionnaire à l'œil, les trois extraterrestres affectés à sa surveillance sont restés sur les talons de la jeune fille.

— Hey ! Vous ne m'avez rattrapé que parce que je me suis montré. Et même pas à vous, en plus, Kayle s'offusque de l'accusation qui vient d'être émise à son égard.

Il se sait tout à fait capable de rester introuvable au besoin. Et Chad en est plus que conscient, en plus. S'il avait été capable de l'intercepter, ils n'auraient pas eu besoin d'appeler les renforts d'un second trio homien. Mais, à tort ou à raison, le Protecteur ne rate jamais une occasion de critiquer son ancien Soigneur, depuis qu'ils se sont lancés dans cette expédition.

— Pourquoi tu es resté à Chicago aussi longtemps, déjà ? il soumet au tueur reformé malgré lui, haussant un sourcil provocateur mais sans sourire.

Le blond ne peut rien répondre, puisque ce qui l'a arrêté dans cette ville était la présence d'Andy, Ben, et Strauss ; il a fait halte dans son road trip meurtrier pour ses congénères. Ce qui ne soutient en effet pas exactement l'idée qu'ils n'ont pas du tout joué un rôle dans son arrestation, même si c'est à Patrick qu'il a fini par se montrer.

— … Tu n'es pas aussi drôle que tu le penses, rétorque simplement l'assassin, avant de détourner la tête, vexé.

— Je ne crois pas qu'il pense être drôle, lui fait remarquer Strauss.

Il n'a en effet perçu aucun humour dans l'échange qui vient d'avoir lieu. Et s'ils se dirigent encore vers un débat dont ils sont les seuls à pouvoir saisir les sous-entendus, il préfère les interrompre dès que possible.

Ni l'un ni l'autre de ses compagnons de route ne relève sa remarque, et ils reportent donc tous leur attention sur la raison de leur présence ici. À plusieurs dizaines de mètres de là, Maena est en appui sur un arbre, pour l'une de ses inexplicables haltes dans sa course éperdue. Aucune de ses escales depuis le début de son périple n'a duré bien longtemps et surtout n'a semblé être à vocation de repos. Elle ne s'est à aucun moment endormie ou même allongée. Toujours dans sa tenue gris uni qui lui a été passée à son arrivée chez DG, elle jette de frénétiques coups d'œil autour d'elle sans pourtant sembler voir quoi que ce soit, avant de se remettre en marche.

— Pourquoi est-ce qu'on est encore à terre ? Et pourquoi est-ce qu'on s'y est jetés en premier lieu ? Maena est loin devant, Strauss interroge Chad alors que la jeune fille repart, s'éloignant encore un peu plus d'eux.

— Elle a une façon de bouger qui n'est pas… habituelle, avoue le Protecteur.

Il a une grimace au caractère inadapté du terme sur lequel il a été contraint de s'arrêter pour décrire ce qui le dérange. Cela fait bien longtemps qu'il ne compte plus les lacunes des langages terriens qu'il superpose à sa communication homienne. Mais il met par ailleurs un point d'honneur à toujours s'évertuer à le faire malgré ça, par respect pour la planète sur laquelle il séjourne et la culture de l'espèce dont il a pris la forme.

— Comment ça ? Strauss l'incite à élaborer.

Il comprend ce qu'il a remarqué mais pas ce que ça signifie. Elle dans un état tellement altéré que rien de ce qu'elle fait ne semble avoir de sens, en dehors de sa détermination à se diriger vers chez elle.

— J'ai l'impression qu'elle réagit à des bruits et des odeurs qu'elle ne devrait pas percevoir, suggère le Protecteur, bien que sans certitude.

— Les états de fugues peuvent réveiller pas mal d'instincts endormis, intervient Kayle.

Il est après tout le plus familier d'eux trois de la physiologie humaine et ses diverses pathologies. Sans compter qu'il est littéralement la source de ce qui a mis l'adolescente dans son état actuel, même si moyennant ce qu'elle a pu subir avant, qu'ils n'ont pas encore eu l'occasion de déterminer exactement.

— Que ce soit ça ou ce qui lui a été fait dans ce laboratoire avant qu'on vienne la chercher, je préfère rester prudent ; selon toute probabilité elle rentre chez elle, et là-bas elle pourrait sortir de la brume. Mais si on l'effraie, elle pourrait faire un détour, et j'en ai un peu marre de vadrouiller dans la nature, raisonne Chad, justifiant enfin explicitement ses précautions en apparences exagérées pour ne pas se faire remarquer.

En toute honnêteté, s'écraser sur le sol tantôt poussiéreux tantôt boueux ne l'enchante pas plus que ceux qui l'accompagnent.

— Je ne sais pas pour ses cinq sens, mais en revanche je peux vous certifier que ce qu'elle fait à l'écorce ne peut pas venir de son état neurologique, ajoute le blond du trio, tant qu'ils sont sur le sujet des éventuelles séquelles que pourrait avoir Maena à terme.

— Ce qu'elle fait à l'écorce ? s'étonnent les deux autres d'une même voix, les sourcils froncés d'incompréhension.

Kayle les dévisage alors avec consternation. Son regard bleu passe de l'un à l'autre dans l'espoir qu'ils vont tout à coup éclater de rire et lui révéler qu'ils se paient sa tête. Mais non.

— Vous pensez sérieusement que je scalpe les arbres depuis quatre jours pour m'amuser et pas couvrir ses traces ? il leur lance.

D'un index levé, il désigne le tronc près duquel ils sont étendus, et dont une grosse partie de l'écorce est effectivement manquante.

— J'ai arrêté de me poser des questions sur tes motivations il y a bien longtemps, répond simplement Chad, froid.

— Je… n'avais pas remarqué que tu faisais ça, avoue quant à lui Strauss.

Il est plus concentré sur celle qu'ils traquent que sur ce que font ses compagnons de route.

— J'aimerais que Chuck soit là… se lamente alors Kayle de la compagnie qu'il est contraint de garder dans cette aventure.

L'un est méprisant et l'autre incompétent. Il ne plaisante pas en évoquant sa nostalgie du dernier trio dans lequel il s'est trouvé. La dynamique était tout à fait différente.

— Il n'y a que lui qui puisse couvrir nos arrières à D.C., alors qu'on est tout à fait capables de suivre une ado en état de fugue sans lui, Chad justifie l'absence de leur Diplomate.

Le regard du serial killer se fait encore plus atterré qu'il ne l'était déjà.

— Je ne crois pas qu'il attendait une réponse, Strauss se permet à nouveau de faire remarquer une légère incompréhension entre ses deux collègues, avant que la tension n'atteigne son comble.

La dernière chose dont il a besoin, c'est bien d'un duel homien. Ces conflits n'en finissent jamais. Parfois littéralement. Et ceux deux-là dansent sur le fil depuis le réveil du blond. C'est même de pire en pire.

— Allons-y ; le vent se lève, annonce simplement l'encapuchonné.

Il bondit sur ses pieds et s'élance à nouveau à la poursuite de Maena, achevant de couper court à la conversation. Avec autant d'aisance qu'il s'est aplati à ses côtés, Kayle lui emboîte le pas, son humeur n'impactant visiblement pas du tout sa capacité à suivre des directives. Moins à l'aise avec l'exercice, Strauss ne les rattrape que dans un second temps. Il aimerait être en mesure de suivre Maena sans aide, mais il est conscient que ce n'est pas le cas. Tout ce qu'il peut faire, c'est s'efforcer de ne pas être un poids mort pour son équipe. Car la seule chose dont il est certain, c'est qu'il aurait été bien incapable de rester sur le banc pendant que d'autres se seraient chargés de surveiller la jeune fille.

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