2x06 - Coup de poing (3/19) - Cessez-le-feu

C'est aujourd'hui. À l'heure qu'il est, l'assassin le plus tordu qu'il a jamais pourchassé de toute sa carrière est de retour parmi les vivants. Dans la maison de son frère, qui plus est. Et si tout s'est déroulé comme prévu, il est en train de se préparer à entrer par effraction dans un laboratoire clandestin pour aller secourir sa nièce. Effraction à laquelle Sam va également participer. Aujourd'hui.

À l'instar de son aîné, et contrairement à son coéquipier, le maître-chien n'a pas voulu être dans les parages lors du réveil de Kayle. Il a d'ailleurs tenté de convaincre Randers de lui aussi garder ses distances, sans succès malheureusement. Il n'a lui-même jamais été confronté qu'indirectement au tueur en série, à travers ses crimes, mais il n'est pourtant pas pressé de faire sa rencontre, alors il n'arrive pas à imaginer ce que ça doit être pour son meilleur ami, que le cinglé a envoyé à l'hôpital. Mais c'est sans doute justement pour cette raison que Randers a voulu rester sur place.

Rien que d'y penser, Sam a presque la nausée. C'était une chose de croire que le psychopathe était toujours en liberté parce qu'ils n'avaient pas réussi à l'intercepter, mais c'en est une toute autre de considérer qu'ils viennent de participer à le remettre en circulation. Qu'est-ce qu'ils ont fait ?

Malgré les assurances de Denton, l'inspecteur n'arrive pas à se défaire du mauvais pressentiment que tout va déraper. Il n'a pourtant pas perdu confiance en l'agent de la Sécurité Intérieure en apprenant ses origines véritables. À vrai dire, la révélation ne lui a pas fait tant d'effet que ça. Il le trouvait déjà trop propre sur lui pour être vrai avant de disposer de cette information à son sujet. Quel genre de personne admettrait que les chiens ne l'aiment pas, vraiment ? Et curieusement, Sam n'a pas non plus tant de mal que ça à croire que le grand blond est encore plus motivé que lui d'empêcher toute transgression de la part de son congénère. Mais pourtant, son anxiété persiste.

Pour tromper son inquiétude, aujourd'hui comme les autres jours depuis qu'ils ont passé leur accord avec les Homiens, le maître-chien se plonge dans la paperasse. Il a rempli hier un formulaire qu'il pense ne jamais avoir rempli de toute sa carrière. Il n'est pas certain qu'il serve à grand-chose, mais en tous cas ça l'a aidé à faire passer une bonne heure, donc c'est toujours ça de pris. Pour le reste, il a surtout mis ses affaires en ordre, au cas où effectivement, quelque chose partirait de travers cet après-midi. Rien de bien réjouissant, mais ce n'est pas la première fois qu'il le fait, ayant déjà participé à d'autres interventions de ce type, quoique bien plus officielles.

— Insley, il interpelle doucement sa collègue en face de lui.

Comme souvent, cette dernière est absorbée par son écran. Dans une société comme la leur, tout le monde est relativement à l'aise avec la technologie, mais elle lui fait sans cesse ressentir à quel point il est possible de pousser cette compétence. Alek a une approche un peu différente du sujet, quasi lunaire, donc ça ne l'a jamais choqué de le voir travailler. Fred, elle, semble se reposer sur les moyens du bord, pas des interfaces particulières, pour faire ce qu'elle fait, ce qui est beaucoup plus déroutant.

— Quoi ? elle aboie, peu amène, sans même relever les yeux vers lui.

— Je serai pas là, cet après-midi, il lui annonce.

Son ton est probablement le plus de calme qu'il ait jamais utilisé à son égard. Elle ne remarque cependant pas l'anomalie dans son comportement.

— Ce sera pas la première fois, elle raille.

— Sur quoi tu bosses, de toute façon ? il s'enquiert.

Il cherche à la fois à se distraire de son appréhension et quelque part aussi à faire un effort vis-à-vis de la jeune femme. Il ne tendrait certainement pas cette branche d'olivier s'il ne s'apprêtait pas à faire ce qu'il va faire. Mais à circonstances exceptionnelles, attitudes particulières. Si c'est la dernière impression qu'il doit lui laisser, autant essayer de faire en sorte qu'elle ne soit pas aussi désastreuse que toutes les autres. Elle serait bien capable de se réjouir de sa disparition prématurée, mais il préférerait que la faute ne soit pas équitablement partagée entre eux si ça devait être le cas.

— Mon propre truc. C'est pas comme ça qu'on fonctionne, dans ce duo ?

Agacée, Fred amène enfin ses yeux à lui. Elle n'est pas contente, et il ne lui en veut pas pour ça. Il a un peu profité de son expertise sans vraiment lui donner d'info ni sur les tenants ni sur les aboutissants. Il a déjà de la chance qu'elle semble miraculeusement lui accorder le bénéfice du doute dans ses décisions, il ne peut pas en plus s'attendre à ce qu'elle le fasse avec le sourire.

— Tu connais peut-être pas les détails, mais tu sais sur quoi je planche, il se défend, bien que sans pouvoir décemment nier l'accusation en bloc.

Il a fait de son mieux pour garder la bleue à l'écart de l'enquête, mais puisqu'elle est loin d'être bête, elle s'est bien rendue compte de son manège. Et pour ne rien gâcher, en tant qu'ancienne Cyber, elle a été vexée de ses insinuations à propos de la sécurité des serveurs de Police. Mais qu'importe comment elle le prend, du moment qu'elle n'insiste pas et ne met pas l'opération en péril. Et aussi bien tous les partis concernés qu'elle-même, par la même occasion. Tout ceci étant dit, elle sait au moins que ça concerne l'enlèvement de Mae. Ce qui est peut-être la seule et unique raison pour laquelle elle tient à peu près sa langue, d'ailleurs.

— Jazz. Et Anubis. Ils sont de retour, elle déclare soudain.

En fin de compte, elle n'est pas mécontente de discuter de ce qui la tracasse avec quelqu'un. Même si ce quelqu'un est Sam. Dans sa précédente brigade, ils ne travaillaient pas en duos, et même si le sien n'est pas le meilleur, elle doit bien reconnaître que ce fonctionnement a ses avantages. S'il y a bien une chose sur laquelle elle peut compter venant de Quanto, c'est qu'il lui donne son avis sincère. Et il ne s'attend pas à ce qu'elle mâche ses mots non plus. En conséquence, leurs échanges sont brutaux mais sains.

— Ils avaient pris des vacances ? s'étonne le maître-chien.

Il avait compris que les deux pirates n'avaient jamais cessé leurs activités, puisqu'elle n'avait jamais réussi à les arrêter.

— De me tourmenter, oui. Ça faisait un bail qu'ils ne s'en étaient pas pris spécifiquement à moi, Fred l'informe platement.

Elle n'a pas demandé son transfert aux Homicides par dépit. Elle n'a pas fui le conflit. Il s'est simplement essoufflé, et elle a profité de l'accalmie pour sauter le pas et essayer de changer d'air. Si Jazz était effectivement lassé d'elle, elle n'avait plus vraiment d'avantage dans sa traque par rapport à ses collègues, et n'avait donc plus de raison particulière de rester pour les épauler. Bon, apparemment, l'ennui n'était pas la réelle raison de la trêve inexpliquée dans leur petite guéguerre. Elle ne saura peut-être jamais quelle mouche a piqué le déglingué du clavier pour la laisser en paix aussi longtemps. Mais en attendant, elle a saisi sa chance et a pu changer de décor.

— Qu'est-ce qu'ils t'ont fait, cette fois ? s'enquiert Sam.

Bien entendu, son ignorance est partiellement feinte. En réalité, il connaît un bout du problème. Si Anubis est soudain dans les pattes d'Insley, même s'il ne sait pas de quelle manière exactement, c'est pour l'empêcher de fouiner du côté de DG. Il ne sait pas trop par quelle curieuse coïncidence il s'est retrouvé apparié avec l'enquêteuse qui traque la nouvelle collaboratrice de son frère depuis sa sortie de l'Académie, mais il a préféré ne pas poser la question à la pirate. Il y a déjà bien assez de complications dans cette affaire à son goût. Par son dossier, il sait qu'Ann "Anubis" Kampbell n'est pas du côté de DG, et en ces circonstances compliquées, ça lui suffit.

— Et c'est LÀ que s'arrête notre petite séance de rapprochement, conclut Fred brutalement au lieu de répondre.

Elle refuse de lui divulguer plus d'informations sur son investigation parallèle. En dehors du fait qu'elle ne pense pas qu'il comprendrait si elle lui expliquait ce qu'elle constate, elle se dit que même pour quelqu'un du milieu, les indices sont subtils. C'est comme un voile invisible sur ses résultats de recherches, une toile d'araignée discrètement tissée autour d'elle et ses points d'incursion sur le Réseau. Elle sent plus qu'elle ne peut prouver la présence de Jazz par-dessus son épaule. Mais si elle raconte ça, ça va juste rend son équipier encore plus moqueur qui ne sait déjà l'être, et elle préfère s'en passer. Et s'il peut garder des trucs pour lui, elle aussi, non ?

Une autre raison pour laquelle elle coupe le débat, c'est aussi surtout qu'elle pense avoir un peu tenté le diable, et elle n'a pas envie de le lui avouer non plus. Suite aux proclamations de Jack à propos de son arbre généalogique, elle a un peu creusé, évidemment. Jusqu'ici, aucune des corroborations qu'elle a trouvées n'a cependant su la satisfaire ; elle reste convaincue que tout a été falsifié par son Némésis. Elle s'est demandée pourquoi il aurait mis ça en place maintenant, mais peut-être qu'il a préparé ce coup depuis longtemps, et Jack a simplement mis les pieds dans le plat. Ou alors c'est effectivement récent, et le hacker prépare quelque chose de gros. Dans tous les cas, elle préfère se méfier et essayer de prendre les devants, mais forcément, maintenant qu'elle est sur le sujet, il se réveille ! Comme elle ne compte pas accepter que son intégrité puisse être compromise par ce vaurien, elle tire parti d'être en quelque sorte mise à l'écart de son affaire véritable pour tirer tout ça au clair, mais ça non plus, elle ne peut pas en faire l'aveu à son équipier. Elle s'en voudrait vraiment de soulager la culpabilité qu'elle essaye de lui faire ressentir par rapport à la façon dont il la traite.

Devant un blocage aussi péremptoire, Sam n'insiste pas. Il est légitime de la part de Fred de le tenir à distance. Elle ne fait que lui rendre la pareille de sa propre attitude. Il doute qu'ils soient jamais sincèrement cordiaux l'un envers l'autre, en dépit du fait qu'ils arrivent malgré leurs frictions à travailler ensemble, mais il se demande tout de même si un jour il aura l'occasion de lui expliquer ce qu'il lui a caché et pourquoi. Probablement que non. Rien que faire mention à qui que ce soit du dernier développement n'est pas de son ressort. Et la vérité sur Mae… Paradoxalement, il pense Insley trop bonne flic pour pouvoir lui faire part de ce secret-là également. Mais peut-être qu'il lui rend service, après tout. Est-ce que Patrick se porte réellement mieux d'être impliqué ?

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