2x06 - Coup de poing (17/19) - Infiltration

Des cinq groupes formés à partir de l'équipe de onze (en comptant Sing Sing), trois savaient qu'ils quitteraient la cage d'ascenseur avec un risque de croiser âme qui vive. Jena comme le chien sont tranquilles dans leurs conduits respectifs, et Sieg et Ben se trouvent à l'étage des stocks, dont ils doivent assurer la stabilité en cas de dérapage, mais où les chances de tomber sur quelqu'un sont proches de zéro.

Au rez-de-chaussée, Andy se fie à son ouïe fine pour entraîner Sam à sa suite dès que la voie est libre, jusqu'au premier bureau inoccupé qu'ils trouvent. La porte est fermée par un verrou biométrique, mais ce n'est apparemment rien que l'alien ne puisse pas circonvenir sans sourciller. Elle place sa main sur le capteur comme si elle travaillait ici depuis des années, et les battants coulissent sans autre forme de procès. Une fois à l'intérieur, elle laisse Caroline et Robert connecter l'inspecteur à une surface afin qu'il ait accès à ce que voit la caméra attachée au collier de son chien. Pendant ce temps, elle s'applique pour sa part à faire en sorte que personne ne puisse les rejoindre dans la pièce. Fébrile même alors que leur soutien numérique fait de l'excellent travail, Sam affiche les plans du bâtiment à côté du signal vidéo que lui transmet Sing Sing, et commence à le guider de la voix vers son but. Trop content d'enfin recevoir des directives, l'animal se tortille dans le conduit avec enthousiasme.

Au deuxième étage, Vlad et Strauss doivent attendre le feu vert de Kayle avant de tenter une percée hors de la cage d'ascenseur. S'exposer serait tout à fait inutile tant qu'ils ne peuvent pas entrer là où ils savent que Maena est retenue. Le grand alien brun s'efforce d'émuler le calme olympien de son binôme, alors qu'il n'a pas entendu les battements de cœur de l'adolescente d'aussi près depuis le jour de son enlèvement, il y a 25 jours. À côté de lui, l'Européen se repose dans son baudrier, yeux clos, serein, toujours aussi peu affecté par les allées et retours de la cabine à quelques centimètres de ses pieds.

Au troisième et dernier étage, Chuck, Chad, et Kayle restent à l'affût de leur moment, qui tarde à venir. La personne qui est arrivée juste alors qu'ils sont tous entrés dans la cage d'ascenseur semble avoir provoqué pas mal d'animation, et les allées et venues dans le couloir qu'ils souhaiteraient emprunter ne s'arrêtent pas. Il ne faut pas longtemps pour que le plus jeune du trio perde patience :

— Est-ce que vous vous sentez de vous mettre en costume ? il propose alors à ses collègues, avec un soupir d'ennui.

Chuck ne prend même pas la peine de répondre, sa tenue déjà entièrement métamorphosée presque avant que son cadet ait fini de poser sa question. Il n'a jamais cherché à dissimuler sa grande appréciation pour le concept du trois pièces inventé par les Humains. Chad est en revanche beaucoup moins coopératif.

— Non, il déclare simplement, son regard sombre dans tous les sens du terme.

— En blouse, alors ? tente de négocier le plus petit des deux blonds.

Il se force à un sourire exagéré, dans l'espoir de rendre le Protecteur plus arrangeant. Il fut un temps où ils se faisaient confiance.

Avec un grognement, l'encapuchonné finit par obtempérer, la couche extérieure de sa tenue passant de noire à blanche et de moulante à flottante, conformément à la demande. S'il cède, c'est bien parce qu'il estime qu'ils ont suffisamment perdu de temps à attendre, et rien d'autre.

Non sans une expression fière de lui, Kayle modifie à son tour ce qu'il porte pour avoir l'air d'un scientifique, avant d'enfin ouvrir les portes de l'ascenseur derrière lesquelles ils attendaient tous les trois.

— Vous avez intérêt à pas tous nous faire tuer, gronde Siegfried depuis le troisième sous-sol.

À leur conversation, il a bien compris qu'ils sont sur le point de tenter quelque chose d'imprévu, et il enrage de ne rien pouvoir faire pour les en empêcher.

Sans avoir besoin de se concerter, les trois Homiens s'avancent avec assurance dans le couloir, feignant à la perfection d'être en pleine conversation. Ils ont au moins attendu qu'il n'y ait plus qu'une seule personne sur leur chemin, si bien qu'elle ne remarque pas que les portes de l'ascenseur se sont ouvertes et refermées dans le vide, la cabine à un autre étage. À la place, la jeune femme est évidemment interpellée par ces trois fringants inconnus qui arrivent vers elle. Une fois à sa hauteur, Kayle lui accorde un clin d'œil, puis attrape sa main et la fait tournoyer sur elle-même comme dans un pas de danse, avant de tirer la révérence et venir lui faire le baisemain.

— Rentre chez toi ; tu es malade, il lui murmure, braquant ses yeux clairs dans les siens, hypnotiques, ses lèvres toujours à quelques centimètres de ses doigts.

Alors que Chuck et Chad s'exaspèrent des fioritures de leur ancien Soigneur, l'assistante administrative vacille légèrement sur ses jambes, le rouge aux joues et le regard vague. Lorsqu'elle se détourne du trio, sa démarche est quelque part entre l'automate et le zombie.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? s'enquiert la voix de Sieg.

C'est une chance qu'il puisse faire ce qu'il est en train de faire les yeux fermés, sans quoi la distraction causée par les trois Homiens aurait pu être encore plus problématique qu'il ne l'estime déjà. Ça n'empêche pas Ben d'aller trois fois plus vite que lui, alors qu'il vient de lui apprendre la marche à suivre lorsqu'ils sont arrivés, mais qu'importe. Ce n'est pas le moment pour entrer dans une compétition interplanétaire. Une autre fois, peut-être. Pour l'heure, c'est le résultat qui compte. Et ces unités de confinement sur lesquelles ils s'affairent tous les deux ne vont pas se sceller toutes seules.

— Rien de grave. On vient juste de renvoyer une secrétaire chez elle, informe posément Chuck.

Il a un regard par-dessus son épaule vers la jeune femme, qui se dirige vers les escaliers avec l'absolue certitude de n'avoir croisé personne. Voir Kayle à l'œuvre est toujours impressionnant, aussi agaçant il puisse être.

— Risqué, commente Vlad à la place de son partenaire.

Il le connaît tellement bien qu'il le sait en train de mentalement jurer dans sa langue maternelle. En ce qui le concerne, il n'a même pas rouvert les yeux, d'un tempérament souvent beaucoup plus tranquille.

— Nan. Elle a une bonne excuse : je viens de lui donner la grippe, réplique Kayle en haussant les épaules, indifférent à l'imprudence de son comportement.

Sans relever sa nonchalance inacceptable en les circonstances, puisque ça n'y changerait rien quoi qu'ils disent, ses deux collègues l'attrapent chacun par un bras et l'entraînent vers la pièce par laquelle il va pouvoir rejoindre le laboratoire où est retenue Maena. Bien qu'ils y aient été préparés, ils sont tout de même surpris de découvrir une salle de réception. C'est ici que le Docteur Vurt divertit ses potentiels investisseurs. Il paraît invraisemblable de trouver un endroit d'une telle sophistication dans un bâtiment d'une telle froideur. Un épais rideau pourpre est tiré sur le mur vitré, offrant une intimité bienvenue au trio, et des tables rondes sont placées en périphérie, laissant un vaste espace libre au centre d'un parquet de danse en parfaite condition. C'est alors que le serial killer commence à esquisser quelques pas, comme s'il n'en avait pas eu assez avec la rouquine du couloir.

— Qu'est-ce que tu fais ? ne peut que demander Chad.

— Je cherche l'endroit où mon apparition ne va pas causer une vague de panique incontrôlable. Duh ! … Ici ! Il n'y a rien dans cette enclave. Enfin, à part un cadavre, répond le blondinet, alors qu'il interrompt brusquement ses pas chassés à un emplacement bien précis.

— Oh Mon Dieu… murmure Sam à son commentaire, prenant son visage dans ses mains.

Seuls les Homiens peuvent l'entendre, puisqu'il a désactivé son communicateur afin de ne pas agacer tout le monde avec les ordres qu'il donne à son chien depuis tout à l'heure, mais ça lui a échappé de toute façon. Il a essayé de ne pas penser à ce qui peut bien être en train de se produire en ce moment-même entre ces murs, mais voilà que ça lui est balancé en plein visage. L'idée que ce cadavre aurait pu être celui de sa nièce lui donne la nausée.

— On peut partir, si tu as fini, lui propose Andy.

Il sursaute. Il avait complètement oublié qu'elle était là. Il ne sait pas si elle fait preuve de compassion ou bien s'ennuie, tout simplement. Quoi qu'il en soit, il aimerait accepter son offre. Il aimerait tellement quitter cet endroit sordide et ne plus jamais y remettre les pieds, retourner sur cette colline et le regarder brûler jusqu'à la dernière pierre. Mais il n'a pas fini. Et le reste de son équipe non plus. Encore un peu de patience. Bientôt.

— Presque. Mais il faudra le faire sortir de toute façon, il réplique avec difficulté, la gorge encore serrée.

Il parle évidemment de Sing Sing. Le chien ne pourrait pas retrouver son chemin seul, notamment parce qu'il n'a pas la place de faire demi-tour dans le conduit dans lequel il se trouve. Il va falloir le guider en marche arrière. Il sait faire, mais c'est un peu plus intense que de le guider en marche avant.

Pendant ce temps, au troisième étage, Kayle retire soudain sa menotte, avec autant de facilité que son émetteur. Son geste lui vaut un regard de jugement de la part de Chuck, auquel il répond par un simple haussement d'épaules. Il lui a pris quelque chose d'important, certes, mais il ne lui a pas tout pris. Il sait encore faire preuve de bonne volonté. Et tout le monde semblait si rassuré de le savoir entravé… alors il a fait semblant. Il ne voit pas le mal. L'important c'est qu'il ne leur ait pas faussé compagnie, n'est-ce pas ?

— Kayle commence. Ça va lui prendre un petit moment, Chad annonce au reste de l'équipe.

Il se garde bien de leur rappeler qu'ils viennent de perdre le peu de contrôle qu'ils pensaient avoir sur le tueur en série. Ils étaient prévenus. Et puis bon, apparemment, ils n'en ont jamais réellement eu aucun, mais ça non plus, il ne le leur dit pas.

Un genou à terre, paumes sur le sol, Kayle commence petit à petit à s'immiscer entre les lattes, sous l'œil à la fois dégoûté et curieux de ses comparses.

— Er… En attendant, j'ai un problème, Jena rebondit sur la dernière déclaration, une légèreté forcée dans sa voix.

— Jen ? l'interroge Sieg.

Cette fois, Vlad ouvre les paupières. Il reconnaît la tension de ses deux coéquipiers dans leur voix.

— Il y a un piège, elle leur apprend simplement.

— De quel type ? s'enquiert son autre mentor, sans se laisser désarçonner.

— Le type qui se déclenche dès que je désactive ce que j'ai à désactiver. Et qui fait sonner l'alarme si je tente de le désamorcer en premier, elle continue de décrire sa situation, s'efforçant de rester calme malgré le danger qu'elle encourt.

— Mais il ne sonne pas l'alarme lui-même ? s'étonne Sam, rejoignant la conversation d'une pression sur la pastille sur sa gorge.

Il n'a pas d'expertise, mais son chien doit effecteur à peu près la même tâche que la jeune femme, alors il se sent d'autant plus concerné par toutes les embûches qu'elle rencontre.

— Non, il va juste me transpercer d'une barre de métal, elle lâche sans émotion.

Son regard vert est braqué sur le pique d'acier sur ressorts en face d'elle. Dans son dos, des éraflures sur la paroi du conduit indiquent que le mécanisme a déjà été ne serait-ce que testé. Et qu'il n'y a aucune position qu'elle pourrait prendre pendant sa manœuvre qui lui permettrait d'échapper au pieu lorsqu'il sera inéluctablement propulsé dans sa direction.

— Quoi ?! s'offusque l'inspecteur, choqué par cette révélation.

— Je suppose que c'est prévu pour détruire la carte mère des robots qui effectuent la maintenance, usuellement. Pour éviter leur piratage.

La brunette reste très détachée dans son diagnostic, malgré l'espace confiné dans lequel elle se trouve et la menace qui pèse sur elle. Une toute petite part d'elle est impressionnée par l'ingéniosité du dispositif.

— Ce n'était pas dans les plans, observe Strauss avec étonnement.

Il passe mentalement en revue tous les schémas techniques qu'ils ont étudiés avant de venir, sans y trouver aucun indication de ce type.

— C'est rare que toutes les mesures de sécurité soient dans les plans, rappelle Jen.

Étaler son expertise a au moins le mérite de la détendre un rien. S'ils sont fiers de son sang-froid, ses deux formateurs restent tendus, eux.

— Donc vous vous attendiez à ça ? s'exclame Sam.

Il se range à l'avis du mathématicien que tout le monde devrait être beaucoup moins zen face au développement dont est en train de leur faire part la jeune femme. Le risque était de se faire repérer, de se faire prendre, de devoir en découdre avec des gardes, pas d'être stupidement blessé par un piège mécanique.

— On s'attendait à de l'inattendu. D'edged, tu en penses quoi ? Sieg tranche et demande.

Son ton est sans appel, ce qui fait taire les plus inexpérimentés de la bande. Jena, interrogée, prend une longue inspiration mesurée afin de calmer encore un peu plus ses nerfs. Elle est entraînée à ce type de situations. Elle avait déjà identifié toutes ses options avant même de signaler son problème au reste de son équipe, et elle sait celle qu'elle doit choisir. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire. Et ce n'est pourtant déjà pas facile à dire.

— … Qu'il faut que je tombe, elle rend son jugement, solennelle.

— Que tu tombes ? relève Sam.

Il se demande s'il a bien entendu, puisque personne d'autre ne semble enclin à s'étonner.

— C'est le seul moyen pour me dégager à temps. Il faut que je me laisse tomber. De deux étages, elle étaye sa décision, sa résolution allant croissant.

Elle ne peut pas se permettre de simplement se donner quelques mètres de lest sur sa corde. D'une part, l'épieu pourrait la sectionner quoi qu'il arrive, et d'autre part, le frottement avec le mousqueton pourrait l'empêcher de se dégager suffisamment vite. Plus que ça, le poids du matériel détaché aidera la gravité à l'entraîner à temps.

— C'est une blague ?

L'inspecteur reste en position d'incrédulité. Ce qui est proposé ne lui paraît pas du tout être une solution.

— Si je ne neutralise pas cette mesure de sécurité, on ne peut pas sortir d'ici. Pas juste Mae, aucun d'entre nous, Jena argumente en faveur de son sacrifice, pragmatique.

— L'un d'entre nous peut survivre à l'empalement, suggère Ben.

Il est toujours partisan d'éviter des blessés inutiles. Sieg, près de lui, sourit à sa proposition, mais le cœur n'y est pas, car il sait qu'elle ne sera pas acceptée.

— On n'a pas le temps ! proteste la brunette.

Elle passe une main sur son visage en sueur. Elle n'apprécie pas qu'on questionne son évaluation. Elle pourrait l'accepter de Sieg ou Vlad, mais leur silence lui confirme qu'ils pensent qu'elle a raison. Ils feraient la même chose à sa place. Elle sait que Siegfried est déjà tombé de bien plus haut, sur une surface bien moins plane. Ils la soutiennent, même en appréhendant tout autant qu'elle les conséquences de sa décision.

Les Homiens arrêtent à leur tour de répondre, se rangeant également à son jugement. Il lui a déjà fallu un certain temps pour arriver là où elle est, et ensuite il faudrait encore qu'elle explique la marche à suivre à sa relève éventuelle. Or, le plus longtemps ils restent dans le bâtiment, le plus grand le risque qu'ils soient découverts. Sa chute est une solution acceptable. Ils pourront s'occuper d'elle ensuite si c'est nécessaire.

— Si tu tombes de deux étages, tu atterris là où est Sing. Et tu ne rentres pas dans ce conduit, Sam continue d'objecter, dernier irréductible de la bande.

Il a encore le plan du bâtiment sous les yeux. La hauteur dont elle envisage de se laisser tomber lui paraît déjà beaucoup trop haute, mais ce n'est pas la seule dimension du problème qui l'inquiète.

— Si. Si je me luxe l'épaule.

Jen a réponse à tout. Ce ne serait pas la première fois qu'elle devrait s'infliger ça. C'est ce qu'elle aurait dû faire si le chien n'avait pas été du voyage, d'ailleurs. Pour toute l'aide fournie par le reste de leur équipe, il n'y a que celle de Kayle qui soit strictement indispensable. Le reste, le trio d'agents aurait pu s'en charger seul, même si avec beaucoup plus de prudence, de difficulté, et surtout de temps.

— C'est de la folie ! l'oncle explose, à court d'argument.

— C'est mon choix. Aujourd'hui sera le dernier jour de DeinoGene, quoi qu'il en coûte, la brunette affirme une fois de plus sa résolution.

Ils retiennent Mae prisonnière et l'ont soumise à toutes sortes de tests impensables. Leur technologie non réglementée a mis sa petite sœur et son ami dans le coma. Il ne fait aucun doute que leurs expérimentations illicites ont tué cette personne qu'a mentionnée Kayle un peu plus tôt. Quelqu'un doit les stopper, et ils sont trop près du but pour reculer maintenant.

— Jena… l'oncle l'appelle.

Il est au bord de la panique de ne rien pouvoir faire pour l'empêcher d'agir. Andy arrive à côté de lui, et désigne un point sur la carte qu'il a sous les yeux :

— Elle va tomber là. Dès que ton chien a fini, envoie-le la chercher, elle lui conseille, sans la moindre émotion.

— Tu veux qu'elle se fasse traîner ? Avec une épaule déboîtée ? il grince entre ses dents.

Son détachement le rend furieux.

— Tu as une meilleure idée ? Même si on n'était pas tous déjà occupés, il faudrait bien qu'on la traîne de toute manière, rétorque l'ancienne fausse blonde.

Elle est froide mais cohérente. Elle ne semble même pas tenir compte du fait que celle dont elle parle puisse l'entendre. La brunette n'est à vrai dire pas vexée. Au contraire, elle apprécie que quelqu'un d'autre fasse preuve d'objectivité dans son équipe. Elle a besoin de tout le soutien qu'elle peut recevoir, aussi horrible il puisse sonner. La sympathie de l'inspecteur, bien que touchante, ne fait que lui rendre la tâche plus difficile.

— Sur ton GO, Sieg, elle demande à son mentor.

Elle s'est mise en position pour effectuer les derniers débranchements nécessaires au désamorçage du mécanisme devant elle. Décider elle-même du moment fatidique où elle va se laisser tomber dans le vide, sans possibilité de se rattraper aux parois lisses et froides du conduit vertical actuellement en-dessous d'elle, ne ferait que lui rendre l'expérience plus terrifiante. Une certaine dose d'inattendu est préférable, dans une manœuvre comme celle-ci, un peu comme lorsqu'on retire un sparadrap.

— Sam, tu vas peut-être ne pas vouloir écouter ça, suggère le Scandinave, conseillant indirectement au maître-chien d'éteindre son récepteur.

Le géant blond n'est lui-même déjà pas impatient d'entendre le cri de douleur de sa protégée, même s'il sait qu'elle va faire de son mieux pour l'étouffer afin de ne pas attirer l'attention. Il l'a bien entraînée, mais c'est en l'occurrence plus source de culpabilité que de fierté.

L'inspecteur prend une inspiration pour se donner du courage, puis décline l'offre :

— … On est une équipe, il déclare simplement.

— Maintenant, lâche donc Siegfried sans plus de cérémonie.

Bien qu'ils s'y attendaient tous, chaque membre du groupe sursaute à l'atterrissage de Jena. Difficile à croire qu'une chute aussi brève puisse générer une telle force de collision avec le sol. Les émetteurs qu'ils portent chacun sur leur trachée ne sont normalement pas prévus pour transmettre les bruits extérieurs, mais l'impact retentit dans tout le corps de la jeune femme et peut ainsi être entendu de tous.

Alors que tous les Humains ferment les yeux et détournent la tête, mâchoires serrées, Strauss comme Ben ont le même geste de compassion envers celui qu'ils accompagnent, de mettre leur main sur son épaule. Même Andy se pousse à poser la sienne sur le bras de Sam. Elle n'est pas connue pour son empathie, et a du mal à comprendre comment la douleur de quelqu'un d'autre peut affecter, surtout quand on n'en est pas directement témoin, mais elle reconnaît en revanche le risque pris par la brunette et la tension qui peut l'accompagner. Les trois Terriens dévisagent les extraterrestres sans rien répondre, certes appréciatifs mais aucun ne pensant être celui qui a le plus besoin de soutien en cet instant précis.

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