2x06 - Coup de poing (2/19) - Rafraîchissement

Sa trousse de toilette sous le bras et son baladeur sur les oreilles, Setsuko quitte l'une des salles de bain de l'institut à l'un de ses horaires habituels. Bien qu'elle prenne sa douche le soir avant d'aller se coucher, elle apporte une importance particulière à son hygiène dentaire, et a donc tout de même besoin de visiter la salle d'eau dans la matinée, après le petit-déjeuner. Afin d'être tranquille, elle a volontairement décalé sa routine par rapport à celles des autres résidents, et il n'y a donc usuellement personne avec elle dans le petit couloir. C'est pourquoi, distraite par sa musique, elle manque d'entrer en collision avec Caesar, qui sort justement de la pièce d'en face.

Les deux freinent brusquement afin d'éviter l'impact, ouvrant chacun de grands yeux surpris. S'il se reprend rapidement et s'excuse d'un vague sourire, sachant qu'elle ne pourrait pas l'entendre de toute façon s'il disait quoi que ce soit, son expression interloquée à elle va en revanche en s'accentuant. Elle fait lentement glisser son casque jusqu'à sa nuque tout en dévisageant l'adolescent :

— Mais… qu'est-ce que tu as fait ? elle l'interroge, l'air choqué.

— Er… Je me suis coupé les cheveux, il répond.

À la direction de son regard, il n'est pas très difficile pour lui de comprendre ce qui la met dans un tel état. Sa chevelure brune encore légèrement humide, qui tombait auparavant sur son front, fait en effet désormais à peine plus d'un centimètre. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il a mis plus de temps à se préparer ce matin, ne s'étant jamais coupé les cheveux lui-même auparavant. Et très honnêtement, il ne saurait pas dire si c'était plus facile ou plus difficile qu'il ne s'y était attendu. Dans tous les cas, sans avoir jamais méprisé leurs talents, il a un nouveau respect pour les coiffeurs.

— Pourquoi ?!

Setsuko reste déconcertée. Sans doute plus qu'elle ne devrait l'être par un changement aussi anodin. Il plisse les yeux à cette étrange et surtout disproportionnée réaction.

— Parce qu'ils commençaient à être trop longs, il souligne doucement l'évidence.

Il doit admettre qu'il va sans doute lui falloir quelques jours pour perdre l'habitude de donner des petits coups de tête sur le côté de temps en temps, et surtout prendre celle de ne plus trouver la même longueur en passant sa main sur sa tête, donc il peut comprendre à quel point la différence est frappante. Mais c'est surtout lui que ça concerne, pas les autres.

— Mais pourquoi tu les as coupés si courts ? Setsuko réitère sa question, insatisfaite par cette réponse.

— Je suis pas coiffeur ; j'ai fait de mon mieux, et surtout au plus simple. Est-ce que ça va ? il explique puis s'enquiert, tout à coup inquiet pour la Japonaise.

Il sait bien qu'elle n'est plus une patiente à proprement parler depuis fort longtemps, mais il s'en voudrait tout de même de lui causer quelque détresse émotionnelle que ce soit. Et il ne l'a peut-être pas connue si longtemps que ça, mais elle paraît en l'occurrence plus bouleversée qu'il ne l'a jamais vue. Elle n'avait même pas l'air si ahurie lorsqu'il lui a parlé pour la première fois.

— Tu sais que tu peux demander de l'aide, pour des trucs comme ça, non ? elle lui soumet alors, sans arriver à arracher ses yeux de sa nouvelle coupe.

L'insistance avec laquelle elle le dévisage le met soudain mal à l'aise. Et c'est d'autant plus troublant qu'il n'a jamais eu de mal à soutenir son regard avant aujourd'hui. Qu'est-ce qui est différent dans la façon qu'elle a de le détailler ce matin ?

— J'ai pensé que c'était pas la peine de déranger quelqu'un pour si peu, mais vu ta tête, je suppose que j'aurais dû, il grommelle, passant une main derrière sa nuque et baissant les yeux, gêné à présent.

Il a fait de son mieux. Il n'aurait pas pensé que le résultat impacterait qui que ce soit.

— Attends… Tu te rends compte que tu n'as jamais coupé tes cheveux aussi courts ? elle lui fait soudain remarquer, croisant les bras.

— Qu'est-ce que tu en sais ? il lui renvoie, agacé de ne pas comprendre où elle veut en venir.

— J'ai vu toute ta vie en photo, tu te souviens ? elle lui rappelle.

La fois où elle a trouvé son SD, qu'il avait justement laissée traîner dans l'une des salles de bains autour d'eux, a de quoi être un souvenir mémorable pour lui comme pour elle. C'est ce qui s'est passé juste avant qu'il se remette à parler, après tout. La jeune femme n'irait pas jusqu'à dire que c'est ce qui a déclenché l'événement, mais il l'a certainement précédé de peu.

— Ah oui, c'est vrai. Bah… Peut-être que j'ai envie de changement. Ça arrive, il défend sa décision.

Il ne l'avait pourtant pas anticipée si radicale, au moment de la prendre. La véritable impulsion première de son geste est réellement venue du fait qu'il avait les cheveux dans les yeux. Sa motivation initiale était purement pratique. Et comme il se savait ne pas avoir la compétence pour couper de manière égale à sa longueur habituelle, il a pris une tondeuse et un sabot, tout simplement. Il se voyait mal demander des ciseaux, de toute manière, étant donné là où il se trouve et comment il y est arrivé. C'est déjà bien qu'on lui laisse avoir un couteau lors des repas. Même si le Docteur Conway sait qu'il n'a jamais réellement été suicidaire, il la comprend de ne pas vouloir prendre de risque.

— Clairement ! confirme Setsuko.

Elle ne se remet décidément pas de cette transformation, et continue à scruter le visage du grand brun comme si elle ne l'avait pas vu depuis des années. Il a pratiquement l'air d'une différente personne. Elle pensait qu'il n'y avait que la barbe pour vieillir un garçon, mais il faut croire qu'elle s'était trompée. Elle a l'impression qu'il a gagné 3 ans depuis la dernière fois qu'elle a vu, alors que c'était la veille. Mais il a peut-être aussi un peu du fait qu'ils ne se tiennent usuellement pas debout l'un en face de l'autre, et encore moins à une si faible distance. Ils ont pratiquement 30 centimètres d'écart, et elle ne les avait encore jamais aussi cruellement ressentis. Se sentant tout à coup presque oppressée, elle fait discrètement un pas en arrière et réarrange futilement sa frange de jais sur son front pour cacher son trouble.

— T'inquiète. Toi, ta coupe est parfaite, lui lance alors Caesar, avant de juger qu'ils se sont tenus suffisamment longtemps dans le couloir et de poursuivre son chemin vers sa chambre.

Laissée plantée là, Setsuko ne lui emboîte pas tout de suite le pas. Ce qu'il ignore, c'est qu'alors qu'elle était encore patiente, elle a fait à peu près la même chose que lui. Et le résultat en avait été bien plus désastreux. Elle a passé presque deux ans avec une coupe plus qu'approximative, quelque part entre garçonne et au carré, avant de non seulement recommencer à se soucier de son apparence – même si un peu différemment qu'avant son grand saut – mais aussi et surtout avant de prendre le coup de main qu'elle a aujourd'hui. Plus ça va, plus elle se note des comportements passés similaires à ceux du grand brun actuellement, même si à chaque fois pour des raisons très différentes. D'abord le silence, puis le besoin de s'occuper l'esprit, et maintenant l'envie de changement. Elle ne pensait pas se retrouver autant en lui lors de son admission. Et elle n'arrive pas à se souvenir si elle s'est déjà autant reconnue dans un patient, d'ailleurs.

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