2x05 - Atterrissage d'urgence (20/20) - Duvet

Sam rentre chez lui bien après le coucher du soleil, éreinté, après plusieurs heures de débat avec son frère et son neveu. Évidemment, puisque les révélations qu'ils ont cherché à démêler sont encore toutes fraîches, rien n'est vraiment ressorti de la discussion, mais elle n'en était pas moins nécessaire pour autant. Ils avaient tous les trois besoin d'intégrer toutes ces nouvelles informations, et la thérapie par la parole a semblé être un bon début. L'inspecteur aurait juste aimé qu'ils ne lui fassent pas leur raconter la nature des crimes commis par Kayle. D'autant que ça n'a pas apporté grand-chose, puisque d'une part ses méfaits n'inspirent pas confiance en l'individu, mais d'autre part ils attestent hélas indéniablement de ses compétences.

Jena, Vlad, et Siegfried, ayant déjà donné leur avis, ont quitté le salon peu après le départ des Homiens, sans rien ajouter de plus, laissant le reste des occupants de la pièce converser en paix. Patrick, en revanche, a été un peu plus bavard. Il n'est pas resté longtemps, mais juste assez pour enfin déclarer son opinion, après avoir eu tant de mal à trouver les mots pour le faire. Puisqu'il ne pouvait pas décemment poser un refus catégorique sur la proposition, pas devant Alek, il s'est finalement contenté de remettre son vote à son coéquipier ; c'est la seule personne à savoir ce qu'il y a en jeu des deux côtés, et à connaître sa position, et qui par conséquent pourrait possiblement trouver un arrangement qui satisfasse tout le monde dans cette histoire.

Refermant doucement la porte de son appartement derrière lui et son chien, qui file vers son coussin sans même réclamer son dîner, Sam retire lentement sa veste, son holster, puis ses chaussures, avant de s'avancer dans son appartement. Il rejoint le canapé de son salon, où il trouve Iz endormie, pieds nus mais pour le reste encore toute habillée. Ils ont chacun accès à l'appartement de l'autre. Et parfois, ils prévoient de passer la nuit ensemble. Comme ce soir. Se penchant par-dessus le dossier du sofa, Sam vient écarter une mèche brune du visage de sa compagne, la réveillant en douceur :

— Hey, il murmure, lui souriant alors qu'elle s'étire en papillonnant des yeux.

— Hey. Je commençais à m'inquiéter. Comment va ton frère ? elle répond.

Tout en lui renvoyant son expression, elle attrape sa main dans la sienne avant qu'il la retire de sa joue, la gardant là, savourant son contact.

— Er… Bien. Toutes choses considérées, est tout ce qu'il peut répondre, avec un soupir las.

En quittant le commissariat dans l'après-midi, il avait pris soin de la prévenir qu'il allait voir Alek, et que ça prendrait peut-être un peu de temps. Elle lui avait alors gentiment proposé d'annuler leur plan, en rien aussi crucial que ce qui peut bien arriver à l'ingénieur en ces temps troublés, mais Sam avait insisté. À le voir comme ça, visiblement rincé émotionnellement, elle se demande cependant s'il ne regrette pas :

— Tu aurais pu rester avec eux. J'aurais compris, elle réitère sa proposition, en effet aussi compréhensive qu'elle le déclame.

Il secoue doucement la tête à la négative en fermant brièvement les yeux avant de répondre :

— Non. C'est bien que tu sois là. Sinon je serais venu chez toi, et j'ai déjà suffisamment l'impression comme ça de toujours venir te voir quand j'ai eu une journée de merde, il persiste dans son arbitrage.

Il grimace au constat de sa propre attitude. Il a la sensation que c'est toujours lui qui demande conseil, et jamais l'inverse. Et ça l'agace un peu. Ce n'est pas du tout qu'il s'attend à la voir en difficulté, c'est simplement qu'il n'aime pas être en position de vulnérabilité, même devant quelqu'un qui ne songerait jamais à en prendre avantage.

— Tu ne viens pas me voir que ces jours-là, donc ça va, le pardonne la jolie brune, tolérante.

Aussi, elle ne se sent en ce qui la concerne pas lésée du tout. Elle ne pense pas qu'il se rende compte d'à quel point il l'a soutenue lorsqu'elle a enfin pris sa place au commissariat. Il ne l'a pas seulement incitée à le faire, mais est également resté à ses côtés alors que son entrée en scène n'a pas été bien vue par tout le monde.

Se redressant, elle vient l'embrasser doucement, sa main toujours dans la sienne. Il laisse échapper un soupir d'aise à ce contact. Voilà le genre de baiser qu'on ne peut pas obtenir d'une simple aventure de quelques soirs. Et dont on ignore combien on a besoin jusqu'à ce qu'on le reçoive.

— Tu as mangé ? Tu as faim ? Iz lui demande ensuite, le poussant à rouvrir les yeux.

— Ne me dis pas que tu m'as attendu, il réplique immédiatement, surpris par la question.

— Je pourrais être dans ton lit, en ce moment, et je suis dans ton canap' toute habillée ; fais le calcul, elle lui propose avec une moue joueuse.

Elle ne fait que le taquiner, parce qu'elle n'est pas réellement embêtée qu'il l'ait fait attendre. Elle ne considère même pas qu'il l'ait fait attendre. Au contraire, elle trouve ça bien normal d'avoir veillé jusqu'à son retour – ou tout du moins essayé. S'il a insisté pour qu'ils se retrouvent quand même après être allé voir son frère et son neveu, c'est qu'il en avait un peu besoin.

— Okay, Femme, allons te trouver à manger ! il l'enjoint alors.

Renversant l'emprise qu'elle a encore sur sa main, il l'aide à se mettre debout et contourner le divan, un peu comme dans un mouvement de danse. Elle s'esclaffe à son phrasé presque viking, et le laisse l'attirer contre lui alors qu'ils se dirigent ensemble vers l'espace cuisine de la grande pièce, l'enlaçant de son bras libre. Les entendant revenir dans sa direction, et ayant finalement peut-être lui aussi un peu plus faim qu'il ne l'avait estimé, Sing Sing relève la tête de son oreiller. Sam fait ensuite asseoir la jeune femme sur un tabouret haut, puis entreprend de lui préparer à dîner, pour se rattraper de son comportement inconsidéré. Pour sa défense, il ne pensait pas rentrer si tard. Mais il ne pensait pas non plus qu'elle l'attendrait. Pas beaucoup plus qu'il n'aurait deviné qu'un extraterrestre viendrait lui rendre visite aujourd'hui, en tous cas, alors la journée peut définitivement être placée sous le signe de l'inattendu.

Le couple et l'animal se restaurent en silence, se contentant de regards et de sourires pour tous échanges, chacun fatigué pour une raison ou une autre et appréciant par conséquent particulièrement la tranquillité du moment.

— … Fred m'a dit qu'un ancien prof de Mae était passé, juste avant que tu partes, Iz interroge soudain, alors que Sam lui tourne le dos pour déposer leurs assiettes dans l'évier.

— Est-ce que cette nana apprendra un jour quand se taire et quand parler ? il grince entre ses dents, maudissant intérieurement la petite bleue.

— Qu'est-ce qu'il voulait ? poursuit doucement sa compagne.

La coïncidence est anodine mais l'intrigue malgré tout. Elle n'a pas le souvenir d'avoir vu passer d'autre enseignant de la jeune fille au commissariat, suite à son enlèvement. Et celui-ci n'est même plus actuellement le sien, de ce qu'elle a compris. Ce serait celui avec qui elle a été prise en otage en début d'année. A-t-il gardé un œil sur ses anciens élèves de loin ? Ça pourrait expliquer le temps qui s'est écoulé entre le drame et sa visite.

Sam soupire, serre les mâchoires, puis fait volte-face, s'essuyant les mains avec un torchon. Il s'humecte les lèvres, comme à chaque fois qu'il choisit ses mots. Yeux baissés, il se rend très rapidement compte qu'il ne peut rien répondre à cette question sans mentir, ou en tous cas pas sans amener plus de questions auxquelles il ne pourra pas répondre. Et il ne veut pas mentir. Alors il ne dit rien.

— Wow. Je ne pensais vraiment pas que ce serait une question piège, Iz déduit de son silence.

Elle ne peut pas retenir un éclat de rire entre l'incrédulité et la déception, accompagné d'un mouvement de recul de ses mains sur la table jusqu'à ses genoux. Dans quel plat vient-elle de mettre les pieds ?

— Tu n'es pas fragile, et tu n'es pas un boulet, Sam lui renvoie alors ses mots, la dernière fois qu'elle l'a confronté à propos de ce qu'il ne lui dit pas.

Elle apprécie la référence, mais si ce ne sont que de belles paroles, ça l'agace. Elle croise les bras.

— Alors pourquoi tu ne me dis pas ce qui se passe ?

— Parce que si je le fais, c'est moi qui serais un poids mort, il répond, relevant enfin ses yeux vers les siens.

— Qu'est-ce que c'est censé vouloir dire, ça ?

Elle ne se radoucit qu'un peu. Elle ne comprend pas où il veut en venir.

— Tout ce que j'essaye de faire, c'est protéger tous les gens qui comptent pour moi. Ça inclut mon frère, ma nièce, mes neveux, et même Patrick. Et toi. De cette liste, tu es la seule que je sais en sécurité. Si je ne te dis pas ce qui se passe, ce n'est pas parce que je pense que tu ne saurais pas le gérer, c'est parce que je ne veux pas que tu aies à le faire, il élabore sa déclaration précédente, avec toute la sincérité dont il est capable.

Il espère que ce sera suffisant pour convaincre Iz de sa bonne volonté, même s'il ne lui communique toujours pas de faits tangibles. Il prie pour ce soit le cas.

Elle le dévisage un moment, les traits sérieux, avant de répondre. Elle ne va pas nier être extrêmement touchée par ce qu'il vient de lui dire, par ses proclamations de vouloir la préserver, mais elle s'en voudrait de ne pas au moins essayer de rester rationnelle dans cette conversation.

— Donc je suis condamnée à te regarder te torturer sans rien pouvoir faire pour toi, elle conclut, haussant les épaules d'insatisfaction.

Elle juge la justification un peu facile et surtout très inéquitable. Il tire son parti de la savoir hors du coup, et de son côté il s'attend à ce qu'elle le laisse endurer sans même essayer de l'aider ?

— D'une part, je peux être très égoïste, donc en un sens, oui. Je m'excuserais, mais je suis pas vraiment désolé. D'autre part, j'ai du mal à croire que tu ne te rends pas compte de tout ce que tu fais déjà pour que, justement, je ne pète pas un câble, il répond avec autant de pragmatisme qu'elle lui en a offert.

Sa répartie est toujours aussi horripilante. Comment accuser quelqu'un qui avoue éhontément ? Comment le blâmer de quelque chose qu'il assume pleinement ?

Avec un soupir, la jolie brune laisse tomber le débat. Elle lui fait confiance ; elle le lui a déjà dit. Et elle ne veut pas être l'une de ses filles qui veulent toujours tout savoir. D'autant qu'elle voit bien qu'il ne lui ment pas, comme promis. Quoi qu'il lui cache, c'est sincèrement pour une bonne raison. Alors pourquoi continuer à creuser ? Pourquoi ajouter aux problèmes qu'il combat déjà visiblement ? Ça irait à l'encontre de sa volonté de l'aider, justement.

— Allons nous coucher, elle propose finalement, laissant la fatigue prendre le dessus.

— Quoi ? il s'étonne.

Il s'était attendu à des protestations plus longues de la part de la jeune femme. Pour toute la répartie qu'elle lui trouve, il n'a jamais vraiment eu l'impression de la dominer complètement sur ce terrain. Au contraire, c'est l'une des rares personnes à le pousser dans ses retranchements. Ce qu'il apprécie, en général.

— Je ne peux pas gagner avec toi. Alors je prends ce que j'ai. Viens.

Se levant de son tabouret, Iz contourne la table pour venir l'attraper par la main et l'entraîner en direction de la chambre. Il se laisse faire mais conserve son air perplexe jusqu'à ce qu'elle s'endorme entre ses bras. Il avait raison : elle est suffisamment intelligente pour savoir très exactement quoi faire pour l'aider, même si elle n'en a peut-être pas conscience. À cet instant, il n'y a rien qu'il souhaite plus au monde que de rester digne de son affection pour toujours, et surtout à travers toutes ces épreuves qui s'annoncent encore dans un futur proche.

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