2x05 - Atterrissage d'urgence (12/20) - Défaillance

En quittant la salle de bain à l'étage, Jena tombe nez à nez avec Markus, qui s'y rendait justement. Puisqu'elle ne s'attendait pas à le trouver là, la jeune femme reste figée sur place, comme un lapin dans les phares d'une voiture. Et de la même façon qu'un véhicule sans possibilité d'esquive, quoique plus abruptement, l'étudiant s'immobilise à son tour. Les deux jeunes gens restent ensuite ce qui semble une éternité là, sans bouger et sans rien dire, les yeux dans les yeux.

— Salut… finit par arriver à prononcer la jeune femme, rompant le silence la première.

— Salut, il répond poliment, un sourire gêné étirant brièvement ses lèvres.

Ils ne se sont pas adressé la parole depuis cette journée fatidique dans le parc. Pas même après qu'elle a fait sa demande de couverture à son oncle, pas même après qu'il a fait la rencontre de Sieg et Vlad au cimetière, pas même depuis que ces deux derniers ont investis les lieux, à la demande de son père. Il n'a fait que l'entrevoir de temps en temps, comme une ombre en périphérie de son champ de vision, volatilisée avant qu'il puisse être sûr qu'elle était réellement là. Non pas qu'il ait cherché à confirmer qu'elle était là. Il ne peut pas dire que les manœuvres d'évitement ne sont pas réciproques.

— Je savais pas que tu serais là, elle s'excuse maladroitement.

Elle avait en effet présumé qu'il serait en cours à cette heure-ci, comme la plupart des jours. Il est rarement chez lui, ces derniers temps, bien qu'elle ignore si c'était déjà comme ça avant que ses deux collègues ne s'installent ou non. Mais quand elle sait qu'il a des chances d'être là, elle fait son possible pour opérer ailleurs, ce dont ses deux parrains lui font grâce. La nuit, elle reste dans son studio. Elle avait prévu d'y accueillir ses deux mentors, mais Alek a tranché en faveur d'accommodations plus convenables pour les deux géants. Et en plus d'être plus confortable pour eux, cet arrangement est aussi stratégiquement plus intéressant, si on n'écarte pas la possibilité que le reste de la famille Quanto puisse encore être en danger. Une garde rapprochée n'est pas une mauvaise idée.

— Au moins, on est sûrs que tu ne me suis plus, est la première chose que Markus trouve à répondre, sans réfléchir.

Jena accuse le coup de la pique verbale en serrant les mâchoires et détournant la tête.

— Je l'ai méritée, celle-ci… elle murmure entre ses dents.

— Non, c'est faux ! Je m'excuse. On vous a demandé d'être ici. Vous êtes les bienvenus. Tu n'as pas à m'éviter, il se reprend immédiatement.

La vision de la douleur sur le visage de la jeune femme lui est insupportable, quel que son sentiment de trahison puisse encore être.

Elle ramène son regard vert au sien, consciente qu'il n'a effectivement pas un mauvais fond, même si la remarque l'a blessée. Elle n'a pourtant pas dit qu'elle l'avait méritée dans le vide. Mais ce n'est pas parce qu'on sait qu'on est coupable qu'une accusation est tout de suite plus facile à vivre.

— Comment se passent les cours ? elle demande, pour faire la conversation et dissiper au moins une partie du malaise.

— Er… Pas de changement. C'est toujours étrange de réviser sans Rob, mais à part ça je m'en sors, l'étudiant répond platement.

Rien de palpitant ne se passe en effet du côté de ses études. Mais c'est tant mieux, avec tout ce qui se passe autour. C'était censé être la part la plus ardue de sa vie, et maintenant c'est devenu sa bouée de sauvetage. Un comble.

— Bien. C'est bien, Jena commente simplement.

Elle est incapable de mieux. Mal à l'aise, elle ramène machinalement une mèche brune derrière son oreille. Ce geste idiot, qui a toujours fait craquer Markus, comme beaucoup d'autres chez elle d'ailleurs, manque de le laisser hypnotisé. Il s'éclaircit la gorge pour lutter contre le sortilège.

— Et er… Caroline ? Comment elle va ? il lui rend la pareil sur le plan des banalités.

— On n'a plus besoin d'elle sur le terrain, alors elle bosse avec Ann, Rob, et ton père. Elle s'amuse bien, du peu que je lui parle, elle répond du mieux qu'elle peut.

La présence d'Ann Kampbell, une complète étrangère, l'a surprise, lorsqu'elle et ses acolytes ont officiellement rejoint Alek dans ses recherches pour sa fille. Mais tout comme la pirate a fait ses devoirs à leur sujet, ils ont également fait des recherches sur elle, et ils n'ont rien trouvé de compromettant. Rien qu'elle n'a pas totalement assumé lorsqu'ils l'ont soumise à la question, en tous cas. La brunette a donc consenti à ce que sa petite sœur travaille avec la jeune femme, à l'instar de Rob. Qu'elle ait toute confiance en la supervision d'Aleksander l'a également aidée à prendre sa décision.

— C'est bien, ça aussi, commente Mark à son tour.

Il est tout autant en mal qu'elle de réagir avec plus de pertinence que ça à ce qu'elle lui dit.

Un silence peu confortable s'installe ensuite entre eux deux, durant lequel ils osent à peine se regarder en face, mais aucun ne sait exactement comment conclure cet échange sans empirer la tension. Mains dans les poches de ses jeans, il regarde le sol en balançant son poids d'un pied sur l'autre, tandis qu'elle se tord discrètement les mains en se mordillant la lèvre inférieure.

— On va ramener Mae à la maison, annonce tout à coup Jena, la conviction dans sa voix faisant sursauter son interlocuteur.

— Je sais, il ne peut que confirmer.

Il est beaucoup plus calme qu'elle dans son énonciation, mais il n'y a pourtant pas moins d'assurance dans sa voix, et ce même en dépit de sa surprise. Il n'a pas hésité. Il a sincèrement confiance quant au dénouement de cette terrible situation.

— Ah bon ?

Bien que cette réponse aille dans son sens, Jena en semble étonnée. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il soit si serein face à tout ça. Et malgré la promesse qu'elle vient de sous-entendre, la brunette laisse donc entrevoir la vulnérabilité qu'elle ressent réellement.

— On est bien arrivés jusqu'ici, il reprend sans le savoir l'argument de son père au matin.

Il hoche la tête et hausse une épaule, comme si c'était une raison suffisante pour être si confiant. La vérité, c'est qu'il n'a pas d'autre choix que de croire en une conclusion heureuse à cette tragédie. Il ne veut pas envisager l'alternative. Il ne peut pas. Il se doute bien que ça va encore être très éprouvant pour tout le monde avant de toucher au but, et justement, il ne pense pas qu'il serait capable de surmonter quelque difficulté que ce soit s'il n'était pas intimement convaincu que ça se soldera par un succès.

— Alors pourquoi j'ai si peur, Markus ? avoue pourtant son ex, pratiquement dans un murmure, sa voix se brisant.

À cet instant, l'impulsion première de l'étudiant serait de la prendre dans ses bras. D'amener son visage contre lui d'une main et l'enserrer de l'autre, jusqu'à ce qu'elle arrête de trembler et qu'ils oublient l'un comme l'autre pourquoi ils avaient seulement besoin de s'enlacer en premier lieu.

Mais il se retient. Parce qu'il sait que ça ne ferait que rendre les choses encore plus compliquées. Et par conséquent encore plus douloureuses. Et il ne sait pas s'il pourrait gérer une ramification de plus à sa situation déjà délicate. Tout ce dont il a besoin en ce moment, c'est de stabilité. Alors, il se fait violence pour rester là où il est.

Elle ne lui laisse de toute façon pas l'occasion de céder à son instinct, et le contourne en vitesse pour dévaler les escaliers et rejoindre le rez-de-chaussée. À la furtivité dont elle fait preuve, Markus se demande comment il n'a pas soupçonné sa réelle profession avant qu'elle ne le lui avoue. Et pourtant, dans ce domaine, elle arrive à peine à la cheville de Vlad, sans doute le plus terrifiant de ses deux mentors. Non pas que Siegfried soit en reste sur ce point. Le jeune homme a beau savoir que les deux géants blonds sont de leur côté, il n'a toujours pas réussi à se faire à leur présence dans les parages. Ou même seulement à leur existence sur Terre. Ils sont comme des clichés de roman noir. Ces histoires peuvent être sympas à lire, mais elles sont beaucoup moins drôles à vivre. Si seulement on pouvait sauter des pages dans la vraie vie, pour connaître la conclusion à l'avance. Ça éviterait bien des inquiétudes.

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