2x06 - Coup de poing (6/19) - Rumeur

Lorsque Gregor revient au chevet de Mae après une brève pause pour répondre à l'appel de la nature, il trouve son agaçante collègue, qui l'a déjà dérangé plusieurs fois depuis son arrivée, dans son alcôve. Elle semble être la seule à ne pas avoir le bon sens de garder ses distances avec lui. Assise sur l'une de ses consoles, chevilles croisées, elle balance ses jambes dans le vide comme une gamine. Tête penchée et bras tendus de chaque côté de sa personne, la jeune femme le dévisage d'une moue espiègle ; elle a clairement attendu son retour avec une certaine impatience. Prenant les devants sur ce qu'il pressent déjà comme une épuisante interaction, il ne lui laisse cependant pas le temps de le provoquer :

— Qu'est-ce que tu veux ?

— T'aurais pas besoin d'un coup de main, par hasard ? elle s'enquiert.

Son ton doucereux lui donne des frissons, et pas du genre agréables.

— Non, il répond simplement.

Il se garde bien d'annoncer tout haut que, même si c'était le cas, ce ne serait pas à elle qu'il s'adresserait. Elle le suit du regard alors qu'il s'avance dans son espace qu'elle envahit actuellement. Il ne fait aucun effort pour dissimuler qu'elle le dérange, et il est pressé de s'assurer qu'elle n'a touché à rien en son absence. En théorie, elle ne devrait pas avoir les droits d'accès, mais on n'est jamais trop prudent.

— Tu es sûr ? elle se permet d'insister.

Tout à ses vérification, Bertram ne daigne même pas ramener ses yeux vers elle. Elle décide alors de bondir de son perchoir pour se rapprocher de lui et plaider sa cause avec un peu plus d'intensité :

— Allez, quoi ! Mon sujet a claqué, hier. Il va encore falloir au moins cinq jours avant qu'on m'en apporte un autre. Aies un peu de compassion.

— La chose compassionnée à faire serait de te donner ta journée pour digérer dans tes quartiers, il marmonne du tac au tac, sans se soucier qu'elle l'entende ou non.

Certes, ce ne serait pas sa propre marche à suivre si c'était lui qui avait perdu son patient. Comme tous ses autres confrères recrutés à l'enfance, il n'a jamais réellement eu ce privilège, et a donc appris à s'en passer. Il a cependant déjà travaillé avec des scientifiques extérieurs au programme qui l'a lui-même formé, et c'est usuellement comme ça qu'ils fonctionnent. Mais sans doute ne devrait-il pas oublier que ses collègues actuels ne sont pas n'importe quels scientifiques extérieurs. Depuis le démantèlement de la partie officielle de DeinoGene, les seules personnes à encore travailler ici de leur plein gré sont sans foi ni loi, particulièrement sans scrupules.

— Tout le monde sait qu'un rapport nécrologique n'est pertinent que s'il est fait dans les 24h. Et qui d'autre pourrait le faire à part moi ? la jeune femme objecte à la suggestion, prétextant la conscience professionnelle.

— Si tu es ici, c'est que tu as fini, non ?

Il lui accorde enfin un regard en biais, mais c'est uniquement pour souligner son allusion peu subtile au fait que son excuse ne tient pas la route. Se croit-elle véritablement subtile ? Ou bien est-ce qu'elle sous-estime à ce point son intelligence ?

— Chacun gère le deuil à sa façon. Peut-être que j'ai besoin d'une distraction.

Elle change de tactique, et fait à nouveau un pas vers lui. Il se tourne pour lui faire face, dérangé par son approche :

— Choisis un bureau. N'importe quel bureau, à cet étage ou un autre. Je suis sûr que ses occupants seraient ravis de t'avoir, il l'enjoint.

— Mais pas TOI.

Trouver l'exception à sa déclaration ne présente pas de grande difficulté. Pour accompagner son propos, elle vient poser son index sur son torse, juste sous son nez à présent.

— Ta perspicacité te perdra, il confirme indirectement, sur un ton sarcastique et avec un sourire forcé.

Il est hélas dans l'impossibilité de reculer car acculé à la paroi de la pièce derrière lui. Il pourrait sans difficulté prendre le dessus sur elle par la force physique, même alors que c'est très loin d'être son forte, mais ce serait malvenu pour de multiples raisons.

— Tu sais ce qu'on dit sur toi ? poursuit sa collègue, baissant d'un ton, comme si elle s'apprêtait à lui faire des confidences.

— Ce n'est pas comme si j'avais cherché à savoir, non, il répond platement.

Si en apparence il reste très froid, dans sa tête il cherche frénétiquement par quelle manœuvre il pourrait se dégager sans causer d'esclandre dans tout le laboratoire.

— Ils disent que tu n'as jamais été avec une fille. Ou un mec, d'ailleurs, elle révèle, un rictus mauvais étirant ses lèvres à cette allusion graveleuse.

— Si je te donne confirmation ou infirmation, tu vas quitter cette pièce ?

Il ne se laisse pas déstabiliser par si peu. Ce n'est pas la première fois qu'il subit ce type d'accusation. Voire de moins infantiles. Mais pour toute sa malveillance, la jeune femme ne pourrait après tout jamais se douter des abus qu'il a déjà endurés. Elle se sent certainement déjà très vicieuse. Il faut dire aussi qu'en dehors d'être un tout petit peu plus jeune que lui, elle n'a pas eu l'avantage de son éducation. Si on peut parler d'un avantage…

— Je vois pas très bien comment tu pourrais prouver que la rumeur se trompe. À moins que…

Elle continue de jouer avec lui, faisant descendre son doigt, toujours sur lui, le long de son sternum, son autre main caressant le revers de sa blouse. Il reste cependant de marbre.

— Comment tu crois que j'ai eu ce projet ? il lui soumet simplement.

Elle interrompt instantanément la descente de son index. Elle sent que la roue vient de tourner en sa défaveur dans cette conversation.

— Quoi ?

— Pour quelle raison est-ce que tu penses que le Docteur Vurt m'a confié ce projet ? il reformule calmement, laissant sa collègue tirer ses propres conclusions.

Elle a peur de comprendre ce qu'il cherche à sous-entendre. Elle ne peut pas y croire. Elle recule, comme s'il venait de lui dire qu'il était atteint d'une maladie contagieuse.

— … Menteur, elle l'accuse.

Pas Vurt. Personne n'oserait. En dehors du fait que pour tout son génie scientifique elle est répugnante en tant que personne, on raconte qu'elle a déjà fait de certains employés des cobayes pour l'avoir seulement regardée de travers. Même si elle avait jeté son dévolu – pour peu qu'elle en ait une seule once en elle – sur l'un de ses scientifiques, elle ne lui aurait jamais laissé l'occasion d'en parler à qui que ce soit. Sauf que voilà, s'il ment, Greg est donc en train de prendre un risque extrême à prétendre une chose pareille. Et il est vrai qu'il a obtenu le projet Regent sans même le demander, alors que, sachant à quel point il compte aux yeux de la grande cheffe, tout le monde le voulait. La théorie jusqu'ici était que, en tant qu'employé originel de DeinoGene, elle lui ferait davantage confiance qu'à ses nouvelles recrues extérieures. Mais si ce n'était pas seulement ça ?

— Tu voulais une distraction, non ? Voilà qui devrait être de quoi t'occuper. Maintenant : va-t'en, Bertram conclut leur entrevue.

Il n'a besoin que d'esquisser un pas vers elle, à peine faire glisser son poids vers l'avant, pour qu'elle parte sans demander son reste, s'enfuyant presque.

Enfin tranquille alors que les portes automatiques coulissent derrière l'intruse, il soupire. Il sait que si un seul mot de tout ça revient aux oreilles du Docteur Vurt, ce sera sans doute lui le prochain sujet de sa collègue désœuvrée. Mais il est à peu près sûr que cette dernière, malgré son goût prononcé pour les bruits de couloir, n'en parlera à personne. Le risque qu'il ait dit vrai est trop élevé. Et si c'était le cas, elle risquerait tout autant que lui de terminer sur une table d'examen, dans un aquarium ou une cage, sort déjà peu désirable même lorsqu'on n'a jamais été du côté de ceux qui poussent les seringues. Il devrait donc s'être acheté un peu de répit par rapport aux irruptions intempestives dans son espace de travail.

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