2x04 - Chassé-croisé (13/17) - Héraut

Une heure providentiellement libre entre deux cours donne l'occasion à Brennen de faire un saut au commissariat du dix-huitième district. C'est un peu moins éloigné de son lycée que la brigade des Personnes Disparues, et il sait que l'oncle de Mae y travaille. Bien que dans des bâtiments séparés, les différents départements communiquent entre eux, alors il ne devrait pas y avoir d'inconvénient à ce qu'il dise ce qu'il a à dire là où c'est le plus pratique pour lui. De plus, il pense qu'à la place de l'oncle, il apprécierait d'être le premier à recevoir toute information potentiellement pertinente à propos de sa nièce disparue. Une fois sa décision d'ajouter quelque chose à son témoignage prise, son choix de destination a donc été relativement vite fait.

Après avoir demandé à l'officier qui s'occupe de l'accueil cet après-midi-là où il peut trouver l'inspecteur qu'il est venu voir, l'adolescent gravit les escaliers qui mènent à l'étage. Il zigzague de manière irrégulière, s'évertuant à ne gêner personne qui circulerait avec une meilleure raison que lui, car tous ces uniformes, plaques, et holsters l'intimident un peu. Une fois en haut des marches, il repère rapidement Sam, debout à son bureau, reconnaissable grâce au molosse noir et fauve à ses pieds. Il se souvient de l'avoir vu auprès du groupe des Quanto, le soir de la prise d'otages.

- Inspecteur Quanto ? le jeune homme appelle timidement en s'approchant.

- Lui-même. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? répond le maître-chien, sans relever le menton.

Lorsqu'il se tourne enfin vers celui qui vient de s'adresser à lui, il reste un instant figé, le reconnaissant sans peine. S'il a raté Jena, après qu'elle a déposé son témoignage, il n'a pas manqué d'apercevoir Brennen. Il ne lui a pas parlé ce jour-là, ils ne se sont pas rencontrés, mais il n'est pas près de l'oublier. Et même s'il n'avait pas une excellente mémoire des visages, les séquelles de son agression sont encore légèrement visibles sur l'une de ses pommettes, le rendant facilement identifiable.

- Tu es le gamin qui était avec elle, pas vrai ? l'adulte demande tout de même confirmation.

Il pose la question plus pour la forme que par réelle nécessité. Il a bien vu à quel point les traits de l'adolescent se sont décomposés, à l'instant, lorsqu'il a compris qu'il était reconnu. Comme le jeune journaliste en fait l'expérience depuis ce Jeudi fatidique, il n'y a rien d'agréable à être un rappel constant d'une tragédie pour tous les gens qu'on croise. Et en l'occurrence, le regard de l'oncle est encore plus triste que celui des autres lycéens, à cause du lien de parenté entre lui et la victime. Brennen se console en se disant qu'avec un peu de chance, il amène une piste, ce qui devrait être vu comme une bonne nouvelle. Ce ne sera probablement pas suffisant pour contrecarrer le mauvais souvenir qu'il véhicule, mais ça peut peut-être l'atténuer tout de même.

- Oui. Et je crois que je me souviens d'un truc, acquiesce et annonce le garçon.

- Vraiment ? s'étonne Sam, sans cacher sa surprise.

Il est d'usage de donner à tout témoin d'un crime les moyens de se manifester à nouveau aux autorités, dans l'éventualité où il se souviendrait de quelque chose dans un second temps. De toute sa carrière, cependant, ce n'est jamais arrivé à l'inspecteur. Le plus souvent, c'est lui qui est spontanément retourné voir le témoin, qui lui a alors donné un nouvel élément sans vraiment s'en rendre compte.

- C'est un logo. Je crois. Sur leur uniforme. Sur la manche. C'est bizarre, parce que j'étais sûr qu'il y avait strictement rien dessus, mais… commence le grand adolescent.

Il est mal à l'aise, parce qu'il ne pense pas qu'il se prendrait lui-même au sérieux, à la place de son interlocuteur. Ça paraît absurde, comme détail duquel se souvenir après-coup. D'autant que le reste de son témoignage était plutôt clair. Il n'a pas le souvenir d'une zone d'ombre particulière. Et pourtant…

- Mais ça t'est revenu, l'adulte termine sa phrase pour lui.

Il comprend l'inconfort de l'ado, mais il tient à ce qu'il comprenne qu'il n'y a pas de raison. Il faut toujours rester ouvert d'esprit, dans une enquête. Même les faux mediums et autres charlatans amènent parfois de bonnes billes. Il ne faut simplement pas se reposer uniquement sur eux. Et surtout, personne ne devrait jamais avoir peur, pour quelque raison que ce soit, de se rendre dans un commissariat. Il faut se dire que tous les officiers ont déjà entendu un témoignage encore moins crédible ou encore moins utile que le nôtre peut nous sembler. Et même si on sera peut-être leur nouveau record à terme, il est de toute façon impossible de juger de la pertinence d'une information au moment de sa réception. Qu'on porte juste un badge ou aussi un uniforme, on est donc entraîné à la patience et à la tolérance, qu'il soit question d'une victime ou d'un informateur. L'insigne indique qu'on est là pour protéger, pas pour juger.

- Je préfère vous le dire et me tromper que me taire alors que j'ai raison, Bren conclut sur le raisonnement qui a achevé de le convaincre de se manifester aujourd'hui.

Il dit ça plus pour se donner du courage que réellement justifier sa venue. Il a longuement hésité avant de se décider à se déplacer, pas suffisamment sûr de lui pour passer à l'action. Puis, les migraines à répétitions ont un peu érodé sa fierté. Il veut juste mettre toute l'expérience derrière lui, et peut-être que partager un détail insignifiant est la dernière étape de ce processus. Peut-être qu'une fois qu'il aura transmis absolument tout ce qu'il sait sur le sujet, il pourra enfin passer à autre chose, ou en tous cas revenir à un semblant de normalité.

- Sage décision. Tu pourrais le dessiner, ce logo ? lui demande Sam, toujours aussi encourageant.

- Sans souci. C'est comme s'il était brûlé dans ma rétine ! répond Brennen.

La proposition d'enfin partager ce maudit symbole qui lui tourne dans la tête depuis une semaine provoque chez lui un incongru sentiment de soulagement. Sentant son agitation intérieure, Sing se redresse et vient renifler sa main. C'est sa façon à lui de dire à quelqu'un qu'il peut le caresser si ça peut le faire se sentir mieux. Il y a des chiens qui sont un peu plus entreprenants, mais il est conscient de ne pas être le profil canin le plus rassurant pour tout le monde. Le journaliste en herbe est surpris mais lui accorde une grattouille, que la bête accueille avec son sourire langue pendante.

- Je t'en prie, installe-toi, l'inspecteur invite son visiteur, désignant la chaise de sa collègue, toujours absente, de la main.

D'un geste rapide, il ouvre ensuite une page de dessin sur son propre bureau et la lance d'un mouvement fluide jusque sur celui de Fred, à côté duquel se tient Brennen. Il en profite également pour réduire les fenêtres qu'il était en train de consulter, au contenu graphique inapproprié pour un civil. Après avoir déposé son sac de cours par terre, sous la bonne garde de Sing, le garçon prend place là où on le lui a indiqué. Il attrape ensuite un stylet qui traîne par là et entame son croquis.

Même s'il n'a pas de grands espoirs quant à ce que va lui fournir l'adolescent, Sam fait le tour des bureaux afin de regarder par-dessus l'épaule du jeune témoin. Bien qu'ils n'aient jamais été officiellement liés à l'enquête, il a bien entendu déjà discrètement fait des recherches sur le nom et le logo de DG, cherchant à savoir où ils pourraient s'être réimplantés depuis leur démantèlement, mais sans succès. Avoir un témoignage qui les implique de manière légitime à l'affaire serait certes un plus, mais ça ne devrait malgré tout pas faire beaucoup avancer les choses vis-à-vis des recherches pour Mae. Pire, ça pourrait la mettre en mauvaise posture pour le jour où elle sera secourue. Mais il ne peut pas décemment refuser ce qui lui amène le gamin. Si c'est la conséquence que ce développement devrait avoir, alors il la gérera en temps voulu.

Lorsqu'il a terminé, Brennen se retourne et lève la tête vers l'adulte derrière lui, afin de jauger sa réaction au glyphe qu'il vient de tracer. Le maître-chien est alors bien incapable de masquer sa surprise en découvrant un insigne qui lui est inconnu, très différent des initiales en parallélogramme qu'il a toujours vues en filigrane des documents du laboratoire. Il s'agit d'un triangle équilatéral à base légèrement convexe, au centre de gravité duquel se croisent trois arcs de cercle, formant ainsi trois intersections de disques perpendiculaires aux côtés du triangle.

- Tu es sûr que tu l'as vu quand Mae s'est fait enlever ? Sam interroge.

Ce logo entièrement nouveau et au design si différent de l'ancien le laisse pour le moins perplexe. Peut-être que les mercenaires appartenaient à un autre organisme ? L'entrecroisement lui évoque cependant assez fortement un delta et un gamma en lettres grecques, ce qui collerait avec l'étymologie de l'appellation du laboratoire : δεινός (deinós) "terrible" et γένος (génos) "race, espèce".

- Er… Je suis sûr de ne jamais l'avoir vu ailleurs, en tous cas. Pourquoi ? est tout l'assurance que peut lui offrir Bren.

Il a une grimace inquiète quant à son utilité pour les recherches pour la petite blonde. L'inspecteur lui met alors une main sur l'épaule et lui accorde un sourire :

- Pour rien. C'est bien ! C'est un élément nouveau. Merci, Brennen.

Sa réponse achève de dissiper le pli entre les sourcils du jeune homme.

- J'espère juste que ça va permettre de la retrouver, il répond simplement.

Reposant le stylet où il l'a trouvé, il récupère son sac avant de se lever de son siège. Sa visite aura été rapide, mais il n'a rien à ajouter.

- Moi aussi, gamin. Moi aussi, confirme l'oncle.

Il le raccompagne jusqu'en haut des escaliers, et l'apprenti rédacteur en chef quitte le commissariat de Police avec le sentiment d'avoir fait ce qu'il fallait, malgré son incertitude vis-à-vis de ses souvenirs. Curieusement, il n'a pas eu d'autre migraine fulgurante depuis qu'il a décidé de venir, en début d'après-midi. Peut-être que son stress post-traumatique n'était finalement que ça, son subconscient qui l'incitait à partager ce qu'il savait. Quoi qu'il en soit, il se sent un peu plus léger malgré son inquiétude légitime pour la benjamine Quanto.

Sam, de son côté, s'efforce de ne pas trop miser d'espoirs sur cette nouvelle information. En dehors du fait que l'adolescent peut s'être trompé, il est également possible que, même si ce n'est pas le cas, le symbole ne mène à rien de concluant. Debout au-dessus de son ancien bureau, le maître-chien lance une recherche de similitude dans la base de données, avant de retourner s'asseoir et poursuivre ce qu'il était en train de faire avant la visite qu'il vient de recevoir. S'il est satisfait du résultat de l'analyse, convaincu que Brennen n'aura pas fait d'amalgame avec une autre image dans sa mémoire, il communiquera l'emblème à son frère et sa nouvelle associée pour une étude sous un autre angle. En attendant, il préfère rester prudent. Il accorde une caresse à Sing Sing, pour le gratifier d'avoir été accueillant avec leur témoin, puis se replonge dans ses analyses de scènes de crime.

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