2x05 - Atterrissage d'urgence (3/20) - Donnant-donnant

De la maternelle au lycée, la pause de milieu de matinée est un peu plus longue que les autres, à l'instar de celle de milieu d'après-midi. C'est ainsi l'occasion pour les élèves de faire un peu plus que se rendre jusqu'à leur prochaine salle de cours, comme par exemple aller prendre l'air ou bien récupérer quelque chose dans leur casier. Brennen est justement en train de fouiller dans ses affaires en quête d'un stylet de rechange lorsque le bruit métallique de quelqu'un s'abattant violemment sur le compartiment voisin le fait sursauter. Il referme partiellement la porte du sien, afin de s'assurer que personne ne s'est fait mal, et ses épaules s'affaissent lorsqu'il découvre de qui il s'agit.

— Hey, B, le salue Jack avec un grand sourire charmeur, nonchalamment adossé à un casier qui n'est pas le sien.

— Jack. Salut… répond Bren.

Le jeune journaliste repasse rapidement de rassuré à inquiet, bien que pour des raisons tout à fait différentes qu'un instant plus tôt. Il n'aime pas quand Jack Nimbleton sourit de cette manière. Personne ne doit aimer ça.

— Ça faisait longtemps, le petit blond persiste à engager la conversation.

— J'ai envie de dire une quinzaine de jours, propose le journaliste platement, tout en retournant à sa recherche parmi ses effets personnels.

— Précisément quinze, mais qui compte, le corrige l'autre.

Afin de ne pas perdre de vue son interlocuteur, il contourne le battant que ce dernier a rouvert en grand. Devant une telle insistance, Brennen craque :

— Qu'est-ce que tu veux ? il lui demande sèchement.

Curieusement, il a l'impression que les gens ne réagissent jamais que d'une seule manière à la présence du petit génie. Elle est différente pour chacun, mais relativement invariable pour un individu donné. Et il n'a en ce qui le concerne jamais été tranquille en compagnie de Jack, même avant d'avoir eu la preuve qu'il n'était pas rebelle que par les mots, et avant d'avoir de surcroît des raisons de craindre qu'il puisse vouloir s'en prendre à lui spécifiquement. Certains sont attirés par son aura, quelle que soit la description la plus juste qu'on puisse en faire, mais lui, elle lui fait plutôt peur.

— Pourquoi est-ce que c'est toujours la première question qu'on me pose ? proteste le blondinet, feignant l'outrage.

— Parce que tu ne fais jamais rien sans raison, lui répond l'autre du tac au tac.

C'est l'agacement qui le rend téméraire. Il n'a pas le temps pour les facéties du surdoué, il va bientôt falloir qu'il retourne en cours. Un autre élément qui l'enhardit, c'est que même si leur dernier entretien lui a paru effrayant sur le coup, il s'est conclu par une recommandation qui a plutôt porté ses fruits. Pourquoi l'avoir correctement conseillé par rapport à son coquard s'il compte lui en donner un nouveau ? Pour préparer le terrain ?

— Personne ne fait jamais rien sans raison. Et juste parce qu'il y a une raison à ma venue ne veut pas dire que je VEUX quelque chose de toi, oppose l'accusé, pragmatique.

— Donc, tu viens juste pour ma compagnie ? suggère Brennen, dubitatif.

Maintenant qu'il y a récupéré ce qu'il y était venu chercher, il referme la porte de son casier d'un coup sec, faisant une fois de plus claquer le métal dans le couloir. Contrairement à leur dernière conversation, il y a un peu de monde autour d'eux, ce qui lui confère également une sensation de sécurité dont il ne disposait pas antérieurement.

— Non, bien sûr que j'ai quelque chose à te demander ! admet évidemment Jack.

Son argument précédent était purement théorique, mais ça ne le rend pas moins valable.

Le rédacteur en chef soupire, puis se résigne à être aimable. Son interlocuteur semble faire un effort, lui, se montrant bien moins hostile que lors de leur dernier face-à-face, si non moins pénible. Cette fois-là, son regard aurait presque pu creuser un trou dans du béton tant il était intense. Aujourd'hui, il a au moins le sourire. Un sourire inquiétant, mais un sourire tout de même.

— Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? s'enquiert donc Bren poliment, prenant vraiment sur lui.

— Je préfère ça ! J'ai appris que tu étais retourné au commissariat. Pourquoi ?

Maintenant qu'on lui a métaphoriquement ouvert la porte, le surdoué ne perd plus de temps en civilités. Heureusement, celui qu'il interroge est trop surpris par sa question pour s'attarder sur son manque de manière :

— Comment est-ce que tu es au courant de ça ? il s'étonne, rajustant la bretelle de son sac à son épaule.

— Le log des visiteurs. Qu'est-ce qui t'a amené là-bas ? insiste Jack, jugeant ce détail trivial.

Il est ici pour récolter des informations, pas en fournir. Surtout à la littérale gazette du lycée.

— Je me suis souvenu d'un truc, si tu veux tout savoir, est tout ce que lui accorde le reporter.

Il croise les bras à présent. La contrariété de voir sa bonne éducation ainsi imméritée le rattrape. Il a tenté d'être ouvert, et n'a été accueilli que par une question indiscrète et sans justification.

Comme s'il n'avait absolument pas noté le nouveau changement d'attitude de celui qui lui fait face, le délinquant ne faiblit pas dans son inquisition :

— Oui, je veux tout savoir. Qu'est-ce qui t'es revenu ?

— Qu'est-ce que ça peut te faire ? Qu'est-ce que tu pourrais bien en tirer de plus que la Police ? essaye de le raisonner l'autre, fermé.

— Que tu me poses cette question va à l'encontre de tes objections à partager ce que tu sais, lui soumet alors le petit blond.

La plupart du temps, ses intentions sont impossibles à circonvenir par la logique.

— Le partage implique la réciprocité, propose faiblement Bren.

Il n'est pas très inspiré dans sa répartie, mais décide de tenter le tout pour le tout. Personne n'aime se faire marcher dessus.

— Très bien. Qu'est-ce qui te ferait plaisir en échange ? lui offre alors Jack, imperturbable.

Puisqu'il ne s'était pas attendu à cette réaction, le plus grand des deux doit réfléchir un instant avant de répondre :

— Peut-être que tu me dises ce que toi tu sais, il finit par oser.

Son haussement d'épaule ensuite est beaucoup plus désinvolte qu'il ne se sent en réalité, et il s'en félicité intérieurement. Il a toujours été meilleur pour récolter les informations en évitant d'interagir directement avec les gens, mais il sait qu'il faut qu'il y travaille.

— C'est pour un article ? s'enquiert alors Jack.

Sans encore le laisser lire sur son visage, il est plus joueur que réellement critique.

— Non ! Pourquoi est-ce que tout le monde pense toujours ça ? s'offusque le journaliste, faisant malgré lui écho à son interlocuteur plus tôt dans la conversation.

Le parallèle, auquel il s'attendait, tire un sourire un peu plus élargi au blondinet, ce à quoi l'autre lève les yeux au ciel. Il ne sait pas comment il s'est laissé prendre à ce stupide piège. Il devrait pourtant savoir mieux que quiconque combien chacun est connu pour quelque chose, en ce bas monde. Et ça tient souvent de la caricature.

— Peut-être parce que tu es la plume la plus redoutée de tout Walter Payton ? suggère tout de même le fils d'ambassadeurs.

D'après la moue faussement incrédule sur son visage, il savoure clairement la parfaite exécution de sa taquinerie. Sarcasme mis à part, il a cependant plutôt un sincère respect pour ce que l'autre fait avec sa rubrique et ses éditoriaux. Ce n'est pas sa tasse de thé, mais il apprécie la qualité de l'exécution.

— Écoute, je m'inquiète pour Mae, d'accord ? J'étais là quand elle s'est fait enlever, au cas où ça te serait sorti de l'esprit, reprend Brennen, revenant aux choses sérieuses.

Malgré la disparition de la marque que la crosse du fusil d'assaut avait laissée sur sa pommette, ainsi que des migraines qu'avait provoquées le coup, il continue évidemment à se sentir concerné par l'affaire. C'est de l'attention, qu'il avait hâte de se débarrasser, voilà tout, et ça semble aujourd'hui en bonne voie. Il ne saurait pas dire si c'est triste ou au contraire une bonne chose, mais les gens ont la mémoire courte quand ils n'ont pas été directement affectés et n'ont plus rien pour leur rappeler ce qui s'est passé.

— Je n'ai pas oublié. Tout comme je n'ai pas oublié que c'est toi qui as trouvé Caes dans une mare de son propre sang. Tu sembles toujours être là quand la tragédie frappe, pas vrai ? Jack rétorque à cet argument, le rejoignant dans le sujet qui fâche.

Puisque Fred Insley lui a tenu à peu de choses près le même discours la semaine passée, il sait à quel point cette accusation est horripilante. Notamment parce qu'elle est impossible à réfuter, aussi absurde soit-elle dans le fond.

— Oh non ! Je suis percé à jour ! J'ai ouvert le poignet d'un collègue puis commandité l'enlèvement de sa sœur pour pouvoir écrire des articles à sensation dans le journal de mon lycée…! Tout le monde n'est pas aussi désœuvré et dérangé que toi, Jack, Brennen feint d'abord exagérément le désespoir, avant de conclure par une mimique atterrée.

D'un côté, il est content d'avoir trouvé Caesar, car il lui a peut-être épargné de vilaines séquelles de son geste. Mais de l'autre, s'il avait pu éviter d'être dans cette situation, il ne s'en porterait que mieux. Il n'est pas particulièrement sensible à la vue du sang, mais ça lui a quand même fait un choc, de le découvrir dans cet état.

— Je te retourne ta question, alors : si je partage mes infos, qu'est-ce que tu penses pouvoir faire que la Police ne peut pas ?

Malgré toute la bonne volonté dont le journaliste témoigne, Jack reste réticent à le mettre dans la boucle. Ellen et Nelson lui ont paru légitimes dans leur demande d'implication. Bren, lui, n'est ni ami avec Mae, ni ami avec Caesar, à la base. Voire plutôt l'inverse, indirectement, lorsqu'on considère l'aversion de la blondinette pour les articles qu'il écrit anonymement. Il n'est concerné par les évènements que parce qu'il était au mauvais endroit au mauvais moment. Que ça se soit produit deux fois de suite ne rend pas sa présence moins étrangère.

— J'en sais rien. Mais on sait jamais. Je suis pas mauvais en recherches, improvise Brennen.

Il n'a pas de réel argumentaire pour soutenir sa demande. C'est vrai que rien ne lui est dû juste parce qu'il était là. Et il ne va pas prétendre s'imaginer particulièrement utile à la cause. Mais bon, sur le principe…

— Je pense que ce dont on a besoin est un peu plus hardcore que ce dont tu as l'habitude, le tempère le délinquant.

Dans un coin de son esprit, il repense à toutes les infractions qu'il a déjà dû commettre pour récolter le peu d'informations qu'il détient sur l'affaire. Fouiner dans les logs résiduels du bureau intelligent d'une fliquette était la moindre d'entre elles. Même se rendre aux archives locales sous un faux prétexte pour en réalité accéder à un dossier d'adoption scellé, ça tient de l'enfantillage.

— C'est pas parce que je suis pas un génie comme toi que je peux rien apporter ! proteste Brennen, outré par cet élitisme le plus primaire.

Clairement, Jack mène son enquête parallèle, il n'y pas plus aucun doute là-dessus. Mais pourquoi est-ce qu'il serait le seul à pouvoir le faire ? Qu'est-ce qui lui donne ce droit ? Et surtout, pourquoi est-ce qu'il n'accepte pas toute l'aide qu'il peut trouver ? En quoi ça pourrait lui porter préjudice ?

— Et si j'ai rien à te dire, huh ? lui soumet alors Jack, inépuisable dans sa réticence au travail en équipe.

Le reporter secoue la tête à la négative. Il n'y croit pas une seconde.

— Tu serais pas en train de creuser si tu n'avais pas au moins un semblant de piste. Tu es trop fier pour ça.

— De un, si j'en suis réduit à te demander ton aide, mon semblant de piste est presque moins que ça. De deux, j'ai déjà promis de tenir deux personnes au courant de ce que je trouve. Mais je leur fais confiance. Pas à toi, désolé, avoue enfin le petit blond.

Il a déjà pris beaucoup trop de pincettes à son goût dans cette conversation. Et il ne sait pas vraiment pourquoi, puisque jusqu'ici il n'a rien obtenu de celui à qui il s'adresse.

Brennen perd patience également. Cette dernière insulte vient d'avoir raison de sa combativité en le cas présent.

— Pfff. Peu importe. Je me suis souvenu d'un logo sur l'uniforme des types qui ont pris Mae. Tiens, il cède enfin à la demande initiale.

Au bout du compte, il n'a aucun avantage à garder ce qu'il sait pour lui, qu'on partage ce qu'on en tire ou non. Il veut juste qu'on retrouve Mae saine et sauve, avec ou sans sa participation. Il ne sait pas si Jack en est capable, mais s'il a la moindre chance, autant la lui donner. Extirpant sa tablette de la poche extérieure de son sac à son épaule, le journaliste en herbe y applique son SD afin d'y afficher le symbole qu'il a déjà dessiné pour Sam, par quelques gestes rendus brusques par l'agacement. Il tend ensuite l'instrument à Jack.

— Un pas dans la bonne direction ! l'autre accepte avidement ce qu'on lui offre.

Il appose sa propre carte à l'outil, afin de récupérer une copie du croquis. Au moins, il a l'air satisfait.

Même si la sonnerie de fin d'intercours n'avait pas retenti à cet instant précis, Brennen n'aurait tout de même rien répliqué. Encore une fois, il n'aurait rien à gagner à le faire. Ce n'est pas comme si quoi que ce soit pouvait atteindre le petit génie. Et le plus important dans tout ça, c'est que Mae reçoive l'aide dont elle a besoin. Le jeune journaliste est bien incapable de décider s'il pense que Jack a des chances d'aider à la retrouver, mais il est en tous cas certain qu'il ne peut pas empirer la situation. Alors à quoi bon lui mettre des bâtons dans les roues ?

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