2x06 - Coup de poing (12/19) - Dernier rempart

Suite à sa session avec le Doc, Setsuko a bien réfléchi. Au moins autant qu'elle avait déjà réfléchi avant d'aller la voir. Et elle a décidé que Kennedy avait non seulement raison, mais qu'elle allait suivre son conseil. Elle ne va pas laisser tomber sa charge même s'il la met mal à l'aise, pour quelque raison que ce soit, et malgré lui. Elle est plus courageuse que ça. En tous cas, elle a envie de l'être. Elle n'a pourtant jamais été quelqu'un qui a spécialement envie de beaucoup de choses. Même avant de faire le grand saut, elle était déjà plutôt partisane de laisser les évènements suivre leur cours, et ça n'avait pas vraiment changé au fil de son rétablissement. Jusqu'à aujourd'hui.

— Qu'est-ce que tu fais ? elle interpelle Caesar.

Debout dans le jardin, près de la mare aux canards, le grand brun tourne la tête au son de sa voix. Il reporte cependant rapidement son attention sur la surface de l'eau et les cailloux qu'il est en train d'y jeter.

— Des ricochets, il répond à la question, sans fioriture, alors que celle qui l'a posée arrive enfin à sa hauteur.

— Je vois ça. Je voulais dire : qu'est-ce que tu fais dehors ? Tu ne vas jamais dehors, l'Asiatique précise son propos.

La présence du garçon seul à l'extérieur est effectivement une première depuis son arrivée à l'Institut. Et il n'a même pas l'excuse de la météo, puisqu'il a plus souvent fait beau que mauvais temps, sur cette période.

— Je voulais épargner ma coupe atroce à tout le monde, il lui propose alors comme explication.

Son expression est imperturbable, et son ton égal. Elle n'arrive pas à savoir s'il plaisante ou bien si elle l'a sincèrement vexé.

— Elle n'est pas atroce… elle s'excuse indirectement.

Elle est embarrassée qu'il ait pu croire que c'est ce qu'elle a pensé en le voyant. Et pourtant, la vérité ne lui paraît pas beaucoup plus flatteuse. On fait difficilement plus cliché que la fille qui commence à en pincer un peu pour un garçon juste parce qu'il s'est coupé les cheveux.

— À ta tête ce matin, on aurait dit, pourtant, il continue, toujours aussi indéchiffrable.

— J'ai juste été surprise de te voir comme ça, c'est tout, elle justifie son comportement, regardant ses baskets noires à lacets roses à ses pieds.

— Dis plutôt horrifiée ! il insiste.

Malgré ses propos, il est toujours aussi impassible, son regard fixé sur le petit étang. C'est bien là sa spécialité : rester de marbre. Elle se demande s'il était déjà comme ça avant, ou si ça s'est développé durant son séjour ici.

— Je suis désolée, elle prononce alors explicitement.

Le sourire qu'il retenait depuis le début de la conversation étire enfin ses lèvres alors qu'il accepte ses excuses :

— C'est pas bien grave.

Il y a un côté particulièrement pénible à savoir qu'on apprécie quelqu'un. Plus pénible que de ne pas s'en être encore rendu compte. Avant, Setsuko était simplement affectée par lui, par moment, sans vraiment comprendre pourquoi. Et maintenant, elle se demande sans cesse si ce geste ou cet autre pourrait être l'une des raisons de son attraction. Elle n'est pas certaine que sa situation se soit réellement améliorée depuis qu'elle s'est avouée ce qui s'est passé, ce matin-même.

— À quoi tu penses ? elle relance la conversation, dans l'espoir de ne pas rester focalisée sur cette ombre de fossette sur la joue de son interlocuteur.

— Je t'ai connue plus subtile, il lui fait remarquer, la toisant du coin de l'œil.

Il est étonné qu'elle tente une approche aussi directe. Qu'elle soit venue le chercher est déjà insolite. Elle a plutôt tendance à tomber sur lui par hasard, au détour d'un couloir. Pour venir le trouver dehors, là où il n'est habituellement pas, elle a forcément dû faire cet effort consciemment.

Elle ne se laisse pas démonter par son commentaire, aussi légitime soit-il :

— Je te retourne le compliment.

Elle a effectivement l'impression d'avoir toujours eu beaucoup plus de mal à se rendre compte de des états d'âmes du grand brun que cet après-midi. Lorsqu'il était silencieux, il était impénétrable. Que son regard soit perdu dans le vide ou bien en train de vous transpercer, on ne pouvait jamais dire ce qu'il était en train de penser. Mais là, à jeter des petites pierres dans l'eau, il est apparent que quelque chose le tracasse, et ce même en dépit de son attitude du reste composée. Ce n'est jamais arrivé auparavant.

— Je sais que je n'ai pas le droit de savoir ce qui se passe à l'extérieur, mais est-ce que tu crois que j'aurais le droit d'écrire un message ? il avoue alors ce qui lui trotte dans la tête.

Malgré leurs échanges toujours un peu piquants, il a tendance à considérer la Japonaise comme son amie. En dehors d'être la seule personne avec qui il interagit ici avec le Docteur Conway, il a confiance en le fait qu'elle essaye d'agir dans son intérêt. Elle a une façon particulière de s'y prendre, parfois, mais ses intentions lui paraissent honorables.

— Ta famille sait comment tu vas. Ils sont briefés, lui répond simplement Setsuko.

Elle est surprise par cette question et n'en comprend pas l'origine. Il est inquiet pour l'extérieur depuis des semaines maintenant. C'est la première fois que ça se manifeste aussi explicitement, cependant.

— Ce n'est pas à ma famille que je veux écrire, il la corrige.

— À qui, alors ?

— Un ami, il précise, sans excès de détails pour autant.

Il lance un nouveau galet dans l'eau, avec un peu plus de force que les précédents, et grimace légèrement lorsque le mouvement de son avant-bras tire sur sa cicatrice. Il fait discrètement jouer les doigts de sa main droite. Le fin liseré de bandage qui dépasse de la manche de son pull, bien ajusté, suit la légère ondulation de ses tendons sous sa peau, à l'intérieur de son poignet. Il faut encore qu'il s'habitue à ce léger inconfort.

— Pourquoi ? Sûrement qu'il est informé de ton état par ta famille.

La Japonaise reste perdue quant à ce qu'il pourrait bien vouloir transmettre à quelqu'un à l'extérieur auquel cette personne n'aurait pas accès d'elle-même. Et de quel ami est-il question ? Elle ne l'a jamais entendu évoquer que sa famille.

— C'est pas ça ! C'est son anniversaire demain. Je viens de m'en rendre compte en regardant l'horloge, grommelle Caesar, entrant enfin dans les spécificités.

Il voit bien qu'elle ne saisit pas son problème, et il ne peut pas lui en vouloir. C'est tellement anodin, dit comme ça. Elle reste d'ailleurs imperméable à ses préoccupations, qu'à son sens il n'a pas lieu d'avoir :

— Je suis sûre qu'il peut comprendre que tu aies autre chose à penser, elle le tempère gentiment.

— Sauf que c'est pas le cas. J'y ai pensé. Tu crois vraiment que le Doc ne va pas me laisser ? il proteste et s'inquiète.

Même pour apparemment si peu, il semble sincèrement dans l'embarras.

— … Honnêtement, j'en sais rien. Je n'ai jamais vu de patient aussi concerné par ses proches pendant son séjour, en fait. Mais après tout, pourquoi pas. Je suppose que ça ne rompt pas les termes de l'isolement, elle lui offre sans certitude, avec autant de positivité qu'elle peut.

Elle ne ment pas : elle n'a réellement jamais connu aucun résident qui pense autant à sa famille ou ses amis. Pas de façon aussi saine, en tous cas. Beaucoup sont en rupture avec leurs proches, d'autres en sont au contraire trop dépendants, mais dans les deux cas, c'est ce qui les a menés à faire ce qui les a ensuite conduits à l'Institut. Quant à ceux qui sont perturbés pour des raisons qui leur sont propres, comme l'hyper intuition d'ailleurs, ils n'ont pas tellement le temps de penser à autre chose que leur problème et leur rétablissement. Pas au point de tenir à absolument envoyer un message d'anniversaire à un camarade le jour venu. C'est même exactement le genre de petites choses qui échappent à tout le monde ici, puisque les jours se suivent et se ressemblent. Caesar Quanto est presque trop altruiste pour être vrai.

Le grand brun ne répond rien, et semble attristé à l'idée qu'on puisse lui refuser sa demande, même si prêt à accepter la décision si elle devait tomber.

— Il doit être plutôt important, ton pote, pour que tu tiennes autant à lui souhaiter son anniv', reprend Setsuko.

— Tu vas me dire que c'est pas ma responsabilité, mais je pense qu'il est tout à fait possible qu'en le lui souhaitant, je sauve le monde, Caesar résume ses raisons avec poésie et concision.

Cette déclaration laisse son interlocutrice plus que perplexe, mais elle ne demande pas de précisions pour autant. Sagement, elle les devine d'une grande complexité. Le faire se lancer là-dedans maintenant l'épuiserait plus qu'il ne l'est déjà. Elle ne réplique donc rien, et se met à fixer la petite mare à son tour, réfléchissant à la façon dont elle pourrait l'aider à soumettre sa demande. Il sourit à moitié à cet assentiment silencieux, puis ramasse un nouveau caillou pour le faire rebondir sur l'eau.

La vérité, c'est que bien qu'il ne l'ait encore jamais passé avec lui, Caesar sait que Jack a désactivé toutes les alertes automatiques possibles liées au jour de sa naissance. Il sait qu'il a même probablement rendu la date confidentielle à un niveau absurde, dans son dossier. Et donc il sait que personne ne va s'en souvenir, ou en tous cas le lui souhaiter même s'ils s'en souviennent. Ses parents ne seront sans doute même pas sur le territoire, et la date n'a pas dû être communiquée à qui que ce soit d'autre. Il se souvient de l'avoir lui-même apprise sur un malentendu, qui avait fort contrarié le principal intéressé d'ailleurs. Alors demain, pour ses 18 ans, Jack sera tout seul. Il ne va certainement pas s'ennuyer, mais il sera seul. Comme pour tous ses anniversaires depuis longtemps. Mais ce n'est pas parce que ça a toujours été comme ça qu'il faut perpétuer la tradition. C'est peut-être présomptueux de sa part, mais Caes est convaincu que cette négligence à l'égard du blondinet ne peut pas être étrangère à ses tendances dangereuses. Et s'il peut endiguer leur accentuation, est-ce qu'il n'a pas tout intérêt à le faire ? Parce que personne ne pourrait nier qu'avec ses capacités, si Jack basculait définitivement du côté obscur de sa personnalité, il pourrait faire de sérieux dégâts. Il ne sait pas s'il fait vraiment une différence, puisque malgré ses protestations qu'il a une bonne influence sur lui – mauvaise de son point de vue – il a toujours connu à son camarade les élans les plus espiègles. Mais ça ne coûte pas grand-chose d'essayer.

Et puis bon, il y a aussi un peu d'égoïsme derrière sa volonté de ne pas l'abandonner à son sort. Se connaissant, il va fatalement se réconcilier avec le jeune surdoué à sa sortie d'ici, et une fois que ce sera fait, il ne lui laissera jamais entendre la fin d'avoir oublié son premier anniversaire après leur rencontre. Pas après qu'il a mis un point d'honneur à lui faire un cadeau aussi bien trouvé pour le sien. Alors autant prendre les devants. Jack n'a pas besoin de munitions pour se monter agaçant.

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