2x06 - Coup de poing (10/19) - Transcendance

Alek est à nouveau dans sa cuisine, affairé à préparer le repas pour tous ses invités. Ou en tous cas tous ceux qui nécessitent sustentation. S'il ne rechigne pas à toute cette animation, qui lui donne du courage, il s'est tout de même plusieurs fois fait la remarque que sa maison était trop petite, depuis l'arrivée de l'équipe de Jena. Il n'aurait jamais cru penser ça, et pourtant il doit bien se rendre à l'évidence, que la taille impressionnante des deux Européens ne rend que plus criante. Il s'en veut d'avoir proposé de les héberger alors qu'ils refusent de meilleures accommodations que des lits de camps dans le salon. Ils ont beau insister que ce sont loin d'être les pires conditions dans lesquelles ils ont jamais dormi, l'ingénieur reste insatisfait de la situation.

Alors qu'Andy, Ben, et Strauss sont restés avec Chad et Kayle pour continuer le passage en revue de chaque menu détail du plan d'action de l'après-midi avec les agents, Chuck est encore à l'écart. Il en a ressenti le besoin assez tôt dans la réunion. Et tout naturellement, son errance discrète à travers la demeure finit par l'amener au père de famille, qu'il peut percevoir beaucoup plus inquiet qu'il ne le laisse paraître. L'anxiété est une émotion si facile à lire. Dans l'espoir de lui changer les idées, il cherche à le complimenter :

— Je dois dire, je suis impressionné par votre technologie de transcendance. Je n'avais pas notion que l'humanité en était arrivée là.

Alek tombe des nues à cette remarque. Il en laisse même échapper le couteau qu'il a entre les mains. Il dévisage le grand blond avec de grands yeux, ayant peur de comprendre où il veut en venir.

— Je vous demande pardon ?

Chuck reste interdit un instant. Il ne s'était visiblement pas attendu à cette réaction effrayée :

— Est-ce que… vous n'êtes pas au courant qu'il y a deux consciences humaines sur votre réseau local ? il interroge un ton plus bas.

Alek ne sort pas tout de suite de sa stupéfaction. Il ne reprend pas encore sa tâche culinaire, trop occupé à chercher quoi répondre.

— … Si. Comment… est-ce que VOUS êtes au courant ?

Il ne voit pas bien l'intérêt de nier ; jusqu'à il y a un instant, Chuck considérait apparemment que l'existence et la situation de Caroline et Robert étaient pour ainsi dire de notoriété publique. Ils n'ont pourtant pas du tout fait mention d'eux aux aliens. Après tout, ceux-ci n'ont pas posé de question sur les raisons initiales de l'enlèvement de Mae. Et il n'y a même pas eu besoin de discussion sur la question, l'accord étant tacite entre Markus, Jena, et Alek. Le raisonnement a été le même que pour laisser Ann présumer que les Homiens ne sont que des renforts pour Sieg et Vlad.

— Disons simplement que mes sens vont bien au-delà des vôtres. Je suis désolé, je ne voulais pas faire intrusion, le Diplomate se confond en excuses.

Il est si rare pour eux de pouvoir laisser libre court à leurs capacités qu'il s'y est un peu trop rapidement habitué, dans cette maison. Il est aussi très agréable d'expliquer ce dont ils sont capables à des Humains. C'est une espèce très curieuse, si comme toutes les autres sur cette planète limitée à un certain éventail de perceptions sensorielles. Échanger librement avec Markus et Alek ces derniers jours a été un véritable plaisir pour l'ancien, qui en a un peu oublié qu'ils ne sont en ce qui les concerne pas encore tout à fait accoutumés à sa nature.

— Ce n'est pas moi qui leur ai fait ça, Aleksander annonce après un moment de silence.

Il juge que c'est l'information la plus importante qu'il ait à partager sur ce sujet, et donc la première qu'il devrait donner.

— Vous voulez dire que ça leur a été infligé contre leur gré ? s'étonne l'alien.

Il n'avait aucun moyen de le deviner, et en est particulièrement choqué. La cruauté humaine ne lui est pas étrangère. Sans s'être rendu sur place, il sait que Maena Quanto est justement en train d'en faire les frais en ce moment-même. Mais ils sont ici en train de monter une équipe pour aller la sortir de là. Il ne s'attendait pas à ce que qui que ce soit sur place soit déjà une victime.

— Par DeinoGene. Indirectement. C'est en fait en voulant les protéger d'eux que je me suis attiré leurs foudres, confirme l'ingénieur, résumant avec une étonnante concision les origines de sa situation actuelle.

Avec un soupir, il récupère enfin une contenance et reprend son ustensile en main afin de terminer ce qu'il avait commencé. Les activités manuelles sont apaisantes. Et elles représentent aussi une excellente distraction.

— Voilà donc la vraie raison pour laquelle vous n'êtes pas allé aux autorités suite à l'enlèvement de Maena, en déduit Chuck.

Malgré lui, il n'a pas manqué d'entendre Randers s'interroger à ce sujet, un peu plus tôt dans la matinée. Il comprend mieux, maintenant, pourquoi l'ingénieur a épargné les détails à l'inspecteur. Savoir le mettrait en effet dans une position délicate.

— Les Lois sur l'expérimentation humaine sont… commence Alek, sans parvenir à trouver un adjectif qui pourrait traduire sa pensée.

— Supposées être dissuasives, termine le Diplomate à sa place, dans un très bel euphémisme.

— Oui. Quelque chose comme ça, valide l'autre en hochant la tête, avant de détourner une fois de plus le regard.

Lorsqu'on en connaît les termes exacts, il semble en effet évident que les textes ont été rédigés dans l'espoir de ne jamais avoir à en mettre en œuvre les édits.

— Je suis désolé que vous vous soyez senti obligé de garder le secret. Vous devez savoir que je n'utilise mon badge que pour préserver les miens ; je n'interviens pas dans les affaires humaines, Chuck tient à assurer son hôte.

Il préférerait ne pas ajouter à son anxiété, autant que faire se peut et malgré les inévitables perturbations que sa présence et celle de ses congénères impliquent déjà. Le tranquilliser était tout de même son intention en entamant cette conversation.

— Pourtant, vous êtes ici, relève l'ingénieur avec l'ombre d'un sourire.

Il est facilement convaincu que les extraterrestres ne représentent en effet pas une menace pour Caroline et Robert. Il a été surpris que le grand blond soit au courant de leur situation, voilà tout. Il se doute bien que, s'il a su dès son arrivée et n'a encore rien fait, il ne fait pas partie des plans de Chuck de se mêler de cette histoire. Non pas que le père de famille soit suffisamment présomptueux pour prétendre comprendre ce qui motive ses invités d'une autre planète.

— Toute personne avertie de notre existence fait partie de nos préoccupations. Votre fille est dans ce cas, justifie calmement le Diplomate.

Déboutonnant sa veste et tirant sur son pantalon, il prend place sur l'un des tabourets de la pièce. Il sait qu'il devra se changer au moment de passer à l'action, mais il préfère retarder l'échéance de son changement de tenue au plus tard possible. Il affectionne sincèrement ses costumes trois pièces.

— Et maintenant tout le monde sous ce toit… Alek murmure, étendant la règle à qui de droit.

— Oui, confirme l'autre doyen en toute simplicité.

Il n'est ni menaçant ni rassurant, simplement factuel. Il ne sait pas ce qu'il aurait fait si Andy l'avait contacté avant que Strauss et Ben ne se dévoilent aux Quanto et compagnie. Puisqu'elle l'a contacté après les faits, il s'en accommode.

— Vous m'excuserez mais… Pourquoi prendre le risque ? J'ai l'impression que votre première priorité est la conservation de votre anonymat, lui fait alors remarquer Aleksander.

Il se garde bien de se prononcer quant à ce dont il les pense capables en matière de couverture de leurs arrières. Il est plus qu'évident, même du peu qu'il sait à propos d'eux, qu'ils ont largement les moyens de faire taire voire disparaître n'importe quel ennemi de leurs intérêts. Si le kidnapping de Mae représente un risque d'exposition pour eux, ils avaient très certainement d'autres alternatives pour éliminer cette menace, y compris sans lui faire de mal, que celle qui implique de se manifester à encore plus de monde. Pourquoi la choisir, alors ?

— C'est un risque calculé. Puisque notre intervention est nécessaire, votre connaissance de notre existence est bien moins dangereuse que votre ignorance ne le serait. Comme beaucoup de choses sur votre Terre, tout est une question de contrôle. Vous avez raison, les risques véritables sont éliminés.

La conclusion de l'explication confirme ce qui n'a pourtant pas été dit, puisque Chuck a aisément pu le deviner à la pointe de peur qu'il a lu dans le regard de son interlocuteur. Le père s'abstient de commenter à quel point cette déclaration est peu rassurante, et s'efforce de se concentrer sur sa préparation de nourriture. Il repense à la conversation qu'il a eue avec Patrick quelques heures plus tôt, et espère juste que les conséquences qu'il va avoir à gérer après avoir récupéré Mae ne seront pas trop pour lui. Il ne peut pas la ramener à la maison seulement pour qu'elle soit encore plus en danger que là d'où ils vont la tirer aujourd'hui.

Le laissant à ses considérations, l'alien tourne la tête vers la fenêtre, perdant son regard presque translucide dans le bleu tout aussi clair du ciel de Mai. La vérité, c'est qu'il n'a rien choisi de ce que lui et ses congénères sont en train de faire. En tous cas, pas initialement. C'est Strauss qui a entamé la démarche, et il s'est contenté de suivre par la suite, pour ses propres raisons. Au plus grand désarroi de Chad, d'ailleurs. Mais comme beaucoup de Protecteurs, l'encapuchonné a toujours été un grand insatisfait.

— Vous avez mentionné la transcendance comme si ça vous était familier, tout à l'heure, reprend Alek après un long moment de silence songeur pour eux deux.

— Parce que c'est le cas. Puisque nous pouvons évoluer sur tous types de matrices, c'est essentiellement notre mode de fonctionnement. Notre traité avec les Terriens nous tient globalement à l'écart de votre monde numérique, ceci dit, l'informe le Diplomate.

Il reporte sur lui un regard tranquille, alors qu'il aborde pourtant des concepts que l'ingénieur oserait à peine évoquer avec les plus éminents de ses confrères, et qu'il est certain de ne pas maîtriser lui-même.

— Est-ce que… vous auriez une idée de comment aider Caroline et Robert ? il interroge timidement.

Il est adossé à l'évier maintenant, et s'essuie les mains sur un torchon après avoir mis son plat au four.

— Les aider ?

L'extraterrestre ne le suit pas. Il penche la tête sur le côté, échouant à voir le problème.

— Les ramener à leur corps d'origine, reformule le scientifique.

Depuis qu'il y travaille, il n'a pas eu l'occasion de discuter du cas des deux jeunes gens avec qui que ce soit. Et pas seulement parce que ça aurait été dangereux, mais aussi et surtout parce que personne dans son entourage ne possède un niveau de connaissances suffisant. Même Ann, pour toutes ses facilités avec le numérique, est totalement perdue dès qu'il est question de transcendance. L'interlocuteur idéal serait un neuroscientifique, mais il a peut-être trouvé la meilleure alternative qu'il pouvait espérer.

— Je suis… navré de devoir vous dire que ce n'est pas possible. Aucun cerveau humain ne pourrait nativement contenir un esprit qui a atteint un tel état d'expansion, est hélas la seule réponse que peut lui offrir Chuck.

Un air désolé se dessine sur son visage pâle. Le mimétisme des expressions humaines n'est en réalité pas le plus difficile pour un Homien, en arrivant sur Terre et adoptant leur forme. C'est savoir laquelle afficher en toutes circonstances, qui est toujours un défi pour eux. S'il est international, le sourire n'est malheureusement pas universel.

— C'était ma conclusion également, commente Alek en hochant la tête.

Il n'a pas de raison de laisser son interlocuteur croire qu'il est le premier à lui annoncer la nouvelle. S'il aurait été enchanté d'une réponse différente, qu'il lui confirme son analyse est tout de même utile. Il ne voudrait pas qu'il se sente coupable. Les seuls coupables, dans cette histoire, c'est DeinoGene.

— Il existe des alternatives, cependant, en matière d'incarnations, poursuit alors le grand blond.

Il ne revient pas sur sa première réponse, mais il est plein de ressources tout de même. Malheureusement, l'ingénieur reste sur sa tristesse de ne rien pouvoir faire pour l'adolescente et l'étudiant, en dépit de l'étendue de ses compétences :

— J'y ai pensé, bien sûr. Mais androïdes comme cyborgs sont tout aussi illégaux que les intelligences artificielles supérieures. Seulement encore plus difficiles à dissimuler.

— Il y a toujours la voie biologique, Chuck ajoute à la liste des possibilités d'action.

Il le voit focalisé sur son propre domaine d'expertise, ce qui est bien normal, mais aussi un peu réducteur.

— C'est-à-dire ? De la chirurgie… d'extension cérébrale ?

Alek illustre sa confusion avec une maladresse volontaire. Si la médecine avait ne serait-ce qu'un semblant de solution, il se dit qu'il en aurait trouvé une indication lors de ses recherches sur le sujet. Ou même Markus, qu'il soupçonne fortement d'étudier la question en plus de ses révisions véritables. Certes, l'éventuelle méthode qu'ils auraient pu dénicher aurait été tout aussi complexe à mettre en œuvre que l'assemblage de robots humanoïdes, de toute manière, mais ça aurait été une alternative tout de même. S'ils peuvent déplacer des montagnes pour sauver Mae, ils peuvent bien en faire autant pour Caroline et Robert.

— Vous savez que nous venons de reconstituer l'équivalent d'un corps entier d'homme adulte dans une baignoire dans votre cave, n'est-ce pas ? lui soumet alors Chuck.

Il écarte les mains comme pour souligner une évidence, mais celle-ci échappe hélas encore au père de famille.

— Oui, mais… Kayle est Homien. Comme vous l'avez dit, changer de support est votre mode de fonctionnement, il objecte.

Il perçoit un début de parallèle, mais pas où il mène. Est-ce que le grand blond est en train de suggérer d'altérer la physiologie de ses deux protégés pour leur permettre un retour à leur enveloppe originelle ? Et si oui, de quelle façon ? Et quand bien même ils seraient en mesure de donner à leurs cerveaux les moyens techniques d'accueillir leur conscience à nouveau, la question du transfert en lui-même persisterait. L'ingénieur n'est toujours pas certain de la façon dont il s'est opéré les deux fois précédentes, il ne pense pas pouvoir reproduire le phénomène. Et encore moins en sens inverse, vers un support qu'il connaît moins.

— La différence principale, pour ne pas dire la seule, entre un esprit humain et un esprit homien est son origine. Vous êtes générés par une machine biologique qui dépérit malheureusement avant que vous n'ayez le temps de découvrir et d'apprendre comment la dépasser sans risque. Au contraire, nous nous individualisons d'un esprit de ruche, si on peut dire, seulement lorsque nous avons intégré cette capacité à l'indépendance. En termes d'expansion, cependant, vous n'êtes en théorie pas plus limités que nous. Sous la bonne tutelle, vos… amis pourraient tout à fait apprendre à changer de matrice à volonté. Ils l'ont fait une fois, certes avec de l'aide, mais il n'y a aucune raison qu'ils ne soient pas en mesure de réitérer l'expérience par eux-mêmes, expose Chuck posément.

Il est pour sa part confiant. Il ne semble même pas avoir besoin de réfléchir, comme si c'était l'énoncé le plus naturel qui soit.

— Vous voulez leur apprendre à être Homiens ? paraphrase Alek après une pause, alors que la compréhension de l'offre le percute de plein fouet.

— Il faut venir d'Home, pour être Homien. Je propose plutôt de… leur apprendre à nager, si vous voulez, le corrige le Diplomate en souriant, lui offrant une analogie afin de faciliter son assimilation.

Bien qu'ils soient les seuls sur Terre à le pratiquer, ce n'est pas leur mode de vie qui fait d'eux un peuple. Leur unité vient de leur planète, le berceau presque littéral de leur civilisation. Enseigner leur fonctionnement à un Terrien reviendrait à ce qu'un Terrien leur apprenne sa langue. À ceci près que c'est évidemment d'une difficulté extrêmement plus élevée. Les obstacles principaux à cette passation de connaissance sont notamment les limitations physiques et la longévité réduite des élèves. Mais ce ne sont potentiellement plus des problèmes pour les deux individus dont il est question ici, puisqu'ils ont déjà dépassé ces limites.

— Mais… Pourquoi est-ce que vous feriez ça ? Vous risqueriez l'exposition à une échelle… probablement sans précédent, raisonne immédiatement l'ingénieur.

Il n'est pas exactement méfiant mais reste pragmatique tout de même.

Chuck soupire doucement à cette question. Pourquoi est-ce que tout le monde semble si résolu à questionner ses motivations, ces derniers temps ? Un vieil alien n'a-t-il pas le droit d'avoir ses raisons sans avoir besoin de s'expliquer à qui que ce soit ? Il sourit malgré tout, amusé comme souvent par l'entrain, la curiosité, et l'incertitude de la jeunesse. Et dire qu'à son échelle, Alek a déjà atteint les deux tiers de sa vie, à en croire les statistiques de longévité en vigueur.

— Parce que Kayle a été le meilleur Soigneur que j'ai jamais vu, autrefois. Et de mon fait, il ne le sera peut-être plus jamais, se contente de répondre le grand blond à l'interrogation.

Après avoir dit ça, il se lève et quitte la pièce, à la fois pour clore la conversation mais aussi parce qu'il entend que la réunion touche à sa fin, de l'autre côté du couloir. Il aimerait s'interposer avant que Chad ou Andy ne s'en prennent à Kayle, qui leur tape sur le système. Ben saurait peut-être intervenir, mais à quel prix ?

Bien entendu, Aleksander reste interdit à cette réponse et le laisse partir. En l'état de ses connaissances de la relation qui unit les deux blonds pâles, il a bien conscience de ne pas pouvoir en esquisser la profondeur. Il sait qu'ils formaient une équipe, avec Chad, avant la rébellion du plus jeune qui l'a mené à être traqué par celle d'Andy, Ben, et Strauss – et plus tard Sam et Patrick. Il a compris que Kayle avait en effet le rôle d'infirmier, en complément de celui de protecteur occupé par l'encapuchonné, et celui d'ambassadeur tenu par l'aîné du trio. Mais au-delà de ça, il n'a aucune idée de ce qu'ils ont pu traverser ensemble. Est-ce que Patrick aurait vu juste, en insistant qu'ils sont frères, bien que les extraterrestres leur aient soutenu à plusieurs reprises que les liens de parentés n'existent pas d'où ils viennent ? La ressemblance a beau être frappante, elle paraît en effet être un critère de connexion bien trivial pour des êtres comme ceux-ci.

La vérité est à la fois plus simple et plus complexe. La ressemblance entre Chuck et Kayle n'est en effet que pure coïncidence, de la même manière que deux inconnus dans la rue peuvent parfois se ressembler. Non, ils ne sont que des collègues, mais des collègues qui ont travaillé ensemble pendant fort longtemps. Ils se connaissent donc bien. Extrêmement bien. Suffisamment bien pour que le plus âgé ait été en mesure de faire ce qu'il a fait au plus jeune ce matin, à son réveil. Si Chad avait un bon souvenir de ses habitudes physiques, qui lui a permis de guider ses congénères dans la reconstitution d'une enveloppe adéquate, Chuck était plus familier de la personnalité de Kayle. Ce n'est pas simplement son ancienneté qui lui a permis de pouvoir faire ce qu'il a fait, mais cette intimité avec les cheminements mentaux de son acolyte. Et c'est aussi ce qui lui a rendu la manœuvre si douloureuse, et pourquoi il n'a pas voulu assister au briefing de l'équipe ensuite. Il lui est trop difficile de regarder les conséquences de son action. C'est subtil, et pourtant si terrible. Ben soupçonne quelque chose, mais il n'en saisit pas encore l'ampleur exacte. Chuck a ramené Kayle sans vraiment le ramener. Il lui a pris une partie de lui, qui ne lui manque pas, et pourtant sans laquelle il semble incomplet, aux yeux de ses proches.

À son arrivée sur Terre, Chuck s'était extasié des prodiges de Kayle. Il n'y avait rien qu'il ne pouvait pas réparer, aucune blessure, aucune maladie, aucun handicap. Il faisait des miracles, tout simplement. Bien que le soin n'était pas sa vocation, le Diplomate admirait tout de même les prouesses de son associé. Puis, il était là, lorsque sa volonté d'aider avait mal tourné. Il sait et comprend mieux que quiconque ce qu'il a cherché à faire en commettant tous ses crimes affreux, il connaît aussi bien la cause que le but de ses actes. C'est pourquoi, bien qu'il aurait été impensable de le réveiller avec ses tendances précédentes, elles lui paraissent pourtant cruellement manquantes, aujourd'hui. C'est pourquoi, au moment de son exécution, ses derniers mots à son intention ont été des excuses. Et c'est pourquoi, s'il en a l'occasion, il aimerait émuler ce que son cadet ne fera sans doute plus jamais, et sauver des vies humaines qui ne pourraient pas l'être sans une intervention extraterrestre sans doute un peu plus poussée que de rigueur.

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