2x04 - Chassé-croisé (17/17) - Sujets sensibles

Alors que la journée s'apprête à toucher à sa fin pour beaucoup, Sam revient à son bureau, duquel il s'était absenté pour une entrevue avec son neveu. L'étudiant est justement sur ses talons, la main sur son sac en bandoulière, où il garde précieusement l'enveloppe que lui ont transmise Sieg et Vlad ce midi. Comme s'il comprenait l'importance de son chargement, Sing Sing avance à côté de lui, exceptionnellement en retrait de son humain de rattachement. Peut-être a-t-il senti qu'il y avait du sang sur le croquis, malgré l'étui de plastique dans lequel il est soigneusement préservé. Ou peut-être la simple odeur du papier est-elle suffisamment inhabituelle pour mettre le chien en alerte. Connaissant les capacités du molosse, Markus est à la fois rassuré et inquiété par ces hypothèses.

Bien qu'il n'ait toujours pas entièrement digéré qu'il ne lui ait pas parlé de ce qu'il soupçonnait à propos de Jena, l'étudiant a contacté son oncle dès sa sortie des cours en fin de journée, et lui a montré ce que la brunette et ses acolytes avaient découvert. Après délibération, ils ont décidé ensemble de confier ces éléments de recherches aussi bien à Fred qu'à Ann et Alek. Pour tous leurs talents, ces deux derniers n'ont malgré tout pas accès à toutes les bases de données de la Police, et il serait idiot de s'en passer. Ils aviseront de comment gérer l'ancienne cyber-enquêteuse en temps voulu. Ce ne sera pas la première ni la dernière personne que Sam va devoir garder dans l'ombre, après tout. Ça ne l'enchante guère, mais il y est préparé.

- Hey, Insley, tu t'en sors, avec le dessin que nous a filé le gamin ? le maître-chien interpelle sa partenaire.

Elle a pris le relais de l'analyse du logo tracé par Brennen dès son retour au commissariat, un peu plus tôt dans l'après-midi. Autant même carrément dire qu'elle lui a réquisitionné la tâche, en le voyant faire, atterrée par ses méthodes à son sens préhistoriques. Aussi vexante sa démarche ait été, qu'elle s'occupe de ça a au moins permis de la distraire de l'annonce de leur affectation à l'enquête. Car, sans surprise, elle n'a pas été ravie d'apprendre ce développement.

- Toujours mieux que tu t'en serais sorti tout seul. Pourquoi ? réplique la jeune femme sans même se détourner de son ouvrage.

La forme est acerbe, mais le fond n'est néanmoins pas illégitime. Habitué à ses réparties cinglantes, l'oncle ne se formalise pas.

- J'ai un autre paramètre pour toi, si ça peut t'aider à réduire ton champ de recherche.

Plaçant son SD au milieu de la surface formée par leurs deux bureaux, il affiche sous son nez une numérisation du croquis réalisé par Vlad d'après les dires de leur captif de ce matin. La changement de format leur a paru judicieux afin d'éviter de soulever trop de questions. Ils se doutent bien qu'ils vont en récolter en dépit de cette précaution, car même sous cette forme, on peut bien voir l'état du document original, mais ils se sont dit que c'était le minimum.

Une fois qu'elle a compris ce qu'elle a sous les yeux, Fred affiche à peu de choses près la même expression qu'a arborée Markus en constatant qu'on lui tendait du papier ensanglanté. Un sourcil haussé, ses yeux vont de Sam à celui qui l'accompagne, emplis de suspicion.

- T'as eu ça où ? elle interroge.

- Source anonyme ? propose le futur médecin, avec une grimace typique de quelqu'un qui ne sait pas mentir mais espère qu'on lui fera grâce de plus de questions.

Dans l'absolu ce n'est pas complètement faux ; Sieg et Vlad sont pour ainsi dire des inconnus. À part leurs prénoms, qui ne sont peut-être même pas leurs prénoms, il ne sait rien sur eux. Même leur association à Jena, il n'en a techniquement pas eu la preuve. Ils auraient aussi bien pu laisser l'enveloppe sur la tombe de sa mère pour qu'il la trouve, sans venir lui parler, et ça serait revenu au même.

- Et tu es ? s'enquiert Fred.

Elle le toise de haut en bas et de bas en haut, fidèle à elle-même dans son attitude un brin dédaigneuse. Le jeune homme a un petit mouvement de recul surpris à cette question.

- Er… Markus. Le frère de Mae, il répond avec incompréhension.

À côté de lui, Sam est plus agacé que dérouté. Pour lui, c'est atterrant que son équipière ait besoin de demander une telle chose. L'affaire de l'enlèvement de Mae ne leur a officiellement été confiée qu'aujourd'hui, il est donc sans doute un peu tôt pour qu'elle ait tout mémorisé sur le sujet, mais après la grosse lacune dont elle a fait preuve le jour de son arrivée, en ne sachant pas qui elle remplaçait et dans quelles circonstances, le maître-chien avait pensé qu'elle se serait rattrapée. Elle aurait pu ne serait-ce que jeter un œil à ses données personnelles, afin de ne pas commettre de nouvel impair à l'avenir. Mais non, apparemment. Et ce manquement est d'autant plus crispant que pour le reste, même s'il ne le lui dira peut-être jamais en face, elle est pour ainsi dire irréprochable. Son côté robotique lui confère une certaine efficacité.

- Lire les dossiers, c'est décidément pas ton truc, pas vrai ? il lui fait remarquer, sévère.

- J'ai juste pas… Peu importe. T'as rien de plus que ça ?

Elle décide de rester professionnelle et de ne pas entrer dans ce débat maintenant, surtout devant un visiteur. Elle n'est déjà pas douée pour retenir les visages des gens qu'elle a rencontrés, alors ceux qu'elle n'a vus qu'en photo…

- Ça, ce serait la partie émergée du bâtiment. La structure serait à moitié ensevelie, avec un accès souterrain de ce côté. Et c'est situé quelque part entre Chicago et la côte Est, lui apprend Mark comme le lui a communiqué Sieg au cimetière.

Par chance, divers symboles sur le schéma, reprenant tout ce qu'il vient de dire, peuvent laisser penser qu'il a simplement déchiffré le dessin sans que personne ne lui en ait fait l'explication en premier lieu. Il désigne d'ailleurs les divers gribouillis au fil de sa prise de parole, se penchant par-dessus l'épaule de la jeune femme.

Lorsqu'il a terminé, Fred lève tout de même vers lui un regard de plus en plus sceptique, sa méfiance ravivée par l'éclectisme des détails qu'il lui fournit. D'où le frère de la victime sort un truc pareil de son chapeau ? En admettant que quelqu'un s'amuse à creuser de son côté, par une voie détournée et potentiellement clandestine – ce qui n'est pas si farfelu, puisque c'est plus ou moins ce que lui a annoncé vouloir faire ce petit con de Jack Nimbleton le matin-même - pourquoi est-ce que les résultats de cette supposée enquête parallèle seraient transmis à Markus et pas à son père ? Voire directement à son oncle, littéralement dans la Police ?

- Source anonyme, huh ?

Devant son air presque narquois, c'est Sam qui coupe court aux questions. Il est désireux de savoir si elle est capable de travailler sans plus d'informations ou bien s'ils perdent leur temps. Il se doutait que vouloir essayer d'utiliser ses compétences sans rien lui dire ou presque n'allait pas être du tout cuit :

- Est-ce que tu peux prendre ça en compte dans tes recherches ou pas du tout ?

Il aimerait pouvoir la tenir à l'écart des tout ce que Jena et ses deux acolytes vont encore peut-être leur apporter d'ici la fin de cette enquête, mais compte tenu de ses compétences avec les moteurs analytiques, Insley est selon lui un atout qu'il ne peut pas se permettre d'ignorer complètement. Néanmoins, il reste tout de même ferme sur ce qu'il ne peut strictement pas lui dire, et ne compte pas forcer la chance avec elle si elle n'est pas prête à lui faire confiance. Étant donné leur relation tendue, il comprendrait tout à fait que ce ne soit pas le cas, mais il s'en voudrait quand même de ne pas au moins la soumettre à la question. Si la vie d'une gamine était en jeu, il pense qu'il aiderait en ce qui le concerne sans doute la pire des ordures.

- Oui, je m'en occupe, Fred finit par annoncer après un instant de considération.

Elle a déjà été amenée à travailler avec des sources encore plus louches que ça. Le sang et le papier, c'est nouveau, mais les informateurs plus que confidentiels, pas du tout. Et puis, il y a quelque chose de jouissif à ce que son nouveau partenaire ait besoin de son aide, pour une fois.

- Merci, Sam vocalise sa reconnaissance.

Là, elle tique d'autant plus. Prenant sur elle, elle essaye alors d'adoucir la réaction qu'elle a eu un peu plus tôt, en apprenant qu'ils avaient été officiellement mis sur l'affaire :

- Je suis toujours pas d'accord avec le fait qu'on soit sur cette enquête. Mais pour ce que ça vaut, j'espère que ça finira pas en homicide.

Markus prend une inspiration choquée à la brutalité de ce commentaire, appliqué à sa petite sœur. Comme son père, son cerveau l'a soigneusement préservé de considérer cette éventualité, se convainquant que si c'était le but du Docteur Vurt, il ne se serait pas embêté à l'enlever. Mae est en vie quelque part.

Secouant la tête sous le coup de l'exaspération, l'oncle passe un bras autour des épaules de son neveu et le guide vers les escaliers, lui disant de rentrer parler à son père et qu'il les rejoindra plus tard. Il se tourne ensuite à nouveau vers sa collègue. Il se penche à côté d'elle, une main sur le dossier de son siège :

- Je sais que t'es fille unique, mais c'est pas une excuse. Tu ne travailles plus dans une pièce sans fenêtres ni visiteurs. Si tu t'inscris pas de toi-même à un séminaire de sensibilisation, je le ferai pour toi, il lui annonce à demi-ton, presque menaçant.

N'attendant pas de réponse, il rejoint sa propre chaise avant qu'elle n'ait pu en trouver une. Il a raison, elle a manqué de tact, elle s'en rend compte maintenant. Mais ce qui la perturbe le plus dans son avertissement n'est pourtant pas sa seconde partie, curieusement.

Est-elle réellement fille unique ? Est-ce qu'il n'est pas possible qu'elle ait vraiment un frère jumeau quelque part dans le monde ? Elle a passé la majeure partie de sa journée à essayer de déterminer, par d'autres moyens que de rompre le sceau de confidentialité de son dossier d'adoption, si Jack avait dit vrai. Sans rien dénicher de concluant, malheureusement. Il y a bien eu des jumeaux nés le même jour qu'elle dans le même hôpital, ça fait partie des statistiques publiques, mais elle n'a aucun moyen de savoir si elle était l'un d'entre eux. Et même si elle arrivait à retrouver le personnel de service ce jour-là, et qu'ils se souvenaient de cette naissance en particulier, ce n'est pas dit qu'ils puissent faire le lien avec elle.

À ce stade, elle sait par expérience qu'il n'y a qu'un seul endroit où elle trouvera une réponse définitive à son questionnement, mais elle n'est pas encore prête à en faire sauter le scellé. Elle pourrait, pourtant. Non seulement elle est inspecteur de Police, ce qui lui donne la possibilité dans le cadre d'une enquête de faire lever certains verrous, mais elle est également tout simplement majeure et a donc le droit de consulter son propre dossier d'adoption si elle le souhaite. Elle n'est cependant pas certaine de vouloir regarder derrière ce rideau. À cause des potentielles implications de ce qu'elle y trouverait, notamment.

D'après le jeune Nimbleton, son frère serait celui qu'elle a passé sa carrière à pourchasser, quelqu'un qu'elle déteste et qu'elle rêve de coincer et mettre en cage. Elle ne peut pas s'empêcher de penser que toute cette histoire est forcément une vaste manipulation de la part du hacker, visant à la faire douter. Le problème, c'est que ça fonctionne qu'elle consulte le document ou non : dans tous les cas elle ne pourra plus le poursuivre de la même manière tant qu'elle ne sera pas certaine qu'il n'est pas son seul lien de parenté encore en vie. Une stratégie de Schrödinger machiavélique.

Se disant que si les relations fraternelles même hypothétiques sont déjà une telle prise de tête, elle ne préfère pas imaginer ce que c'est lorsqu'elles sont avérées, Fred regrette d'autant plus ce qu'elle vient de dire devant Markus. Elle décide donc de suivre le conseil de son partenaire, et soumet de suite une demande de formation à la communication. Sam n'est pas le premier à lui faire remarquer que son naturel abrupt n'est pas adapté à toutes les situations. C'était moins gênant dans sa précédente brigade, puisqu'elle était moins en contact avec le public, mais si elle veut poursuivre aux Homicides, il va falloir qu'elle apprenne à être un peu plus diplomate. Elle ne compte pas être recalée pour une raison aussi bête.

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