2x05 - Atterrissage d'urgence (19/20) - Sans ailes

Son jet venant de se poser sur la même piste qu'il y a environ trois mois de cela, Chuck laisse l'escalier de l'appareil, qu'il vient de descendre, se replier derrière lui et Chad, à ses côtés. Tandis que son collègue joue des épaules dans le costume qu'il a exceptionnellement revêtu afin de pouvoir voyager avec lui sans attirer l'attention, le grand blond reboutonne pour sa part sa propre veste avec la nonchalance de l'habitude, bien plus à l'aise dans cette tenue que n'importe quelle autre, lui.

— Combien de fois vais-je encore devoir descendre de cet avion sur cette piste par obligation ? demande tout de même le doyen du duo, après avoir respiré profondément l'air du soir de Chicago.

— On a d'autres moyens de locomotion, tu sais, lui fait remarquer son Protecteur, ignorant le caractère rhétorique de la question.

Profitant de l'éloignement de l'engin et donc de son pilote, en direction d'un hangar, Chad desserre sa cravate. C'est le seul vêtement qu'il a dû ajouter et non simplement altérer pour l'occasion. Déjà, sa chemise redevient un T-shirt, sa veste de lin redevient coton, ses chaussures de cuir redeviennent toile et caoutchouc. Ce retour à une certaine normalité pour lui n'est pas sans lui tirer un mouvement de tête appréciatif. Le vol, pourtant court, lui a été d'autant plus long dans ces conditions. Non pas qu'il n'ait pas déjà eu de raisons de lui peser sans ça…

— Qui, pour tout le temps qu'ils nous auraient fait gagner, nous en auraient fait perdre bien plus, en les circonstances, Chuck oppose calmement à sa remarque.

Il n'a pas besoin d'élaborer pour que son interlocuteur sache où il veut en venir. Ce dernier avait de toute manière répondu plus machinalement que par envie de convaincre. Il sait très bien pourquoi ils ne se sont pas déplacés par leurs propres moyens. D'ailleurs, même s'il n'est pas d'accord sur les raisons de leur venue, il préfère encore qu'ils aient cette réserve en cas de changement de plan dans son sens.

— J'aimerais vraiment comprendre pourquoi tu as seulement accepté de venir, il commente justement.

De toute évidence, le plus jeune des deux anciens ne partage pas la résolution de l'autre pour leur démarche. Le regard méfiant qu'il lui accorde en biais en dit long, aussi long que l'échange sur la question qu'ils ont eu juste avant leur départ, juste après avoir été contactés par Andy.

Celle-ci avait vu juste en pensant que la réponse de Chad à la situation serait la tactique de la terre brûlée. Maena a déjà représenté un risque de brèche de confidentialité auparavant, mais au moment des faits, il avait jugé ce risque minime, facile à contenir, et donc acceptable. Cependant, il vient d'apprendre que cette faille dans leur sécurité a pris des proportions inadmissibles. Et il est à son sens déraisonnable de laisser un tel problème courir de la sorte, quelles qu'en soient les origines, aussi étrangères à la victime première soient-elles. Le seul moyen de gérer une menace comme celle-ci est pour lui la totale éradication du risque, tout simplement. Il a déjà été impliqué dans suffisamment d'alertes à l'exposition à son goût.

Seulement voilà : le Diplomate de son équipe ne partage pas son avis, comme en témoigne sa décision de venir en aide au projet d'Andy, Ben, et Strauss, de collaborer avec des Terriens. Et ce que Chuck veut, Chuck obtient. Non seulement parce qu'il est plus âgé, et parce qu'il est celui qui a passé le plus de temps sur cette planète de tous ses congénères, mais aussi tout bonnement parce qu'il a officiellement la responsabilité de leurs relations avec les Humains, aussi bien à leur échelle que celle plus globale de leur espèce sur ce territoire. Chad, comme tout Protecteur, n'intervient sans supervision que lorsque face à un danger imminent. Dès qu'il est question de stratégie, la décision revient tout naturellement au Diplomate, en l'occurrence autant en titre qu'en rôle effectif.

— Et pourtant, je te souhaite de ne jamais faire l'expérience de ce qui m'a poussé à le faire, le grand blond offre pour toute explication de son indulgence vis-à-vis de leurs cadets.

Un sourire triste étire ses lèvres. Culpabilité ? Nostalgie ? Manque ? Regret ? Pour des êtres si émotifs, les Humains ont des termes bien imprécis pour désigner leurs innombrables états d'esprit. C'est pourquoi Chuck rechigne toujours à se limiter à l'un de leurs langages, voire à en utiliser un tout court. Les Homiens sont capables de faire passer des messages tellement plus simplement et clairement, à l'abri de tout qui pro quo, et ce même sans émettre un son s'ils le souhaitent. La façon dont Chad détourne la tête à la réponse pourtant absconse témoigne d'ailleurs assez bien de la puissance de ce mode de communication. Il n'a pas besoin d'en savoir plus. Il accepte que les raisons de Chuck sont les siennes, et qu'il n'a pas besoin de les remettre en question, car elles sont valables. Ça n'étanche pas sa curiosité, mais ça rassure un peu ses instincts contrariés, au moins.

Les deux compères quittent l'aérodrome, côte à côte et en silence, alors que la nuit commence à tomber autour d'eux. Le paradoxe ne leur échappe pas que, bien qu'ils viennent pour exactement l'inverse de ce qui les a amenés la dernière fois, ils sont pourtant d'humeurs assez similaires à celles de leur dernière visite.

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