2x05 - Atterrissage d'urgence (2/20) - Vocation

Bien qu'elle ne soit plus exactement une patiente du Docteur Conway et de son institut depuis plusieurs années, ou en tous cas plus seulement, Setsuko doit tout de même se rendre en session de thérapie cinq matins par semaine, à l'instar des autres résidents, afin de conserver les apparences. Pendant ces heures de tête-à-tête, il lui arrive de discuter avec Kennedy, mais il est beaucoup plus fréquent que l'une comme l'autre vaque à ses occupations.

Pour la psychiatre, c'est l'occasion de rattraper un éventuel retard dans ses dossiers ou ses courriers, ou bien simplement de profiter d'un intermède entre deux entretiens à proprement parler. Pour la jeune Japonaise, c'est toujours un moment de plus où elle n'a pas à prétendre. Elle apprécie sa position, a conscience de son utilité, et ne se voit pas faire autre chose, mais ça ne signifie pas qu'elle n'a rien de fatiguant. Comme n'importe quel métier, d'ailleurs.

— Hey, Doc. Est-ce que vous m'écririez une lettre de recommandation ? demande tout à coup Setsuko, posant la tablette sur laquelle elle était en train de lire sur ses genoux, passés au-dessus de l'accoudoir du fauteuil dans lequel elle est installée.

Le médecin lève la tête de ce qu'elle est en train d'écrire à son bureau, et la penche sur le côté dans son incompréhension.

— Dans quel but ?

— Pour quand je partirai, précise son infiltrée avec concision.

Sa thérapeute reste toujours aussi perdue, quoique pour des raisons différentes, à présent.

— Je pensais que tu ne voulais pas partir.

En tous cas, c'est l'impression sur laquelle elle était restée après leur dernier abord de ce sujet. La jeune femme lui avait jusqu'ici parue plus que frileuse à l'idée de rejoindre un institut pour adultes. Qu'est-ce qui a changé ?

— Non, mais vous avez raison : bientôt je serai trop âgée pour passer pour une adolescente de toute façon, explique son ex-patiente, haussant les épaules.

— Ce n'est pas la vraie raison… commente Kennedy.

Elle pose carrément son stylet à présent, afin de pouvoir se consacrer entièrement à la conversation. Sets joue cependant les innocentes :

— La vraie raison de quoi ?

— De ta soudaine intention de partir. Bien sûr que tu peux encore passer pour une adolescente ! Tu es toute menue. Et asiatique. Qu'est-ce qui t'arrive ? l'interroge sa psy.

Elle n'est pas dupe, depuis le temps qu'elle la côtoie et la voit faire semblant d'un peu tout et n'importe quoi. Setsuko est excellente actrice, elle doit bien le lui reconnaître, mais même les meilleurs caméléons ont leurs limites.

— Peut-être que je me lasse d'être entourée de patients si jeunes, se défend la Japonaise.

Sans qu'elle s'en rende compte, sa posture justement presque enfantine affaiblit malgré elle son argument.

— Le fait que tu aies commencé ta phrase par "peut-être" me fait douter de sa sincérité. Parle-moi, Setsuko. On se connaît depuis trop longtemps pour jouer sur les mots, son aînée l'incite à s'ouvrir, persévérante.

— Très bien ! Je ne me sens plus pertinente, plus efficace. Je n'ai plus l'impression d'être à ma place ici, confesse alors l'interrogée.

Elle a conscience que résister plus longtemps serait futile, face à la perspicacité de son interlocutrice. Kennedy a une patience d'or lorsqu'il s'agit de ses protégés ; elle leur laisse toujours tout le temps qu'il leur faut. Mais elle est également capable de détecter quand ils jouent la montre et n'ont pas réellement besoin de quelque temps que ce soit. Et dans une situation comme dans l'autre, elle sait très bien obtenir les informations dont elle a besoin pour les aider.

De plus, une autre vérité que Sets a apprise à ses dépens et aux côtés de la psychiatre, c'est que lorsqu'on aborde un sujet qui en amène forcément un autre, c'est souvent qu'on a inconsciemment envie de parler de ce dernier. Détourner la conversation dans un cas comme celui-ci ne fait qu'augmenter notre malaise. Encore une raison de ne rien cacher aujourd'hui, donc. Si elle a osé mentionner cette histoire de lettre de recommandation, c'est parce qu'elle est dérangée par cette envie de partir qui poindre.

Malgré ces nouvelles informations, le Docteur reste un peu perdu :

— Tu te sens inutile !? Mais pourquoi ? Parce qu'il n'y a pas eu de nouvel arrivant ces derniers temps ? Ce n'est pas la première fois que ça arrive. Et c'est toujours une bonne nouvelle.

— Je sais. C'est pas ça. C'est une impression générale.

Tout aussi confuse à propos de son propre ressenti, la plus jeune est bien incapable de lui offrir plus.

— Qui vient d'où ? demande Kennedy avec candeur.

Elle veut vraiment l'aider à démêler tout ça, mais elle n'a pas beaucoup de matière pour ne serait-ce qu'initier une analyse.

— C'est vous la psy ! Et puis vous devriez être contente, puisque la réglementation exige que je parte d'ici la fin de l'année, Setsuko finit par changer de sujet.

Pour toute sa sagesse engrangée entre ces murs, son instinct finit tout de même par prendre le dessus sur la raison, et elle se ferme. Elle a commencé à partager son malaise, c'est déjà un début. Quand elle sera prête à en confronter l'origine, elle y viendra. Mais pas avant.

— Tu pourrais aussi intégrer Lakeshore en tant que conseillère à proprement parler, tu sais, sa patronne de facto glisse alors l'air de rien.

Leur temps ensemble touche à sa fin ; son prochain parient ne va pas tarder. Il est donc l'heure de conclure, et elle tente de le faire sur une note joueuse. Il n'y a rien d'autre à faire. Même si l'horloge ne jouait pas contre elles, elle sent bien qu'elles ne seraient pas allées plus loin aujourd'hui de toute manière.

— Et c'est maintenant que vous me le dites ?! feint de s'offusquer l'Asiatique.

Lorsqu'elle lève les bras dans son outrage, elle manque de laisser glisser sa tablette par terre. La thérapeute laisse un sourire fendre son visage à cette réaction théâtrale. Elle se doute bien que l'idée a déjà effleuré la jeune femme, et bien avant cette année qui plus est. Mais elle sait aussi, sans qu'elles n'en aient jamais discuté ouvertement, que ce n'est pas quelque chose qui l'attire. Bien qu'elle n'ait initialement pas choisi cette voie, qui lui est plutôt tombée dessus pendant qu'elle était encore une patiente tout ce qu'il y a de plus légitime, elle ne voudra jamais en prendre une autre, même proche. Son caractère mimétique et son expérience personnelle ne lui laissent pour ainsi dire pas le choix.

Intérieurement, Setsuko suit une ligne de pensée similaire. Elle se dit qu'elle détesterait se placer dans ce qu'elle considère être une position d'autorité vis-à-vis des patients. Même si elle obtenait un diplôme, ce qu'elle n'aurait sans doute pas trop de mal à faire après toutes ces années de quasi pratique, elle ne goûterait pas un tel rapport hiérarchique. Elle conçoit que ça fonctionne pour d'autres, mais elle sait que ça ne lui conviendrait pas à elle. D'accord, elle a déjà traversé ce que ceux qu'elles cherche à aider sont en train de traverser, mais en quoi ça lui conférerait quelque supériorité que ce soit par rapport à eux ? Elle peut reconnaître la valeur inestimable de quelqu'un qui s'en est sorti lorsqu'on essaye de faire la même chose, mais ce n'est pas parce que quelqu'un est important qu'il est supérieur. C'est pourquoi cette position entre deux eaux, pas vraiment conseillère mais un peu quand même, est idéale pour elle. Si seulement elle pouvait la conserver pour toujours.

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