2x06 - Coup de poing (16/19) - Soucis
Iz entre dans la salle de pause de son commissariat de rattachement, officieusement son quartier général, en pensant et espérant pouvoir y être un peu seule. Elle est trop préoccupée par son inquiétude pour Sam pour arriver à travailler convenablement cet après-midi. À sa plus grande surprise, elle trouve cependant Fred dans la petite pièce commune. Sur la pointe des pieds, la jeune inspectrice est en train de fouiller dans les placards, vraisemblablement en quête d'une tasse et de café. La brunette la regarde s'escrimer un moment, accueillant la distraction de ce spectacle cocasse à bras ouverts, avant de l'interpeller gentiment :
— Tu sais que je vous amène du café à vos bureaux, non ? elle interroge.
Sa question manque de faire perdre l'équilibre à la blonde décolorée ; elle ne l'avait pas entendue entrer. La plus jeune ne se départit cependant pas son aplomb, même alors qu'elle vient plus ou moins d'être prise en flagrant délit d'intrusion.
— C'est toi qui fais ça ?
— Oui. Oui, c'est moi, répond Iz en opinant du chef.
Elle n'a pas eu à rappeler ce détail à qui que ce soit depuis l'affaire Eugène. Mais elle ne peut pas retenir son ignorance contre Fred, puisqu'elle est arrivée ici bien après ça. Et aussi parce que l'homme avec qui elle partage actuellement sa vie a lui aussi été inconscient de ce point pendant des mois.
— Un peu au-dessus de ton niveau de compétences, non ? fait remarquer la bleue.
Effrontée, comme souvent, elle croise les bras et hausse un sourcil.
— Tu n'es pas la première personne à me le dire, pouffe la psycho-psychiatre.
Quand elle se souvient à quel point cette remarque l'avait hérissée, venant de Sam… Pas étonnant que ces deux-là ne s'entendent pas, tant ils sont similaires. Similaires, et pourtant chacun irremplaçable.
— Laisse-moi t'aider, enchaîne Iz.
Elle se sent glisser vers des idées noires, et elle s'y refuse. Elle récupère aisément, grâce à sa connaissance des lieux, tout ce dont elle a besoin dans les placards au sol, et non pas ceux en hauteur. Alors qu'elle s'affaire ensuite machinalement à préparer à Fred un café très exactement conforme à ses préférences, qu'elle a mémorisées comme celles de tout le monde, cette dernière la surveille du coin de l'œil, bras toujours croisés.
— Est-ce que ça va ? elle lui demande tout à coup, récupérant son attention.
— Huh ? Oui, ça va, répond distraitement la brunette sans grande conviction, se forçant à sourire.
— Mensonge, l'autre l'accuse immédiatement.
Elle peut bien voir que quelque chose cloche, même alors qu'être prévenante et considérée n'est pas son fort.
— Wow. Je suis désolée de ne pas avoir pu t'obtenir ce rendez-vous avec mon collègue plus tôt ! s'exclame Iz en guise de répartie à cette remarque abrupte, pour toute sa pertinence.
— On s'en fout. C'est pas parce que j'ai pas de tact que je suis aveugle. On dirait que t'as vu un fantôme, insiste Insley.
À ce stade, elle n'a pas juste mis les pieds dans le plat, elle y trépigne avec vigueur. Bien que sans nier l'observation, la profileuse cherche à éviter la question :
— C'est rien. C'est personnel.
— C'est Sam, en déduit sans hésitation Fred.
Il semblerait qu'elle soit incapable de lire entre les lignes et de se cantonner à ce qui la regarde.
— Ça reste personnel, insiste Jones avec un peu moins de subtilité.
Elle lui tend sa tasse, l'invitant indirectement à retourner à son poste et donc la laisser tranquille.
— Est-ce que… ça te changerait les idées d'entendre parler de mes problèmes pourris ? enchaîne cependant la petite nouvelle.
Elle ne fait pas mine de partir, mais au moins, elle ne pose plus de question indiscrète. Iz saute sur cette offre à peu près acceptable, écartant brièvement les bras dans son élan de volontariat.
— Pourquoi pas !
Elle accepte aussi un peu de peur que refuser la proposition ne fasse revenir la conversation sur ce qui l'embête elle.
— J'ai découvert que j'ai peut-être un frère, lâche alors Fred.
Finalement, elle s'est un peu retrouvée dans cette pièce pour les mêmes raisons que son occupante la plus légitime. Elle pensait avoir mis l'affaire Jazz et Anubis derrière elle, les avoir laissés à la brigade qu'elle a quittée. C'est pourquoi avoir été de nouveau confrontée à eux ces dernières semaines l'a mise particulièrement en rogne. Elle ne nie pas avoir cherché la bagarre, en creusant du côté de leur potentiel coup monté autour de son acte de naissance, mais ça ne veut pas dire qu'elle était pour autant prête à ce qu'ils lui tapent à nouveau sur le système comme ils savent si bien le faire. Elle déteste avoir appris tout ce qu'elle sait grâce à eux. Ou lui, en tous cas. Anubis est arrivée plus tard. Pour peu que Jack n'ait pas menti et que ce soit effectivement une femme.
— Tu es adoptée, non ? cherche à confirmer la psycho-psychiatre.
Son immersion dans les tracas de sa jeune collègue est instantanée. Elle n'aurait sans doute pas pu espérer meilleure distraction. Comme quoi, les solutions ne viennent pas toujours de là où on les attend.
— Wow. Tu connais bien tes dossiers, s'exclame Fred.
À sa moue admirative, elle est impressionnée. De son côté, Iz reste modeste :
— C'est mon travail.
— Donc ouais, je suis adoptée. Et ça veut dire que je devrais pas être si surprise que ça d'avoir potentiellement un frère quelque part, pas vrai ?
Insley continue à déballer sa rancœur. Elle n'a pas vraiment qui que ce soit à qui parler, alors qu'elle en a pourtant bien besoin. Et ce n'est pas uniquement parce qu'elle est nouvelle en ville. Elle n'a jamais vraiment eu d'amis proches même à Portland. Elle a toujours eu des standards trop élevés pour ses fréquentations. Elle ne le regrette pas, elle assume au contraire totalement les conséquences de son exigence, préférant être seule que mal accompagnée, mais ça n'empêche que cette philosophie peut parfois avoir ses inconvénients.
— Juste parce que ce n'est pas totalement inattendu ne veut pas dire que c'est plus facile à gérer pour autant, lui propose Jones.
Ses sentiments ne sont pas forcément aussi contraires à la logique qu'elle ne semble le penser. Ça devrait la rassurer.
— Punaise, on se croirait en thérapie ! grogne cependant la jeune femme, comme si on venait de lui réciter un haïku.
— Me parler, c'est toujours un peu de la thérapie, désolée.
Ce ne sont pas des excuses véritables. Iz ne peut pas exactement s'empêcher de passer tout ce qu'on lui dit à travers le filtre de sa formation, et elle n'estime pas que ce soit une mauvaise chose de toute manière. Elle sait néanmoins que ça peut être déroutant pour ceux à qui elle s'adresse. Tout le monde n'est pas aussi réceptif ou impassible face à ce mode d'échange.
— Je suis même pas sûre que c'est vrai, grommelle Fred, revenant sur le sujet de sa suspicion de fraternité.
Elle serre son mug entre ses mains sans en avoir encore bu une seule gorgée. Pour l'heure, elle préfère la chaleur sur sa peau que dans sa gorge.
— Qu'est-ce qui t'a donné cette idée en premier lieu ? s'enquiert la brune à côté d'elle, pédagogue.
Elle sait qu'elle ne serait pas si perturbée par la nouvelle si elle n'y accordait absolument aucun crédit. Si l'adage selon lequel seule la vérité blesse est indéniablement faux, c'est par son absolutisme ; une calomnie est parfois tout aussi vexante qu'une critique méritée. Néanmoins, découvrir une vérité choquante est nécessairement plus impactant que de subir une rumeur aisément réfutée.
— Un p'tit con… grince l'inspectrice entre ses dents.
Elle visualise encore le sourire espiègle de Jack le jour de leur première rencontre au commissariat, qu'il avait toujours aux lèvres lorsqu'elle est allée le confronter à son lycée.
— Pardon ? s'exclame Iz, choquée du venin dans sa voix.
— Un délinquant qui voulait m'impressionner. Il a mis la main sur mon acte de naissance et… Bref, reformule Insley, ramenant son regard à son interlocutrice et à la réalité en général.
— C'est pas un potentiel délit, ça ? se demande Iz tout haut, plissant son regard vert.
— Si, mais…
La plus jeune ne termine pas sa phrase. Elle n'arrive pas à se trouver une excuse pertinente pour ne pas avoir dénoncé le petit génie. Il y a peut-être une part d'indulgence dans ses raisons, mais c'est surtout que signaler son crime signifierait attirer l'attention sur ce qu'il a effectivement volé. Et l'inspectrice ne préfère pas s'y risquer tant qu'elle n'a pas encore réussi à invalider l'authenticité du document.
— Hey, c'est toi la seule qui pourrait porter plainte. Je ne suis pas là pour juger, l'assure la brune.
Elle lève les mains pour lui ôter la pression d'avoir à se justifier de ne pas avoir rapporter l'infraction. Si les crimes violents ne dépendent pas de l'opinion de la victime sur les faits, il n'en est pas tout à fait de même pour les délits dits de col blanc. Un conjoint battu ne peut pas s'opposer à l'arrestation de son tortionnaire, mais quelqu'un dont on aurait illégalement consulté les données personnelles peut déclarer n'avoir subi aucun préjudice s'il le souhaite.
— Le truc, c'est que la personne qu'il prétend être mon jumeau, c'est quelqu'un que je poursuis. Ou ai poursuivi, quand j'étais encore Cyber, lui apprend Fred.
Elle est consciente que ce n'est pas le blondinet tatoué qu'elle protège, dans cette histoire. Ce n'est pas à lui qu'elle veut épargner des ennuis, mais bien à elle-même. Si sa carrière et sa réputation ne couraient aucun risque, elle l'aurait déjà dénoncé.
— Jumeau ? Carrément ? relève la psy.
Le mystère s'épaissit aussi vite que dans un feuilleton.
— Ouais. Non pas que ça change quoi que ce soit ! Même si c'est vrai, il reste un criminel, et si je lui mets la main dessus je le foutrai direct au trou, affirme Insley, résolue dans son ton comme dans son expression.
Iz est soudain perdue. Toute l'analyse qu'elle avait construite au fil de cette conversation vient de s'écrouler d'un coup.
— Alors… quel est ton problème ?
La plus jeune lui jette un regard noir en biais. Elle n'a pas plus de mesure dans ses mimiques que dans ses paroles.
— Sérieusement ?
— Oui, sérieusement. Je pensais que tu serais tiraillée parce que justement, qu'il soit ton frère te ferait hésiter dans ton devoir. Mais si ça ne va rien changer pour toi que ce soit vrai ou non, où est le problème ?
Jones ne se démonte pas. Elle a connu bien pire, en termes d'œillades assassines. Non seulement elle sort avec Sam Quanto, expert en matière de communication muette et immobile, mais elle n'est elle-même pas novice en la discipline non plus.
— Non ! Ce dont j'ai peur, c'est qu'on pense que je l'ai pas chopé tout ce temps exprès. Alors que non ! son interlocutrice expose enfin le nœud de ce qui la tracasse.
Il faut quelques secondes à la brunette pour intégrer l'information et adapter ses conseils en conséquence :
— Eh bien… La meilleure façon de prévenir une rumeur pareille, ce serait de l'attraper, elle conclut naïvement, écartant les mains pour souligner l'évidence.
— Plus facile à dire qu'à faire, raille Fred.
Elle a déjà planché plusieurs années sur la question sans aucun succès. Elle n'a même jamais été ne serait-ce que proche du but. Il n'y a jamais eu de ces interventions tendues, urgentes, où on enfonce la porte deux minutes seulement après que les suspects ont déserté les lieux, laissant derrière eux un disque dur et une tasse de café tous les deux fumants. Non, même pas ça. Juste une succession sans fin de fausses pistes, de culs-de-sac, et d'indices déjà obsolètes au moment de leur découverte. Le dossier de Jazz ressemble presque plus au journal intime de son plus grand fan qu'à un compte rendu de sa traque, puisqu'il ne contient rien de plus que l'entière collection de tous ses méfaits, systématiquement observés a posteriori, et pratiquement aucun élément compromettant à son sujet.
— Deux possibilités : soit c'est faux et c'est un piège, soit c'est vrai et il veut entrer en contact avec sa sœur perdue. Dans les deux cas, une opportunité s'offre à toi, Iz continue de raisonner tout haut, avec la perspective d'un regard neuf sur l'affaire.
— Il va jamais accepter de me rencontrer !
Insley devine ce à quoi son interlocutrice veut en venir, mais elle secoue vivement la tête à la négative à la suggestion. Jazz est d'une effronterie flamboyante, mais ça ne l'a jamais rendu stupide.
— Pourquoi pas ? Pourquoi il se serait donné tout ce mal pour semer le doute dans ton esprit, sinon ? analyse Jones.
Elle est bien placée pour savoir qu'aucun criminel n'entre jamais en contact avec ceux qui le pourchassent sans une excellente raison. Parfois ils veulent flatter leur ego en narguant les forces de l'Ordre, parfois ils cherchent de la compagnie, une oreille attentive, et parfois ils cherchent simplement à être arrêtés parce qu'ils sont incapables de le faire par eux-mêmes. Ils restent humains derrière leurs forfaits.
— Il veut juste me torturer. C'est son mode opératoire, la jeune inspectrice continue de protester.
Elle est incapable de renouveler son opinion de sa bête noire. Il est pratiquement le monstre sous son lit ou dans son placard.
— Et tu comptes le laisser gagner ? Prends-le à son propre piège. Si tu lui proposes une entrevue et qu'il te dit non, c'est un peu comme s'il admettait qu'il a tout inventé. Mais vu comme tu en parles, j'ai l'impression que ce n'est pas son genre… Et s'il accepte, que ce soit parce qu'il veut vraiment te voir ou parce qu'il ne veut pas perdre la face, dans tous les cas tu as potentiellement l'occasion de le coincer. De là où je suis, j'ai du mal à voir ce que tu as à perdre à tenter le coup, la psy continue de lui exposer son raisonnement.
Elle apprécie grandement de se rendre utile et d'oublier ses propres inquiétudes, même si seulement l'espace d'un moment.
Fred fronce le nez mais ne répond rien. Elle déteste que la psychologie inversée fonctionne aussi bien sur elle, mais elle doit bien admettre que ce qu'Iz dit n'est pas idiot. C'est même totalement sensé. Mais ça semble également un peu trop facile. Pouvoir coincer Jazz sur un tel coup de poker serait presque décevant, pour elle. Non pas qu'elle glorifie ses exploits et pense qu'il mérite mieux. Ou qu'elle apprécie de lui courir après. Non. Pas du tout. Elle ne rêve même que d'une chose, et c'est de mettre fin à son règne sur la Toile. Il n'y a pas de raison que tous les moyens ne soient pas bons pour y arriver. Et puis, sa chance est condamnée à tourner, non ?
Commentaires
Enregistrer un commentaire
Alors ? Ça vous a plu ?