2x06 - Coup de poing (8/19) - Préparatifs

Si inspecteurs comme ingénieur et étudiant en médecine ont tous été très secoués par l'idée de la réincarnation d'un tueur en série venu d'ailleurs dans une baignoire, et ont en conséquence tous préféré rester à l'écart du sujet à une distance ou une autre, ça n'a pas été le cas des agents d'intervention. À vrai dire, depuis les révélations de Strauss, Jena , Siegfried, et Vladas ont été les moins curieux de tous, et surtout les plus impassibles. Ils acceptent toutes les explications fournies par l'un ou l'autre des Homiens sans sourciller ni même négocier, focalisés sur leur objectif et la façon dont ils vont pouvoir l'atteindre, rien d'autre. Aucune bizarrerie des aliens ne les fait jamais réagir outre mesure, ce qui suscite tantôt scepticisme tantôt amusement de la part des principaux intéressés, et une légère inquiétude de la part des autres Humains autour d'eux. Avec qui ont-ils bien pu être amenés à travailler par le passé pour être aussi tranquilles en les circonstances actuelles ?

À l'instant présent, Vlad est assis sur le dossier d'un des deux fauteuils du salon, près des fenêtres aux rideaux tirés, tandis que son comparse est debout derrière l'autre, à l'opposé de la pièce, en appui sur ses bras tendus. L'un comme l'autre semble décontracté même si concentré. Jena se tient à équidistance de ses deux mentors, devant le plan du bâtiment qu'ils ont l'intention d'infiltrer, affiché sur le mur derrière eux. Ils ont passé la matinée à exposer à Kayle ce qui a été décidé, aussi bien depuis que sa participation à l'opération a été validée qu'avant. Ce dernier est assis seul dans le canapé en face d'eux, sous l'œil vigilant de Chad et Andy, debout respectivement à sa gauche et à sa droite. Ben et Strauss sont également en présence, bien qu'en retrait, écoutant depuis la salle à manger.

— Est-ce qu'on est au point sur le plan ? demande Sieg, maintenant que le passage en revue de chaque étape est terminé.

— Pourquoi est-ce qu'on ne peut pas entrer par le toit, déjà ? s'enquiert le blondinet.

Il a une tête de bon élève qui fait serrer les dents à Jena, bien qu'elle ne soit pas feinte. Ou peut-être justement parce qu'elle est sincère. Il a été très attentif tout le long de leur présentation. Depuis son réveil, il n'a à vrai dire à aucun moment fait mine de songer à se défiler. Même sa provocation à Patrick n'a pas été lancée complètement en l'air. Il coopère pleinement ; il le fait juste avec une certaine ironie pour le moins irritante.

— Parce qu'il est électrifié. Seuls les appareils autorisés, à l'horaire autorisé, peuvent se poser sur l'héliport. Et le contrôle se fait mécaniquement et par l'intérieur, répond Vlad, stoïque en ce qui le concerne.

— Et on ne cause pas de distraction parce que…? continue le serial killer dans ses questions, consciencieux.

— Parce que le moindre faux-pas mettrait l'objectif en danger. Tant que la cible n'est pas sécurisée, on ne peut pas se permettre d'être repérés, même sous couverture, explique Sieg, tout aussi posé que son partenaire.

Comme à chaque fois, il reste très détaché dans sa mention de l'adolescente qu'ils doivent secourir. Il sait que c'est souvent difficile à entendre pour sa famille directe, mais du reste, ça aide tout le monde à rester concentré. C'est justement pour le bien de Mae qu'ils ne peuvent pas se permettre de la considérer en tant qu'individu. C'est une méthode raide, mais efficace.

Ça porte d'ailleurs ces fruits en le cas présent. Il trouve que ce débriefing d'avant mission se passe bien. Il apprécie toujours grandement ces moments ; qu'on lui pose des questions lui permet de s'assurer qu'il a bien pensé à tout, même s'il est rare que quoi que ce soit lui échappe, surtout après autant de jours de préparation. Et en l'occurrence, rien de ce qu'a demandé Kayle n'est idiot. Le Scandinave ne pensait pas que l'ancien assassin serait aussi pertinent, à ce qu'il avait été dit de lui par les diverses personnes à l'avoir déjà rencontré ou étudié son œuvre. Pour lui, c'est donc une bonne surprise, qu'il se montre aussi volontaire. Qu'il le fasse de manière agaçante lui importe peu.

— Et monter trois étages par une cage d'ascenseur ne présente aucun risque de ce côté-là, raille tout de même l'extraterrestre avec une grimace fugace.

Il est satisfait des réponses qui lui sont données mais pas pour autant de ce qu'elles défendent. Clairement, le plan qui vient de lui être exposé a été réfléchi en long en large et en travers. Il ne peut même pas nier qu'ils ont effectivement besoin de lui pour sa dernière étape. Mais il reste loin d'être parfait. Quitte à s'appuyer sur les talents des siens, il trouve dommage de ne pas le faire davantage.

— On ne te demande pas de refaire le plan, juste de le suivre, Chad intervient, pour lui rappeler de se tenir à carreau.

Il n'a pas perdu le regard dur qu'il a pour lui depuis son réveil. Il le surveille comme le lait sur le feu. Il semble satisfait de l'intervention de Chuck, estimer qu'elle a rempli son rôle de faire passer à Kayle toute envie de repartir dans une folie meurtrière. Néanmoins, il n'exclut pas que l'ex-Soigneur puisse créer d'autres problèmes. Selon lui, il était déjà brisé avant, et il ne l'est qu'encore plus maintenant.

— Je m'excuse, mais pour toutes vos indéniables compétences, mon curriculum est un rien plus impressionnant que le vôtre, se permet le tueur en série en toute objectivité.

En l'absence de Chuck, il dispose en effet de plus d'expérience de vie que quiconque dans la pièce. Même que certains combinés, d'ailleurs. Son Protecteur le talonne de peu, mais il reste derrière lui en âge.

— Et si on voulait perpétrer un assassinat politique, on ferait sans doute appel à ton expertise de stratège. Mais la seule et unique raison pour laquelle tu es du voyage ici, c'est parce que tu peux entrer dans cette pièce, lui rétorque Jena.

Pour accompagner ce qu'elle dit, elle vient placer le bout de trois doigts sur le laboratoire principal du bâtiment, où ils savent que Mae est retenue. Là où Sieg avait lancé son couteau le jour où justement ils avaient admis rencontrer une impasse.

— Et vous faire entrer ensuite, Kayle complète ce qu'il a à faire, pour confirmer qu'il a bien saisi ce qu'on attend de lui.

— Oui, valide la brunette, bien que son ton ne perde rien en dureté.

Si elle n'est effectivement pas dérangée le moins du monde qu'il soit un extraterrestre, elle est en revanche beaucoup moins à l'aise que ses collègues avec l'idée qu'il soit un meurtrier de sang-froid. Juste parce qu'elle accepte de travailler avec des gens comme lui ne signifie pas qu'elle doit les apprécier. Elle est tout à fait capable de jouer la comédie, mais elle n'a en l'occurrence aucune raison de s'y contraindre. Chad ne s'est pas déridé une seule fois depuis qu'elle l'a rencontrée, alors si un membre de sa propre espèce ne fait aucun effort vis-à-vis du blondinet, elle ne voit pas du tout pourquoi elle s'embêterait.

Souriant, indifférent à l'hostilité qu'on lui accorde de tous bords, Kayle continue de prouver qu'il a bien suivi toutes les étapes de la présentation :

— Enfin, pas tout le monde…

— Peu importe. Tout ce que tu as à faire, c'est leur faire ouvrir la porte. Un grand méchant loup comme toi, faire appuyer une demi-douzaine de scientifiques sur un bouton ne devrait pas te poser de problème, tranche la jeune femme.

Quelque part, elle se demande encore pourquoi tout lui a été expliqué quand c'est la seule chose qu'il a à savoir, en fin de compte. Il aurait sans doute pu simplement suivre le mouvement comme un gentil toutou jusqu'à ce qu'on lui dise de faire ce qu'il avait à faire. Mais peut-être qu'ainsi mis au courant il ne pourra pas prétendre avoir fait une bêtise par mésinformation. Et il saura repérer si quelque chose ne se passe pas comme prévu. En espérant que, si c'est le cas et qu'ils doivent se reposer sur lui, il ne prenne pas de décision complètement folle.

— Est-ce que quelqu'un les a informés que je suis Soigneur, à la base ? demande alors Kayle à Ben et Strauss.

Il se retourne dans le canapé pour s'adresser à eux. Visiblement, il se sent exagérément lésé dans le traitement qu'il reçoit. Il sait ce qu'il a fait, pourtant. Chuck les a assurés qu'il n'aurait plus l'impulsion de continuer son entreprise meurtrière, mais qu'il n'aurait rien oublié de ses actions passées. Comment est-ce qu'il peut croire que quelques antécédents de guérisseur que ce soit pourraient l'absoudre des atrocités qu'il a commises ? Sam et Patrick n'ont pu que leur esquisser ses méfaits passés, par souci de retenue, et pourtant ils ont tous les deux le cœur et l'estomac bien accrochés.

— Est-ce que tu vas suivre les instructions, oui ou non ? s'interpose Andy, aussi bien de sa personne que de la voix.

Elle est lassée du détachement du revenant. Elle a toujours été mise mal à l'aise par les Homiens naturellement blonds, de toute manière. Lors de sa première arrivée sur Terre et sa découverte de sa forme humaine, il lui avait fallu un certain temps pour s'habituer à chaque jour dissimuler le bleu de ses cheveux par un jaune doré ; en voyant Kayle et parfois Chuck, elle se souvient pourquoi elle ne s'est jamais vraiment habituée à cette teinte. Même si elle ne le doit qu'au fait d'avoir justement dû consacrer toute sa concentration et son énergie à reconstituer une enveloppe corporelle au tueur en série ces derniers jours, elle est contente d'avoir retrouvé sa couleur naturelle, et entend bien la conserver aussi longtemps que possible. La dernière fois qu'elle a seulement eu une mèche sans altération était le soir où Chad leur a amené Maena, après l'avoir trouvée inconsciente sur le trottoir. Et ça lui manque, parfois. Quand elle n'est pas en mission, il lui arrive même d'aller se perdre dans des festivals où la couleur céleste de sa chevelure provoquera plus d'admiration que de questions. L'arrivée de cette modernité a été bienvenue, pour elle.

— Je pourrais prendre ce bâtiment entier à moi tout seul. Même aussi fraîchement incarné. Mais vos désirs sont des ordres, Kayle exprime obséquieusement sa soumission à l'autorité en place.

Si la réponse est satisfaisante dans le fond, la forme laisse une fois de plus à désirer. Son témoignage de sa confiance en lui, qu'il ne leur épargne pas plus que son grand sourire hypocrite, fait une fois de plus lever les yeux au ciel à ses deux geôliers, l'un après l'autre. Andy et Chad mettent la légère euphorie du serial killer sous le compte de son retour à lui. Et ils n'ont sans doute pas complètement tort. Pour Ben, cependant, il y a autre chose de dérangeant dans cette attitude détachée. Il ne reconnaît pas tout à fait celui qu'il a rencontré le jour de son arrestation. Il se dit que ça pourrait être dû à l'altération effectuée par Chuck, mais Strauss, qui n'a jamais été témoin de ce type d'intervention auparavant non plus, ne semble pas particulièrement déstabilisé. Ceci étant dit, il est également possible que le Diplomate de son équipe soit tout simplement plus absorbé par l'idée d'enfin aller secourir Maena que par le comportement atypique de celui qu'ils ont ressuscité pour y parvenir. Peut-être que le mécanicien comprendra plus tard ce qui cloche réellement chez son collègue. Ou en tous cas, cloche plus qu'avant son arrestation.

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