2x04 - Chassé-croisé (11/17) - Zombies

La sensation d'isolement de Markus n'est pas allée en s'améliorant depuis son premier pic de criticité la semaine dernière. Apprendre que non seulement son père mais aussi son oncle avaient tous les deux soupçonné ce que sa petite amie dissimulait à propos de son passé lui a comme coupé les jambes. Peut-être même encore plus que la découverte de ce qu'elle cachait, justement. En l'espace de 24 heures à peine, il a perdu le peu de soutien qu'il pensait encore avoir dans cette période difficile, sans substitut possible. Alors, puisqu'il ne connaît rien d'autre qui ressemblerait de près ou de loin à un palliatif à sa situation, il s'est enfoncé encore un peu plus profondément dans ses études.

Ne se sentant plus vraiment chez lui à la maison, à la fois parce qu'il n'a pas encore la volonté de confronter son père et parce qu'Ann le met curieusement mal à l'aise sans qu'il puisse dire pourquoi, il passe le plus clair de son temps dehors. En plus des bancs de la fac, il a intensifié sa fréquentation de la bibliothèque, et rend visite à son meilleur ami comateux à l'hôpital à la fois plus souvent et pour de plus grandes durées. Même s'il sait que Rob n'est pas vraiment là-bas, puisqu'il est plutôt occupé à aider son père à retrouver sa sœur, ça lui donne l'impression de ne pas l'oublier. Et en plus de ces refuges préexistants, Markus a également pris l'habitude d'aller se recueillir sur la tombe de sa mère.

Même s'il réserve usuellement cette visite pour une date bien spécifique de l'année, l'étudiant ne se sent pas coupable de se réfugier là en temps trouble. Il n'a pas besoin d'être au cimetière pour honorer la mémoire de sa mère ; il pense déjà à elle tous les jours. Ce lieu de repos éternel est là plus pour les vivants et non pour les morts, ça ne fait aucun doute dans son esprit. Et il est actuellement en grand besoin de sérénité. Il se dit que, si elle était toujours parmi eux, sa mère voudrait sans doute être une source de réconfort pour lui. C'est d'ailleurs probablement ce que souhaite son père également, mais il n'est malheureusement pas tout à fait en position de remplir ce rôle en ce moment.

Venant juste de terminer son sandwich, Mark range sa bouteille d'eau dans son sac et se relève de sa position en tailleur devant la pierre tombale. Il frotte ses jeans pour en ôter toute miette et tout brin d'herbe éventuels, puis attrape la sangle de sa besace à ses pieds, pour la passer à son épaule. Il se dirige ensuite vers le portail par lequel il est entré, l'heure de retourner en cours venue.

Comme tous les jours, il croise assez peu de monde sur son chemin. Les cimetières ne sont pas exactement la destination de prédilection de tout le monde à la mi-journée. Il y a bien cette vieille dame qui amène quotidiennement des fleurs, et ces quelques promeneurs de chiens moins rebutés par le décor que d'autres, mais c'est tout. C'est pourquoi ces deux grandes silhouettes au loin l'inquiètent presque instantanément.

Dans un premier temps, c'est à cause de leur taille que Markus remarque les deux individus. Elle est pour le moins inhabituelle par sa grandeur. Ensuite, alors qu'il s'est rapproché d'eux et eux de lui, avançant dans des directions contraires, il se fait la réflexion qu'ils n'ont pas l'air tranquille des autres visiteurs. Ils n'ont pas l'air inquiets, mais pour le moins concentrés, pour de simples promeneurs. Enfin et surtout, le dernier détail à lui mettre la puce à l'oreille que quelque chose ne va pas est leur tenue ; il n'a jamais vu de pantalons cargo de ce type qu'en une seule occasion, et y repenser lui glace le sang.

Préférant prévenir que guérir, même s'il a conscience qu'il y a une forte probabilité pour qu'il soit simplement un peu paranoïaque sur ce coup-ci, l'étudiant décide de faire un détour, afin d'éviter de croiser la route des deux soldats. Dès qu'une intersection dans le chemin de terre s'offre à lui, il l'emprunte. Il accélère aussi légèrement son allure, dans l'idée de mettre autant de distance que possible entre les deux inconnus et lui sans pour autant avoir l'air de s'enfuir. Lorsqu'il jette un œil par-dessus son épaule, il peut constater que personne n'est derrière lui. Il reprend donc un rythme de marche normale, non sans lâcher un soupir de soulagement.

- Pourquoi est-ce que tu cours ? l'interpelle soudain une voix à l'accent qu'il n'arrive pas bien à placer.

L'appel fait sursauter Markus à près de dix centimètres du sol sous le coup de la surprise.

Les deux grands blonds à moitié en tenue d'assaut se tiennent devant lui, sans qu'il puisse expliquer comment ils ont bien pu se débrouiller pour lui couper la route sans qu'il ne s'en rende compte. Certes, le chemin n'est pas bordé de barrières, donc il est entièrement possible de couper à travers la pelouse, mais il aurait dû les voir s'approcher, ne serait-ce que dans sa vision périphérique, non ?

- Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous me voulez ? il demande dans sa panique d'être ainsi accosté.

Si une part de son cerveau reptilien se prépare à lui demander de partir en courant, ceux à qui il s'adresse ne semblent pas en état d'alerte. Ils ont fait halte comme lui, et ne paraissent pas avoir l'intention de s'approcher plus. C'est celui qui a déjà parlé qui fait les présentations :

- Je suis Sieg. Lui, c'est Vlad. On vient de la part de Jena.

Markus reste un instant muet, toisant successivement l'un puis l'autre des géants pendant près d'une minute chacun. Il n'arrive pas à faire sens de ce qu'on vient de lui répondre. Il a saisi les mots individuellement, mais ensemble, il ne parvient pas à en tirer quoi que ce soit.

- Quoi ?! il finit par s'exclamer, perdu.

- On est des amis de ta petite copine, reformule le dénommé Vlad lentement.

Il s'exprime comme s'il parlait à quelqu'un qui ne maîtriserait pas la langue dans laquelle il parle. C'est paradoxal, puisqu'il a un accent encore un peu plus marqué que celui de son comparse.

L'étudiant percute enfin à qui il a affaire. Ces deux hommes doivent être les renforts dont Jena a parlé à son oncle. Maintenant qu'il y pense, c'est vrai qu'il n'y a strictement aucune raison valable pour eux de s'équiper différemment de leurs collègues qui ont retenu son frère et sa sœur en otage, ou encore ceux qui ont enlevé sa sœur. Mais l'étudiant aurait quand même pu faire sans frôler la crise cardiaque.

- Oh. Okay… Pourquoi est-ce qu'elle ne vient pas en personne ? il demande, un peu plus calme à présent.

Ou pourquoi est-ce qu'elle ne l'a pas prévenu avant de lui envoyer ses sbires, tout simplement ? Ce n'est pas comme si sa frangine ne pouvait pas lui accorder la discrétion dont elle aurait besoin pour prendre contact avec lui. Caroline baigne vraiment dans son élément depuis un moment déjà.

- Parce que tu ne veux pas lui parler, répond platement Sieg.

Il donne maintenant la même impression que son partenaire, de parler à quelqu'un qu'il estime avoir du mal à le comprendre. Leur attitude un poil condescendante, doublée de leur tête de plus, ne rend pas vraiment la conversation agréable à Markus.

- J'ai pas dit ça ! il proteste à l'affirmation qui vient d'être faite.

La situation entre la brunette et lui est bien plus complexe que ça. Il est blessé, mais si elle a quelque chose à lui dire au sujet de Mae, il l'écouterait. Que ce soit la façon dont ses interlocuteurs résument l'état de leur relation n'est pas très encourageant sur ce qu'elle a pu leur dire.

- C'est pas ce qu'elle nous a raconté, lui fait justement remarquer le géant nordique, intransigeant.

Markus soupire. C'est sans doute la vérité. Il préfère ne même pas demander pourquoi Jena a raconté leur conversation à ses deux collègues avec autant de détails. Il ne veut pas savoir le lien qui l'unit à eux, comment elle les a rencontrés, depuis combien de temps elle les connaît. Ils sont juste un secret de plus qu'elle a gardé. C'est quand même vers eux qu'elle se tourne maintenant, en situation critique, et pourtant il n'a absolument jamais entendu parler d'eux avant que son oncle ne lui fasse part de l'allusion à des renforts faite par la jeune femme, lorsqu'elle est venue le voir sur le parking de son commissariat. Il ne s'attend pas à ce qu'elle lui ait parlé de toutes les personnes qu'elle a pu rencontrer dans sa vie, que ce soit avant ou après sa fugue, mais visiblement, ces deux-là sont importants. Elle ne leur ferait pas à ce point confiance sinon.

Le fait que Markus soit quelque part un peu jaloux de n'avoir eu personne à qui parler, lui, ne l'aide pas à oublier sa contrariété. Il choisit cependant de s'efforcer de rester pragmatique :

- Qu'est-ce que vous avez à me dire ?

- Ta sœur a été prise et transportée par des équipes de cinq : chauffeur, cogneur, kidnappeur, infirmier, et bien sûr, meneur. Avec des relèves tout le long du trajet. Vers l'Est. On ne sait pas encore où elle est exactement, mais on a réussi à obtenir une description du bâtiment où elle a été déposée.

Sieg étend les cinq doigts de sa main au fur et à mesure de son énumération des rôles qui ont composé l'équipe de coupables. Voilà les informations qu'ils ont réussi à obtenir durant leur interrogatoire du matin et la fouille qui l'a accompagné. Pour compléter les dires de son partenaire, Vlad sort une enveloppe de plastique de l'intérieur de sa veste, qu'il tend à l'étudiant. Mark s'en saisit et l'ouvre, seulement pour prendre une expression choquée :

- Est-ce que c'est du papier ? Avec du SANG ? il s'exclame, décrivant ce qu'il a entre les mains.

Il hésite à tirer le document de son réceptacle. Le papier est un matériau rare et fragile, et en conséquence pas très pratique, selon lui. Et s'il ne se trompe pas, c'est au crayon que le croquis qui y figure a été tracé, ce qui rend le dessin encore moins pérenne. Les traces rouges fortement suspicieuses çà et là achèvent de rendre l'objet peu banal.

- Tu devrais être inspecteur, comme ton oncle, plaisante Vlad sans la moindre trace d'humour sur son visage.

- Pourquoi est-ce que vous ne lui donnez pas ça à lui, justement ? rebondit Markus au lieu de relever le sarcasme.

Intérieurement, il se remet encore d'avoir appris quelque chose sur l'enlèvement de sa sœur. Depuis la description des évènements, ils n'avaient strictement rien découvert de nouveau. Avoir confirmation du nombres d'individus impliqués, du rôle qu'ils ont joué, de la direction qu'ils ont prise, et de l'organisation du transport, c'est quand même beaucoup. Et ce croquis qu'il a entre les mains est particulièrement percutant.

- Des raisons de sécurité. Et on était curieux, répond Sieg.

Il semble un peu moins pince-sans-rire que son comparse, si de peu. Il toise Markus de toute son impressionnante hauteur et ses yeux de glace. Pourtant, l'étudiant a lui-même les yeux bleus. Et il est habitué à ceux fort parlants de son oncle, ou même ceux rieurs de Rob, qui lui manquent d'ailleurs cruellement. Il n'a jamais vu un coloris aussi froid dans des iris. Les deux hommes partagent le même. Il faut dire aussi que ça colle à leur teint pâle et leur chevelure presque blanche. Qu'ils n'aient pas le même accent est surprenant.

- Curieux de quoi ? ose tout de même demander Markus.

- Toi, répond Vlad.

- Pourquoi ? balbutie le jeune homme.

Est-ce qu'ils voulaient voir le frère de celle qu'ils sont en train d'aider à retrouver ? Pour évaluer à quel point il mérite qu'on lui donne un coup de main ?

- On a entraîné Jena, Sieg déclare simplement, comme si ça se suffisait à soi-même.

Il le toise un nouvelle fois de haut en bas, un peu comme on pourrait le faire un cheval de course. Avant que Mark n'ait eu le temps de trouver quoi répliquer ou quoi demander d'autre, le moins bavard du duo vient abattre le dos de sa main sur la poitrine de son collègue scandinave, et les deux hommes s'éloignent, avec encore moins de cérémonie qu'ils se sont approchés. L'étudiant écarte les bras un instant avant de les laisser retomber le long de son corps, hébété par ce qui vient de se passer. Il ouvre la bouche pour protester à la façon dont vient de se dérouler tout cet échange, mais il finit par se résigner au fait qu'il n'y a sans doute rien qu'il puisse leur lancer qui aurait quelque effet que ce soit. À moins peut-être de les pousser à lui casser la figure, ce qu'il préférerait éviter. Il soupire avant de refermer l'enveloppe qu'on vient de lui remettre et de la glisser dans son sac. Il reprend le chemin de la faculté de médecine en se disant qu'il amènera ça à son oncle dès que possible. Il faut juste qu'il détermine s'il lui apporte au commissariat ou à la maison… Vraiment, quel intérêt d'avoir mis les infos sur un support intraçable, si c'est pour le lui confier ensuite, à lui qui n'a rien d'un espion ?

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