2x07 - Atlas (2/20) - À l'aveuglette
Dans l'appartement de Sam, Iz dort un peu plus profondément que lui, à plat ventre à ses côtés, l'un de ses bras en travers de son torse sous les couvertures. Souriant à la façon dont ses cheveux recouvrent presque entièrement son visage, il entreprend avec précaution de se dégager doucement, afin de se lever sans la réveiller. C'est malheureusement en vain, puisqu'à peine a-t-il posé ses doigts sur son poignet qu'elle referme son emprise sur lui et l'empêche de bouger davantage :
— Non, reste ! elle grogne entre ses mèches, les yeux encore clos, lui tirant un nouveau sourire encore un peu plus large que le précédent.
— Je dois y aller, il souffle tout bas, amusé.
— Nan ; on est Samedi, elle arrive à protester, toujours sans ouvrir les yeux.
— Je pourrais me faire appeler sur une affaire même un Samedi, tu sais, il lui soumet alors.
À son argument relativement construit, il a jugé qu'elle était suffisamment lucide pour être raisonnée, même si elle n'y paraît pas.
— Est-ce que c'est le cas ? elle demande d'un ton dubitatif.
Elle ouvre un œil afin de pouvoir observer son visage lorsqu'il répondra. Bon, ça ne lui sera pas d'une grande aide, puisqu'il est un excellent menteur quand il en a envie. Mais par principe, elle ne perd rien à essayer de déchiffrer ses traits.
— Non. Mais j'ai quand même un chien à sortir, il répond, à la fois honnête et joueur.
Avec cette réplique, il révèle qu'il aurait pu couper court à la conversation avec cet argument depuis le début. Elle grogne une fois de plus.
— Hmpf… D'accord. Mais fais vite, elle cède.
Elle referme les paupières et le laisse partir, se retournant sous la couette.
— Oui, Madame ! il lui accorde sur un ton faussement militaire.
Il se penche tout de même vers elle afin de déposer un baiser sur ses cheveux avant de quitter le lit.
Alerté par leurs voix, Sing Sing l'attend déjà sur le seuil de la chambre, impatient pour sa première sortie de la journée. Son maître lui accorde une caresse puis enfile une paire de jeans et des baskets pour pouvoir l'accompagner au dehors, par-dessus le T-shirt et le boxer dans lesquels il a dormi. Ils descendent ensuite ensemble l'unique étage de leur bâtiment, puis font tranquillement un petit tour dans le quartier, sans trop s'éloigner, comme beaucoup de matins de week-end. En semaine, ils ont plutôt tendance à faire le trajet en trottinant.
Lorsqu'ils reviennent, faisant attention à ne pas faire trop de bruit au cas où Iz se serait rendormie, Sam sert son petit-déjeuner à l'animal, puis retourne à sa chambre. Il y trouve sa dulcinée bien réveillée, assise entre les draps, songeuse. Elle sourit à son apparition, une main dans sa chevelure brune qu'elle a re-apprivoisée en son absence.
— Hey, il la salue.
Croisant les bras, il s'appuie nonchalamment de l'épaule sur le chambranle de la pièce, comme il sait si bien le faire.
— Hey. Bonjour, elle lui retourne, se mordillant la lèvre inférieure dans sa réflexion.
— Bonjour, il lui rend la politesse.
Il lui laisse le temps de formuler ce qu'elle a envie de dire. Il y a clairement quelque chose qui bouillonne dans sa tête.
— Je voulais pas être aussi collante. Désolée, elle s'excuse de son comportement d'un peu plus tôt, avec un petit froncement de nez gêné.
— T'inquiète. C'était plutôt agréable, il accepte sans aucune difficulté.
Il se retient de sourire trop largement à son embarras, qui ne rend son geste que plus adorable. S'il fait trop le malin, elle pourrait rechigner à refaire la même chose une prochaine fois, ce qui serait dommage.
— Je n'aurais jamais dit que les filles collantes étaient ton truc, elle se permet de commenter.
Elle est consciente de son tableau de chasse avant elle. C'est une chose contre laquelle elle ne prétendra jamais lutter. Parfois, elle se demande si elle devrait s'en sentir menacée ou au contraire flattée.
— T'es pas n'importe quelle fille, il répond justement en toute franchise, sans même avoir besoin d'y réfléchir, avec un haussement de son épaule libre.
— Tu dois dire ça à toutes les filles, Iz rétorque en secouant la tête.
La réplique est un peu délavée par l'usage, non ?
— Même pas, en plus, il déclare pourtant en levant les sourcils, comme s'il constatait seulement le cliché qu'il vient de lâcher.
La jolie brune le scrute, incapable de déterminer s'il ne s'était effectivement pas rendu compte de ce qu'il disait ou bien si au contraire il l'a fait exprès pour la taquiner. Tout ce dont elle est certaine, c'est qu'il ne ment pas en clamant ne jamais l'avoir dit qu'à elle. Et c'est suffisant, pour le moment.
— Petit-déj' ? il propose après ce court silence.
Il n'a pas spécialement envie de se recoucher, maintenant qu'il s'est habillé et a mis le nez dehors.
— Comment est-ce que tu peux être si calme ? lui demande alors Iz, tout à coup très sérieuse.
— Er… Ça aide de se réveiller à côté d'une belle femme, il poursuit dans ses flatteries sincères.
Elle ne sait pas s'il ne voit réellement pas où elle veut en venir ou bien en donne simplement extrêmement bien l'illusion.
— Ne plaisante pas. Ta nièce est dehors, quelque part. Si tu sais où, comment est-ce que tu fais pour résister à l'envie d'aller la chercher sur-le-champ ? elle précise sa question grâce à un peu de contexte.
Sam hoche la tête et laisse échapper un O silencieux en comprenant enfin ce dont s'inquiète la jeune femme. Voilà qui met un coup dans leur matinée tranquille en amoureux…
Quand il est revenu bredouille de l'opération, en début de semaine, Iz avait été partagée entre l'extrême soulagement qu'il soit en un seul morceau et l'alarme qu'il n'ait pas réussi à récupérer Mae. Malgré ses assurances que le pire ne s'était pas produit et que, si tout ne s'était pas déroulé comme prévu, la situation était quand même sous contrôle, ce second sentiment perdure encore aujourd'hui chez elle. C'est d'ailleurs ce dont attestent son léger excès d'affection au réveil et maintenant ses interrogations anxieuses.
L'enquêteur marque un temps avant de répondre, choisissant ce qu'il va dire avec soin :
— Premièrement, j'ai une vague idée d'où elle est, pas plus. Et deuxièmement, je sais qu'elle est plus en sécurité qu'avant. Ce n'est qu'une question de temps avant que l'occasion de la récupérer se présente, il faut juste être patient.
Bien qu'il fasse du mieux qu'il peut, apaiser sa compagne n'est pas tâche facile, étant donné le peu d'informations qu'elle détient sur la situation exacte. Sans entrer dans aucun détail, il lui a tout de même expliqué que l'intervention n'avait pas été un échec total. Il lui a dit qu'ils avaient pu confirmer que Mae était saine et sauve, et qu'ils ont qui plus est été en mesure de suivre ses déplacements depuis l'endroit d'où ils l'ont délogée. Il n'a en revanche bien évidemment pas précisé que l'adolescente n'a pas exactement été emmenée mais qu'ils l'ont laissée s'échapper parce qu'elle n'était pas en état de venir avec eux. Ni que la surveillance mise en place sur elle est effectuée par des extraterrestres. Mais il n'a après tout pas mentionné ni DeinoGene ni Vurt non plus, alors chaque révélation en son temps.
— Comment est-ce que tu peux penser qu'elle est plus en sécurité maintenant qu'avant ? Tu connais les statistiques de survie des kidnappés, lorsque leurs ravisseurs ont été dérangés dans leurs plans ? lui soumet Iz.
Elle s'était abstenue d'aborder le sujet depuis son retour, mais elle n'y tient plus. Il lui avait dit aller la récupérer, et il est revenu sans elle, ni aucune arrestation. Qu'est-ce qui a bien pu se passer, exactement ? Et en quoi est-ce que ça pourrait être considéré comme un progrès, si la confidentialité qui entoure toute cette histoire n'a pas été levée d'un millimètre ?
— Oui. Et ça n'a rien de rassurant. Mais la situation est différente, il tempère son argument avec autant de calme qu'il en est capable.
Il le sait valide mais il ne peut pas démontrer qu'il est en l'occurrence inadapté. Pas sans lui en dire plus qu'il n'en a envie, en tous cas. Est-ce qu'il aurait dû prétendre qu'ils n'avaient rien pu faire une fois sur les lieux, et avaient juste assisté à un transfert de Mae, qui leur avait permis de mettre en place un suivi en bonne et due forme, sans que les kidnappeurs ne se soient rendu compte de leur présence ? Ça aurait pu fonctionner. Mais encore aurait-il fallu qu'il ait eu cette idée de suite, et pas deux jours plus tard…
— Différente comment ? Elle était retenue quelque part, et après votre passage elle est en train d'être déplacée. Même si un transfert était prévu, ce qui est peu probable, vous n'êtes sûrement pas passés inaperçus. Quoi que ces gens veuillent d'elle, sa valeur a diminué maintenant qu'elle leur a coûté votre visite.
La psycho-psychiatre continue de s'appuyer sur les chiffres et la logique, avec la compréhension qu'elle a des faits. Elle n'en arriverait pas à cette conclusion si elle savait que la première responsable de l'enlèvement avaient été éliminée pendant leur descente, et son organisation enfin démantelée pour de bon quelques heures plus tard. Mais si Sam lui disait que la chute du laboratoire dans l'Est était due à leur passage, ça soulèverait des questions encore plus gênantes vis-à-vis de la captivité de Mae. Alors, il lui laisse croire qu'ils n'ont arrêté personne.
— Je sais qu'ils la veulent en vie. Et en bonne santé, il l'assure, puisque c'est bien la seule certitude qu'il a à ce stade.
Comme le reste de l'équipe, le maître-chien n'a pas manqué la menace proférée par Strauss au scientifique auquel il a été contraint de confier Mae, même alors qu'il la lui a donnée tout bas. Pour tout son courage, et toutes les situations dangereuses qu'il lui a été donné d'affronter, l'oncle ne peut pas imaginer que qui que ce soit oserait aller à l'encontre d'une telle mise en garde. Il était un étage plus bas et il en a eu le sang glacé. Même Andy, à côté de lui, n'a pas pu retenir un haussement de sourcils impressionné. Il ne préfère même pas imaginer ce que ça devait être d'avoir l'alien brun en face de soi. Si l'inconnu n'était pas déjà motivé à protéger sa patiente avant, il l'est devenu à ce moment-là.
— Et vous n'avez rien trouvé d'autre là-bas ? Rien qui puisse indiquer un mobile ? s'étonne Iz.
Elle pose plus ou moins les mêmes questions qu'elle a déjà eues au moment de son retour de la capitale. Elle n'avait pas su toutes les retenir, mais avait eu la compassion de ne pas insister, puisqu'il était de toute évidence fortement secoué par la déception de ne pas avoir pu récupérer sa nièce. Aujourd'hui, il paraît cependant plus disposé.
Ce qu'elle n'arrive pas à concevoir, c'est qu'ils aient trouvé des éléments pouvant indiquer les intentions des kidnappeurs vis-à-vis de leur prisonnière, en partie, mais absolument rien à propos de leurs motivations initiales. Est-ce que leur simple identité ne devrait pas fournir une explication ?
Il choisit une fois de plus soigneusement ses mots, afin de lui répondre sans mensonge :
— Iz. Je t'ai dit tout ce que je pouvais te dire.
La brunette soupire lourdement. Elle commence à connaître cette réplique. Et si ce n'est pas celle-ci, c'est l'une de ses sœurs que Sam utilise pour la tenir à l'écart. Mais la jeune femme ne lui en veut pas. Elle connaît ses intentions, et elle sait qu'il lui est aussi difficile de ne pas tout lui dire qu'il lui est difficile à elle de ne pas tout savoir sur ce qui se passe. La situation du maître-chien est déjà suffisamment éprouvante comme ça sans qu'elle lui ajoute son ressentiment déplacé à la liste de ses préoccupations.
— Je sais… Tant que tout n'est pas terminé, il y a encore des choses que tu préfères que je ne sache pas. Mais quand on verra enfin le bout de cette histoire, ton excuse a intérêt à être solide de chez solide, Monsieur !
Elle pointe un index d'avertissement vers lui, soulignant son rappel que compréhensive n'est pas un synonyme de crédule.
— Oh, er… Elle le sera, il confirme en souriant.
Sur ce, il se détourne rapidement vers la cuisine, afin d'aller préparer leur petit-déjeuner, ainsi que pour clore le débat. Il s'est aussi un peu détourné pour ne pas qu'elle puisse voir l'ombre d'inquiétude sur son visage à l'idée de devoir tout lui expliquer un jour. Il y a certains éléments qu'il n'est pas autorisé à partager avec qui que ce soit. Mais même s'il arrive à passer sous silence la participation d'extraterrestres, il reste la question du statut de la fille de son frère. C'est un sujet d'expérimentation illégale, à présent. Ce n'est plus une supposition de leur part, mais une certitude. Et il ne peut pas s'empêcher de penser que, si elle a la moindre séquelle, elle encourra le même danger que Caroline et Robert. Il sait qu'Iz ne dénoncerait jamais sa nièce, mais est-ce qu'il a pour autant envie de la mettre dans la position de devoir garder un tel secret ?
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