2x05 - Atterrissage d'urgence (11/20) - Illumination

Après avoir passé toute la matinée à porter assistance aux équipes de secours, suite à un accident sur un site de construction avec une équipe de maintenance urbaine, Sam trouve encore des débris dans la fourrure de Sing Sing même en début d'après-midi. Une chose qu'il n'a jamais comprise est comment même des poils courts peuvent retenir autant de saletés. Son précédent chien avait des poils un peu plus longs, et il ne pense pourtant pas qu'il récupérait plus de cochonneries dans sa toison fauve. Ça défie toute logique. Ou peut-être les canidés s'appliquent-ils à tous avoir autant de crasse sur eux les uns que les autres, afin de ne jamais être en reste vis-à-vis de ceux qui s'occupent d'eux ? À sa bouille satisfaite, langue pendante, le Rottweiler apprécie en effet grandement ces impromptues cessions de toilettage dont il bénéficie depuis leur retour au commissariat.

— Inspecteur Quanto ? une voix d'homme s'adresse soudain au bipède du duo homme-chien.

— Et vous êtes ? interroge Sam sans cérémonie avant même de relever le menton.

Il était concerné sur ce qu'il faisait, et n'a pas vraiment eu le temps de réenclencher ses manières avant de répondre. Sous ses mains, son molosse penche la tête sur le côté, à la fois insatisfait de l'interruption mais aussi intrigué par le nouveau venu.

Sans se formaliser de leurs réactions un peu abrupte à son apparition, le nouveau venu leur offre un sourire avenant, et se resitue volontiers auprès d'eux :

— Hugh Strauss. J'ai été le remplaçant du professeur de Mathématiques de votre nièce en début d'année.

Son interlocuteur se redresse enfin dans son siège, puis se met à hocher de la tête. Il le replace sans peine, maintenant qu'il le regarde. Un ensemble costume et baskets en toile, ce n'est pas très courant.

— Oh. C'est vrai. Vous êtes le type avec qui elle a ficelé un mercenaire, non ?

Difficile d'oublier une anecdote pareille, également. Il est aussi plutôt physionomiste, et il a passé les rapports de l'Incident de Walter Payton au peigne fin dès qu'ils ont été archivés.

— Exact, confirme l'enseignant sans honte.

Un tel stoïcisme face à un souvenir pourtant violent impressionne l'inspecteur.

— Est-ce que vous vous êtes pas aussi fait frapper au visage, ce jour-là ? il s'étonne indirectement.

Il ne repère aucune marque sur la pommette du jeune enseignant pour corroborer ce détail.

— Par la crosse d'un fusil d'assaut, oui, valide pourtant une fois de plus le grand brun.

Il ne semble décidément pas particulièrement traumatisé par l'évènement en question. La plupart des gens aurait porté leur main à leur visage, après avoir été interrogé de cette façon. Étrange.

— Pas de cicatrice. Chanceux… Je suppose que vous avez appris ce qui est arrivé à Mae, huh ? Je suis désolé, je peux rien vous dire, enchaîne enfin l'oncle.

Il n'est pas plus désireux que son visiteur de s'attarder sur l'épisode de la prise d'otages. Mais il n'est pas beaucoup plus enthousiaste à l'idée d'aborder l'autre sujet de conversation qu'ils pourraient avoir en commun à ce stade.

Malgré l'attitude quelque peu réfractaire de celui qu'il est venu voir, Strauss continue à se montrer absolument poli et charmant :

— Je comprends. C'est normal. Mais de toute façon c'est moi qui ai quelque chose à vous dire. Est-ce qu'il y a quelque part où nous pourrions discuter en privé ?

À ce stade, sa courtoisie est hélas justement ce qui attise la méfiance de l'inspecteur en face de lui. Il y a quelque chose dans sa dégaine trop parfaite qui le dérange, sans qu'il arrive à mettre le doigt dessus. Il lui rappelle sans raison et irrépressiblement l'agent Denton, à qui il pourrait pourtant assez difficilement moins ressembler. Les différences entre eux sont nombreuses et polaires. Alors pourquoi est-ce que les deux hommes lui laissent la même impression ?

— Écoutez, je suis plutôt occupé, donc soit ça peut attendre, soit vous pouvez en parler à quelqu'un d'autre ici, il tente d'esquiver.

Il sera entre de bonnes mains avec n'importe lequel de ses collègues, quelle que soit sa requête. Lui, il n'a pas le temps. Et surtout il est curieusement mal à l'aise, à cet instant précis.

— Malheureusement, ça ne peut pas attendre, et je ne peux pas en parler à quelqu'un d'autre, se permet cependant d'insister son visiteur.

Il se garde bien de préciser de quoi il désire lui parler exactement, mais son ton est péremptoire, même s'il reste toujours aussi correct. Une fine ligne sur laquelle danser. Ce n'est pas donné à tout le monde.

— Quanto : vas-y. C'est pas comme si j'avais besoin de toi dans l'immédiat, intervient soudain Fred.

Assise en face de son collègue, elle toise les deux hommes depuis sa chaise d'un air de dire que de toute façon leur conversation perturbe sa concentration. C'est quand même un comble, avec l'énorme casque audio qu'elle vient pourtant de retirer d'une de ses oreilles pour se mêler de ce qui ne la regarde pas.

Avec un soupir résigné, remettant la fin de la rédaction de son rapport de ses activités matinales et le toilettage de son chien à plus tard, Sam se lève donc. Il ouvre la voie à Strauss jusqu'à la salle de réunion la plus proche. Par pure coïncidence, c'est celle où Iz a présenté son dossier sur Eugène. Après avoir refermé derrière eux, l'oncle fait volte-face vers son visiteur en écartant les bras, l'invitant à s'exprimer :

— D'accord. Qu'est-ce qui est si important ? il ouvre la discussion.

Son chien, à côté de sa jambe, est toujours très perplexe vis-à-vis de l'individu qui les accompagne.

Maintenant qu'ils sont seuls, Strauss ne perd pas de temps en civilités, et entre directement dans le vif du sujet :

— Je sais comment faire pour entrer dans la pièce centrale du laboratoire où est retenue Maena.

Il ne s'inquiète pas d'être sur écoute. Même si cette pièce disposait d'un système de surveillance audio, tous les Homiens même les moins doués sont capables de mêler d'autres ondes à celles de leur voix, et qui en rendent tout enregistrement inexploitable.

De son côté, son interlocuteur croit avoir mal entendu. Il cligne plusieurs fois des yeux et a un mouvement de tête perplexe.

— Qu'est-ce que vous venez de dire ?

Ou peut-être qu'il a peur d'avoir bien entendu, justement. Lorsqu'on lutte autant pour conserver un secret brûlant, c'est forcément déroutant d'en entendre parler par un biais inattendu. Et pour être inattendu, Strauss est inattendu. Il n'était même pas le prof de Mae au moment de son enlèvement. Qu'est-ce qu'il pourrait bien en savoir ? Surtout sur la partie immergée de l'iceberg ?

— Je sais que vous avez rassemblé une équipe pour libérer Maena, et que vous rencontrez une impasse. Je peux vous aider, insiste calmement le mathématicien.

Il énonce clairement, lentement, afin de laisser à l'inspecteur le temps de bien comprendre ce dont il est question. Il se rend bien compte que cette conversation est délicate pour bien plus d'une raison. Ils sont tous les deux en train d'échanger un très lourd secret. Et pour le Terrien, ce n'est pas sa décision de partager le sien.

— Comment est-ce que vous savez tout ça ? est la première question de Sam.

Il est méfiant, mais il n'a pourtant pas le réflexe d'essayer de nier l'accusation. Son interlocuteur a l'air trop sûr de lui pour qu'il estime avoir la moindre chance de le dissuader, surtout de la vérité. Et il est peut-être aussi trop fatigué pour essayer.

— Parce que je suis un alien venu de l'espace, lâche alors Strauss en tout simplicité.

Il ne souhaite pas s'embarrasser de détails pour le moment. Le plus direct il sera, le mieux ce sera. Le maître-chien reste près d'une minute en arrêt à cette déclaration, avant d'éclater de rire. Il choisit d'être amusé plutôt qu'agacé. Il n'a pas la motivation pour se battre dans l'immédiat. C'est une plaisanterie de très mauvais goût, placée à un très mauvais moment, mais qu'importe, il peut en faire grâce au jeune homme. Sans doute a-t-il voulu détendre une atmosphère qu'il sait avoir tendue. C'est louable, même si c'est un échec cuisant.

— Okay. D'accord. Très original, je vous l'accorde. Et la vraie raison, c'est ?

— … Cette table est allumée ? lui demande l'autre pour tout réponse, désignant le bureau à côté d'eux, qui fait face aux rangées de chaises installées dans la pièce.

— Non, pas en dehors des meetings. Pourquoi ? Vous allez me dire que vous avez une preuve vidéo, c'est ça ? l'informe Sam, tout en restant sur son incrédulité, croisant les bras.

— Mieux. J'espère…

Précautionneusement, Strauss vient appliquer le bout des doigts de sa main droite sur la surface intelligente inerte. D'abord, rien ne se passe. Puis, de petits arcs électriques commencent peu à peu à se former à partir des zones où il est en contact avec le plan de travail. Il bouge alors sa paume avec précision, très délicatement, presque imperceptiblement, et bientôt, le visage de Maena apparaît, en noir et blanc et tout auréolé d'éclairs. L'image ne ressemble à rien qu'une surface de ce type peut nativement afficher. La mâchoire de l'oncle se décroche, tandis que son chien couine à ses pieds, effrayé.

— Comment…?

Sam ne parvient pas à achever sa question, trop éberlué par ce qu'il a sous les yeux. Il a vu des magiciens. Des vrais. Des illusionnistes et des prestidigitateurs avec autant de talent que de génie. Et ils l'ont impressionné. Mais c'est au-delà de ça. C'est littéralement d'un autre monde.

Profitant du fait qu'il a enfin toute son attention, Strauss entre alors dans autant de détails que nécessaire à propos de ce qui l'amène :

— Je suis une forme de vie d'une autre planète. Et je n'ai pas le temps pour que vous ne me croyiez pas. Celui de Maena est compté dans ce laboratoire, on le sait tous les deux. Nous n'avons pas le luxe de débattre de ce que je suis ou ne suis pas. Ce qui compte, c'est que je peux vous donner les moyens de traverser les murs, ce qui est apparemment très exactement ce qu'il vous faut. Maintenant, la question est : est-ce que vous allez garder mon secret strictement pour vous et les personnes concernées par cette opération, ou bien on va avoir un problème ?

L'inspecteur a bien du mal à s'arracher à la contemplation du portrait toujours affiché sur le bureau. C'est sa nièce. Dans toute sa splendeur. Ce n'est pas une photo d'elle qui a pu être prise, c'est plus ressemblant, plus réaliste. C'est comme si aucune image d'elle ne lui avait jamais vraiment rendu justice avant celle-ci. Et dès que Strauss retire sa main de la surface, le dessin disparaît, ne laissant derrière lui que son négatif sur la rétine de son observateur, comme lorsqu'on fixe le filament d'une ampoule allumée pendant un peu trop longtemps.

Après quelques inspirations soigneusement mesurées, pour conserver son calme, Sam s'éloigne de quelques pas du bureau et vient s'écrouler sur la première chaise qu'il rencontre. Il prend le bas de son visage entre ses mains pendant un moment, fixant le sol avec de grands yeux, songeur. Strauss reste immobile et silencieux là où il est, lui laissant le temps de digérer les informations qu'il vient de recevoir, et de décider comment il doit y réagir. Lorsque le regard bleu du maître-chien revient enfin vers lui, il sourit. Il va encore avoir à répondre à beaucoup de questions, mais le plus dur est fait. La preuve : Sing Sing s'est détendu.

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