2x05 - Atterrissage d'urgence (18/20) - Douche froide

Les mains à plat sur la paroi carrelée, bras tendus devant lui et tête baissée, Gregor Bertram laisse l'eau de sa douche ruisseler sur son corps. Sa chevelure sombre, plus longue sur le sommet de son crâne qu'ailleurs, où elle est presque rasée, tombe en rideaux sur son front pratiquement jusque devant ses yeux, porteuse de lourds courants. Le flot dévie parfois le long de sa mâchoire ou de ses pommettes jusqu'à son nez, sa bouche, ou son menton, où il est enfin irrésistiblement happé par la gravité et rejoint la dalle sous ses pieds.

Sur son bras droit sillonnent deux fines lignes noires irrégulières, qui se croisent ponctuellement, sans cesser de louvoyer, juste le temps de former quelques intersections de cercles successives, avant de se séparer à nouveau. Dans ces moments-là, les deux lignes sont presque reliées par de petites barres parallèles entre elles mais perpendiculaires aux traits principaux. Ces longues arabesques parfois zébrées serpentent depuis chaque bord de son poignet jusqu'au sommet de son deltoïde et la pointe basse de son omoplate, où elles terminent aussi brutalement qu'elles ont commencé.

Il a d'autres cicatrices, nombreuses, variant en taille, en forme, et en ancienneté, mais la pâleur de sa peau combinée au fait qu'il se trouve sous de l'eau courante aident à les lui masquer. Le motif tracé à l'encre, au contraire, ressort cruellement.

Lorsque l'eau presque brûlante a coulé depuis suffisamment longtemps, et que le scientifique est ainsi certain que la buée a saturé toute la vitre qui le sépare du reste de sa salle d'eau, il redresse la tête. Dégageant ses cheveux de son visage, il souffle machinalement pour se débarrasser de l'excès d'humidité sur ses lèvres, puis fait apparaître une projection d'écran à sa droite, par une séquence bien précise de pressions sur les carreaux.

— Enregistrement. 19 Mai. Je suis maintenant certain que le projet Regent va survivre. Et aussi que je ne suis pas le seul responsable de ce développement. Je ne sais toujours pas qui ou comment, ni même pourquoi, mais quelqu'un d'autre participe à l'altération du protocole. Quelqu'un de brillant. Plus que je n'en ai jamais rencontré. C'est quelqu'un… de l'extérieur, il dicte d'une voix monocorde.

Malgré le bruit de la douche qui couvre ce qu'il dit, sur le mur, ses mots sont retranscrits dans un document texte. Et après quelques secondes de son silence seulement, une petite icône qui clignote dans un coin indique que ce qui a été transcrit a été automatiquement sauvegardé.

— Pour le moment, Vurt accepte que je ne trouve rien de concluant. Je ne sais pas combien de temps ça peut encore durer. Je ne pense pas être en mesure de détecter quoi que ce soit, peu importe combien d'analyses j'effectue, mais elle va perdre patience malgré tout. J'espère seulement que le sujet n'en sera pas affecté, Greg poursuit sur le même ton.

Son regard presque translucide est perdu dans le vide, quelque part entre le souvenir d'évènements passés et l'imagination de possibilités à venir, aucune de deux visions rassurantes.

Une minute de silence et une nouvelle séquence de pressions sur les carreaux plus tard, l'écran comme son contenu ont disparu sans laisser de trace.

S'adossant à présent contre la paroi, Greg laisse l'eau couler sur lui encore un moment, menton levé et yeux clos. Il prend toujours des douches très longues, même lorsqu'il n'a rien à enregistrer dans son coffre-fort numérique. Peut-être que c'est parce que c'est le seul endroit lumineux où il ne porte pas ses lunettes, et par conséquent où le monde lui apparaît, pour un temps, flou et indistinct. Ou peut-être parce que c'est le seul endroit où il est véritablement seul, hors de portée de toute surveillance.

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