2x04 - Chassé-croisé (15/17) - En pointillés

Ellen et Nelson quittent le lycée après leurs deux heures de cours d'Arts Plastiques, en même temps que le reste de leur classe, en fin d'après-midi. Ils sont cependant les seuls à être pris en embuscade lorsqu'ils atteignent la sortie du bâtiment. Avant qu'ils n'aient rejoint la rue, Jack se détache du mur auquel il était adossé et les intercepte, les poussant à s'arrêter. Le blondinet est suffisamment discret dans sa démarche pour que les autres adolescents, pressés de rentrer chez eux, ne prennent pas la peine de s'étonner de sa présence, même alors que celle-ci se fait de plus en plus rare. Il est presque aussi doué pour se faire oublier que pour se donner en spectacle.

- E. N, il salue les deux amis de Mae chacun par leur initiale, comme à son agaçante manie.

- Jack ? Tu es en cours ? s'exclame la jeune fille du duo.

Son ton et son regard sont presque plus surpris qu'interrogateurs. Elle ne se souvient pas de la dernière fois qu'elle l'a vu. Sans doute un peu après l'enlèvement de Mae, puisque c'est dans ces eaux-là que ses élans bagarreurs, pour lesquels il se faisait tant remarquer, lui ont passé. Et la dernière fois qu'elle a seulement entendu parler de lui, c'était il y a une semaine environ, quand Bren les a croisés à la bibliothèque et leur a dit que le tatoué lui avait donné un conseil pour son œil au beurre noir. Déjà à ce moment-là, elle avait été étonnée que le blondinet ait montré le bout de son nez au lycée.

- Je n'ai besoin que de 80% d'assiduité pour être diplômé ; j'assiste aux cours durant lesquels je peux être multitâche, explique Jack de manière expéditive, pressé.

- Qu'est-ce que tu veux ? lui demande Nelson, moins accueillant que sa camarade.

Le petit génie ne fait jamais rien sans raison. Usuellement une raison particulièrement égoïste ou en tous cas égocentrique. Et non seulement il ne vient jamais leur parler déjà en temps normal, il ne vient de surcroît pratiquement plus parler à personne, depuis quelques temps. Depuis ce qui est arrivé à Caesar, en fait. Si le grand brun aux yeux verts avait tenu ce genre de compte, il saurait que ça fait une cinquantaine de jours, mais même de tête, il sait que ça fait un temps certain. Il a donc toutes les raisons d'être suspicieux à cette approche inhabituelle.

- Lequel d'entre vous est allé chez les Quanto, dernièrement ? les interroge sans transition le jeune prodige.

Il considère qu'il vient plus ou moins d'être invité à ne pas s'embarrasser de civilités. De toute évidence, Nelson verrait au travers de son jeu même s'il s'escrimait à faire semblant, alors à quoi bon perdre leur temps à tous les deux ?

- J'y étais Lundi dernier avec mes pères. On est allé voir comment ils allaient, répond l'adopté.

Il est encore méfiant, mais il attend tout de même une raison valable pour se montrer franchement fermé. Peut-être que le surdoué cherche sincèrement à obtenir des nouvelles de la famille de son meilleur pote. Voire de son meilleur pote lui-même, puisqu'il est au courant qu'il n'a pas encore mis à profit le créneau hebdomadaire qui lui a été mis de côté à l'institut dans lequel séjourne Caesar. Il arrive que Markus ou Alek s'en inquiète vaguement.

- Et ? Jack l'incite à continuer.

- Et quoi ? Caesar est à l'hosto psychiatrique, et Mae s'est fait enlever ; ils vont pas super ! s'agace Nelson.

C'est quoi, ces manières, de le bousculer sur un sujet pourtant sensible ? S'il a une question spécifique à poser, qu'il la pose, au lieu de rester vaporeux et ensuite s'agacer qu'on ne lise pas dans ses pensées.

- Rien d'autre ? Rien d'inhabituel chez Alek, par exemple ? insiste l'autre, imperturbable.

- De quoi tu parles ? intervient alors Ellen.

Elle sent que le petit génie a quelque chose derrière la tête, mais qu'il ne va jamais en venir aux faits s'ils ne l'y incitent pas explicitement. Et elle craint aussi que son meilleur ami ne puisse se montrer beaucoup plus agressif que nécessaire si elle ne prend pas les devants dans cette entreprise. Les muscles de sa mâchoire sont dangereusement saillants, ce qui n'est jamais très bon signe. Avec la puce dans sa malléole, il ne peut pas vraiment se permettre de s'attirer des ennuis. Il est plutôt doué pour se tenir à carreau, mais ça ne fait parfois que contribuer à une sacrée quantité de colère refoulée.

Jack considère ses options un bref instant. Son regard clair passe de l'un à l'autre de ses interlocuteurs, pendant que sa cervelle déroule toutes les alternatives qui lui sont ouvertes, selon la décision qu'il s'apprête à prendre. Finalement, il soupire, et décide de dévoiler ses intentions. C'est toujours très long, mais c'est parfois un investissement rentable sur la durée, afin de gagner du temps plus tard.

- D'accord, je vais vous mettre dans la boucle, mais c'est juste parce que vous êtes potes avec M ; vous allez devoir le garder pour vous, il les met tout de même en garde.

- D'accord, obtempère Ellen dans la seconde, trop curieuse pour prendre le temps de négocier.

- Ell' ! l'apostrophe son collègue, lui faisant les gros yeux et écartant les bras.

Sa mimique est vaine, puisque celle à qui il la dirige a pratiquement un angle mort pour ce type de communications non-verbales. Mae a toujours été la plus douée de la bande pour lui faire savoir lorsque son comportement n'est pas approprié, d'un autre côté. Et même elle n'a jamais eu un taux de succès de 100%.

- Si Caes et moi on s'est pris la tête, c'est parce que j'ai pas cru à l'accident de son père, commence à expliquer Jack.

Il ne prête pas non plus attention à la protestation du grand brun. Qu'il ne lui promette pas de ne rien répéter de ce qu'il va lui dire n'est pas exactement un problème à ce stade. Il devrait être en mesure de l'en dissuader si l'idée lui en venait pas la suite, ou de gérer les conséquences s'il n'arrivait pas à l'en empêcher. Mais il pense surtout qu'il n'en aura pas l'envie, que ce soit parce qu'il ne l'aura pas cru ou parce qu'il sera capable de s'imaginer les potentiels impacts de faire ça.

- Je l'ai vu. Il était plutôt amoché, pour quelqu'un qui n'aurait pas été dans un accident, fait remarquer Nelson, à la fois protecteur et cassant.

- Je sais qu'il a été blessé, j'ai juste pas avalé que c'était un accident, précise le petit blond.

- Qu'est-ce que ça aurait pu être d'autre ? demande Ellen avec avidité, déjà absorbée par le récit qui n'a pourtant jusqu'ici rien révélé d'extravagant.

Nelson, de son côté, ne comprend même pas pourquoi Jack leur parle de ça. Surtout maintenant. C'était il y a des lustres. Tellement de choses plus graves se sont passées entre-temps, dont certaines sont encore sur le feu. Est-ce que c'est vraiment le moment ?

- Aleksander Quanto est un expert mondialement reconnu dans son domaine ; vous croyez sérieusement que quelque chose pourrait exploser dans son laboratoire sans qu'il ait la situation parfaitement sous contrôle ? leur soumet Jack.

C'est déjà ce qu'il avait voulu faire remarquer à Caesar. Il n'a bien sûr pas oublié comment ça s'était terminé, cette fois-là, mais il se dit qu'aussi proche des Quanto soit-il, Nels ne devrait pas être autant touché par la question que Caes ne l'a été. Une autre différence est qu'il a une excellente raison de ne pas avoir recours à la violence.

- Ça arrive à tout le monde de faire des erreurs.

Malgré la véracité de ce qu'avance Jack, Nels est très loin d'être convaincu. Il n'a même pas besoin d'y mettre la mauvaise volonté dont il aurait pourtant envie de faire preuve. Il a toute confiance en Alek, et pratiquement aucune en Jack ; il sait de quel côté il se range lorsque les deux n'ont pas le même discours sur les mêmes évènements. Pour le moment, il n'a rien entendu de concret qui pourrait le pousser à mettre en doute la parole du père de sa meilleure amie.

- Et puis, si ça se trouve, c'était la faute de quelqu'un d'un labo voisin, t'en sais rien, abonde Ell' dans le même sens.

Si pas toujours raisonnable, elle dispose tout de même d'une bonne dose d'esprit critique. Heureusement d'ailleurs, pour une fille de son gabarit, sinon elle n'aurait strictement aucune chance de survie dans ce monde parfois sans pitié. Elle ne s'imagine peut-être que rarement un scénario crédible, mais l'important, c'est de prendre les bonnes précautions.

- En dehors du fait qu'Aleksander Quanto travaille seul, ces trucs sont bâtis comme des bunkers ; ils résistent à tout ce qui est en-dessous de nucléaire. Si le bâtiment est encore debout, ça venait de son propre labo, faites-moi confiance, la détrompe le jeune prodige, secouant la tête de gauche à droite.

Nelson a une brève grimace à l'injonction finale de sa prise de parole. Non, justement, il ne lui fait pas confiance. Par clémence, il choisit cependant d'au moins le laisser aller au bout de son propos. Il pense aussi au fait que, s'il ne le laisse pas exposer toute son absurde théorie, Ellen prendra le flambeau, maintenant que l'idée a été plantée, et il n'a pas envie de la laisser mettre le doigt dans cet engrenage. Elle a déjà bien assez de zones d'ombre véritables sur lesquelles s'enflammer.

- Okay, en admettant que t'es pas complètement parano : qu'est-ce que tu penses que c'était, alors ? craque l'adopté, las de cette discussion.

Il a fini sa journée, il veut juste rentrer chez lui, pas squatter à la sortie de son lycée à élucubrer sur ce qui est arrivé ou non au père de sa meilleure amie il y a des mois de ça. Surtout quand elle n'est pas là pour le défendre, et pour des raisons aussi anormales qui plus est.

- Si Caes était en colère, c'est pas seulement parce que je l'ai pas cru, c'est surtout parce que j'ai fouiné pour vérifier mes soupçons. Je n'ai pas réussi à trouver grand-chose de concluant, mais je pense quand même qu'Alek a fait un truc qu'il aurait pas dû, et qu'il s'est fait tabassé pour ça. Et je pense aussi que c'est pour cette même raison que Mae s'est fait kidnapper, le fils d'ambassadeurs en vient finalement aux faits, laissant ses deux interlocuteurs bouche bée.

Le voilà, le lien avec eux, et la raison de cette révélation aujourd'hui.

Curieusement, c'est la marginale qui vocalise la première son refuse de croire à de telles accusations :

- Wow ! Tu crois pas que si son père pouvait faire quoi que ce soit pour la ramener, il l'aurait déjà fait ?

Une théorie du complot sur ce qui s'est passé dans un laboratoire, pourquoi pas. Des implications sur le pronostic vital de sa meilleure copine, il va falloir un peu plus de matière pour qu'elle y adhère. Elle est choquée de ces insinuations, même venant de Jack.

- Si, bien sûr. Je pense qu'il y travaille. Mais dans son coin. S'il a menti à l'armée avec cette histoire d'explosion, je pense pas qu'il puisse dire quoi que ce soit à la Police à propos de l'enlèvement d'M, rétorque le petite génie, droit dans ses bottes.

L'argument de l'adolescente gantée est bon, mais il n'est pas si accablant qu'il n'y paraît, selon lui. Il retourne la situation dans tous les sens depuis qu'il a appris la disparition de la petite blonde, et en plus du fait qu'il ne croie pas aux coïncidences, ses observations lui paraissent plus aller dans le sens de son interprétation que dans celui de la version officielle des faits.

- Même s'il y avait effectivement quelque chose à cacher, tu n'aurais pas moyen de savoir s'il a effectivement menti à l'armée. Ça pourrait tout aussi bien être eux qui l'auraient forcé à cacher la vérité, Nels défend Aleksander à son tour.

Il n'apprécie pas plus que sa collègue la tournure de la conversation, en plus d'y avoir déjà été réfractaire dès le départ. Il a rendu visite à Alek, depuis l'enlèvement. Il a vu l'état dans lequel il est. L'accuser d'avoir ne serait-ce qu'une part de responsabilité dans tout ça, c'est abominable. Ses enfants sont tout ce qu'il a, il ne ferait jamais rien qui leur ferait encourir un quelconque risque. C'est bien pour ça qu'il travaillait dans l'armée, d'ailleurs. Et c'est aussi pour ça qu'il l'a quittée, de ce qu'il a compris. Mae, Caesar, et Markus sont sa priorité. Si vraiment il devait passer quelque chose sous silence, ce serait pour les protéger. Il ne tairait rien qu'il pourrait les mettre en danger.

- Auquel cas les militaires auraient pris les recherches à leur compte et auraient déjà trouvé M, tu crois pas ? le blondinet pare une fois de plus, haussant un sourcil pour souligner ce qui selon lui est une évidence.

- Sérieux mais c'est quoi ton problème ? Tu crois pas que les Quanto ont suffisamment à gérer en ce moment sans que tu accuses leur père de je-sais-pas-quoi ? éclate alors le grand adopté.

Il en a assez entendu. C'était une chose de supporter la curiosité morbide de tout le monde, mais là, Jack va trop loin.

- Je l'accuse de rien. Je me fiche de ce qu'il a fait ou pas. Et puisque ça a mis en colère des gens pas très recommandables, j'aurais même tendance à penser que c'est potentiellement une bonne chose. Mais quoi qu'il en soit, je peux difficilement aider si je sais pas ce qui se passe, le tempère le blondinet, pour sa part frustré.

À cette révélation, Nelson comme Ellen restent muets. Cette dernière phrase leur fait voir l'échange qu'ils viennent d'avoir sous un tout nouvel angle. Toujours côte à côte, ils échangent un regard perdu.

- … Tu veux aider ? finit par s'étonner Ell' à voix haute pour eux d'eux, une grimace dubitative sur le visage.

Jusqu'ici, il avait juste semblé chercher des ennuis là où personne n'avait besoin qu'on en déterre.

- Bah… Ouais ! confirme Jack sans hésitation, hochant vigoureusement la tête et écartant les bras.

Il ne comprend pas l'origine de leur confusion. Il sait qu'il est un petit con, mais de là à penser qu'il remuerait le boue sans raison, quand même… Non, il peut l'admettre, c'est une présomption plausible à son sujet, c'est vrai.

- Pourquoi tu te portes pas juste volontaire ? lui propose alors Nels, comme Fred Insley l'a fait en début de journée.

L'un de ses sourcils est haussé par le scepticisme. Il ne sait pas ce qu'il manigance, mais il doit forcément y avoir plus simple s'il veut obtenir des informations sur la situation d'Alek que de leur poser la question à eux.

- La seule fois où Alek a vu mon visage, c'était quand celui de son fils était éclaboussé de sang qui n'était pas le sien et qu'il ne voulait plus parler. Indirectement à cause de moi. Et c'est en imaginant qu'il n'est pas au courant du fait que Caes m'a mis son poing dans la figure, peu avant de s'ouvrir les veine. Je suis peut-être pas la personne la plus sociable, mais je doute quand même qu'il m'ouvre les portes de chez lui comme ça, raisonne Jack.

S'il était là, il n'est même pas certain que Caesar accepterait son aide. La raison principale pour laquelle il est si investi dans cette histoire, c'est ce que lui a dit Mae le jour de son enlèvement. Elle pense qu'ils sont toujours meilleurs amis, quelles que soient les circonstances. Et il préfère croire qu'elle avait vu juste jusqu'à preuve du contraire que l'inverse. Mais il n'a aucune garantie.

- Oncle Sam accepterait ton aide, lui suggère Ellen.

Elle a connaissance des différences de caractères entre les deux frères Quanto. Elle a toujours été impressionnée par l'un comme l'autre, même si pour des raisons bien distinctes. En dehors de leurs âges relativement éloignés pour les membres d'une même fratrie, ils sont presque diamétralement opposés en termes de tempéraments ; l'aîné est le calme à la tempête du plus jeune, la nuit à son jour. Aussi, étant un policier, il est fort probable que l'inspecteur soit un peu plus à même de faire la distinction entre les besoins de son enquête et ses sentiments personnels. Qui somme toute ne doivent pas être spécialement virulents envers le fils d'ambassadeurs, puisque ce n'est pas sa faute si on a voulu l'enlever pour faire chanter ses parents, ou si Caesar a pris sa place durant la prise d'otages. Il l'en aurait même sans doute empêché, s'il avait pu.

- Il ne pourrait pas l'accepter, en fait. Il faut avoir 21 ans pour être un consultant des forces de l'ordre, et j'ai déjà grillé mes chances à une dérogation il y a un bail, objecte à nouveau Jack.

Il a évidemment déjà considéré la possibilité, sans quoi il n'aurait pas essayé de s'accorder les faveurs de la partenaire du maître-chien par une méthode alternative.

- T'as pensé à tout, commente Nelson, à court d'idées pour l'aider, maintenant qu'il est fixé sur ses intentions.

- Je pense toujours à tout ! s'exclame l'intéressé, levant les bras au ciel dans sa frustration.

Mais pourquoi est-ce que cette notion est toujours si longue à intégrer pour tout le monde ?

- Bah, c'est pas qu'on n'accepterait pas ton aide, nous, mais c'est pas comme si on était capables de quoi que ce soit pour commencer non plus, cherche gentiment à le rassurer Ellen.

- Attends… En venant nous voir, tu pensais vraiment qu'on saurait quelque chose ? s'étonne soudain Nels quant à lui.

Il est tout à coup frappé par leur impuissance que vient de souligner sa camarade, et donc par l'inutilité pour Jack de s'adresser à eux. Ils ne savent rien. Ils n'ont rien vu. Et de toute évidence, même si Mae était au courant de quoi que ce soit au sujet de son père, elle ne leur en a jamais parlé, sinon ils y auraient pensé avant.

- Peut-être sans en avoir conscience. J'ai déjà tenté ma chance au commissariat, par une voie un peu détournée, mais ça me semble compromis, le blondinet justifie ses actions sans le moindre tact.

Il hausse les épaules, l'air de signifier qu'il n'avait rien à perdre en leur parlant.

- On est ton dernier recours, en gros. Sympa, raille l'autre garçon, avec une moue insatisfaite.

- Pas le dernier. Mais pas loin, ouais, lui accorde Jack sans complexe.

- Si tu trouves un truc, tu nous tiendras au courant ? demande alors Ellen.

L'insulte a glissé sur elle. Elle est plus préoccupée par le sort de sa meilleure amie que par son ego. Et quelle ego, d'ailleurs ? Elle est lucide par rapport à son inutilité totale en le cas présent. C'est même un sentiment contre lequel elle lutte chaque jour.

- Pourquoi ? Tu viens de dire que tu ne pouvais rien faire, répond le petit génie, toujours aussi peu diplomate.

En l'occurrence, il est surtout peu enthousiaste à l'idée de traîner des poids morts. Il a déjà suffisamment de mal à arriver à ses fins, dans cette histoire. À part ses soupçons au sujet d'Alek, pour lesquels il n'a pas plus de preuves qu'il en avait au moment de faire part de sa théorie à Caesar, il n'a pas grand-chose. Tout est circonstanciel. La façon dont Alek reste terré chez lui, la stoïcisme de Sam malgré l'avancée mollassonne de l'enquête du côté de ses collègues des Personnes Disparues, même Markus semble en berne. Il y a anguille sous roche, mais il n'arrive pas à relier les points entre eux. Pas encore.

- Hey ! On est tout aussi frustrés que toi ! lui rétorque Nelson, piqué.

Son haussement de ton pousse la marginale, à côté de lui, à poser sa main sur son bras pour l'empêcher de s'avancer. L'adolescente garde la tête bien plus froide que son camarde :

- On a accès à Alek et Markus. Pas toi, elle fait remarquer.

Elle n'a pas oublié la question que Jack est venu leur poser en premier lieu, et ouvre les négociations. S'il veut savoir ce qui se passe chez les Quanto, il n'a pas l'air d'avoir beaucoup d'autre choix que de passer par les deux amis. Il vient littéralement d'admettre que si c'était le cas il ne serait jamais venu les voir. Ils sont en position de force.

- Quoi ?! On va pas espionner les Quanto ! proteste Nels, croyant halluciner à cette proposition.

- On veut juste aider à retrouver Mae. Je vois pas le mal, raisonne Ellen avec pragmatisme.

Ce dont elle ne se rend pas compte, c'est qu'en disant ça, elle sape un peu son levier. S'ils refusent de jouer les indics pour Jack, il ne pourra peut-être pas avancer, et eux ont déjà dit qu'ils n'étaient pas capables d'enquêter seuls. S'ils veulent mettre toutes les chances du côté de Mae, autant filer un coup de main au petit génie, qu'il décide de les maintenir informer de la progression de son enquête ou non. Mais il choisit heureusement de ne pas tirer avantage de cette erreur stratégique de la part de la petite marginale.

- T'as des tripes, E. Marché conclu, je vous tiendrai au jus, il lui offre, impressionné par son culot.

Alors que la jeune fille saisit dans la sienne à moitié gantée la main qu'il tend pour entériner leur accord, Nelson applique sa propre paume sur son visage. Il voit déjà le désastre arriver. Deux des esprits les plus dérangés qu'il connaisse viennent de s'harmoniser. Comment est-ce que ça pourrait présager quoi que ce soit de bon ? Peu importe l'intelligence de l'un et la bonne volonté de l'autre, il ne sait pas quand et il ne sait pas comment, mais cette alliance va forcément mal tourner. Et avec le bol qu'il a, il sera forcément embarqué dans toute cette histoire avec eux. Super ! Ça a au moins intérêt à avoir pour effet secondaire de ramener Mae à la maison, parce que sinon, il ne se pardonnera jamais pour ne pas avoir mis fin à ses manigances sur-le-champ.

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