2x05 - Atterrissage d'urgence (9/20) - Chercher l'intrus

En quittant sa session du jour avec le Docteur Conway, Caesar a un peu de temps avant l'heure du déjeuner, mais pas suffisamment pour s'atteler à quoi que ce soit en particulier de manière convenable. Ce n'était initialement pas gênant pour lui, puisqu'il utilisait chacun moment qui n'était pas monopolisé par les obligations de sa thérapie et les stricts nécessités de sa survie pour reposer son esprit. Après ce qu'il s'était fait, il en avait bien besoin. Et ça a porté ces fruits, d'une certaine manière. C'était pratique, parce qu'il pouvait être extrait de cette démarche au bout d'une minute comme au bout d'une centaine et ensuite s'y remettre de suite comme si rien ne s'était passé.

Depuis qu'il est sorti de son mutisme, cependant, il reprend petit à petit des activités qui demandent un peu plus de mise en jambes, ou en tous cas moins d'interruptions. Il a notamment commencé à rattraper son retard dans les cours qu'il aurait dû suivre au lycée depuis son internement. Mais qu'il s'agisse d'apprendre de nouvelles choses, réviser, ou faire des exercices pour mettre en application, il préfère ne pas s'y mettre dans la précipitation. Ce n'est de toute façon pas comme s'il avait des dates limites à respecter pour chaque devoir ou chapitre, alors rien ne sert de se presser.

Mains dans les poches, il déambule donc sans but précis dans l'institut, faisant à moitié des notes mentales de ce qu'il voit, et à moitié s'efforçant justement de ne rien voir. Comme l'avait anticipé sa thérapeute, il progresse bien en capacités d'observation. Malgré cette tendance encourageante, il continue pourtant à croire qu'il lui est forcément aussi possible, à défaut de subir sa condition et simplement se la rendre plus supportable, de faire taire son intuition supposément supérieure à la moyenne. Il n'aime pas l'idée d'être une victime. Les diabétiques et les allergiques ont bien les moyens de s'épargner les symptômes de leur condition ; pourquoi pas lui ?

Au détour de sa promenade, le grand brun trouve Setsuko, à l'écart du reste des pensionnaires, pour la plupart déjà dans la grande salle. La Japonaise est assise au bord de l'une des hautes fenêtres qui parcourent tout un côté du bâtiment et donnent sur le grand jardin qui y est adjacent. Ses genoux ramenés à elle, retenus par ses bras qui les enlacent, elle perd son regard bridé dans la verdure, visiblement songeuse. Caesar s'arrête à un mètre d'elle, au courant de son espace personnel un peu plus étendu que la moyenne, avant de lui adresser la parole :

— Hey, Sets. Ça va pas ? il lui demande doucement, les mains toujours dans ses poches.

— Vraiment ? Tu poses cette question, maintenant ? elle lui lance pour toute réponse.

Son ton est plus sec qu'il ne s'y était attendu, en la voyant ainsi en pleine réflexion. Il reste interdit lorsqu'elle darde son regard d'onyx sur lui, presque meurtrier. Il se retient de justesse de faire un pas en arrière. C'est comme si le simple son de sa voix l'avait instantanément crispée. Mais il ne se souvient pas d'avoir fait quoi que ce soit qui aurait pu l'offenser, alors peut-être qu'il s'imagine des choses.

— J'essayais juste d'être sympa, il s'excuse maladroitement.

Il n'a pas compris cette réaction à sa question initiale pourtant sans insinuation aucune. S'il n'était pas si interloqué, il en voudrait sans doute à son intuition pour ne pas pouvoir lui être exceptionnellement plus utile que nuisible.

— Pourquoi ? s'enquiert alors Setsuko, la tension dans ses épaules s'intensifiant.

— Parce que… tu semblais contrariée, il répond avec une grimace incertaine.

Il se doute qu'elle cherchait sans doute à obtenir une répartie un peu plus profonde que ça, mais il est incapable d'en trouver une au débotté. Il ne sait vraiment pas pourquoi il s'est approché d'elle. Par habitude, peut-être ? Par une envie inconsciente d'aller l'embêter comme elle l'a tant de fois embêté lui alors qu'il était tranquille dans son coin ? Non, parce qu'elle ne l'a jamais réellement embêté.

— J'ai mes règles, c'est tout, Sets explique finalement son aigreur, baissant les yeux sur le sol dallé du couloir où ils se trouvent.

— C'était pas la semaine dernière ? il corrige machinalement le mensonge.

Ça lui a échappé. C'est sorti tout seul. Elle commence par s'agacer de cette intrusion ans son intimité, mais se retient à l'ultime seconde de s'énerver davantage :

— Comment est-ce que…? Peu importe.

Elle avait oublié, l'espace d'un instant, à qui elle parle. Elle secoue la tête en se tournant de nouveau vers la fenêtre. De son côté, reconnaissant évidemment le faux pas qu'il vient de commettre, il accentue sa grimace gênée.

— Désolé, ça se contrôle pas, il bafouille en baissant les yeux à son tour.

— Si, ça se contrôle, elle lui rétorque, relevant le menton vers lui, ardente.

— Très bien : je le contrôle pas encore, il se reprend pour l'apaiser, perdant un peu de son embarras.

Il commence à se dire qu'il a suffisamment subi son humeur, et ce sans avoir encore obtenu d'explication du rapport qu'elle pourrait bien avoir avec lui. Si la Japonaise est en colère contre lui, qu'elle le lui fasse savoir clairement. Il lui a déjà dit ne pas être intéressé par ses jeux. Et si elle en a après autre chose, qu'elle le lui dise aussi. Elle lui a elle-même rappelé qu'il n'était pas devin. La meilleure marche à suivre à ce stade serait donc de la laisser tranquille, le temps qu'elle prenne une décision. Il est sur le point de le faire, mais elle reprend avant qu'il ait pu entamer son mouvement évasif :

— Tu étais déjà aussi lourd avant ?

Malgré son propos toujours aussi décapant, son ton est un peu plus calme. Jouant à la fois d'optimisme et de clémence, il choisit de se fier à son attitude plutôt qu'à ses mots, et interrompt son départ. Il réfléchit un instant avant de répondre à sa question.

— Non. Avant je… Je pensais pas que ce que je pensais était intéressant. Ou pertinent. Alors je le gardais pour moi la plupart du temps. Mais on sait où ça m'a mené, il raconte posément.

— Toutes les vérités ne sont quand même pas bonnes à dire, énonce Sets pour toute réplique, à la fois générale et spécifique à sa situation.

— Je sais. J'essaye encore de trouver un équilibre, il accepte son commentaire, qu'il sait tout à fait mérité.

Après qu'il lui a fait remarquer qu'elle était la seule personne avec qui il parlait ici en dehors du Docteur Conway, elle l'a incité à remédier à cet état des choses, jugeant qu'il ne peut pas possiblement être bon pour qui que ce soit d'être à ce point renfermé sur soi-même. L'ennui, c'est que ce n'est pas en étant timide et peu bavard toute sa vie qu'on développe ses capacités sociales. De plus, les résidents d'un institut psychiatriques ne sont sans doute pas les meilleurs partenaires avec qui faire ses armes dans ce département. En conséquence, les quelques tentatives du grand brun de participer aux conversations cette dernière semaine n'ont pas été particulièrement concluantes.

— Tu t'es vite fait à ton diagnostic, en tous cas, commente encore l'Asiatique.

Son ton est dur, presque comme si c'était une mauvaise chose, et ses yeux sont toujours braqués sur lui. Il a la nette impression qu'elle lui reproche quelque chose, mais il ne comprend toujours pas quoi.

— Savoir où est le problème est un bon début pour le résoudre, il répond platement, haussant une épaule.

Qu'est-ce qu'il aurait pu faire d'autre qu'accepter sa condition ? Même si le Docteur Conway se trompait, ce qu'il pense peu probable étant donné sa compétence évidente dans son métier, il n'a rien à perdre à suivre ses conseils. L'alternative serait l'inaction, et ça n'apporte strictement rien à personne.

— Tu penses encore que tu as un problème à résoudre ? s'étonne Setsuko.

Elle ne cherchait pas à aiguiller la conversation dans ce sens. Voire le contraire. Malgré sa mauvaise humeur, son commentaire était plutôt un compliment.

— Je suis ici, pas vrai ? il réplique avec un éclat de rire sans joie, surpris à son tour.

Bien qu'une visite médicale régulière s'impose pour s'assurer que tout va bien, il n'y a que les gens malades qui ont besoin d'un suivi sur la durée. Et il n'y a aucun mal à ça, il faut bien se soigner, alors pourquoi le nier ?

— C'est ta réaction qui était un problème, pas ta condition, le corrige son interlocutrice, pas du tout amusée, elle.

Sa vision des choses est légèrement différente. Il n'a pas de pathologie. Il n'est pas malade. Il a une façon de fonctionner atypique, mais rien qui ne soit gérable, rien qui doive être réparé, changé. S'il se perçoit encore comme souffrant, il n'est peut-être pas aussi bien engagé qu'elle le croyait.

Cette fois, il n'a plus aucun doute que c'est bien avec lui qu'elle a un souci, alors il décide de conclure l'échange :

— Et apparemment, j'en ai toujours pas trouvée une qui n'en soit pas un…

Il ne saurait pas dire si c'est survenu au cours de cette discussion que Setsuko s'est braquée ou bien si c'était déjà le cas avant. Mais il n'a pas envie de chercher à le savoir dans l'immédiat. La laissant assise sur son rebord de fenêtre, il poursuit son chemin dans le couloir, en direction de la grande salle et des autres résidents. Si elle veut enfin lui faire part de ce qui la dérange, elle saura le trouver. Elle sait toujours le trouver. Il se dit d'ailleurs qu'il est plutôt paradoxal qu'elle s'agace qu'il s’enquière de son état, alors qu'elle le fait sans arrêt avec tout le monde. Ça fait peut-être partie de son job, mais ça ne signifie pas qu'elle en a le monopole. Ceci dit, si c'est pour être reçu de cette manière, est-ce que ça vaut le coup d'insister ?

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